Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Obéissance et pauvreté dans les Instituts Séculiers

Tribune libre

Germana Sommaruga

N°1982-4 Juillet 1982

| P. 247-251 |

Dans ces réflexions, qu’elle présente comme son opinion personnelle, l’auteur pose en principe que l’obéissance et la pauvreté ne peuvent pas se vivre, dans les Instituts Séculiers, en se calquant sur les manières de faire légitimement pratiquées dans la vie religieuse. Si ce sont bien les mêmes conseils évangéliques que l’on veut suivre de part et d’autre, le membre d’institut Séculier est appelé à découvrir une manière de le faire typiquement séculière, telle que le monde puisse comprendre le message que ces Instituts ont à lui annoncer.
C’est à la demande expresse de l’auteur que cette contribution paraît dans la « Tribune libre », afin de marquer clairement qu’elle n’entend présenter ces suggestions que comme ses idées personnelles sur le sujet.

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Réflexions sur le conseil évangélique d’obéissance

Dans un Institut séculier, le conseil évangélique d’obéissance ne peut pas prendre pour modèle l’obéissance religieuse ; il doit se chercher une forme propre et typiquement séculière et donc être une obéissance qui puisse se vivre dans le monde, en gardant devant les yeux toutes les situations de la sécularité.

Une obéissance réellement séculière doit, à mon avis, sauvegarder quelques points essentiels :

  • le sens de la responsabilité personnelle et l’esprit d’initiative qui caractérisent la vocation de membre d’un Institut séculier ;
  • l’attention au fait que l’obéissance (vue avant tout comme recherche du dessein de Dieu sur le membre de l’Institut séculier, sur l’Institut lui-même, sur l’entourage du consacré, sur la création tout entière, dans l’histoire) n’est possible, dans un Institut séculier, qu’à une personne mûre et capable de prendre ses responsabilitésdans l’obéissance ;
  • une liberté convenable d’initiative, précisée avec les responsables, liberté qui permette au consacré de garder sa sérénité même quand il est impossible, pour quelque raison, de consulter un responsable (ou, selon les constitutions, d’en recevoir un ordre ou une directive) ;
  • la nécessité de donner une interprétation franchement séculière (pas une interprétation commode, notons-le, mais une interprétation séculière) aux règles concernant l’obéissance (dans la Lex peculiaris annexée à Provida Mater) ;
  • la nécessité que, dans un même Institut et dans l’adhésion aux mêmes constitutions, la possibilité soit donnée de formes diverses d’obéissance ;
  • et enfin que, pour un même membre, puissent exister des manières diverses de réaliser, dans l’obéissance, sa propre vie et le plan de Dieu sur elle, suivant les époques et les circonstances (distances, professions, obligations envers des tiers, etc.).

À mon avis, dans un Institut séculier, l’obéissance doit être avant tout :

  • recherche en commun avec le responsable des grandes lignes à suivre, dans une profonde attitude de foi, d’écoute réciproque, de loyauté ;
  • recherche personnelle de la manière de suivre le plan de Dieu dans le quotidien, les détails, les imprévus.

En d’autres mots :

  • étudier ensemble dans ses grandes lignes le plan de Dieu, par le moyen d’une recherche ininterrompue ;
  • le réaliser ensuite sous son initiative et sa responsabilité personnelles ;
  • vérifier enfin avec le responsable.

Plus qu’à la « soumission » des idées au responsable, j’accorde une importance capitale à la « recherche » avec lui. « Soumettre » signifie ensuite obéir : fort bien ! Mais la responsabilité principale pèse alors sur le responsable. Par contre, « examiner avec » le responsable puis tenir grand compte de son avis comme d’un élément de la plus haute importance dans la décision finale à prendre sous sa propre responsabilité fait retomber sur le membre de l’Institut séculier la pleine responsabilité de sa décision. « Vérifier » ensuite est encore un acte d’obéissance, si c’est demandé par les constitutions.

Indubitablement ce n’est pas une manière religieuse d’obéir, mais cela reste également un engagement auquel n’est pas tenu le simple baptisé. Et cela peut aussi être très onéreux et faire appel à de nombreuses valeurs (humilité, recherche du dessein de Dieu, lucidité, écoute, réflexion, initiative, responsabilité).

À mon avis, on peut aussi laisser au responsable la faculté de commander lorsque les circonstances le requièrent ; mais si nous sommes sincères, combien de fois cela se produira-t-il ? M’apparaît, au contraire, un engagement typiquement séculier d’examiner avec le responsable, selon les constitutions, les choix personnels de plus grande importance, de tenir en grande estime l’avis reçu, de chercher ensuite à agir sous sa propre responsabilité en écartant toute intention moins droite et dans une recherche loyale du plan de Dieu jusque dans le détail de la réalité quotidienne, et enfin de vérifier avec le responsable.

Assurément ceci rendra indispensable une très sérieuse formation à cette forme d’obéissance. Est-ce difficile ? Oui, mais pas impossible. Et peut-être, finalement, sera-t-il mis en relief par là que notre obéissance doit être séculière, comme notre pauvreté, notre prière, notre insertion dans les diverses réalités...

À mon avis, c’est une question de créativité dans la loyauté.

Réflexions sur le conseil évangélique de pauvreté

Je pose comme préalable que, comme pour l’obéissance, le conseil évangélique de pauvreté doit, dans un Institut séculier, trouver sa forme propre.

Quelques réflexions donc :

– Se faire religieux, c’est entrer dans une communauté, dont on relève même pour les réalités matérielles : en conséquence, c’est à la communauté qu’on donne le fruit de tout travail personnel ; c’est d’elle qu’on reçoit le nécessaire pour maintenant et pour l’avenir ; on a accepté que les biens appartiennent à la communauté et on demande au supérieur la permission d’en user ; comme religieux, on doit être témoin des valeurs eschatologiques et éternelles.

– Le membre d’un Institut séculier (séculier au sens de « pleinement inséré dans le monde », dans la cité terrestre, responsable de pourvoir à ses propres besoins comme tout autre laïc, dont il partage la vie et le sort aujourd’hui, demain et durant sa vieillesse – et c’est ainsi que moi, personnellement, je conçois la sécularité et je prie ceux qui la voient autrement de m’excuser), le membre d’un Institut séculier, donc, doit « dire au monde » comment user des biens de ce monde dans la sobriété, le détachement, la liberté, la solidarité.

– Dans l’Institut séculier, en principe, les biens restent la propriété de chaque membre ; celui-ci garde son patrimoine. Mais cela, dans le détachement, la liberté, la solidarité.

– L’important, dans un Institut séculier, est que le membre devienne réellement « plus » pauvre, à l’imitation du Christ. Que donc les moyens suggérés par les constitutions servent à rendre réellement plus pauvre : détaché, libre, sobre, solidaire. Comme le Christ lors de son passage ici-bas.

– Dans la forme habituelle de pauvreté pratiquée même dans les Instituts séculiers, on fixe des montants ; on détermine quelles permissions demander ; on demande des comptes et un budget de prévision.

– En pratique, c’est souvent comme cela. Tout cela peut avoir sa valeur ; cela peut signifier obéissance, loyauté, simplicité du cœur, humilité... Mais est-ce cela la pauvreté séculière ? est-ce l’unique forme de pauvreté séculière ?

Ou bien, comme laïc consacré, encore une fois, le membre d’institut séculier doit-il vivre une forme différente de pauvreté, qui lui laisse tout le poids de l’initiative et de la responsabilité personnelle, tout l’effort pour imiter davantage le Christ pauvre dans la réalité quotidienne, pour croître dans l’esprit de solidarité et dans la solidarité effective avec tous les hommes, surtout les plus pauvres ? Et, encore une fois, si le simple baptisé peut également être obligé à s’efforcer de tendre à la pauvreté, ne peut-on demander au séculier consacré une recherche menée en commun avec son responsable, pas sur les montants, les budgets, les comptes ou les permissions (bien que je ne nie pas la valeur de tout cela), mais une recherche en commun des critères, des lignes de conduite pour devenir plus pauvre à l’exemple du Christ et davantage solidaire avec les pauvres ?

– Chercher ensemble peut être onéreux et réclame d’être toujours tendu vers le Christ pauvre et le plan de Dieu sur les richesses, les talents, la création.

Je ne rejette pas a priori les chiffres, ni les permissions, ni la remise des comptes. Je me demande seulement s’ils sont l’unique moyen pour être plus pauvre, pour imiter le Christ pauvre. Et je me demande s’il ne serait pas possible, par exemple :

  • de chercher ensemble avec le responsable les lignes générales de conduite à adopter ainsi que les critères valables pour la vie personnelle de l’intéressé, compte tenu de la distance du responsable, de la profession, de l’entourage, des tiers (membres ou non de la famille), etc. ;
  • (de chercher ensemble, par-dessus tout, le dessein de Dieu sur ce membre de l’Institut, c’est-à-dire les valeurs spirituelles qui découlent des moyens à sa disposition et auxquelles ces moyens doivent être ordonnés) ;
  • de former le membre de l’Institut à cette initiative et à cette responsabilité personnelles par lesquelles, une fois cherchés ensemble avec le responsable les critères personnels d’une pauvreté adaptée à cette personne, celle-ci sache agir avec initiative, en interrogeant sa propre conscience, dans la prière : exercice de loyauté, de rectitude, contrôle de ses désirs ou de ses caprices, de sa liberté par rapport à l’esclavage envers les choses ou à leur attrait ; en un mot, que cette personne soit réellement responsable d’elle-même, dans la réalité du monde ; responsable, mais pas indépendante !
  • de vérifier ensuite avec le responsable si et combien le Christ pauvre et nos frères les pauvres ont été présents dans la possession et l’usage des nos biens ; rechercher le pourquoi d’un usage déterminé de ces biens qui a été « moins selon le Christ » ou se demander comment il pouvait être « plus selon le Christ » (comment et pourquoi a-t-on agi ? par attachement ? par impulsivité ? par « esclavage » envers l’entourage ? par égoïsme ?...). Et dans cette vérification avec le responsable (d’abord, dans la prière), voir comment devenir plus libre en face de la séduction des choses, du pouvoir, de la carrière, de l’estime d’autrui, fréquemment liée à des facteurs économiques, au pouvoir, etc.

Assurément, les chiffres peuvent avoir leur utilité, être un moyen ; il faut alors se libérer de la matérialité des chiffres et des budgets et avoir toujours et uniquement comme terme de comparaison le Christ, dans les réalités temporelles, dans le quotidien de la vie, et aussi nos frères les pauvres.

Qu’on n’oublie pas ce que Paul VI a souligné dans son allocution de 1972 aux responsables des Instituts Séculiers : leur obéissance et leur pauvreté ont quelque chose à « dire au monde » : ce sera donc par une forme typiquement séculière, telle que le monde puisse la comprendre.

À mon avis, on doit trouver des lignes directrices différentes de celles de la vie religieuse. Mais, encore une fois, vive la créativité !

Via Paolo Rotta 10
I-20162 MILANO, Italie

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