Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Jean-Louis Ska, s.j.

N°1981-5 Septembre 1981

| P. 313-323 |

Nous avons réparti les ouvrages que les éditeurs ont bien voulu envoyer à notre rédaction en trois groupes : ouvrages généraux, thèmes particuliers, ouvrages destinés à la prédication.

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I

L’exégèse n’est pas née d’hier et celle qu’on pratique aujourd’hui n’est pas la seule qui ait existé. Le Père B. de Margerie nous le rappelle à bon escient dans un volume consacré à l’exégèse des Pères grecs et orientaux [1]. La nécessité d’une telle ouverture vers la tradition nous est démontrée dans la préface du Père I. de la Potterie. La méthode historico-critique, qui prévaut dans l’exégèse actuelle, a des limites de plus en plus apparentes. Il faut, en un mot, sortir l’exégèse de son isolement et renouer le dialogue avec d’autres disciplines théologiques à l’intérieur de l’Église croyante. Les Pères peuvent nous réapprendre à lire l’Écriture dans l’Église et dans la foi.

Ce volume ne veut pas refaire tout l’historique de l’exégèse patristique. Comme introduction, il se limite à un choix et illustre les principes généraux qui présidaient à la lecture des Écritures aux premiers siècles. Les grands noms de cette époque sont présents à l’appel : Justin, Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Athanase, Ephrem, l’école d’Antioche, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse et Cyrille d’Alexandrie. On relèvera tout particulièrement la présence d’Ephrem de Syrie dans cette série. L’auteur nous explique quels sont les axes majeurs de leur interprétation, il donne quelques exemples choisis de leurs méthodes et il fait un bilan qui ne cache pas les limites de certains procédés, mais souligne aussi l’actualité de certains autres. On pourra surtout apprécier leur lecture christologique des Écritures : la façon dont l’Ancien Testament annonce le Nouveau ; la relation de Jésus-Christ à son Père ; l’Écriture, parole de Jésus homme et de Jésus-Christ Fils de Dieu ; l’unité du Verbe présent dans toute la Bible ; les raisons pour lesquelles Dieu parle un langage humain, parfois trop humain à notre goût. Voilà quelques grandes préoccupations des Pères. Cette introduction résume les recherches récentes sur les divers auteurs, en ajoutant çà et là une note plus personnelle. Sans doute plus dogmatique qu’historique, ce qui n’est pas un défaut, elle nous livre un bon état de la question qui s’adresse plus spécialement à ceux qui désirent approfondir leur culture religieuse. Le langage en est simple. Quatre index (matières, auteurs cités, textes bibliques cités ou commentés) permettront un usage varié de cet excellent outil de travail.

On ne quitte pas les Pères avec Paul Evdokimov, théologien orthodoxe laïc. S’étant lié d’amitié avec Dom Célestin Charlier, alors directeur de la revue Bible et Vie Chrétienne, il y publia un certain nombre d’articles qui ont été rassemblés en un volume [2]. Comme préface, on a reproduit un texte de Dom C. Charlier sur sa rencontre avec P. Evdokimov et son influence sur sa vie spirituelle. Dans un premier chapitre, qui est une sorte de liminaire, l’auteur s’arrête, comme il dit, « à deux ou trois souvenirs tirés de (son) dossier œcuménique » (p. 16). Texte encourageant qui se termine par une prière. Suivent huit articles très denses, nourris de la méditation des Écritures, de la lecture des Pères et d’une profonde vie spirituelle. Les deux premiers traitent de la lumière dans la Bible et la tradition orientale. Bible et liturgie resteront deux grands axes de la pensée : les articles suivants parleront de la Parole dans la Bible et l’Eucharistie, de Jean-Baptiste, de la signification des portes et de la liturgie de la Parole dans l’Église orientale, de la fête de la Pentecôte. Le dernier chapitre, très caractéristique pour nous, est consacré aux « choses dernières » selon la vision orthodoxe. On y apprendra beaucoup sur une conception du ciel, de l’enfer et du purgatoire où la mystique l’emporte toujours sur le juridisme. Dans la postface, Dom Irénée Fransen nous rapporte quelle fut la contribution de P. Evdokimov à la revue Bible et Vie Chrétienne de Maredsous. Voilà un livre qu’il faut lire dans un esprit de contemplation et qui fera respirer un air vif, imprégné des plus hautes pensées des Pères sur l’Écriture.

On ne pourra que se féliciter de l’excellente introduction à l’Ancien Testament que nous offre E. Charpentier [3]. Avec beaucoup de compétence et de doigté, il accompagne le débutant sur le chemin de la découverte. Il présente à la fois un tour d’horizon de l’histoire d’Israël, le contenu des divers livres de l’Écriture, les différentes façons d’aborder les textes et de les faire parler, une bonne documentation (textes, documents, illustrations) et l’explication des principaux thèmes de réflexion. Le plan suivi est chronologique : les écrits sont replacés dans leur contexte historique. On commencera donc par l’événement fondateur d’Israël : l’exode, et on terminera par les écrits de sagesse. En dernier lieu, on relit la Bible à travers les psaumes, rédigés à des époques très diverses. Ce type de présentation se défend très bien, même s’il laisse dans l’ombre quelques aspects importants. La Bible est bien sûr le terme d’un long développement qui permet de la comprendre. Mais elle est aussi davantage que la somme de ses parties. Le Pentateuque, par exemple, est plus que l’addition de quatre sources. Il y a une intention unificatrice à l’œuvre dans la rédaction finale. On pourra sans doute relever çà et là quelques défauts mineurs. On insiste davantage, dans la recherche actuelle, sur les liens qui unissent les quatre « documents » qui forment le Pentateuque (yahviste, élohiste, écrit sacerdotal et deutéronome). L’élohiste est de moins en moins considéré comme une source indépendante, mais comme une série d’additions. Pour le deutéronome, plus d’un chercheur compétent dira qu’il est originaire de Jérusalem, dans sa forme définitive, et non du Royaume du Nord. A son propos, on aurait pu mettre en relief la structure d’alliance qui lui est sous-jacente et parler des fameux schémas des traités hittites et assyriens. Le récit sacerdotal et le second Isaïe sont-ils des écrits exiliques ou post-exiliques ? Ici aussi, les opinions divergent. De cet écrit sacerdotal, on nous dit (depuis J. Wellhausen, à la fin du siècle passé) qu’il est sec et ritualiste. Mais il ne faut pas oublier qu’il est d’abord le héraut d’une alliance sans conditions (Gn 17, cf. Ex 6) qui ne dépend pas de la fidélité d’Israël. Et son style a pu être comparé à celui des littératures enfantines. On pourra aussi regretter la présentation très rapide des livres historiques (p. 59) ou l’explication de la bénédiction (l’étymologie est une voie assez périlleuse, et ici, on se sert du latin pour des réalités du monde sémitique). On trouvera en fin de livre une courte bibliographie commentée, très utile. Ces quelques remarques ne devraient pas faire illusion : ceux qui ne peuvent aborder les livres techniques ou lire d’autres langues découvriront difficilement, à l’heure actuelle, un meilleur guide en français. Et on se doit de souligner quelques grands mérites de ce travail. Tout d’abord, sa pédagogie : sans cesse, on sent quelqu’un qui a souci du lecteur et s’arrête pour écouter ses questions. Ensuite, son excellente documentation, au moins pour le monde francophone. Enfin, sa familiarité avec le langage biblique, friand de symboles, et le don particulier de faire apprécier ce que la Bible nous offre de meilleur. C’est en somme un livre qui devrait figurer dans la bibliothèque de tous ceux qui fréquentent l’Écriture et qui l’utilisent dans la catéchèse, la prédication ou la pastorale.

On se souvient sans doute de Honest to God (traduction française : Dieu sans Dieu, Paris 1964), qui a rendu célèbre l’évêque anglican J.A.T. Robinson. Il vient d’écrire un livre très fouillé sur la datation des différents livres du Nouveau Testament, dont il offre une version abrégée en vue du grand public et qui vient d’être traduit en français par G. Passelecq [4]. Il s’agit en fait d’une introduction à la lecture scientifique du Nouveau Testament qui s’adresse plus spécialement à tous ceux qui, devant des méthodes aux résultats parfois inquiétants, doutent, hésitent, ou passent à l’opposition farouche. L’auteur commence par décrire, non sans une ironie bien britannique, quatre attitudes dangereuses face au progrès de l’exégèse : le cynisme des sots, qui se permet tout en s’habillant de rigueur scientifique ; le fondamentalisme des craintifs, qui se replie sur la lettre pour éviter le doute : le scepticisme des sages, exagéré lui aussi, parce que la « critique », maniée de façon saine, aboutit à des certitudes ; enfin, le conservatisme des croyants convaincus, qui consiste à plier l’échine pendant que passe la bourrasque (p. 29) – attitude dangereuse, parce qu’elle engendre l’obscurantisme. La seule attitude valable, selon l’auteur, est une attitude scientifique impartiale. Cette recherche est guidée par l’amour de la vérité, qui est finalement amour de Jésus-Christ. Et si Dieu lui-même a bien voulu courir le risque d’entrer dans l’histoire, de se confier à « la contingence des événements et à la faillibilité des documents » (p. 31), nous n’avons pas à craindre de le suivre sur la même voie en alliant à la foi la recherche historique. C’est une grave erreur de jumeler orthodoxie et ignorance. On a constaté que le marxisme s’est implanté avec plus de facilité dans les contrées où la critique biblique avait le moins pénétré. Nous avons résumé assez longuement ces pages parce qu’elles traitent de problèmes très actuels et qu’elles répondent bien aux nombreuses objections que rencontre l’étude de la Bible dans le monde des croyants. Dans les chapitres qui suivent, l’auteur traite des différentes étapes de l’étude exégétique et donne son avis sur les questions les plus importantes. Il consacre un chapitre à la langue du Nouveau Testament, aux manuscrits et aux traductions. Il expose ensuite les diverses méthodes utilisées en exégèse : critique textuelle, critique des sources, critique des formes et critique de la rédaction. Avec à propos, il termine par un exemple en étudiant la parabole des vignerons homicides selon ces techniques. Puis, dans un chapitre intitulé « L’intervalle d’une génération », il résume sa théorie sur la datation du Nouveau Testament. Selon lui, tout a été écrit avant la chute de Jérusalem en 70 après J.C. Enfin, les deux derniers chapitres, écrits avec énormément de sagesse et d’intelligence, nous parlent de Jésus-Christ, d’abord de sa personne, puis de son sort (passion et résurrection). Sur les miracles (la question essentielle n’est pas : comment ? – mais : qui les a faits ?), l’arrière-fond historique et social, sur le tombeau vide et les apparitions (ce sont des indices et non des preuves de la foi ; celle-ci ne dépend pas de la disparition d’un corps, ni de sa réapparition, car la résurrection est bien autre chose que la survie ou la réanimation), et sur l’Église, la preuve la plus tangible de la présence du Christ ressuscité, on nous donne un point de vue qui témoigne de beaucoup de mesure et d’expérience. L’argumentation claire et franche est un dernier atout en faveur d’un livre qu’on ne peut que recommander.

II

Le sacerdoce est aujourd’hui tiraillé entre des tendances bien diverses [5]. Il y a ceux qui veulent le confiner dans un ritualisme figé, ceux qui n’y voient qu’un organe témoin d’une époque révolue au sein d’un monde désormais sécularisé et d’autres qui estiment que le clergé catholique devrait cesser d’exister, puisque le sacerdoce est l’apanage de tout chrétien. On a souvent accusé la conception de l’Église romaine en cette matière d’être une résurgence des idées périmées de l’Ancien Testament. Par ailleurs, on se montre assez allergique, de nos jours, à tout ce qui touche au sacrifice, une des composantes essentielles du sacerdoce. Enfin, comme le montrent les études récentes, les ministères dans le Nouveau Testament n’ont guère de caractères sacerdotaux (cf. Le Ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, sous la direction de Jean Delorme, même collection que le présent volume, Paris, 1974). Il y avait donc plus d’une raison d’entreprendre une étude exhaustive du sacerdoce dans le Nouveau Testament. A. Vanhoye s’est lancé avec courage dans l’aventure.

Une première partie examine les textes des Évangiles et des Actes des Apôtres qui parlent des prêtres ou des grands prêtres. La plupart du temps, lorsqu’on parle du sacerdoce juif, c’est pour signifier un conflit entre cette autorité religieuse et Jésus, puis l’Église naissante. Il se posait dès lors une question : que fallait-il penser de tout ce que dit l’Ancien Testament de l’institution sacerdotale ? La réponse sera donnée dans toute son ampleur par la lettre aux Hébreux. L’auteur de cet écrit va montrer que tout ce que disent les Écritures sur le sacerdoce et les sacrifices se trouve accompli par Jésus-Christ, plus particulièrement par sa passion et sa résurrection. Cette seconde partie est la plus longue du livre, la plus dense aussi. Le lecteur retirera grand profit de ces pages. Car A. Vanhoye connaît sans doute mieux que quiconque cette matière. La précision de ses analyses, la clarté avec laquelle il fait découvrir l’enchaînement et la progression de la pensée, la sûreté de ses prises de positions rendent séduisant et même attachant un texte souvent méconnu et jugé rébarbatif par beaucoup. Il montre par exemple l’unité de l’ensemble autour du thème du sacerdoce, les différents aspects de cette institution qui, dans l’Ancien Testament comme dans He, ne se limite pas à la fonction sacrificielle. La structure de l’épître est expliquée de façon lumineuse (p. 109-114). On remarque, au cours de l’exposé, combien il est important de noter que les idées traditionnelles et scripturaires passent dans un véritable creuset pour former un nouvel alliage. Les critiques habituelles du langage sacrificiel et de l’institution sacerdotale ne tiennent généralement pas compte de cette transformation. Jésus-Christ accomplit un véritable sacrifice, mais non dans un rite. Il offre sa propre vie. De cette manière, et parce que Dieu a agréé son offrande, il réalise le but de tout sacrifice, qui est de faire entrer dans la communauté avec Dieu. D’autre part, il est un véritable prêtre, parce qu’il ouvre aux hommes un accès réel vers Dieu et parce que, en retour, Dieu entre réellement en relation avec les hommes par sa médiation. Cette médiation est unique, définitive et exclusive. Mais cela veut-il dire qu’il ne peut y avoir aucune participation à ce sacerdoce nouveau ? La troisième partie répond à cette question. La médiation sacerdotale du Christ est efficace, et c’est pourquoi elle se communique. Elle met réellement les hommes en présence de Dieu, et le transforme en un peuple de prêtres. Les principaux textes qui parlent du sacerdoce des fidèles se trouvent dans la première épître de Pierre et dans l’Apocalypse. Il faut leur ajouter quelques textes pauliniens. Chacun à leur manière, ils évoquent la grâce accordée aux croyants comme communauté ecclésiale qui se distingue des païens. Loin d’exclure un sacerdoce ministériel, ils semblent plutôt l’exiger. Dans sa conclusion, l’auteur rassemble les données et tire quelques enseignements. Le sacerdoce du Christ comprend deux aspects, celui de médiation et celui d’offrande existentielle. Le second peut être partagé par tous. Le premier ne le peut pas. Mais il est manifesté par le sacerdoce ministériel de façon particulière. C’est ainsi que l’auteur résout ce problème assez controverse Si le Nouveau Testament ne répond pas à toutes les questions, il clarifie néanmoins très largement le débat et il importe de bien situer son apport si on veut éviter de vaines querelles. Bibliographie, listes de sigles et index d’usage concluent un ouvrage qui mérite d’être lu avec une attention soutenue et de trouver un très large écho.

Ces dernières années les paraboles ont été l’objet de nombreuses études (cf. Vie Consacrée, 1977, 305-306 ; 1978, 309). La collection « Le Sycomore » publie à son tour une introduction à ce genre littéraire. Elle est due à la plume d’un exégète qui y a consacré plusieurs années, J. Lambrecht [6]. Reprenant les définitions classiques, il distingue comparaison (explication par référence à un cas général) et parabole (cas unique, insolite, qui provoque une réaction), récit exemplaire (illustrant un comportement à imiter ou à éviter) et allégorie (personnages ou réalités travestis dans un récit imagé). Le genre des paraboles est certes le plus riche. Une parabole ne se contente pas d’illustrer ou d’instruire, elle convertit. Cette introduction cherche à comprendre les paraboles dans leur contexte original et à les actualiser, c’est-à-dire à les écouter aujourd’hui en se laissant provoquer par elles. Le travail repose sur les études de A. Jülicher, C. H. Dodd et J. Jeremias. L’auteur accorde sa confiance à la méthode historico-critique selon laquelle les textes des évangiles peuvent se répartir suivant différentes époques. En gros, il y a la prédication de Jésus avant Pâques, la prédication de la primitive Église après Pâques, et enfin, la rédaction des évangiles dans les églises locales, après une génération. Les divers chapitres traitent alors tour à tour un choix de paraboles de Luc (le chapitre 15 et la parabole du bon Samaritain), de Marc (le chapitre 4 et diverses paraboles) et de Matthieu (les paraboles du chapitre 25). À la fin de chaque chapitre, on trouvera une bibliographie détaillée. On appréciera surtout la manière très patiente avec laquelle l’auteur explique sa méthode et l’applique point par point. Il montre très bien le développement de la tradition à partir de ce que Jésus lui-même a dit. Certes, on pourra discuter l’un ou l’autre détail. Par exemple, dans la parabole du jugement dernier (Mt 25,31-46), tout le monde n’admettra sans doute pas que « les plus petits qui sont mes frères » (v. 40) soient les disciples de Jésus. En comparant avec Mt 10,42, on remarque en effet qu’on ne parle pas ici de « disciples » – cf. TOB, Mt 25,40, note i. La grande force de cette étude est d’introduire le lecteur à une méthode claire et de lui donner les éléments nécessaires à la compréhension du récit. La lecture peut être ardue, mais jamais stérile. Le critique et le croyant en tireront grand profit. On peut féliciter l’auteur d’avoir réussi à satisfaire les exigences de l’un et de l’autre.

Parmi les paraboles, celle de l’intendant malhonnête (Lc 16,1-11) a fait couler beaucoup d’encre. Il est probable que le petit livre que lui consacre C. Paliard fera encore grossir ce flot par son côté frondeur et quelque peu polémique [7]. Il relit le texte de manière très personnelle, sans guide. Puis il le relit dans son contexte immédiat, et enfin, dans le cadre du voyage de Jésus à Jérusalem qui commence en Lc 9,51. On découvre ainsi une énigme : un maître trompé fait l’éloge de son gérant trompeur pour sa tromperie ; ensuite, on est invité à duper l’argent trompeur ; enfin, c’est la loi dominatrice qu’il faut « enfreindre ». Richesses et loi sont d’ailleurs les deux obstacles majeurs rencontrés par ceux qui veulent suivre Jésus. Une dernière partie plus abstraite et plus difficile expose la théorie de l’auteur, qui s’inspire beaucoup de P. Ricœur. En gros, il refuse une exégèse qui se contente d’expliquer les textes par leur genèse. C’est le présent qui compte et non le passé. C’est pourquoi il propose lui-même une actualisation de la parabole. En annexe, on trouve des réflexions critiques, parfois agressives, sur les traductions (BJ et TOB). L’auteur leur reproche surtout de vouloir imposer une lecture. Il voudrait les voir proposer plusieurs interprétations. Reproche justifié ? Beaucoup semble dépendre de l’attitude du lecteur. Quant à l’interprétation de l’auteur, on la trouvera certainement originale et suggestive. Il semble cependant que l’intendant ne soit pas tant loué pour son courage, pour son acte (enfreindre la loi du « milieu ») que pour son habileté, pour sa manière de s’en tirer. Cette question pourrait être l’occasion d’amorcer un dialogue, ce qui est sans doute une des manières les plus adéquates de lire les Écritures.

Professeur à l’Institut catholique de Paris et au scolasticat de la Compagnie de Jésus, M. Corbin a lu avec un groupe de foyers l’évangile selon saint Luc [8]. Son exégèse est riche de toute sa culture théologique, de sa familiarité avec les Pères de l’Église, mais aussi de la spiritualité des Exercices d’Ignace de Loyola. Ce premier fascicule contient cinq méditations : annonciation, nativité, vie cachée et fuite au temple, prédication à la synagogue de Nazara et confession de Pierre. Il annonce un second cahier. Du point de vue exégétique, il recourt souvent à Roland Meynet, Quelle est donc cette Parole ? Lecture rhétorique de l’évangile de Luc (1-9 ; 22-24), coll. Lectio divina, 99 A et B, Paris, 1979. Il est donc plutôt partisan de l’exégèse structurale. En cours de route, l’auteur traite de nombreuses questions de fond. Dans l’ensemble, le livre se lit assez facilement, mais il demande une certaine connaissance du vocabulaire de la théologie. Il peut avoir ses limites ou forcer de temps à autre les oppositions, il n’en constitue pas moins une bonne initiation aux thèmes de l’évangile de Luc, où l’on pressent à chaque page la surabondance de Dieu.

Dans le cadre du Congrès eucharistique de Lourdes, É. Pousset a rédigé un court opuscule sur les paroles de la Cène : « Ceci est mon Corps » [9]. Reprenant en particulier l’évangile de Marc, l’auteur montre qu’en Jésus, la personne « colle » toujours à ce qu’elle fait et dit. Paroles et gestes ne peuvent être disjoints. Cette lecture de l’évangile nous fait soupeser toute la densité des paroles de la Cène. On trouve par la même occasion des éclairages nouveaux sur l’Église et son histoire, sur l’apostolat et la pauvreté, l’autorité, l’abnégation, la place du corps dans la vie de la foi. Mais le lecteur non initié doit savoir que le style de cette méditation n’est pas toujours aussi abordable que ne le promet la collection dans laquelle il paraît. Déconcertant, allusif, l’auteur donne l’impression, involontaire sans doute, de vouloir semer son lecteur. Retrouver une piste embrouillée peut être difficile, mais celui qui ne se décourage pas sera récompensé de sa persévérance.

La collection « écritures » (cf. Vie Consacrée, 1979, 315 ; 1980, 309-310) propose à ses lecteurs un quatrième volume tout aussi original que les précédents [10]. Il s’agit cette fois de la lecture d’un texte de Marc, la multiplication des pains (Mc 6,30-44). Lue dans le cadre d’une catéchèse, cette péricope a d’abord inspiré à ce groupe la composition d’une fresque, puis la réalisation d’un montage audio-visuel. Puis le texte a été retravaillé sur la base de l’ouvrage de Guy Lafon, Esquisses pour un christianisme, Paris, 1979. A partir de là, il a été « inventé » à nouveau, pour employer les mots de G. Lafon dans la préface du livre. La lecture demande une connaissance du langage de la sémiotique et de la sémantique. Les dernières pages sont plus accessibles (c. VIII : « Lecture finale »). Quelques remarques sur les enjeux théologiques, sur la réalisation du montage audiovisuel et des illustrations complètent l’ouvrage. Certains traits de méthode continueront sans doute à susciter des discussions : on travaille sur des traductions (et les moindres détails du langage prennent de l’importance) ; le texte est isolé de son contexte historique et littéraire ; l’étude est très formelle et on ne dialogue guère avec d’autres méthodes. Il n’empêche qu’on se voit obligé de relire des textes (trop) connus pour y découvrir des connexions qu’on ne soupçonnait pas. C’est un grand avantage.

III

Le pasteur A. Maillot est devenu familier aux lecteurs de cette chronique (voir Vie Consacrée 1977, 304 ; 1978, 315). Il avait déjà publié un premier recueil de prédications sous le titre Je vais à la pêche, Tournon, 1965 (épuisé) et, sur l’insistance de ses amis, il a décidé d’en écrire la suite [11]. Dans son style incisif et percutant, il creuse une même idée avec une indépendance d’esprit qui fait à la fois son charme et sa force. Il résiste aussi à bien des tentations, celles des poncifs et des slogans, ou celle des partis pris : gauche ou droite, conservateurs ou progressistes, spirituels ou politiques, pour ne citer que quelques noms. En résumant très fort, on pourrait peut-être dire que le message essentiel de l’évangile, pour A. Maillot, consiste à dire que le péché est d’abord notre péché, et qu’on ne peut en parler qu’à la première personne du pluriel. L’erreur commence là où on en rejette la responsabilité sur « les autres », en tirant son épingle du jeu. Parmi ces dix-huit homélies qui nous livrent la pensée profonde de l’évangile sur des thèmes comme la puissance et la faiblesse, l’autorité, la grâce, la discrétion, la résurrection, il y en a deux qui nous ont retenu plus particulièrement. La première, très originale, est un plaidoyer en faveur de la « collecte », geste de ceux que la grâce a libérés. La seconde, intitulée « Réformation », est une allocution prononcée à l’occasion de la Saint-Barthélemy et de la mort de Coligny. L’auteur propose de méditer Lc 13,1-5 et il invite chacun, non à remuer le passé, mais à réfléchir sur le présent, sur la culpabilité qui est le fait de tous et sur la conversion dont personne ne peut se passer. A cette occasion, on doit dire qu’A. Maillot se montre très grand. Ces brèves annotations suffiront, croyons-nous, à convaincre le lecteur qu’une fréquentation de ce livre ne pourra que tonifier sa foi. Solide, plein de santé et de fraîcheur, c’est un ouvrage qui se recommande lui-même.

Exégète d’Orléans, M. Sevin offrait chaque semaine aux membres de l’équipe pastorale de sa paroisse des « Feuilles Évangile ». Rassemblées et complétées, elles couvrent tous les dimanches de l’année A. Le tome II comprend les dimanches depuis le deuxième après Pâques jusqu’au Christ-Roi [12]. La présentation est identique de bout en bout : texte structuré de l’évangile du jour, contexte général (situation du passage dans l’évangile complet), commentaire en deux étapes : une première lecture dégage une impression d’ensemble, puis, « plus profondément », une recherche d’indices qui ouvre la voie à une interprétation globale. Enfin, quelques compléments d’information. On ne nous donne que des indications succinctes et le but de l’ouvrage n’est sûrement pas de fournir des homélies toutes faites, ni même des plans de prédications. Il se contente de jeter les bases d’une réflexion ultérieure. Pour ce faire, il s’appuie beaucoup sur les Cahiers évangile et la collection Assemblées du Seigneur. On pourra regretter qu’il soit parfois bien rapide, et qu’il ne souffle mot, par exemple, des autres lectures du dimanche. Mais les prédicateurs y trouveront un instrument qui leur permettra de « briser la glace » qui les sépare parfois des textes, à la fin de leurs semaines chargées.

Enfin, pour ceux qui doivent prêcher durant la Semaine Sainte, voici un ouvrage qui les aidera à méditer les chapitres centraux des évangiles sur la passion et la résurrection. Il s’agit en fait d’une réédition d’articles parus il y a quelque temps dans Assemblées du Seigneur. Et ce volume est le premier d’une des nouvelles séries que comprendra désormais la collection « Lire la Bible », sous l’impulsion d’Ét. Charpentier [13]. C’est A. Vanhoye qui présente la passion selon les trois synoptiques. Marc proclame les faits dans toute leur crudité, voire leur brutalité ; Matthieu est l’évangéliste de la doctrine et de l’Église, il recherche le sens des faits à la lumière des Écritures et il oppose le nouvel Israël à l’ancien. Luc, historien et écrivain, affine le récit par respect pour le Seigneur et pour suggérer quelle doit être l’attitude du vrai disciple. Cette lecture explique un fait étrange à première vue : pourquoi la communauté qui vit dans la lumière de Pâques s’est-elle complu à raconter ces événements tragiques ? N’avait-elle pas toutes les raisons de les oublier ? S’il n’en fut pas ainsi, c’est parce que les trois évangélistes, chacun à leur manière, ont vu dans la passion le début d’une ère et d’un monde nouveaux. La résurrection n’est que l’aboutissement, aux yeux de la foi, de ce qui s’est réellement passé. Saint Jean continue sur cette lancée pour aller encore plus loin : il élimine de son récit tout ce qui pourrait paraître ignominieux et montre dans la croix elle-même la glorification de Jésus. I. de la Potterie nous le fait découvrir tout au long de ces pages très denses où des détails minimes prennent parfois un relief inattendu (cf. p. 82-83 : « Pilate fit asseoir Jésus au tribunal »). Tout converge pour montrer que « l’heure de Jésus » nous fait assister à son exaltation royale et au rassemblement de tous dans l’unité.

Au terme de cette présentation, Ch. Duquoc, théologien, nous aide à lire ces récits en croyants. La mort de Jésus est ambiguë et la lecture croyante peut comporter des pièges, entre autres, celui d’isoler la passion de la vie et de l’œuvre de Jésus. La passion garde un sens actuel, non pas comme « glorification de la souffrance ou de la mort », mais comme « célébration de la lutte pour la « justice », au sens biblique du terme. Diverses interprétations ont pu déformer l’image de la passion, mais seule la résurrection nous donne une clé véritable de ces événements, où Jésus est à la fois « libéré » et « libérateur », libérateur, parce qu’il a renoncé à sa propre libération pour libérer les autres. Ces lignes de Ch. Duquoc pourront paraître plus difficiles que ce qui précède, elles n’en sont pas moins très suggestives. Enfin, Et. Charpentier offre en conclusion un court résumé de l’ensemble en vue de la lecture dans la liturgie. L’ouvrage s’adresse à tous et il mérite de rencontrer un grand succès.

Le prédicateur bute en général sur deux difficultés : il y a un fossé culturel qui nous sépare de la Bible ; nous sommes insérés dans un milieu qui, à notre insu, peut déteindre sur le message. Le livre de R. L. Rohrbaugh [14], traduit de l’américain, s’attaque à ce problème. On sera sans doute heurté dès l’abord en apprenant que cet exégète se range dans ce qu’on appelle la lecture « matérialiste » de la Bible (cfr des noms comme F. Belo, M. Clévenot, P. Miranda). Mais la sociologie dans laquelle cet auteur va puiser son inspiration doit bien plus à Max Weber qu’à Marx. Et il se sert d’autres travaux dus à des chercheurs moins connus de ce côté de l’Atlantique. En gros, il nous explique que la Bible a été écrite dans un milieu social très différent du nôtre, un milieu agraire aux classes nettement distinctes. Et le contexte social de l’auteur est le monde industriel des États-Unis, où les frontières entre les classes deviennent très fluides. La méthode qu’il propose est illustrée par deux exemples (la vigne de Nabot, 1 R 21, et la parabole de Lazare et du mauvais riche, Lc 16). Une étude de l’arrière-fond social complète heureusement les données de l’exégèse ; quelques exemples de prédication montrent à l’évidence que la tendance à la moralisation individualiste, propre à notre société, déforme les textes ; enfin, l’auteur propose quelques pistes de transposition. Ces pages sont les plus accessibles, et on pourrait commencer la lecture par là. La partie théorique est beaucoup plus complexe, mais la thèse est simple : il est nécessaire de prêter attention au contexte social en exégèse et dans la prédication, surtout dans notre monde très individualiste. Il reste sans doute bien des questions, mais on le voit, ce genre d’étude est loin d’être un épouvantail. Son apport est même positif. Un point pourtant reste assez obscur. Quel est, pour l’auteur, le véritable message des Écritures ? Jésus, par exemple, aurait annoncé l’imminence d’un monde nouveau, d’une libération des pauvres, ce qui veut dire un renversement des situations et des valeurs. Mais de quoi s’agit-il ? La parabole de Luc 16 montre Lazare finalement dans le ciel, et non pas festoyant à la place du riche qui vient d’être chassé. Et l’auteur l’admettrait volontiers. Mais il ne nous dit pas grand-chose sur sa propre manière de percevoir le Royaume. Alors, le but du livre est-il de mieux nous faire comprendre la Bible, ou de prouver la légitimité d’une méthode, ou les deux à la fois ?

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[1B. de Margerie, s.j. Introduction à l’histoire de l’exégèse. I. Les Pères grecs et orientaux. Coll. Initiations, Paris, Ed. du Cerf, 1980, 22 x 14, 328 p.

[2P. Evdokimov. Le buisson ardent. Coll. Bible et vie chrétienne. Paris, Ed. Lethielleux, 1981, 22 x 16, 176 p.

[3E. Charpentier. Pour lire l’Ancien Testament. Paris, Ed. du Cerf, 21 x 21, 124 p.

[4J.A.T. Robinson. Peut-on se fier au Nouveau Testament ? Coll. Bible et vie chrétienne. Paris, Ed. Lethielleux, 1980, 22 x 16, 160 p.

[5A. Vanhoye, s.j. Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament. Coll. Parole de Dieu. Paris, Ed. du Seuil, 1980, 21 x 14, 374 p.

[6J. Lambrecht. Tandis qu’il nous parlait. Introduction aux paraboles. Le Sycomore. Chrétiens aujourd’hui, 7. Paris, Ed. Lethielleux ; Namur, Culture et Vérité, 1980, 22 x 14, 302 p.

[7Ch. Paliard. Lire l’Écriture, écouter la Parole. La parabole de l’économe infidèle. Coll. Lire la Bible, 53. Paris, Ed. du Cerf, 1980, 19 x 14, 158 p.

[8M. Corbin s.j. Christ, puissance de Dieu. Scènes de l’Évangile selon saint Luc (I). Supplément au n° 237. Paris, Vie chrétienne, 1980, 21 x 16, 64 p., 12 FF.

[9É. Pousset, s.j. Il leur dit : Ceci est mon corps. Lectures d’Évangile sur le corps et la parole. Supplément au n° 245. Paris, Vie chrétienne, 1981, 21 x 16, 80 p., 16 FF.

[10G. Wybo. Du texte à l’image. Vers une proposition visuelle du récit de la multiplication des pains. Coll. écritures, 4. Bruxelles, Lumen Vitae, 1981, 23 x 16, 102 p.

[11A. Maillot. Je retourne à la pêche. Coll. Bible et vie chrétienne. Paris, Ed. Lethielleux, 1980, 22 x 16, 170 p.

[12M. Sevin. Les évangiles du dimanche. Année A. II. Du deuxième dimanche de Pâques au Christ-Roi. Coll. Dossiers libres. Paris. Ed. du Cerf, 1981, 18 x 11, 220 p.

[13A. Vanhoye, I. de la Potterie, Chr. Duquoc, E. Charpentier. La Passion selon les quatre Évangiles. Coll. Lire la Bible, 55, Paris, Ed. du Cerf, 1981, 18 x 12, 128 p.

[14R.L. Rohrbaugh. Une Bible agraire pour un monde industriel. Comment « prêcher » la Bible aujourd’hui ? Coll. Essais. Paris, Ed. du Cerf, 1981, 20 x 14, 162 p.

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