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Martyr pour le Christ et ses frères

Vies Consacrées

N°1982-1 Janvier 1982

| P. 7-9 |

L’Éditorial évoque tous ces hommes et ces femmes appelés à rendre témoignage au Dieu de miséricorde dans le service de la foi, la défense des droits des opprimés, le combat pour la justice et la réconciliation entre les hommes. Voici l’histoire de l’un d’entre eux. Que l’entrée du Père Alingal dans la vie évoque pour nous tous ceux et celles qui sont aujourd’hui martyrs pour leur foi en Jésus-Christ et leur amour pour le plus petit de ses frères.

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Au soir du 13 avril, premier jour de la Semaine Sainte, le P. Godofredo Alingal était assassiné d’un coup de revolver dans son presbytère même, dans la petite ville de Kibawe, au sud des Philippines. Il avait 58 ans. Le récit suivant de son assassinat est d’autant plus impressionnant qu’il a été écrit par un prédicateur Mennonite, Earl Martin, qui le connaissait bien.

Le soir du lundi qui précède Pâques, cinq individus non identifiés, deux armés d’un revolver et trois autres masqués avec des mouchoirs, pénétrèrent dans le presbytère (convento) du prêtre qui desservait cette paroisse depuis treize ans. Une minute plus tard, le P. Alingal était tué d’une balle au cœur par un revolver de calibre 45. Après le meurtre, les assassins pillèrent quelque peu la chambre de ce prêtre âgé de 58 ans.

Ses paroissiens, venus pour soutenir ce prêtre défendant, sans jamais élever le ton mais avec persistance, les droits des paysans pauvres, exprimèrent l’opinion que le meurtre était « d’inspiration politique ». Sans jamais soutenir ouvertement des candidats politiques déterminés, le P. Alingal exprimait fréquemment ce qui, selon lui, était des abus des militaires et des représentants politiques locaux. « Il était très paisible et pourtant très vigoureusement pour la justice sociale. Il n’avait aucune agressivité se manifestant par des éclats », dit de lui le chef de cette prélature apostolique, Mgr Francisco Claver.

Le meurtre d’un prêtre est chose extrêmement rare aux Philippines, où la tradition culturelle regarde comme maudit quiconque oserait s’attaquer à un homme de caractère religieux.

La raison du meurtre n’a pas encore été pleinement établie, mais les paroissiens de Kibawe rappellent différentes menaces dont le P. Alingal a été l’objet au cours des dernières années. Tout juste deux semaines avant sa mort, au moment d’un plébiscite sur un amendement de la constitution sur lequel il avait dit son désaccord dans ses sermons, on lui fit indirectement savoir qu’on le surveillait. Cela ne faisait que reprendre une menace écrite que le P. Alingal avait reçue un an plus tôt après l’élection chaudement contestée d’un gouverneur de la région et d’un maire. Cette menace disait entre autres : « Père, ceci est un avertissement. Vous serez détruit si vous continuez vos attaques. Il est très facile aujourd’hui d’être enterré même sans cercueil. Regardez bien où vous mettez les pieds et vos jours sont comptés ».

Le P. Alingal n’était pas sans tenir compte de ces menaces. Une religieuse catholique dit qu’on savait que parfois il dormait sous son lit ou qu’il changeait de chambre la nuit. Une semaine avant sa mort, il dit en souriant à un voisin : « Moi aussi, je serai tué ». Le Père Alingal est resté fidèle à ses convictions, même confronté à la peur.

Une totale vulnérabilité

L’évêque du Père Alingal était Mgr Francisco Claver, s.j. Voici ce qu’il a dit à propos de cette mort :

Si une chose est claire, au milieu des nombreuses choses peu claires qui entourent le meurtre du Père Alingal, c’est bien celle-ci : il a été assassiné parce qu’il proclamait sans fléchir l’Évangile de la justice. Il était pour la justice, activement et sans compromission.

La réponse du Père Alingal, selon moi, est une parfaite illustration du consensus qui a marqué la dernière réunion générale de notre Prélature en février, où s’étaient retrouvés prêtres, religieux, responsables laïcs et auxiliaires de l’Église. Lors de cette réunion, nous avions regardé en face le problème du pouvoir des armes au Bukidnon et ses conséquences pour nous-mêmes et pour nos gens. Notre consensus avait été l’option pour la formule : une totale vulnérabilité. En fait, cela signifiait le refus de la violence comme moyen de redresser les torts et l’affirmation que la Prélature luttait pour la justice. Nous avons dit non à la « pacification » des militaires et à la liquidation du NPA ; nous avons dit oui à un combat sans trève pour la justice et pour la paix qui vient par la justice.

D’un pur point de vue humainintellectuel, politique, idéologique –, nous savons que cette option n’avait aucun sens. Nous avons clairement vu qu’en désavouant ouvertement la violence aussi bien des militaires que du NPA et de toutes les autres forces armées, nous nous mettions nous-mêmes complètement à leur merci ; pire : nous appelions et même provoquions la violence que nous rejetions par notre insistance à faire à tout prix la justice ; et, pire que tout, peut-être sommes-nous arrivés à cette option en étant lucidement convaincus que nous ne serions jamais capables de parvenir à une pleine justice, mais que nous aurions malgré tout à continuer à lutter de toutes nos forces pour elle, et cela, même jusqu’à la mort.

Cela n’a aucun sens. Sauf dans le contexte d’une foi qui est capable de donner un sens aux contradictions de la croix et du tombeau vide et d’accepter ce que cela implique pour la vie humaine. La faiblesse est notre force, la vulnérabilité notre puissance, la mort notre vie.

Extrait de Promotio Justitiae, n° 22 (mai 1981), 94-95.

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