Théologie de la vie religieuse
Bulletin bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1983-1 • Janvier 1983
| P. 45-61 |
La grosse vingtaine d’ouvrages que nous devons, cette année, à l’obligeance des éditeurs a été classée en quatre séries. Dans la première, la plus importante, on trouvera les ouvrages qui traitent de la vie religieuse, de sa place dans le monde actuel, de l’obéissance. Nous y avons joint des monographies qui, à propos d’une recherche particulière, soulèvent des problèmes qui intéressent la vie religieuse dans son ensemble. La seconde section rassemble les présentations de diverses vocations et de leur actualité. Un troisième groupe, assez fourni grâce aux divers anniversaires qui se célèbrent, est consacré aux éditions de textes. En quatrième lieu enfin, on a signalé des instruments de travail.
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I
Dans Témoins de Dieu au cœur du monde [1], le P. Leonardo Boff rassemble des contributions qu’il a données à diverses occasions et publiées çà et là. Leur regroupement est heureux, car il en résulte une petite « Somme » de la vie religieuse en elle-même et dans le monde actuel, spécialement en Amérique latine. Dix chapitres sont répartis en quatre parties aux titres significatifs. « Le fondement » nous invite à découvrir la vie religieuse comme un phénomène universel et à situer en même temps sa spécificité chrétienne, puis à nous rendre compte des conditions dans lesquelles l’homme d’aujourd’hui peut faire l’expérience de Dieu et du rôle des religieux dans cette découverte. La seconde partie, intitulée « L’expression », nous présente l’étude des vœux : après avoir établi que la vie religieuse s’explique par un unique vœu radical qui se déploie en trois engagements, l’auteur consacre les chapitres suivants à l’examen de chacun de ces domaines et au sens du vœu correspondant, spécialement à notre époque. Dans une troisième partie, « La concrétisation », nous sommes d’abord conviés à l’examen des rapports entre la vie religieuse et la sécularisation, puis à celui du défi que représente la prière au cœur d’un monde sécularisé. Une quatrième partie, fortement marquée par la situation concrète de l’Amérique latine, décrit « la mission » de la vie religieuse devant les défis que lui adressent la situation de sous-développement de ces contrées et le processus de libération qui y est en cours ; ce seront sans doute les pages les plus discutées du livre.
Dans ce travail solide, bien documenté, beaucoup de points méritent d’être relevés avec éloge. Le tout premier est l’effort, souvent couronné de succès, pour aller au fond des problèmes et en dégager les données essentielles. Nous avons aimé, par exemple, cette idée de la « transparence » du monde (reprise à Teilhard), qui unit la transcendance de Dieu et son immanence à sa création, sans priver celle-ci de sa légitime autonomie. Relevons encore la vue très juste selon laquelle la vie religieuse se définit par une consécration totale à Dieu, qui se détaille et se concrétise selon la triple dimension structurelle de l’homme par les « trois vœux ». Signalons encore de bonnes réflexions sur les divers sens de la pauvreté (de la pauvreté ontologique de la créature à la pauvreté vouée) et sur la non-valeur morale de la pauvreté matérielle. Citons ces quelques lignes très éclairantes : « Que quelqu’un, dans une situation de pauvreté, puisse toutefois conserver sa dignité humaine, renonçant à tout esprit de vengeance et de convoitise, c’est le fruit, non de la pauvreté comme telle, mais de cette inépuisable grandeur humaine, toujours capable de surmonter et de transcender toute situation concrète. Ce n’est pas grâce à la pauvreté, mais malgré elle, que l’homme conserve sa dignité » (117).
Ce que l’auteur dit de la chasteté appelle un jugement plus nuancé. On est quelque peu étonné de lire, p. 15 : « Son symbole historique (de la vie religieuse), bien que ni exclusif ni nécessaire pour la vie religieuse, est la chasteté et la virginité... ». Par contre, on retiendra comme une suggestion à creuser que la déclaration de Trente sur la supériorité de la virginité et du célibat par rapport au mariage serait à comprendre dans la ligne eschatologique, car ils sont des signes plus éloquents de la situation définitive dans le Royaume (ibid.). Intéressante aussi, bien que de portée limitée, est la réflexion faite par Boff à la suite de l’anthropologie moderne : il décrit la chasteté comme une manière d’intégrer le masculin-féminin présent en chaque personne humaine et montre ce que cette vue peut apporter à la compréhension du vœu.
Il y a aussi – il nous faut bien le dire – certaines ambiguïtés et quelques faiblesses dans ce livre ; sans doute sont-elles partiellement dues au fait qu’il reprend des publications antérieures qui n’ont pas toujours pu entièrement être remises sur le métier. La première de ces ambiguïtés – et elle est fréquente lorsque l’on parle de pauvres et de pauvreté – apparaît dans ces lignes : « La nouveauté qu’apporte le christianisme réside dans l’affirmation de l’identité entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain » (29). Si le Christ, en Mt 25,31-46, s’ identifie bien aux démunis de toutes sortes (« dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »), il précise nettement, dans sa réponse au pharisien (Mt 22,38-39), que l’amour de Dieu est le premier et le plus grand commandement et que le second (l’amour du prochain) lui est semblable. Plus qu’une nuance, ce qui est ici en jeu est un enseignement profond et quelque peu difficile à expliciter. Essayons-le cependant. Parce que Dieu appelle tous les hommes à devenir ses fils adoptifs dans son Fils incarné, tout ce que nous faisons au plus petit d’entre eux, c’est au Seigneur lui-même que nous le faisons, que nous le sachions ou non (c’est ce que nous révèle la description du Jugement en saint Matthieu). Est-ce à dire qu’il nous suffise, pour aimer Dieu de tout notre cœur, de servir le prochain en étant sûr que « là où l’on trouve la fraternité, la justice, la libération et la bonté, là s’incarne vraiment le christianisme et l’on vit l’Évangile, peut-être même dans l’anonymat sous quelque autre drapeau » (248) ? Nous respectons profondément ceux et celles qui se dévouent aux tâches de la cité séculière pour la rendre plus humaine et plus habitable par tous ; nous croyons que, pour beaucoup d’entre eux : « la préoccupation des autres constitue déjà une rencontre avec Dieu » (215), qu’ils en aient ou non conscience, et qu’« être bon est déjà une forme sécularisée d’être chrétien » (216). Mais il faut tenir compte aussi d’une remarque faite ailleurs par l’auteur : « Il peut arriver que le chrétien, en aimant sa réalisation terrestre, finisse par constater qu’il n’aime plus que cela » (203). Car « le monde sécularisé est ambigu : il y a en lui la bonté naturelle des choses et une légitime autonomie ; mais aussi le mal institutionnalisé et la fermeture à Dieu » (216). Plus profondément encore s’applique ici ce que Boff note à propos de la sécularisation : « (elle) est bonne et voulue par Dieu. Mais nous savons qu’elle peut dégénérer en sécularisme, qui n’est autre chose qu’une manière de proclamer absolues les valeurs purement relatives du monde » (203). S’il ne peut y avoir de christianisme authentique sans amour effectif pour nos frères démunis (cf. Jc 2,14-18), nous sommes, hélas, parfaitement capables de laisser notre philanthropie se rétrécir en humanitarisme et de ne plus combattre que pour le bien-être terrestre de nos semblables.
Si nous avons quelque peu insisté sur ce point, c’est qu’il nous apparaît comme un danger typique des « théologies de la libération » (pour lesquelles l’auteur ne cache pas sa sympathie). Devant l’effarante ampleur des tâches à réaliser dans les situations tragiques que connaît, entre autres, l’Amérique latine, le risque n’est pas illusoire de se laisser accaparer par elles et de finir par ne plus lutter que pour un messianisme temporel.
Nous nous contenterons de faire allusion plus brièvement à d’autres points où les positions de l’auteur ne feront sans doute pas l’unanimité.
Ce qu’il dit, à diverses reprises, de l’obéissance, met bien en lumière que celle-ci doit être un « chemin de réalisation personnelle » (c’est le titre du ch. 6), mais on voit moins, dans les pages consacrées à ce thème, quel est le rôle propre du supérieur.
Venons-en aux institutions caritatives et enseignantes dirigées par des religieux. Tout le monde n’acceptera pas qu’elles soient, comme le dit Boff, irrémédiablement appelées à disparaître, au profit d’insertions individuelles des religieux dans ces mêmes milieux (188). Est-il vrai que : « les religieux peuvent, dans les institutions officielles, témoigner avec beaucoup plus de transparence, et sans ambiguïté institutionnelle, de la vérité de l’Évangile » (261) ? Il faudrait connaître de l’intérieur la situation exacte de l’Amérique latine pour apprécier à leur juste valeur les critiques, assez massives, que l’auteur adresse aux institutions chrétiennes de ce continent. Avouons que, telles quelles, elles nous laissent un certain malaise ; bien que Boff se défende, à deux reprises (260 et 287), de vouloir tout détruire, nous craignons que l’impression d’ensemble qui se dégage de ces pages et de celles où il prône l’exode massif des religieux vers les pauvres ne soit ressentie comme une condamnation de la présence de l’Église et des religieux dans ces institutions. N’y aurait-il pas chez l’auteur un certain anti-institutionnalisme, sensible par exemple dans telle réflexion sur la difficulté, pour la vie religieuse, de s’encadrer dans des structures trop institutionnalisées (cf. p. 263) ?
Même si tout n’a pas été dit, arrêtons ici cette recension, qui aura du moins montré ceci, nous l’espérons : il y a beaucoup à prendre dans ces pages, et même lorsqu’on ne peut se fier entièrement aux lignes de pensée qui y sont développées, leur lecture est toujours stimulante, car elles nous obligent à réfléchir sur l’essentiel de notre vie.
Dans I fondatori, uomini dello Spirito [2] (Les fondateurs, des hommes de l’Esprit), Fabio Ciardi ne se propose pas de présenter quelques grands fondateurs et leur « charisme » (nouvel emploi de ce mot, consacré par Evangelica testificatio, n° 11, en 1971). Son but est à la fois plus restreint et, disons-le, plus ambitieux : il veut rechercher en quoi consiste le charisme de fondateur, quelles sont les notes communes à ceux et celles qui ont été à l’origine de nouvelles formes de vie reconnues dans l’Église. Certes, ceci l’amène à étudier, de préférence sur les documents originaux, l’histoire d’un certain nombre de ces fondateurs. Il en choisit neuf : saint François d’Assise, sainte Angèle Merici, saint Ignace de Loyola, saint Camille de Lellis, saint Vincent de Paul, saint Paul de la Croix, le Bienheureux Eugène de Mazenod, la bienheureuse Françoise Schervier et don Giacomo Alberione († 1971). Il est évident, à parcourir cette simple énumération, que ces hommes et ces femmes de Dieu ne sont pas coulés dans un moule uniforme, pas plus d’ailleurs que leurs œuvres. Comment découvrir cependant le dénominateur commun qui a fait de chacun un fondateur, une fondatrice ? L’auteur procède en cinq étapes, grâce auxquelles il découvre et met en lumière les traits essentiels communs à tous. Un premier chapitre rappelle une vérité fondamentale : la présence et l’action du fondateur n’est intelligible qu’à partir de l’Esprit Saint, sans cesse à l’œuvre dans l’Église qu’il entraîne vers la plénitude de la vie du Christ, que ce soit par les sacrements et leurs ministres ou par la distribution des autres charismes aux fidèles, et notamment à ceux et celles qu’il appelle à la vie « consacrée ».
Ceci amène l’auteur à rechercher dans les exemples qu’il a choisi d’explorer comment l’action charismatique de l’Esprit se manifeste. Il découvre une constante, la présence d’une intervention divine à l’origine de toute famille religieuse. Mais sa recherche fait aussi apparaître combien les voies par lesquelles celle-ci se manifeste et prend corps sont diverses : cela va de l’inspiration « directe » (et encore sous de multiples formes) à des inspirations « indirectes », jusques et y compris le désir d’un préfet de simplifier l’administration des hôpitaux de son département ! Cette inspiration, pour multiforme qu’elle soit en son origine, son développement et les points qu’elle met en lumière, a cependant un centre unique : le Christ et son Évangile. Quel que soit le mystère qui touche spécialement ces hommes et ces femmes et qu’ils veulent mettre en lumière dans leur vie et celle de leurs disciples, c’est bien le Christ tout entier et la totalité de son Évangile qui sont au cœur de leur intuition et de leurs désirs.
S’ils se sentent appelés à vivre plus particulièrement tel ou tel aspect de l’inépuisable richesse du Seigneur, c’est aussi en réponse aux besoins actuels de l’Église, qu’il s’agisse de fondateurs ouvrant une voie nouvelle, tels François et Ignace, ou de ceux qui, s’insérant dans des formes existantes, apportent cependant leur note originale au concert. Parce que le charisme de fondateur a, de la sorte, une dimension ecclésiale, il doit être authentifié par l’Église. Certes, l’histoire l’a montré et continue de le faire, ceci ne va pas sans difficultés, mais les vrais fondateurs, persuadés que c’est le même Esprit qui guide la hiérarchie et inspire leurs projets, lui ont toujours fait confiance et ont toujours reconnu, à travers tout, dans les successeurs des Apôtres ceux qui ont mission de reconnaître leur charisme. Si le Saint-Esprit s’accommode des faiblesses et des lenteurs inhérentes à toute institution, cela finit par tourner au bien de ceux qui aiment Dieu et sortent grandis et purifiés de l’épreuve.
Dernière caractéristique, qui distingue un fondateur d’un saint plus admirable qu’imitable (pensons à Benoît Labre), celui qui bénéficie de pareil charisme le reçoit pour le faire partager à des frères ou des sœurs, qui continueront l’œuvre à laquelle l’Esprit les appelle, eux et lui. Tels sont les critères que l’auteur découvre dans le charisme de fondateur : ses dimensions pneumatique, christologique et évangélique, ecclésiale et de fécondité.
C’est à une œuvre de pionnier que l’auteur s’est livré. Il mérite notre reconnaissance pour l’avoir entreprise avec le sérieux qui caractérise son travail. Celui-ci rendra service à ceux qui répondront au vœu que l’auteur exprime à la fin de son Introduction : que ses pages soient un stimulant pour des recherches analogues dont la synthèse permettra d’approcher davantage encore la richesse de l’Esprit à l’œuvre dans l’Église.
Religiosos en un mundo inhumano [3] rassemble les exposés de la semaine nationale sur la vie religieuse organisée par l’Instituto Teológico de Vida Religiosa, de Madrid. Une première causerie nous décrit le monde inhumain dans lequel nous vivons, puis on nous présente le Christ, prophète et réalisation de l’homme nouveau. Ensuite quatre études sont consacrées à la communauté et aux trois vœux, ainsi qu’à la manière dont ces réalités ont à être vécues pour répondre aux besoins et aux attentes actuels du monde. Trois modèles nous sont ensuite présentés : saint François, sainte Thérèse d’Avila et saint Vincent de Paul. Sur un thème d’une brûlante actualité, voici un ensemble qui intéressera un large public.
Le volume Les religieux dans l’Église locale [4] présente le dossier de la IVe rencontre interaméricaine des religieux (Santiago du Chili, 16-23 novembre 1980). On nous donne d’abord les quatre documents de travail envoyés par la CMSM (Conférence des Supérieurs majeurs des USA), la LCWR (Conférence des Supérieures Majeures des USA), la CLAR (Confédération latino-américaine des religieux et religieuses) et la CRC (Conférence religieuse canadienne, qui regroupe elle aussi les femmes et les hommes). Ces textes sont suivis de l’allocution d’ouverture de chaque délégation et d’un aperçu historique, par quatre orateurs, sur les rencontres interaméricaines. Puis vient la présentation détaillée, par divers intervenants, des documents de travail : les religieux des États-Unis expliquent comment ils entendent que leur vocation est d’être « religieux et prophètes » ; leurs consœurs décrivent les « frontières nouvelles » qui s’ouvrent à leurs recherches ; le groupe d’Amérique latine nous montre « les pauvres au cœur de l’histoire » et précise les orientations prises et les problèmes qu’elles soulèvent. Les Canadiens, enfin, présentent « l’histoire, leçon d’espérance pour la vie religieuse au Canada ». Ensuite, chaque groupe répond aux questions et aux réactions que ses exposés ont suscitées. On nous donne enfin les recommandations adressées par les participants à leurs Unions. Signalons encore que le Cardinal Pironio, présent à l’assemblée, y est intervenu à trois reprises : pour marquer la triple fidélité dans la communion qui caractérise notre vocation, pour expliciter les thèmes et les convergences que révèlent les échanges et pour exhorter les participants et, à travers eux, tous les religieux et religieuses, à vivre fidèlement.
Cette brève présentation laisse pressentir la richesse et la variété des documents réunis dans ce volume. Les informations qu’ils nous fournissent sont d’autant plus intéressantes qu’elles viennent de personnes engagées dans les situations et les problèmes qu’elles décrivent. Ainsi, les diverses interventions de la CLAR nous font-elles mieux comprendre la manière concrète dont l’appel des pauvres retentit dans ces pays et les voies, souvent ardues et parfois hasardeuses, dans lesquelles l’on s’engage. Mais il est intéressant aussi de noter que les religieux des États-Unis, s’ils perçoivent le même appel, se rendent compte que celui-ci ne leur permet pas de négliger leur apostolat auprès de la classe moyenne. Dans les interventions des religieuses des États-Unis, on voit que deux problèmes tendent à prendre une grande place dans leurs réflexions : le rôle de la femme dans l’Église, une compréhension renouvelée de l’obéissance, conçue comme une relation de co-responsabilité et de coopération.
Toutes les opinions émises dans ces pages ne feront sans doute pas l’unanimité. Signalons particulièrement l’affirmation que « notre vœu de pauvreté nous empêche d’être réellement pauvre aujourd’hui », car il nous permet un type et un niveau de vie plutôt riches, nous dispense de lutter pour notre survivance, nous empêche d’avoir prise sur la réalité matérielle à travers le travail et nous rend difficile la solidarité sociale et politique avec les ouvriers, les paysans, etc. (cf. 60-61). Sur la question de l’obéissance aussi, il y aurait sans doute pas mal à dire, mais les allusions qui y sont faites ne permettent pas de cerner suffisamment les orientations prises. Notons – ne serait-ce que par simple souci d’honnêteté –que les auteurs présentent leurs suggestions avec beaucoup de modestie et relèvent qu’eux-mêmes et les groupes qu’ils représentent sont souvent encore en pleine recherche. On leur saura gré de cette franchise et de l’aide qu’ils apportent ainsi à tous ceux et celles qui travaillent à faire progresser la vie religieuse sur les voies du Seigneur.
Ce qui fait l’intérêt de Différents chemins pour suivre Jésus-Christ [5], plus encore que les nombreuses pistes que ce livre ouvre à ceux qui cherchent, c’est la théologie de la vocation qu’il développe dans la ligne de Vatican II : tous les chrétiens sont appelés à la perfection de l’amour. Si les Béatitudes et les « conseils évangéliques » concernent donc tous les chrétiens, car ils incarnent la manière de tendre à la sainteté à laquelle le baptême les appelle tous, chacun y est cependant invité selon une voie qui correspond à la vocation que Dieu lui adresse. Et ces appels sont multiples, car ils déploient comme en un arc-en-ciel l’inépuisable richesse de la sainteté du Christ, qui est, pour tous, « voie, vérité et vie ». C’est à présenter, en les groupant dans la mesure du possible, diverses voies ainsi tracées et authentifiées par l’Église que se consacre cet ouvrage, éclairant et simple. Les pages de droite présentent les divers appels ; celles de gauche sont réservées à de brèves citations de l’Évangile, des Pères, des fondateurs ou de leurs règles. Ces pensées amorcent ainsi une réflexion priante qui aide à mieux pénétrer dans l’esprit du texte. Ce livre, qui « éveille à l’espérance », se recommande à ceux et celles qui cherchent sur quelle voie Dieu les appelle et aux personnes qui ont à les accompagner dans cette démarche.
La partie publiée de la thèse du P. Alvaro Restrepo, s.j., De la « vida religiosa » a la « vida consagrada » [6], établit un parallèle entre deux ouvrages auxquels nombre de religieux et de religieuses soucieux de vivre les obligations de leur état ont eu recours dans les cent dernières années. Le Catéchisme des vœux du P. Cotel, s.j., fut publié pour la première fois à Poitiers en 1859 ; les 30e et 31e éditions, posthumes, parurent à Louvain, en 1928 et 1929, après avoir été revues par le P. Jombart, s.j., pour tenir compte du Droit Canon promulgué en 1917. Témoins de la Cité de Dieu, du P. R. Carpentier, s.j., édité dans la même collection, connut neuf éditions, la première en 1956, la dernière dix ans après. La comparaison entre ces deux ouvrages montre l’élargissement des perspectives de l’un à l’autre. Le livre du P. Cotel se situait plus dans une perspective ascétique et morale : les vœux y sont surtout présentés comme moyens de perfection (« la voie des conseils ») et ce à quoi ils obligent en conscience est précisé avec soin. Se situant dans une perspective plus théologique, celle du primat de la charité (selon un thème qui lui était cher), le P. Carpentier cherche avant tout à mettre en lumière les fondements et la nature théologique de la vie religieuse. C’est de là qu’il déduit les obligations qui en découlent et conduisent à la perfection personnelle et communautaire (cette dernière réalité occupe une place importante dans sa synthèse). – Dans la partie encore inédite de son travail, l’auteur poursuit sa recherche jusqu’à nos jours. On sera intéressé d’apprendre qu’il envisage de publier ces chapitres, lorsque l’occasion s’en présentera, sous forme d’articles de revue.
Dans notre vie religieuse, suite du Christ : l’obéissance [7] rassemble les documents de la session organisée, du 23 au 25 octobre 1981, par la Commission de formation de l’U.S.M.F. (France) : exposés des PP. J.-R. Bouchet, o.p. et M. Rondet, s.j., partages d’expériences, travaux de groupes, réponses des conférenciers, etc. Dans cet ensemble intéressant, relevons quelques distinctions éclairantes, par exemple entre l’obéissance d’initiation et l’obéissance qui vise à la communion (ou obéissance du religieux en formation et obéissance du religieux formé, sans oublier qu’on n’a jamais achevé d’être formé). Mais ce qui nous paraît constituer l’intérêt principal de ces pages, ce sont toutes les questions qu’elles permettent de pressentir et les pistes qu’elles ouvrent par là à un approfondissement de la recherche.
L’éclatement d’un monde [8] étudie les Clercs de Saint-Viateur du Canada et la « révolution tranquille ». Cette expression fut inventée, dans les années 1960, par un journaliste canadien anglais pour qualifier les profonds changements qui marquèrent le Québec à cette époque. Le mot fit fortune et reçut les acceptions les plus diverses, allant du développement économique de cette province au déclin de l’emprise de l’Église sur les orientations politiques et culturelles de ces régions. Ce fut aussi l’époque où l’État prit en mains, de plus en plus fermement, la direction de l’éducation et l’organisation des soins de santé. Ces divers changements atteignirent de plein fouet la Congrégation des Clercs de Saint-Viateur, qui occupait au Canada une place prépondérante dans l’éducation chrétienne de la jeunesse.
C’est à l’étude de l’impact de la révolution tranquille sur l’apostolat et l’organisation interne de cette congrégation que Paul-André Turcotte consacre son ouvrage. Il le fait en sociologue de la vie religieuse et se base, pour cela, sur les renseignements qu’il a pu recueillir à de nombreuses sources, parmi lesquelles figurent en bonne place de très nombreux documents en provenance des Clercs de Saint-Viateur. Dans l’histoire de leur groupe à cette époque, il distingue trois étapes aux noms significatifs, « Un monde menacé (1957-1964) », « Un monde qui se désagrège (1964-1969) », « Un monde effrité (1969-1972) ». Pour les décrire, il recourt à un vocabulaire auquel le profane est moins habitué ; ceci demande un certain effort pour garder présente à l’esprit la définition de ces termes, que l’auteur veille à toujours préciser.
Sans entrer dans les détails, on peut, ce semble, caractériser la première période comme un énorme effort de l’institut pour conserver la place prépondérante qui était la sienne dans l’éducation au Québec. Celui-ci porta sur deux domaines : les bâtiments (constructions nouvelles, aménagements) et la qualification des religieux enseignants (dont un nombre considérable fut invité à se mettre ou à se remettre aux études pour obtenir les diplômes correspondant aux nouvelles exigences du pouvoir civil). Dans la seconde période, qui coïncide pour une part avec l’aggiornamento demandé par le Concile, la Congrégation prend conscience qu’elle se trouve en situation de crise : malgré le très gros investissement en matériel et en qualifications consenti à la période précédente, la zone d’influence des Clercs de Saint-Viateur s’est réduite à quelques établissements privés et quelques secteurs marginaux ; parallèlement à cette diminution, de nombreuses sorties et une raréfaction des entrées avaient entamé le capital humain ; quant aux efforts des Chapitres, ils n’arrivèrent pas à élaborer un projet collectif recueillant l’assentiment général. La troisième période, marquée par les retombées immédiates de la révolution tranquille, voit l’éducation chrétienne en quête d’un nouveau champ d’action, tandis que la Congrégation est amenée à se resituer dans une société d’abondance à tendances néo-libérales, que ce soit au sujet de la pauvreté (avec tous les problèmes du travail rénuméré) ou des autres caractéristiques de la vie religieuse (séparation du monde, ascèse, obéissance et exercice de l’autorité).
Lorsqu’un cyclone a passé sur une région, le panorama qui s’offre à ceux qui la visitent n’est jamais réjouissant ; mais il suffit parfois de revenir quelque temps après pour constater que la vie reprend et s’adapte aux circonstances nouvelles. Le but de l’auteur n’était pas de mettre ce point en lumière, même si certains des indices qu’il relève nous semblent aller dans ce sens. Mais ces pages sont néanmoins de nature à intéresser un large public. Car, l’auteur le note dans sa conclusion, « le cas du Québec ne serait peut-être pas aussi original qu’on le dit généralement », ce qui amènerait à penser que l’aggiornamento des Ordres religieux dans l’Occident chrétien ne pourra pas éviter de subir le contrecoup d’une sécularisation qui touche à des degrés divers les pays d’Europe et d’Amérique. Ce que l’évolution ici étudiée a mis en lumière pourrait sans doute être éclairant ailleurs aussi, qu’il s’agisse de l’origine et de la signification de poussées qui se manifestent dans la vie religieuse (attrait des petits groupes, orientation vers les marginaux, etc.), du dialogue entre la direction et la « base » (parfois jusqu’au divorce entre le dire et le faire) ou des problèmes que pose l’insertion dans le monde actuel (qui a, notamment, tendance à classer les gens d’après leur salaire plus que d’après leur valeur). À ce titre, ce livre se recommande à ceux et celles qui travaillent à l’aggiornamento et sont persuadés que le rôle de la vie religieuse (et de toute vie chrétienne) est de mettre le levain évangélique dans la pâte que représente le monde actuel, non à côté.
Présenté comme thèse de doctorat en Droit Canonique à l’Université Grégorienne (Rome), Esprit et structure des Constitutions primitives des Sœurs de la Présentation de Marie [9] comporte trois parties. Dans la première, après une brève présentation de la fondatrice, Marie Rivier, et du nom qu’elle donna à son œuvre, vient l’étude des constitutions primitives : premier projet (1797), Règles de 1801-1802 (« Petites Règles »), Règles communes (1814-1820), Constitutions de 1822, dites « Constitutions primitives ». Sœur Geneviève Couriaud dégage ensuite l’unité de ces Règles, puis recherche leurs sources : beaucoup de points sont empruntés aux Jésuites, soit directement, soit à travers les Règles et Constitutions des Religieuses de Notre-Dame ; mais on relève aussi une nette influence de la spiritualité de l’École française et des traces de quelques sources secondaires. Une seconde partie est consacrée aux aspects fondamentaux de l’Institut : ses fins, la place de l’apostolat, la condition juridique, le statut des différentes classes de sœurs, le gouvernement, la formation, l’engagement et la consécration dans l’Institut. Une troisième partie étudie l’évolution ultérieure, du décret de louange de 1826 à l’approbation définitive des Constitutions, en 1921. Des conclusions nous conduisent ensuite jusqu’à l’aube de l’aggiornamento demandé par Vatican II. La plupart des documents utilisés étant inédits, des « Annexes » en donnent de larges extraits (ainsi que quelques parallèles éclairants avec les textes législatifs correspondants de la Compagnie de Jésus).
L’intérêt de cette recherche, menée avec soin, est évident pour l’Institut de la Présentation de Marie, car il répond directement à l’invitation adressée par le Concile à tous les religieux et religieuses de remettre en lumière le charisme de la fondatrice et les saines traditions qui constituent le patrimoine de leur Institut. Cette œuvre était d’autant plus nécessaire que – comme le reconnaît l’auteur – sous l’influence des Normae de 1901 et du Droit Canon de 1917, « le charisme se trouva fort dilué et affaibli dans les Constitutions de 1921 », rendues conformes aux dispositions de ces documents : ceux-ci donnèrent aux Congrégations à vœux simples une reconnaissance et des cadres juridiques précis, mais ce fut souvent au prix d’un nivellement qui estompa, chez beaucoup d’entre elles, les caractères originaux de leur fondation.
Pour une thèse de doctorat, il est essentiel de bien délimiter le terrain à explorer. Ceci amène nécessairement l’obligation pour l’auteur d’entrer dans l’optique des documents étudiés et de l’époque dont ils relèvent. Condition de succès pour le travail entrepris, ce choix oblige cependant à laisser de côté des questions intéressantes. Signalons-en deux. A l’époque où Marie Rivier conçut son œuvre, la présentation classique de la vie religieuse considérait celle-ci comme « état de perfection » (à acquérir, précisait-on). Cette expression est pratiquement disparue des textes de Vatican II, qui a, par ailleurs, remis en lumière l’appel de tous les chrétiens « à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité, quel que soit leur état ou leur forme de vie » (LG 40). N’y aurait-il pas intérêt à relire dans cette optique les textes de Marie Rivier ? Cette relecture mettrait sans doute mieux encore en lumière l’originalité (et donc la richesse) de la voie sur laquelle le Seigneur appela la fondatrice et continue d’appeler celles qui la suivent : sans être « meilleure » ou plus parfaite, elle représente la manière précise de tendre à la perfection chrétienne que Dieu attend d’elles.
Un autre point intéressant concerne l’engagement dans l’Institut. Tel que Marie Rivier l’avait conçu, il ne comporte aucun vœu liant les Sœurs à la Congrégation, mais un engagement ferme et publiquement manifesté d’y persévérer jusqu’à la mort. En 1892, cette promesse fut remplacée par des vœux. Dans l’examen de ce changement, G. Couriaud est amenée à considérer ces derniers avant tout sous leur aspect juridique. Le choix de ce point de vue nous semble conforme à ce qui fut l’évolution historique de l’Institut : ce sont principalement des raisons de cet ordre qui amenèrent l’Église dans son ensemble et la Congrégation à recourir à des précisions marquant mieux les limites des obligations et les engagements réciproques des parties contractantes. Il serait toutefois intéressant de rechercher dans quelle mesure l’intuition de Marie Rivier n’avait pas retrouvé ce qui a toujours été l’essentiel du vœu de religion, bien avant qu’il ne se traduise dans les « trois vœux » : le don total de soi à Dieu en réponse à son appel (cf. J.-M. Hennaux, s.j., « Vœu et promesse », Vie consacrée, 1972, 2-10). Ne peut-on espérer que l’auteur, bien préparée par ces travaux, entreprenne la recherche et nous en donne quelque jour le fruit ?
Les Ursulines du Faubourg Saint-Jacques à Paris [10], remarquable travail présenté à l’École des Hautes Études de Paris, est une monographie de ce couvent, des origines (vers 1607) à l’année 1662, où l’on fêta le cinquantenaire de sa fondation officielle. La majeure partie des informations provient des Annales (restées manuscrites) de ce monastère : elles furent rédigées aux environs de 1670 et l’auteur se rend bien compte que ce document livre le témoignage de la seconde génération sur la première. Par le recours à d’autres sources, quand elles existaient, elle s’est efforcée de corriger, dans la mesure du possible, les gauchissements qui ont pu en résulter ou, du moins, de signaler les points sur lesquels ils lui paraissaient vraisemblables.
Une triple approche fait revivre ce célèbre monastère sous des angles différents. « Les fondements » nous révèlent les influences qui amenèrent la naissance de cette communauté et les courants spirituels qui jouèrent un rôle dans la constitution de sa spiritualité. L’on y retrouve plusieurs des grands noms de ce siècle, si riche en spirituels. Dans une deuxième partie, nous sont présentées « deux ardentes bâtisseuses » : alternativement supérieures durant trente ans, Mère Marie de Sainte-Madeleine Béron et Mère Marie de Sainte-Ursule Coton, que les Annales louent l’une pour sa fermeté, l’autre pour sa bonté, donnèrent au monastère sa physionomie si caractéristique. Une troisième partie, « L’édifice », présente la vie du couvent sur plusieurs plans : l’aspect matériel, économique et social, l’organisation de la vie de communauté, la vie spirituelle, l’apostolat (ces Ursulines faisaient un quatrième vœu, celui de se consacrer à l’enseignement des filles, ce qui leur permit de recevoir des pensionnaires, mais aussi des externes, moyennant un cérémonial compliqué, destiné à préserver la clôture).
Basée sur des documents d’archives, cette monographie fort bien menée s’adresse, malgré son sujet restreint, à tous ceux qui s’intéressent au dix-septième siècle français, car le « microcosme » que représente ce couvent était en contact avec la vie politique et religieuse de cette période si riche.
II
Pour présenter Être moine [11], dom Miquel, abbé de Ligugé, nous dit qu’il s’y est inspiré du genre littéraire des « Centuries », chères aux Pères du désert. Ce qu’il en a retenu, ce n’est pas le nombre (son recueil compte vingt-huit chapitres répartis en quatre séries), c’est plutôt la liberté propre à ces écrits, où se succèdent « des propos de longueur variable, de style différent, tantôt familier, tantôt plus soigné, publiés par l’auteur lui-même ou rédigés par des auditeurs » (8). Assez spontanément, les sujets abordés se sont cristallisés autour de quatre thèmes : les questions que pose la vie monastique, les choix qu’elle demande, les moyens qu’elle offre, les axes selon lesquels elle se définit et se vit. Ceci laisse pressentir la richesse et la variété des sujets que l’Abbé de Ligugé traite à sa manière volontiers dense et elliptique, nous donnant souvent, ce semble, plus le canevas des causeries qu’il prononça que le texte même de celles-ci. Témoignant d’une prodigieuse érudition, qui s’étend des débuts du monachisme à l’époque moderne (y compris dans ses mises en question de la vie religieuse et monastique), l’auteur fait surtout preuve d’un grand bon sens et d’une profonde expérience spirituelle. Çà et là, il nous laisse bien un peu sur notre faim, par exemple à propos de l’obéissance inconditionnelle requise par les Pères du désert ; la plupart du temps, ses réflexions, parfois jetées en passant, seront éclairantes aussi bien pour ceux que le bouillonnement actuel des idées a pu déconcerter ou même dérouter que pour ceux qu’un enthousiasme plus généreux qu’éclairé porterait à se couper d’un enracinement suffisant dans l’expérience de leurs devanciers.
Faisant suite à La soif de Dieu (cf. Vie consacrée, 1982, 119), L’appel de Dieu [12] cerne plus précisément les questions posées par l’éveil et la motivation des vocations à la vie monastique. Yvette et Jean-Jacques Antier y procèdent, comme dans leur premier ouvrage, par un ensemble de témoignages brièvement situés et commentés. Nous y découvrons aussi bien les vocations difficiles que les appels « de lumière ». Un dernier chapitre aborde aussi le délicat problème de la famille, aide ou obstacle à la vocation selon les cas. Ce livre se recommande à ceux et celles qui se sentent appelés à la vie monastique. Espérons que les auteurs nous donneront un jour un recueil analogue sur la vie religieuse apostolique et, pourquoi pas, sur les autres voies dans lesquelles Dieu appelle les chrétiens (tous les chrétiens) à la perfection de la charité, comme l’a si opportunément rappelé Vatican II.
Le vrai visage de la Trappe [13]. Guy de Bellaing l’a découvert : c’est la joie. Et c’est elle qu’il veut nous faire partager au long de ces quarante-deux brefs chapitres, qui sont autant de méditations, où l’histoire des fondations, les souvenirs personnels, les témoignages et les descriptions de la vie que mènent ces moines s’entremêlent harmonieusement. Ces pages sont une remise sur le métier et une refonte de Citeaux chante la joie, à propos duquel dom Gabriel Sortais, abbé général de l’Ordre, écrivait à l’auteur : « Vous avez parfaitement exprimé ce que nous essayons de vivre ».
Un chemin d’Évangile : l’esprit franciscain hier et aujourd’hui [14] s’inscrit dans les projets du Comité européen chargé de la célébration du huitième centenaire de la naissance de saint François d’Assise. Il se présente comme un ouvrage de synthèse sur la spiritualité franciscaine, hier et aujourd’hui. Antoine Rotzetter, o.f.m. cap., examine, en théologien plus qu’en historien, la vie et le projet de saint François à partir de ses écrits et de ceux des premiers biographes. Frappé par la multitude et la variété des aspects que sa recherche lui fait découvrir, l’auteur s’efforce de peindre un portrait aussi complet et objectif que possible de saint François ; ceci l’amène à distinguer celui-ci de son œuvre, car le projet personnel du Saint n’est pas identique au programme de vie qu’il propose à ses frères. A. Rotzetter résume ce dernier en cinq points essentiels : Évangile, obéissance, pauvreté, mission, service de l’Église. En un chapitre qui couronne cette partie, l’auteur nous amène à ce qu’il considère à bon droit comme l’essentiel : la vie mystique de François, qui nous livre la clef de sa personnalité et de son action.
Willibrord Christian van Dijk, o.f.m.cap., nous invite ensuite à découvrir l’esprit franciscain à travers les siècles. Sans cacher les « ombres et les lumières », il nous présente la sainteté franciscaine, les livres et les exercices spirituels, la place du franciscanisme dans l’art, le rôle des frères mineurs dans les dévotions populaires, leurs activités apostoliques en Europe et dans les missions lointaines, leur place dans l’enseignement et la recherche, leur insertion dans le monde par l’action caritative et sociale et, parfois même, politique et diplomatique. Il consacre enfin deux chapitres aux Clarisses et aux Tertiaires ainsi qu’au renouveau.
Thaddée Matura, o.f.m., a pris sur lui de nous présenter le franciscanisme aujourd’hui et demain. Comme le relève Jean De Schampheleer, o.f.m., dans la Préface, ceci exigeait beaucoup de jugement et de courage. L’auteur nous semble avoir fait preuve de l’un et de l’autre. Au risque de déplaire à certains, il n’hésite pas à parler de la « grisaille » actuelle et à faire écho à Catherine de Hueck-Doherty écrivant aux franciscains : « où êtes-vous, que faites-vous, alors que le monde a tant besoin de l’esprit franciscain dont vous êtes les porteurs ? » Cette humilité même – qui nous change agréablement d’un triomphalisme encore répandu çà et là – lui permet de déceler les ambiguïtés de la présence massive, mais contrastée, de François aujourd’hui, de marquer les discernements à opérer, de jeter enfin un regard lucide sur la famille franciscaine, les courants qui la traversent et les points sur lesquels l’effort de clarification et de progrès s’impose.
D’après son premier biographe, Thomas de Celano, François mourant déclarait à ses frères : « J’ai accompli ma tâche ; que le Christ vous apprenne à accomplir la vôtre ». Ces pages, dont la sereine lucidité pourrait servir de modèle, amènent tout naturellement leur auteur à conclure, avec le Poverello vieillissant : « Commençons, car jusqu’ici nous n’avons à peu près rien fait ».
Dans La Regola del Carmelo [15], Bruno Secondin se propose de fournir des suggestions pour une actualisation de ce texte pluriséculaire. Cette « formule de vie » fut donnée par le Patriarche de Jérusalem Albert Avogadro au début du XIIIe siècle aux « ermites vivant près de la source du Mont-Carmel », qui lui avaient demandé une règle. L’auteur étudie ce texte dans son cadre historique, puis le projet en lui-même et dans sa dimension charismatique. Il nous donne une édition en latin et en italien de la Regula bullata (le texte légèrement modifié en 1247, lors de son approbation par Innocent IV) ainsi qu’une comparaison, en appendice, entre le texte primitif d’Albert Avogadro et celui de la Bulle de 1247. Un chapitre de conclusion dégage les lignes d’actualisation de cette règle dans une fidélité dynamique et créatrice et suggère quelques applications concrètes à certains points.
Désireux d’aller plus loin qu’une simple présentation et, sans la répudier, d’approfondir et de rénover une image trop conventionnelle, Rédemptoristes [16] nous présente d’abord ces religieux « dans le sillage d’une histoire extraordinaire » (celle des fondateurs, Alphonse de Liguori et Giulia Crostarosa, et de leurs grands émules) ; puis il nous montre ce qu’ils sont : des passionnés de Jésus-Christ, missionnaires d’abord, rassemblés en communauté, envoyés pour évangéliser les plus démunis de secours spirituels, aux quatre coins du monde. Une troisième partie détaille ce dernier point et rassemble, région par région, des indications sur l’activité actuelle des rédemptoristes et des témoignages de Pères et de Frères sur leur vie et leur apostolat. On admirera l’enthousiasme de ces pages, beau témoignage de la vitalité de la Congrégation du Très Saint Rédempteur, qui fête ses deux cent cinquante ans d’existence.
III
Règles des moines [17] rassemble cinq règles « monastiques » au sens large du terme, celle de saint Pacôme (+346), premier législateur de la vie commune des cénobites en Orient, celle de saint Augustin (vers 397), dont s’inspirent les Chanoines réguliers, celle de saint Benoît (+ 547), appelé à bon droit le Père des moines d’Occident, le texte écrit par saint François d’Assise en 1221, dit « première règle » du fait de la perte du texte primitif approuvé oralement par Innocent III, et la « Règle primitive de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel », dans sa version légèrement remaniée lors de son approbation par Innocent IV. Ces traductions classiques, parfois assez anciennes (la Règle de saint Augustin nous est donnée dans l’édition Vivès de 1873), fournissent un bon aperçu des normes qui ont servi de modèle à la vie religieuse jusqu’au XVIe siècle.
Si la célébration du huitième centenaire de la naissance de saint François d’Assise a été l’occasion de la publication, dans « Sources chrétiennes », d’une édition savante (cf. Vie consacrée, 1982, 122), elle amena aussi les éditeurs de la collection « Points. Sagesses », à rééditer les Œuvres [18] du Saint dans la traduction qu’en fit, en 1959, Alexandre Masseron. On appréciera la pureté et l’élégance de celle-ci. Plus d’un lecteur sera également enchanté du groupement des textes, fort bien introduits : on nous y présente successivement le législateur, le messager, l’ami, le saint en prière et le poète.
Publiée à l’occasion de l’année sainte Thérèse d’Avila, fêtant le quatrième centenaire de sa mort, l’édition présente de ses œuvres complètes [19] reproduit la traduction dite des Carmélites de Paris. Celle-ci fut mise en chantier alors que ce Carmel, le premier de la réforme thérésienne en France, avait dû se réfugier dans les environs de Bruxelles. Après une première édition en 1907-1910, ce texte fut à nouveau publié à l’occasion du troisième centenaire de la canonisation (1922-1926), puis, après révision, en 1962, pour le quatrième centenaire de la réforme thérésienne. Malgré des traductions plus récentes de toute l’œuvre (P. Grégoire de Saint-Joseph en 1949) ou de certaines parties (par exemple, les Lettres et les Fondations par Marcelle Auclair ou la traduction, sur le manuscrit de l’Escorial, de la première version du Chemin de perfection par Jeannine Poitrey – cf. Vie consacrée, 1982, 122), on a préféré rééditer la traduction des Carmélites de Paris, car, comme l’explique fort bien le P. Michel de Goedt, o.c.d., celles-ci ont eu l’avantage singulier d’avoir part au charisme de la fondatrice, de mener la vie qu’elle a vécue et de recevoir la grâce de l’exprimer. Que si leur traduction, en trois quarts de siècle, a pris quelques rides, « un beau visage vieillit bien, ce qui veut dire qu’il porte bien la marque des années » (Préface, p. 8).
Voici deux collections consacrées l’une et l’autre aux richesses de la spiritualité cistercienne.
« Pain de Cîteaux », dirigé par le P. Robert Thomas, a déjà une longue histoire derrière lui (plus de quarante volumes). La collection vient de faire peau neuve pour nous présenter trois nouveaux ouvrages.
Dans Les premiers spirituels cisterciens [20], André Fracheboud, moine de Tamié, nous donne une introduction aux auteurs cisterciens des origines, fruit de ses travaux sur la spiritualité de son Ordre. Plus qu’une histoire littéraire, c’est un retour aux sources qu’il nous offre en nous présentant les chefs de file, les maîtres spirituels, les docteurs de la charité et cette « foule innombrable » (l’expression est de Bremond) de contemplatifs dont la production littéraire va d’une lettre isolée à plusieurs in-folio. Certes, « tous ces écrivains ne plairont pas également à tous », l’auteur nous en prévient, mais on lui saura gré d’avoir facilité l’accès aux trésors qu’ils représentent.
Mystères de l’amour et de grâce [21] est une anthologie des plus beaux « poèmes » de saint Bernard, choisis et traduits par Sœur Agnès Lemaire, Bernardine d’Esquermes. Les textes ont été groupés en s’inspirant des « mystères » du Moyen Âge, qui reproduisent les scènes de la vie du Seigneur, et de la dévotion, plus moderne, aux mystères du rosaire. La quarantaine de poèmes ici rassemblés nous introduit à la contemplation savoureuse du mystère du Dieu fait homme, centre et sommet de la doctrine et de la vie de saint Bernard.
Présenter La journée monastique [22] telle que les cisterciens la vivent en « interviewant » les auteurs du XIIe siècle pouvait sembler une gageure. Le P. Robert Thomas l’a réussie : ces pages nous décrivent, à partir de ces textes vénérables, les occupations des moines et le sens qu’elles ont pour eux. Initiation à leur spiritualité par un biais à première vue étonnant, ce livre peut aussi servir de guide à ceux qui souhaitent faire une retraite dans une de leurs abbayes.
La collection « Cisterciensia », dirigée par dom Maur Standaert, se propose de publier la traduction de textes complets des auteurs cisterciens ; elle exclut donc en principe de son projet les recueils d’extraits, les anthologies, les études. Elle ne pouvait mieux commencer qu’en nous donnant, de saint Bernard, un texte moins connu, malgré son intérêt. Il s’agit des « Sermons divers [23] » (c’est le titre que ce recueil porte dans les manuscrits). Divers, ces sermons le sont à plus d’un titre, par leur longueur, leur forme, leur contenu. Cela peut aller de deux ou trois phrases à plusieurs pages ; on peut se trouver en face de simples schémas, de notes plus développées, de rédactions plus ou moins achevées. L’intérêt principal de ces textes réside dans le fait qu’ils nous fournissent un accès particulièrement direct à l’enseignement spirituel de saint Bernard. Une bonne introduction, des notes et un index, œuvre de Pierre-Yves Emery, Frère de Taizé, auteur de la traduction, aideront beaucoup le lecteur dans sa découverte.
IV
Il est à peine besoin de présenter encore la Bibliographia Internationalis Spiritualitatis [24] et de rappeler la multitude de renseignements qu’elle fournit, avec une belle régularité, sur les publications dans le domaine de la spiritualité. Les Instituts religieux y figurent explicitement en deux endroits : études doctrinales (plus de 250 entrées) et histoire de la spiritualité de la vie religieuse (300 titres), mais ils sont concernés aussi, redisons-le, par de nombreuses autres sections : liturgie, vertus, arts sacrés, etc.
Premier complément du volume recensé l’an dernier (cf. Vie consacrée, 1982, 113), Religieuses 1801-1975 [25] répertorie selon les mêmes critères la soixantaine d’instituts religieux féminins qui existèrent (ou continuent d’exister) de 1801 à 1975 dans la partie de la France qui relève du secteur « Meuse-Moselle » ; à savoir la quasi-totalité des Ardennes, une petite fraction de la Marne, les arrondissements de Verdun (Meuse) et de Briey (Meurthe-et-Moselle) et la majeure partie de la Moselle. Une introduction d’une trentaine de pages rappelle les circonstances, souvent tragiques, dans lesquelles la vie religieuse féminine eut à vivre durant cette période. Des tables facilitent l’accès aux nombreux renseignements ici rassemblés.
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[1] L. Boff. Témoins de Dieu au cœur du monde. La vie religieuse, expérience actuelle. Paris, Le Centurion, 1982, 21 x 14, 304 p., 97 FF.
[2] F. Ciardi. I Fondatori uomini dello Spirito. Per una teologia del carisma di fondatore. Roma, Città Nuova, 1982, 22 x 14, 408 p., 16.000 lires.
[3] Religiosos en un mundo inhumano. Coll. Semanas nacionales de vida religiosa, 11. Madrid, Publ. Clarentianas, 1982, 21 x 14, 282 p.
[4] Les religieux dans l’Église locale. Coll. Donum Dei, 27. Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1981, 23 x 15, 368 p.
[5] G. Muchery. Si tu connaissais le don de Dieu. Différents chemins pour suivre Jésus-Christ. Paris, Service national des Vocations, 1982, 20 x 15, 248 p., 52 FF.
[6] A. Restrepo, SJ. De la « vida religiosa » a la « vida consagrada ». Una evolución teológica. Roma, Pont. Universitas Gregoriana, 1981, 21 x 17, 162 p.
[7] Dans notre vie religieuse, suite du Christ : l’obéissance. Session pour responsables de formation, 23-25 octobre 1981. Paris, U.S.M.F., Commission de formation, 1982, 24 x 16, 87 p.
[8] P.-A. Turcotte. L’éclatement d’un monde. Les Clercs de Saint-Viateur et la révolution tranquille. Montréal, Éd. Bellarmin, 1981, 24 x 16, 366 p., $ 15.
[9] G. Couriaud. Esprit et structure des Constitutions primitives des Sœurs de la Présentation de Marie. Un retour aux sources. Roma, Pont. Università Gregoriana, 1981, 25 x 17., 425 p.
[10] M.-A. Jégou, o.s.u. Les Ursulines du Faubourg Saint-Jacques à Paris (1607-1662). Origine d’un monastère apostolique. Coll. Bibliothèque de l’École des Hautes Études. Sciences Religieuses, 82. Paris, Presses Universitaires de France, 1981, 25 x 16, 192 p.
[11] Dom Miquel. Être moine. Coll. Semeurs. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 23 x 14, 266 p., 97 FF.
[12] Y. et J.-J. Antier L’appel de Dieu. Témoignages monastiques. Coll. L’Évangile au XXe siècle. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 20 x 14, 254 p., 72 FF.
[13] G. de Bellaing. Le vrai visage de la Trappe. Paris, Téqui, 1982, 22 x 14, 224 p., 48 FF.
[14] A. Rotzetter, W. C. Van Dijk, T. Matura. Un chemin d’Évangile. L’esprit franciscain hier et aujourd’hui. Paris, Médiaspaul ; Montréal, Éd. Paulines, 1982, 22 x 14, 354 p., 99 FF.
[15] B. Secondin, O. Carm. La Regola del Carmelo. Per una nuova interpretazione. Coll. Presenza del Carmelo, 5. Roma, Inst. Carmelitanum, 1982, 24 x 16, 108 p., 2.500 lires.
[16] Rédemptoristes. Coll. Semeurs. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 22 x 14, 248 p.,59 FF.
[17] Règles des moines. Pacôme, Augustin, Benoît, François d’Assise, Carmel. Coll. Points. Sagesses, 28. Paris, Éd. du Seuil, 1982, 18 x 12, 190 p.
[18] Saint François d’Assise. Œuvres. Coll. Points. Sagesses, 27. Paris, Albin Michel, 1982, 18 x 12, 266 p.
[19] Sainte Thérèse d’Avila. Œuvres complètes. I. Ma vie. Relations spirituelles. II. Les fondations. Actes et mémoires. III. Le chemin de la perfection. Les exclamations. Avis. Les pensées sur le Cantique des Cantiques. IV. Le château intérieur. Poésies. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 20 x 14, 508, 248, 282 et 262 p., 70, 37,50, 42 et 37,50 FF.
[20] M.-A. Fracheboud, o.c.s.o. Les premiers spirituels cisterciens. Coll. Pain de Cîteaux. Paris, Desclée De Brouwer, 1982, 20 x 14, 140 p., 47 FF.
[21] Saint Bernard. Mystères de l’amour et de la grâce. Les plus beaux « poèmes » de saint Bernard. Ibid., 1982, 20 x 14, 196 p., 68 FF.
[22] R. Thomas, o.c.s.o. La journée monastique. Ibid., 1982, 20 x 14, 214 p., 77 FF.
[23] Saint Bernard. Sermons divers. T. I et II. Coll. Cisterciensia. Paris, Desclée De Brouwer, 1982, 20 x 13, 304 et 262 p., 110 et 110 FF.
[24] Bibliographia internationalis spiritualitatis. Vol. 13 (1978). Roma, Teresianum, 1981, 24 x 17, XXI-565 p.
[25] P. Wynants. Religieuses 1801-1975. II. France. Coll. Répertoires Meuse-Moselle. Namur, Rempart de la Vierge, 8, 1982, 23 x 16, 114 p., 500 FB.