Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Jean-Louis Ska, s.j.

N°1982-5 Septembre 1982

| P. 304-315 |

La quinzaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer a été répartie en trois groupes : Ancien Testament, Nouveau, et enfin recueils d’homélies.

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I

Les Pères de l’Église disaient déjà que les psaumes résumaient sous forme de prière toute l’Écriture. Il est donc naturel qu’on leur accorde beaucoup d’attention. A leur propos, voici d’abord une courte introduction à la louange biblique [1]. Écrite d’une plume alerte, usant d’un langage quelque peu technique, mais abordable parce que chaque terme nouveau est accompagné d’une brève explication, elle permet au lecteur d’entrer peu à peu dans la mentalité des psalmistes et de mesurer ce qui la sépare de nos habitudes. Le cahier comprend cinq points : 1. La louange « factitive » : le psalmiste invite d’autres à louer Dieu. – 2. La louange « performative » : le psalmiste loue Dieu principalement dans la création et la nature. – 3. La louange mixte, qui mêle les deux premiers genres. – 4. La louange performative communautaire, proche du second genre, mais qui se déroule généralement au sein d’une communauté liturgique. – 5. La louange factitive inversée, ou bénédiction : quelqu’un loue Dieu à propos d’un bienfait accordé à un tiers. Chaque fois, l’auteur développe en un premier temps l’essentiel de la forme, puis il en dégage la théologie. Il insiste beaucoup sur le fait que la louange biblique englobe ce que nous appelons la reconnaissance. Émaillé d’exemples et de citations choisies, ce cahier se lit agréablement et il sera très utile comme première approche du psautier ou comme moyen d’en renouveler la lecture.

La collection « Bible et Vie Chrétienne » (cf. Vie Consacrée, 1979, 309) nous offre aussi un ouvrage sur les psaumes, dans une série intitulée « Références », réservée à des ouvrages spécialisés [2]. Les œuvres publiées dans cette série sont d’abord destinées à l’étude et à la consultation. L’auteur de celle-ci a participé à la réforme liturgique de l’Office divin. Sur certains points, cependant, il prend ses distances par rapport à celle-ci. Son volume se présente comme une petite somme sur les psaumes, au style plutôt sévère : il accumule les données, les références, les classifications, et il suppose au point de départ un lecteur avide d’en savoir plus sur le sujet. Après un premier chapitre sur les difficultés habituelles inhérentes à la lecture du psautier, il expose (ch. II) les différents genres littéraires des psaumes et leurs relectures au sein du Judaïsme. Ensuite, on passe aux anciennes versions du texte hébreu (ch. III) qui ont donné au psautier de nouvelles orientations. Le quatrième chapitre est important, parce qu’il s’applique à dégager les principes de la lecture chrétienne des psaumes dans le Nouveau Testament. Ces principes seront appliqués par les Pères avec des nuances qui tiennent aux différences de tempérament et d’école (ch. V). Les liturgies d’Orient et d’Occident ont géré cet héritage commun selon leur génie propre (ch. VI). Le chapitre VII sera sans doute le plus discuté. Il compare un certain nombre de traductions et, pratiquement, fait un procès en règle au « Psautier œcuménique et liturgique » (cf. Vie Consacrée, 1978, 314). Il lui reproche, en gros, comme à quelques autres versions, de ne pas avoir conservé dans son texte un certain nombre de formules ou d’allusions consacrées par la tradition. Il s’agit, pour la plupart, d’allusions christologiques. Elles ont été négligées au nom d’une fidélité plus grande au texte hébreu. Tout le monde ne lui emboîtera sans doute pas le pas dans cette critique. Pourquoi, diront certains, nier la valeur du psautier de la Bible hébraïque ? Si on insiste sur la tradition, ne peut-on dire que ce dernier en constitue un chaînon important, puisqu’il en est le premier ? En langage paulinien, la tradition chrétienne véhiculée par les versions et la liturgie n’est que le greffon enté sur l’olivier franc. L’auteur invoque l’œcuménisme. Ne vaut-il pas aussi en ce qui concerne le peuple d’Israël ? Quant à dire, comme il le fait parfois, que la traduction littérale de l’hébreu rend impossible la lecture chrétienne postérieure, c’est une remarque que plusieurs trouveront outrancière. Si cela était vrai, les premières communautés chrétiennes auraient-elles adopté ce texte ? Or rien ne dit que Jésus-Christ ou ses premiers disciples aient éprouvé quelque difficulté que ce soit à prier les psaumes que leur avait légués le peuple d’Israël. Enfin, pour un bon nombre, la question semble se résumer à ceci : un psautier chrétien doit-il être un texte christianisé ou bien ne vaut-il pas mieux parler d’une manière chrétienne de prier les psaumes d’Israël ? La question est donc complexe et on est encore loin d’un vrai consensus. Nous voici face à un ouvrage savant, écrit par un connaisseur des liturgies latines et orientales ; on l’ouvrira toujours avec profit. Cette utilisation sera facilitée par les nombreuses tables et le petit lexique qui terminent ce volume.

Le troisième ouvrage sur les psaumes nous vient des moines de l’abbaye de Ligugé [3]. Ils ont travaillé durant une douzaine d’années à une nouvelle traduction pour répondre aux besoins de leur office monastique. En général, elle se veut fidèle au texte hébreu, sauf lorsque les versions leur offraient un texte meilleur ou plus proche de l’original. Les traducteurs ont aussi accepté un certain nombre de corrections modernes. Les gloses et les passages corrompus n’ont pas été traduits ; une ligne de points les signale. On s’est permis à certains endroits d’expliciter, voire de changer certaines expressions obscures ou elliptiques. Le volume est accompagné d’un feuillet d’explication, d’une courte notice à propos du Ps 118 (119) et d’une liste d’addenda et corrigenda. À titre indicatif, voici quelques passages plus caractéristiques de cette version. Au Ps 28 (29), 6, on lit « poulain » pour « veau » dans la TOB et la BJ (Traduction oecuménique de la Bible et Bible de Jérusalem). Le « sac » du Ps 29 (30), 12 (TOB et BJ) devient un « cilice ». Le Ps 119 (120), 5 donne ceci : « Malheur à moi, je vis chez des barbares/dans un campement de sauvages » ; les « barbares » correspond à « Meshek » et les « sauvages » à « Quedar » (TOB et BJ).

À titre d’information, un rapide examen montre que cette traduction ne répond pas exactement aux canons énoncés par l’ouvrage précédent. Mais il semble qu’elle doive d’abord être appréciée selon les critères qu’elle s’est imposés : ni désir d’innovation, ni philologie poussée, mais un texte qui convienne au recueillement et au chant d’un chœur de moines. Il faut saluer comme il le mérite cet effort exemplaire.

La collection « Écouter la Bible » (Vie Consacrée, 1977, 302) est déjà connue des lecteurs de cette chronique. Le dernier fascicule paru est consacré aux livres de l’Ecclésiastique (Ben Sirac) et de la Sagesse [4]. Dans une première introduction, les auteurs rassemblent les données essentielles sur la sagesse dans le Proche-Orient ancien et en Israël, et sur les livres sapientiaux de notre Bible. Pour l’Ecclésiastique, ils situent en quelques lignes l’histoire du livre, son auteur et son message. Le livre de la Sagesse requiert une certaine connaissance de la communauté juive de langue grecque installée à Alexandrie. On s’attarde ensuite quelque peu au plan, aux thèmes principaux, à l’originalité et à l’actualité d’un livre qui témoigne de l’effort incessant consenti par Israël pour répondre aux défis des cultures environnantes. Quelques pages en fin de volume situent Israël au milieu des grands empires du Proche-Orient ancien. La présentation, pour le reste, est identique à celle des volumes précédents.

II

L’an passé, cette chronique signalait la parution d’une nouvelle introduction à l’Ancien Testament (Vie Consacrée, 1981, 314). Elle était l’œuvre d’É. Charpentier. Depuis, cet homme compétent et très actif nous a quittés, après un tragique accident de voiture. Il venait de terminer une introduction au Nouveau Testament [5]. Elle se présente de la même manière que celle qui concernait l’ancienne alliance, comme un guide touristique où la pédagogie de l’auteur réalise des merveilles. Il brosse d’abord en quelques pages aussi claires que concises les étapes de la formation des évangiles, pour dire ensuite ce que signifie le mot « évangile » et quels sont les différents types de textes (les « genres littéraires ») qu’on y trouve. Après une description de l’univers des premiers chrétiens, voilà le lecteur paré pour le voyage qui lui fera parcourir tous les paysages du Nouveau Testament. Le point de départ de toute l’aventure, c’est l’événement de Pâques. La vie de la communauté chrétienne qui s’organise peu à peu connaît un tournant décisif avec la conversion de Paul, ses prédications et ses voyages. C’est à sa plume que nous devons les premiers écrits du Nouveau Testament. Après une longue prise de contact avec les épîtres pauliniennes, on rencontre les évangiles, tour à tour Marc, Matthieu, Luc et Jean. L’auteur présente bien sûr par la même occasion les Actes des Apôtres (Luc) et les épîtres de Jean. Pour chaque évangéliste, il décrit le personnage et sa communauté ; il propose une lecture d’ensemble de l’œuvre qui en fait saillir les particularités ; il offre un choix de textes caractéristiques ; il analyse le récit de la Passion et regroupe les traits du Christ les plus marquants dans cette œuvre. Quelques pages sont consacrées à l’Eucharistie, puis on arrive au point d’aboutissement de cet itinéraire, l’apocalypse. Il est présenté selon le plan adopté pour les évangiles. Enfin, à l’aide du récit de l’annonciation, le lecteur est introduit à la manière dont les premiers chrétiens relisaient l’Ancien Testament. La conclusion traite de la constitution du canon. Une brève bibliographie, un tableau récapitulatif et un index analytique clôturent l’ouvrage. Suggestif dans son extrême concision, original par sa présentation, alerte et séduisant, agrémenté de nombreux schémas et illustrations, il fera plaisir à quiconque veut aborder le Nouveau Testament avec un guide à l’enthousiasme communicatif, dont on regrettera d’autant plus le brusque départ. Dans cet ensemble, une seule page est réservée à l’épître aux Hébreux, à l’épître de Jacques, aux épîtres de Pierre et à celle de Jude (p. 53).

Les biblistes du Québec ont achevé il y a peu une nouvelle traduction des évangiles, accompagnée d’un commentaire [6]. Cet ouvrage est publié en trois formats. Une édition de grand format contient uniquement la traduction ; le caractère assez grand de cette édition le destine surtout à la lecture publique. Une édition de petit format ne contient également que la traduction ; elle est très maniable et peu coûteuse. Seule l’édition de format moyen comprend la traduction (pages de gauche) et le commentaire (pages de droite). Les trois éditions sont munies d’une introduction, de plusieurs tables et de cartes.

Le commentaire fournit surtout de nombreuses informations d’ordre linguistique, historique et géographique. Mais il n’en reste pas là ; il souligne aussi la portée théologique et spirituelle des passages importants dans leur contexte immédiat et celui de toute l’Écriture. Enfin, les passages difficiles reçoivent une explication appropriée. Ce commentaire est accessible à ceux qui abordent pour la première fois les évangiles, mais il sera tout aussi utile à ceux qui désirent se mettre au courant de l’exégèse biblique récente. Il est précis, informé, équilibré.

La traduction se veut fidèle au texte original. La langue est simple, nerveuse, sans fard, avec une préférence pour les phrases courtes (cf. Jn 13,1-5). En la comparant à deux autres traductions françaises, la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) et la Bible de Jérusalem (BJ), on peut dire qu’elle oscille entre les deux. Il suffirait de comparer à cet effet la traduction des Béatitudes ou du Notre Père dans ces différentes versions. Mais, aux endroits critiques, on retrouve plutôt la TOB (cf. Mt 6,13 ; Lc 7,47 ; Jn 1,13, par exemple). Enfin, les auteurs ont préféré éviter des termes peu habituels dans le langage courant. On lit, par exemple « intimité du Père » (Jn 1, 18) pour « sein du Père » (TOB et BJ), « pièces d’argent » (Lc 15,8) pour « drachmes » (BJ), « tronc » (Mc 12,41) pour « Trésor » (BJ), et les « publicains » sont partout devenus des « collecteurs d’impôts ». Cette langue diffère à peine de celle qui nous est coutumière de ce côté de l’Atlantique. Peut-être remarquerait-on parfois un emploi différent des temps du passé. Mais c’est un point mineur.

Cet ouvrage se recommande à tous ceux qui veulent étudier ou méditer les évangiles, qui participent à des groupes bibliques ou doivent se servir de ces textes pour l’enseignement et la prédication.

M. Corbin publie un second volet de méditations sur Saint Luc [7]. Pour le premier, voir Vie Consacrée, 1981, 319. On y trouve quatre tableaux : la porte étroite (Lc 13,22-30) ; la dernière Cène (22,1-53) ; le chemin de croix (23, 26-56) ; l’apparition aux disciples d’Emmaüs (24,13-32). Fidèle à sa méthode, l’auteur lit les textes en compagnie de R. Meynet. La disposition reste la même que dans le cahier précédent. Le style pourra déconcerter par son usage des paradoxes et certaines expressions forgées de toutes pièces. Cependant, cette approche du mystère de l’évangile regorge d’intuitions très riches.

Il est inutile de présenter X. Léon-Dufour. On se souviendra de son livre récent Devant la mort, Jésus et Paul, Paris, 1979 (cf. Vie Consacrée, 1980, 317), de son Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975 (cf. Vie Consacrée, 1976, 311) ou de Résurrection de Jésus et message pascal, Paris, 1971 (cf. Vie Consacrée, 1972, 280). Son dernier volume traite de l’Eucharistie [8]. Reprenant, à peu de choses près, l’itinéraire qui fut déjà le sien dans Les Évangiles et l’Histoire de Jésus, Paris, 1963, il remonte d’abord de la pratique des premières églises jusqu’à ce qui la fonde, la structure fondamentale des traditions qui tirent leur origine de l’action de Jésus à la dernière Cène, puis il redescend vers les présentations du même mystère dans les évangiles et chez Paul.

Dans la primitive Église, l’eucharistie est appelée « fraction du pain » (l’auteur préfère dire « partage du pain ») ou « repas du Seigneur ». Dès le début, le culte et l’existence sont liés. Une lecture « synchronique » des divers récits qui justifient la pratique des premiers chrétiens en dégage la structure de base. Jésus se situe entre la création et son Père (axe vertical), au milieu de ses disciples (axe horizontal), assumant maintenant tout son passé sur terre pour inaugurer une communion qui s’accomplira à la fin des temps (axe temporel). La parole de Jésus transforme les divers éléments : le pain et le vin, mais aussi les disciples et Jésus lui-même.

Cette structure fondamentale nous est perceptible dans une double tradition : la tradition cultuelle du dernier repas de Jésus avec ses disciples et celle des adieux de Jésus et de son « testament » juste avant sa mort (tradition testamentaire, dont Jean est le témoin principal). La tradition cultuelle elle-même se retrouve sous deux formes : la tradition marcienne (Mc et Mt) et la tradition antiochéenne (elle provient d’Antioche et se retrouve chez Luc et Paul, en 1 Co 11). Trois éléments sont sous-jacents à ces deux traditions cultuelles : la parole sur la mémoire (« Faites ceci en mémoire de moi »), la parole sur le pain et celle sur la coupe. Par la parole sur la mémoire, Jésus institue un rite qui permet de rejoindre en sa personne l’amour de Dieu qui unit tous les hommes. La parole sur le pain fait du partage du pain le moment où se crée la communion avec Jésus-Christ et avec tous ses frères. Enfin, la parole sur la coupe signifie l’alliance entre Dieu et les hommes : soit l’accomplissement de l’alliance du Sinaï (Mc et Mt), soit la nouvelle alliance de Jr 31,31 (Lc et Paul). Cette alliance est conclue par Jésus-Christ qui communique sa vie en acceptant de verser son sang pour nous. Le schème expiatoire (Jésus verse son sang pour laver les fautes) est absent, comme tel, de la pensée première de Jésus. Il verse son sang, d’abord, pour communiquer la vie. Ceci inclut, bien sûr, l’expiation des péchés, mais ne s’y limite pas.

Les divers auteurs ont éclairé cet acte fondateur de Jésus de façon variée. Marc et Matthieu insistent sur le fait que Jésus va à la mort en toute liberté pour conclure une alliance d’amour entre Dieu et les hommes ; d’autre part, il résume l’idéal de son peuple, contenu dans l’Ancien Testament, et l’accomplit en plénitude. Désormais, on a dépassé le rite et la loi. Paul rappelle le « sérieux » de la célébration eucharistique qui « proclame la mort du Seigneur » (1 Co 11,26) et le caractère « intérieur » de l’union des fidèles à la personne de Jésus-Christ. Luc a inséré son récit de l’institution eucharistique dans un « testament », genre littéraire connu surtout par les « Testaments des XII Patriarches ». Le dernier repas de Jésus est inséparable de ses exigences de service et de vigilance. Enfin, Jean ne nous a laissé qu’un « testament » de Jésus. L’amour fraternel est une autre forme de la présence du Christ ressuscité (Jn 13). Le discours sur la pain de vie (Jn 6) peut se lire tout entier à deux niveaux : un discours spirituel sur l’accueil de la foi et un discours eucharistique. Ces pages très denses sur le symbolisme johannique sont particulièrement réussies. Jean décrit dans son évangile le nouveau culte instauré par Jésus en son corps ressuscité.

Les dernières pages serrent en une gerbe la récolte d’une austère réflexion. Pain et vin ne sont pas des « choses » mais les éléments d’un échange, d’une communion, d’un partage. Culte et existence ne peuvent être séparés. Sacrement et service ne peuvent être dissociés. Adoration et recherche de la justice sont deux faces d’un même mystère proclamé par Jésus. Signalons qu’en appendice, l’auteur oppose de nombreuses objections à ceux qui affirment qu’à la dernière Cène Jésus a célébré la Pâque juive. De nombreux index et une bibliographie complètent l’ouvrage. Le livre est dense, sa lecture sera ardue, son langage est technique, mais sans excès. Il ne devrait pas effrayer ceux qui connaissent son auteur ni retenir ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le rencontrer. Sans aucun doute, c’est un des meilleurs livres présentés dans cette chronique.

On lira avec beaucoup d’intérêt le livre de France Quéré, Les femmes de l’Évangile [9]. Malgré son titre, ce n’est pas un livre à thèse et il n’a rien de polémique. Il désire seulement relire les textes évangéliques mettant en scène des femmes en se libérant de tous les préjugés et stéréotypes « masculins ». Mépris, condescendance, pitié, voilà en général les sentiments qui animent les exégètes qui se plaisent à abaisser les femmes, ne fût-ce que pour grandir Jésus. Mais qu’en est-il en fait ? Pour l’auteur, les femmes de l’évangile ne sont pas plus que les hommes les symboles vivants de l’humanité pécheresse. La plupart du temps seules, et non en groupe, comme les hommes, elles ont une dignité que Jésus devine rapidement. Jamais il ne leur reproche des défauts féminins « typiques » : « sensualité, perfidie, faiblesse » (p. 13) et il ne les exhorte pas non plus aux vertus « typiquement féminines » : réceptivité, passivité, modestie, service. Elles interviennent dans un domaine essentiel, celui de la révélation et de la mission de Jésus. Elles en sont des agents actifs par leur foi.

L’auteur regroupe les textes en quatre catégories : viennent d’abord les récits à intention polémique, où les femmes sont l’objet de la grâce au grand dam des représentants de la loi ; la seconde série met en scène la fidélité des femmes au service de Jésus ; puis, on trouve quelques passages qui décrivent la foi personnelle de femmes dont Jésus seul perçoit la profondeur ; enfin, nous avons des confessions de foi publiques de femmes.

Certaines pages sont traitées de façon magistrale. Il faudrait à tout prix s’attarder à la lecture de l’épisode de la femme adultère, par exemple, ou lire les notes suggestives sur le sens des apparitions du ressuscité aux femmes. À ce propos, l’auteur propose d’y voir une manière de souligner l’incertitude de l’expérience des sens, la suprématie de la parole, le besoin de vérifier de la part des disciples. Les générations chrétiennes postérieures ne pourront pas dire que les premiers disciples se sont laissé prendre par la première annonce inattendue. Quant aux noces de Cana, elles sont pour l’auteur le moment où Marie engendre littéralement son Fils à sa mission en l’arrachant à sa quiétude. La rencontre de Jésus avec la Samaritaine aurait pu recevoir un éclairage plus contrasté si on avait fait appel au thème de la rencontre auprès du puits dans l’Ancien Testament. Mais ce n’est qu’une lacune insignifiante dans cette fresque splendide, qu’on aimerait décrire avec plus de détails.

Les dernières pages rassemblent des réflexions d’une rare intelligence sur la femme dans l’Église. Le ton est parfois mordant, mais les arguments ne ratent guère leur cible. L’auteur insiste sur l’incarnation. Bien des paroles et des réactions de Jésus sont marquées au coin de son époque. Ce n’est pas sans influencer de nombreuses questions de droit (mariage et divorce, par exemple). Par ailleurs, les arguments tirés de l’Écriture contre le sacerdoce de la femme ne sont pas toujours très solides. À l’époque de Jésus, il était impensable de prendre des femmes comme disciples. D’autre part, si on veut que le symbolisme Christ-Église soit reflété dans la communauté par un sacerdoce masculin, pourquoi l’Église ne devrait-elle pas être composée exclusivement de femmes ? Cela demande au moins un surplus de réflexion.

Livre malicieux, caustique à certaines pages, d’une intelligence pénétrante, il ne verse pas dans la contestation facile et tous le liront avec grand intérêt.

On reste dans les mêmes eaux avec la réédition, par les Cahiers mariais, d’une série d’articles du Père A. George sur Marie [10]. Ces articles datent sans doute un peu, mais ils seront bien accueillis par tous ceux qui ont connu A. George et ceux qui désirent une introduction simple aux principaux textes scripturaires sur Marie. Le livre traite d’abord des deux premiers chapitres de Luc. L’auteur tire parti d’une idée bien connue, la comparaison entre Jean-Baptiste et Jésus. La seconde partie est peut-être plus originale. Marie n’a pris place dans le Nouveau Testament que tardivement et de manière progressive. Cette lente évolution fait l’objet de cette seconde section du livre.

Le lecteur averti regrettera peut-être certaines schématisations ou bien il jugera que des questions restent en suspens. Ainsi, Joseph peut-il être appelé « juste » (Mt 1, 19) en renvoyant Marie ? Le récit de l’annonciation aurait sans doute avantage à être rapproché des récits de vocation. Le lecteur reste aussi sans réponse précise à propos des versions différentes de l’évangile de l’enfance chez Luc et chez Matthieu. Enfin, le caractère surnaturel de la conception virginale est présenté d’une façon qui ne satisfera pas tous les esprits rigoureux, même s’il n’y a sans doute rien à dire sur le fond. La plaquette, cependant, sera certainement très utile à tous ceux qui désirent une méditation simple sur Marie, ce qui est son premier but.

Et voici, à présent, l’apôtre Paul. L’aborder par le biais de la prière est sans doute une manière originale ; L. Monloubou a senti qu’elle pouvait nous révéler maints aspects de sa personnalité [11]. La prière selon saint Paul (première partie) comporte tous les aspects de la prière chrétienne. Il suffit de parcourir les épîtres et d’y relever toutes les allusions à la prière pour s’en apercevoir. Mais il est encore plus instructif d’écouter Paul lui-même prier (deuxième partie). Ses prières, qui se trouvent la plupart du temps en tête de ses lettres, condensent en formules brèves l’essentiel de son message. Elles reflètent tous les soucis de Paul, son attention constante pour ses communautés, celle d’un homme habité, obsédé même par le désir de transmettre la bonne nouvelle du salut. Les anciennes formules des psaumes, les mots de l’Ancien Testament, la liturgie des premières communautés se retrouvent réunis dans sa prière pour polariser la vie de l’Église autour de son seul vrai centre : Jésus-Christ. Le livre est concis, peut-être un peu superficiel, diront certains, mais il dit l’essentiel sur un sujet enrichissant.

Le centre international de pastorale et catéchèse (Lumen Vitae - Bruxelles) vient d’éditer deux albums pour enfants. Ils retracent quelques grandes étapes de la vie de saint Paul : sa prédication à Corinthe et à Ephèse ; son dernier retour à Jérusalem et sa captivité à Rome [12]. Il ne s’agit pas de « bandes dessinées », mais d’un choix de textes, pour la plus grande partie repris des Actes des Apôtres, ou des épîtres de Paul, et adaptés au public des enfants. Les dessins cherchent plutôt à fixer sous forme plastique l’essentiel du texte écrit. Catéchistes et enfants seront heureux d’avoir en main ces albums qui sont le fruit d’une longue réflexion (cf. Vie Consacrée, 1979, 315).

D. Mollat est bien connu des lecteurs de cette chronique par ses publications sur saint Jean (cf. Vie Consacrée 1977, 310 et 1980, 315-317). Après son décès, son neveu a découvert une série de notes sur l’Apocalypse qu’il a retravaillées et en partie réécrites en vue de la publication [13]. Sans aucun appareil technique et sans discussions savantes, mais très au courant des ouvrages des spécialistes, ces pages s’adressent à quiconque désire entrer dans le monde plutôt hermétique de cet écrit biblique. En guide avisé. D. Mollat conduit son lecteur à travers la forêt des symboles, s’arrêtant ça et là pour faire admirer des richesses cachées et des perspectives inconnues. L’Apocalypse est une lecture de l’histoire de l’Église du premier siècle à la lumière du jugement final de Dieu. Il est donc erroné de vouloir y retrouver uniquement des allusions précises à des événements contemporains de l’auteur ou à des événements futurs. Derrière l’histoire, ou à travers elle, le regard pénètre jusqu’à la dimension d’éternité des faits. Le langage symbolique utilisé pour l’exprimer a valeur universelle.

L’Apocalypse peut se diviser en trois grandes parties : 1) « L’Église incarnée » (ch. 1-3) ou les lettres aux sept églises. 2) « L’Église engagée dans les luttes du monde » (ch. 4-18) : les sept sceaux, les sept tonnerres, le signe de la femme, la bête et le dragon. 3) « L’Église transfigurée » (ch. 19-21). À chaque pas, l’auteur nous tend des clés d’interprétation, sans cacher les difficultés propres à ce genre littéraire. En conclusion, l’Apocalypse est résumée de diverses manières, d’abord comme le « livre de l’exode chrétien » ou encore sous l’aspect de la liturgie. Les sept béatitudes qu’elle contient en sont un autre condensé. Finalement, l’Apocalypse peut se définir comme « le livre de l’espérance ». Très accessible, cet ouvrage dégage à merveille la teneur spirituelle d’un écrit à première vue rébarbatif et il parvient à le rendre attachant.

III

Une équipe de prédicateurs dominicains publie un troisième volume d’homélies qu’ils ont prononcées en des circonstances diverses, mais surtout pour des émissions religieuses de la radio et de la télévision. Voici donc, après les volumes consacrés aux années liturgiques C (1979) et A (1980), celui de l’année B [14]. Le Père Joulin présente chaque fois les textes du jour, il introduit l’homélie de son confrère et la fait suivre de quelques prières qui s’en inspirent. Les homélies elles-mêmes se concentrent en général sur une seule idée qu’elles creusent par étapes. Le livre sera utile à tous ceux qui désirent approfondir leur lecture de la Bible et prolonger la prière eucharistique. Les prédicateurs y trouveront de nombreuses suggestions et pourront s’inspirer de cette manière limpide de traiter des grandes vérités de la foi. Ces hommes sont de véritables professionnels, mais on doit dire à leur honneur que le métier ne les rend jamais superficiels.

D’un autre style, le volume de J. Perron est lui aussi le troisième d’une série consacrée aux différentes années liturgiques. Celui-ci concerne l’année B [15]. Il ne s’agit ni d’un recueil d’homélies, ni d’une introduction exégétique, mais d’un commentaire qui devrait faire le pont entre les deux. À l’exégèse, il demande de cerner la pointe de l’évangile du jour et il développe à partir de là un canevas de prédication. Le volume précédent était plus soucieux d’actualiser le texte évangélique, celui de J. Perron tente davantage de l’expliquer dans son contexte original. Genre différent qui conviendra à d’autres tempéraments. Le travail est fait par un connaisseur des travaux d’exégèse et des Pères de l’Église. Son texte fourmille de réflexions qui donnent à penser, comme celle-ci, à propos de la multiplication des pains (Jn 6,13) : « Dans ces douze corbeilles nous puisons encore à chacune de nos eucharisties » (p. 220). Ou bien encore à propos de la demande de la mère des fils de Zébédée (Mc 10,35-45) : les places qu’elle demandait étaient réservées au Calvaire à deux brigands (p. 277). Ce ne sont que deux exemples, parmi d’autres, mais ils devraient montrer combien ce livre peut séduire le prédicateur ou le fidèle qui veut creuser un texte évangélique.

Via della Pilotta, 25
I 00187 ROMA, Italie

[1J. Trublet, s.j. Créés pour louer. La louange dans la Bible. Supplément au n° 248. Paris, Vie chrétienne, 1981, 21 x 16, 64 p., 15 FF.

[2A. Rose. Les Psaumes, voix du Christ et de l’Église. Coll. Bible et vie chrétienne, Référence. Paris, Lethielleux, 1982, 23 x 16, 286 p., 110 FF.

[3Les Psaumes. Traduction des moines de Ligugé. Ligugé, Abbaye, 1980, 24 x 16, 150 feuillets, 60 FF en feuillets, 80 FF cartonné, 95 FF relié toile.

[4Ben Sirac. Le livre de la Sagesse. La sagesse d’Israël. Coll. Écouter la Bible, 14. Paris, Desclée De Brouwer, 1982, 21 x 13, 198 p., 65 FF.

[5É. Charpentier. Pour lire le Nouveau Testament. Paris, Éd. du Cerf, 1981, 21 x 21, 128 p.

[6Les Évangiles. Traduction sur les textes originaux. Montréal, Éd. Bellarmin, 1982. Trois présentations : Texte et commentaire, 22 x 14, 767 p., $ 12.- ; Texte seul : 17 x 11, 396 p., $ 4.95 ; texte seul, gros caractères, 26 x 21, 396 p., $ 12.

[7M. Corbin, s.j. Christ, sagesse de Dieu. Scènes de l’Évangile selon saint Luc, 2. Supplément au n° 252. Paris, Vie chrétienne, 1982, 21 x 16, 64 p., 20 FF.

[8X. Léon-Dufour, s.j. Le partage du pain eucharistique selon le Nouveau Testament. Coll. Parole de Dieu. Paris, Éd. du Seuil, 1982, 21 x 14, 256 p., 75 FF.

[9FR. Quéré. Les femmes de l’Évangile. Paris, Éd. du Seuil, 1982, 21 x 14, 190 p., 65 FF.

[10A. George. Marie dans le Nouveau Testament. Coll. Voici ta Mère. Paris, Cahiers Mariais, Desclée De Brouwer, 1981, 20 x 14, 150 p.

[11L. Monloubou. Saint Paul et la prière. Prière et évangélisation, Coll. Lectio divina, 110. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 22 x 14, 138 p., 48 FF.

[12Ch. Van der Plancke et A. Knockaert. Paul : un Évangile pour le monde. I. Corinthe et Éphèse. II. Jérusalem et Rome. Coll. Réjouis-toi. 2 vol., Paris, Le Sénevé, 1981 et 1982, 47 et 47 p., nombr. ill. en couleurs, 45 et 45 FF.

[13D. Mollat, s.j. Une lecture pour aujourd’hui : l’Apocalypse. Coll. Lire la Bible, 58. Paris, Éd. du Cerf, 1982, 18 x 12, 224 p., 68,50 FF.

[14A.-M. Carré, o.p. et coll. Demeurez en ma Parole. Méditations et prières pour le jour du Seigneur. Année B. Coll. Épiphanie. Paris, Éd. du Cerf, 1981, 20 x 14, 404 p.

[15J. Perron. Au fil de l’année : l’Évangile. Les dimanches de l’année B. Coll. Lire la Bible, 54. Paris, Éd. du Cerf, 1981, 19 x 14, 312 p.

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