Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Réalité humaine et chemin de l’amour

Marie-Josée Dor

N°1981-3 Mai 1981

| P. 142-158 |

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

L’amitié est une des plus belles réalités humaines, le religieux en est-il pour jamais privé ? N’a-t-il pas, au contraire, le privilège de connaître une amitié plus profonde, du fait même de sa consécration qui le libère de bien des soucis et lui permet de cultiver en profondeur les relations humaines ? La question que l’on croyait réglée resurgit aujourd’hui en raison des situations apostoliques nouvelles qui montrent que la réalité est complexe et comporte des nuances que des théories trop abruptes avaient négligées.

Les raisons d’une question

Le problème n’est pas théorique, et la pratique actuelle de l’Église le pose quotidiennement aux apôtres. En effet, la pastorale qui se dessine à partir des directives données par les Synodes ou les Conférences Épiscopales – que ce soit au plan national ou régional – tend à se situer au plan communautaire plutôt qu’à celui des individus ; partout on parle de communautés chrétiennes, de communautés de base.

Les raisons de ce mouvement sont multiples et varient selon les continents : ici, ce sera l’enracinement du christianisme dans une culture non encore profondément évangélisée ; là, le témoignage à donner dans une société où règne la violence avec le désir de libérer les pauvres de l’injustice sociale ; ailleurs, la diminution du nombre des chrétiens les pousse à se regrouper pour réfléchir et prier ensemble. Dans tous les cas se met en place une pastorale d’ensemble qui cherche à aborder les problèmes au niveau des groupes et qui demande des équipes d’apôtres capables de réfléchir sur les problèmes auxquels ils sont affrontés, pour mieux répondre aux besoins globaux de ces communautés chrétiennes. Ces équipes sont mixtes, ce qui non seulement permet de répondre aux besoins pastoraux, mais aussi donne à l’Église sa dimension humaine complète, où l’expérience de vie et la réflexion de la femme trouvent leur place. Cependant, à côté d’un enrichissement mutuel certain, des difficultés ont surgi qui, sans être catastrophiques, n’en sont pas moins des pertes de temps et d’énergie qui pourraient être consacrés à la mission. Puisque l’on considère ces équipes comme réellement bénéfiques, et si, comme il le semble bien, elles se révèlent de plus en plus indispensables, il convient d’en étudier les difficultés pour y parer. Ce n’est pas parce qu’il y a des risques qu’il faut cesser l’expérience, il faut tout simplement la réfléchir.

Ce qui est certain, c’est que cette situation apostolique apparaît à une époque qui met l’accent sur l’affectivité et qui en sait l’importance dans la construction de la personne humaine. Non encore assimilée au plan social, cette découverte interpelle la vie religieuse qu’elle considère comme atrophiée par le célibat ; celui-ci entraverait le développement de la personnalité humaine. Il faut bien reconnaître qu’une certaine conception de la mortification, qu’un contrôle trop strict des sens considérés comme la porte ouverte à tous les dangers du sexe, avaient mutilé certains êtres ; ils risquaient alors de ne plus avoir suffisamment de densité humaine pour témoigner de l’amour de Dieu. Le juste milieu en matière de véritable épanouissement humain, ce que nos pères appelaient « vertu », est toujours difficile à saisir, il y a toujours du « trop » ou du « pas assez », ce qui ne facilite pas la recherche. C’est ce qui est arrivé ces temps derniers, où le pendule a dépassé son point d’équilibre en ce qui regarde l’affectivité.

Longtemps prohibée, l’amitié, qu’elle unisse deux personnes du même sexe ou qu’elle soit mixte, est parfois prônée comme la voie royale menant à la maturité humaine et au plein accomplissement de l’appel de Dieu. On admet que ce n’est pas un chemin pour tout le monde, mais on a l’impression que ceux qui passent par cette voie sont des privilégiés et de vrais êtres libres. Pourtant, pour peu que l’on connaisse le comportement humain, on sait qu’une réalité comme l’amitié est très délicate à vivre, et plus encore dans une situation de célibat pour le Royaume. Respecter pleinement autrui, ainsi que ses propres engagements à l’égard de Dieu et vis-à-vis de la mission à poursuivre, est d’autant plus difficile à nos générations que l’éducation familiale et la formation religieuse ont rarement préparé à un tel éclatement.

Le sens du célibat dans la réalité humaine

Pour répondre à toutes les questions qui se posent, il faut connaître la réalité humaine et sa complexité, afin d’étudier comment l’amitié peut s’y intégrer chez un être humain qui a choisi le célibat pour le Royaume. Ce n’est qu’après avoir rapidement présenté ce qu’est le célibat pour le Royaume, et explicité ce que nous entendons par maturité humaine et sexualité, que nous aborderons le thème proprement dit de l’amitié.

Le célibat pour le Royaume

Pour continuer la mission de Jésus, l’apôtre est appelé à suivre le Christ et à partager ses sentiments (Ph 2,5). Consacré par le Père pour être son envoyé et pour sauver tous les hommes, l’être de Jésus est par essence tourné vers Dieu. C’est ainsi que son coeur est totalement donné au Père et lui renvoie tout. Dès l’éveil de sa conscience d’adulte, Jésus sait que la maison du Père est le lieu de sa demeure. Il se situe au-delà des affections familiales qui l’ont porté, et au milieu desquelles il a progressé en sagesse et en taille (Lc 2,49). Toutes ses énergies humaines ne peuvent qu’être orientées vers le Père.

Le célibat, en Jésus, est l’attitude normale de cette unité profonde. Ce n’est ni un choix ascétique, ni un mode de vie qui lui permettrait de se libérer des soucis habituels de l’homme qui doit gagner la vie de sa famille, assurer le bonheur des siens et avoir une place dans la société. Cette orientation profonde du Christ vers Dieu ne diminue en rien son humanité. Son cœur se révèle proche du nôtre, il a toutes les dimensions et exprime les sentiments du cœur humain : tendresse, compassion, affliction et même colère. Mais son unique souci, lorsqu’il entre en relation avec ses contemporains, c’est de les aider à réaliser le meilleur d’eux-mêmes en toute vérité. C’est une nouvelle humanité que le Christ crée par sa présence, par la transparence de son regard vers le Père et la totalité de son don aux hommes. Autour de lui tout devient autre parce qu’il est en communion avec la source même de la vie. Qui sont ma mère et mes frères ? Ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux (Mt 12,49). Il est le frère de tous les hommes parce qu’il est le Fils très aimant du Père de tous.

Par toute sa vie, Jésus proclame que la réponse de l’être humain à l’amour du Père peut changer les relations humaines tant sociales que familiales. L’ouverture totale au Dieu de la création repousse dans l’ombre la recherche du pouvoir et de la possession. Le prochain est vu alors dans son identité de fils de Dieu, dans son originalité propre, avec le désir qu’il devienne de plus en plus ce qu’il est au plus profond de lui-même, c’est-à-dire un être orienté vers Dieu et vers ses frères. Le dynamisme de cette attitude ne peut venir du désir qu’aurait l’homme de rejoindre Dieu par l’effort de sa volonté, mais de l’amour de Dieu qui interpelle chaque homme à l’intime de lui-même pour qu’il participe à la construction de l’humanité dans la justice et l’amour. L’épanouissement humain se fait dans l’ouverture à l’autre, et tout spécialement à un autre, dans une expérience unique, qui, menée jusqu’à la communion, le sort de lui-même, par là, l’ouvre à tous les autres. Cette expérience, vécue jusqu’au bout, jour après jour, se réalise normalement dans la voie du mariage. L’homme et la femme y épanouissent leur affectivité, leur capacité de don, et s’ouvrent ainsi à tous les hommes, si du moins cet amour ne se retourne pas sur leur petit univers.

Mais l’amour de Dieu peut faire irruption dans une vie de telle sorte qu’il devienne l’amour unique, vivant et absolu, dans lequel la personne appelée trouve toute sa dimension. C’est parce que Dieu l’a saisi et envoyé vers les hommes ses frères, c’est parce qu’il s’est laissé séduire, que le religieux a choisi le célibat pour le Royaume. Il n’y a pas là retrait de l’amour humain, mais don à un amour plus grand qui nous ouvre de façon radicale aux autres, à tous les hommes que Dieu aime au point de leur donner son Fils unique. Certes, cela demande de la part du religieux un effort constant pour laisser l’amour de Dieu le pénétrer. Il ne cherche pas, avant tout et à coups de volonté, à produire des aptitudes lui permettant d’atteindre Dieu, mais à orienter constamment son vouloir, son désir profond vers Dieu qui, petit à petit, le transforme, le fait aimer comme lui-même nous a aimés (Jn 13,34). Il est bien évident que certaines situations de vie, certaines habitudes de penser et d’agir ne facilitent pas, ou même contrecarrent cette orientation profonde. Là se place l’ascèse, qui est exigence d’amour plus que par elle-même chemin vers Dieu.

Le célibat devient ainsi témoignage de l’absolu de Dieu, et cela lui donne un sens ; témoignage aussi de la possibilité d’un amour désintéressé et de liens sociaux autres que ceux qui découlent du désir de pouvoir ou d’avoir. Il est dépassement des liens familiaux qui restent nécessaires et fondamentaux dans toute société, mais qui doivent pouvoir s’ouvrir au bien commun, et réaliser la fraternité universelle annoncée par Jésus.

La réalité humaine

Cette manière de voir le célibat n’est-elle pas trop éloignée de la réalité humaine telle que nous la connaissons en nous-mêmes ? N’est-ce pas une vue trop idéaliste qui ne tient pas compte de la sexualité, de l’évolution de l’affectivité et de l’accomplissement de la maturité humaine ?

Sexualité

Le mot même de « sexualité » indique tout simplement le fait d’être « homme ou femme ». C’est une réalité voulue par Dieu ; « homme et femme il les créa », nous dit la Genèse (Gn 1,27). Mais dans l’être humain c’est un mystère, car la sexualité est expression de l’ouverture à l’autre, aux autres et à Dieu. Elle dépasse l’union corporelle qui n’est qu’une de ses expressions, limitée du reste. La rencontre de l’autre peut se faire sur bien d’autres plans, intellectuels et spirituels, qui eux aussi sont toujours marqués du fait que l’on est homme ou femme.

Accepter la sexualité, c’est accepter en fait la création, cet amour de Dieu, dans lequel il s’engage envers nous. L’acceptation de soi, dans l’amour de Dieu qui nous enveloppe, est tout naturellement aussi acceptation du corps qui est le lieu de la sexualité, et qui, pour nous, est le moyen d’entrer en relation avec les autres, de nous exprimer, de nous manifester. Il n’est pas avant tout signe de nos limites ou de nos fragilités, mais richesse qui permet à une personne d’entrer en contact avec l’univers, avec les autres et avec Dieu. Il est le lieu d’expression de ma personnalité et je me manifeste par lui, à travers un geste, un sourire, une attitude, un mouvement des yeux ; il est moi. C’est l’unité humaine qu’il faut réaliser petit à petit, car elle ne nous est pas donnée toute faite.

La sexualité est donc une façon d’être, d’apparaître, d’entrer en relation, dont les manifestations varieront suivant les époques et les éducations reçues. L’épanouissement en nous, du fait que l’on est homme ou femme, ne demande pas la connaissance expérimentale de l’amour entre les sexes, mais exige que nous soyons ce que nous sommes en tant qu’être humain. Malheureusement certaines démarches d’accomplissement de la féminité ou de la virilité sont marquées, bien inconsciemment peut-être, par la recherche de soi-même ou la joie de plaire et d’être aimé.

Homme et femme sont les deux pôles de l’humanité. Ces deux réalités expriment la richesse de la nature humaine, laquelle se manifeste dans la variété des expériences et des activités. La complémentarité des sexes se situe dans cet éventail où toutes les nuances sont possibles et toutes nécessaires à la constitution de la société et de l’Église.

Maturité humaine

À la suite des découvertes psychologiques du début du XXe siècle, l’importance de l’évolution harmonieuse de l’affectivité et de la sexualité a été soulignée. On a reconnu que les forces affectives refoulées entraînent un dessèchement du cœur, et entravent la relation aux autres, en nous repliant sur nous-mêmes, sur notre propre accomplissement ; dans une sensibilité exacerbée, nous ressentons le comportement d’autrui comme directement orienté vers nous. Dans cette ligne, la maturité humaine est la possibilité de se situer objectivement face à soi-même et face aux autres, sans se faire le centre de tous les événements et de toutes les réactions interpersonnelles du petit cercle où l’on vit. Se considérer soi-même objectivement, c’est avoir un sens solide de la réalité de ce que nous sommes, et accepter, comme première constatation, qu’aucune maturité affective n’est achevée. Si l’on voulait parler de façon paradoxale, on pourrait dire qu’être mûr c’est d’abord admettre qu’on ne l’est pas et qu’on ne le sera jamais totalement. Dans une recherche un peu anxieuse de maturité ou d’équilibre, il y a un retour sur soi qui est un obstacle à l’évolution vers la maturité. Donc, accepter sans drame ce qui est encore immature en nous nous aide à agir autour de nous, à nous retourner vers les autres en rectifiant de temps en temps et tranquillement ce qui est à rectifier.

Nous avons parlé ici indifféremment de maturité humaine ou de maturité affective, au sens où en parle assez souvent une certaine vulgarisation psychologique facile. Mais peut-on réduire le psychisme humain aux seules relations à soi et aux autres ? L’homme n’est pas situé dans un univers purement horizontal, il est relié à Dieu, d’où il vient et vers lequel il retourne, et cette relation fait partie intégrante de son être. Négliger cet aspect, c’est mutiler l’homme de façon plus radicale encore que ne l’avait fait le siècle dernier en mettant l’affectivité en veilleuse. Toute éducation, toute aide pour une meilleure compréhension de soi, doit comporter cette dimension, sous peine de laisser la personne désemparée, manquant du sens qui lui permettrait d’unifier la complexité de son psychisme. Aider quelqu’un à se réaliser, à retrouver son équilibre, c’est l’aider à intégrer toutes ses tendances, y compris les frustrations, dans le désir profond de son être qui le fait crier vers Dieu, pour qu’il donne un sens à l’absurdité apparente de son histoire et de ses conditionnements. Non qu’il faille méconnaître l’importance de l’affectivité, mais il faut la situer dans l’évolution totale de l’être en recherche de son Dieu, en fonction du choix fondamental qu’il a fait. Car en définitive, la maturité humaine c’est la capacité qu’a l’homme de prendre son destin en main, en sachant ce qu’il est. Avant d’être un pouvoir de choix devant tel ou tel acte particulier, la liberté est le pouvoir d’orientation de tout son être vers Dieu qui l’a créé, la possibilité de dire « oui » à ce qu’on est et d’agir en conséquence. C’est en fonction de cette option fondamentale que se situent tous les choix secondaires. Et c’est alors le rôle de la liberté. C’est parce que l’être est centré sur un but unique que se construit petit à petit une unité profonde.

Dépassement

Nous le sentons bien, la maturité humaine ainsi envisagée dans toutes les dimensions les plus profondes de l’homme ne peut se réaliser sans dépassement. L’unité ne se fera que par l’orientation de toutes nos tendances vers un but unique. Une certaine conception considère les renoncements comme opposés à l’épanouissement de l’homme. Cependant, ces deux attitudes, qui paraissent contradictoires, ont des liens profonds entre elles. Une conception limitée de l’évolution affective, par crainte de créer des complexes, a conduit à rejeter tout ce qui peut apparaître comme un renoncement, et a prôné l’éducation libre qui évite toute contrainte et essaie de répondre à tous les désirs, justifiés ou non, de l’enfant. Il est, en fait, assez étonnant qu’une telle doctrine soit fondée sur la description de l’évolution psychologique de l’enfant par la psychologie dite « des profondeurs ». Car le renoncement au narcissisme, au retour sur soi, y est inscrit à chaque étape. C’est en dépassant le plaisir immédiat pour faire face à la réalité qui lui est offerte que l’enfant évolue petit à petit d’une situation où il se voit seul au monde, où il se fait centre de l’univers et unique objet d’amour, pour se situer comme membre de la société humaine, avec ses droits certes, mais aussi avec ses responsabilités vis-à-vis des autres, dans le respect de ce qu’ils sont et la justice des rapports interpersonnels.

Le renoncement est inscrit au cœur même de l’évolution de l’enfant. C’est à travers l’amour pour ses parents, devenu de plus en plus oblatif, qu’il trouve la force de se dépasser. Cette même nécessité du dépassement de soi se retrouve dans l’amour que les parents portent à l’enfant, acceptant de le voir se détacher progressivement de la cellule familiale pour se lancer dans la vie en adulte autonome, ayant des responsabilités propres. La parabole du grain de blé qui doit mourir pour devenir épi, avant d’être une exigence spirituelle pour suivre le Christ, est une réalité inscrite dans la création tout entière. Ce n’est qu’en mourant successivement à des expressions limitées de l’amour que l’on atteint l’amour universel, qu’on ouvre l’être profond à l’universalité de l’amour. L’amour dépasse la personne qui le donne pour rejoindre celle qui le reçoit et, ainsi, la faire advenir. Il est don de vie, soit à l’enfant, fruit de cet amour, soit à ceux qui sont aimés et qui se sentent reconnus, comme mis au monde, par l’amour qui les situe comme personne unique.

Marqué par toute cette réalité humaine, le célibat pour le Royaume peut se vivre sans la détruire. Il est conséquence de l’amour de Dieu qui a saisi un être au point que cet amour pour lui devient l’expérience unique dont nous avons déjà parlé, qui se réalise dans le mariage par le don total des époux l’un à l’autre. Dans les deux états de vie, cette expérience unique d’amour, avec ses exigences, ses difficultés, ses joies, est le lieu où peut s’épanouir une personnalité humaine. Les dépassements demandés sont peut-être autres, extérieurement. Mais fondamentalement, on rencontre les mêmes exigences d’ouverture de plus en plus totale à l’autre, afin de le recevoir dans son originalité personnelle. Dans le cas du célibat pour le Royaume, cet autre est Dieu qui élargit l’amour de l’être qu’il envahit aux dimensions mêmes de son propre amour. Ce choix fondamental de vie, vécu dans une liberté de plus en plus grande, assure la maturité de l’homme comme de la femme, dans toutes leurs dimensions humaines. Il est à la base d’une reconnaissance de l’autre, dans sa grandeur et dans ses limites, et conduit à une fraternité universelle, non pas abstraite, mais qui sait réellement accepter chaque personne concrète rencontrée. Ceci demande un continuel dépassement et un oubli de soi, qui finalement trouve sa récompense dans les joies éprouvées et l’élargissement de tout l’être.

L’amitié dans la vie religieuse

Revenons à notre première question : l’amitié est-elle possible dans une vie consacrée ? Notre réflexion sera centrée principalement sur les amitiés mixtes, que les conditions actuelles de l’apostolat semblent favoriser. Cependant, tout type d’amitié peut passer par les mêmes étapes et bénéficiera des mêmes précautions et exigences.

De fausses démarches

Il y a quelques années, certains semblaient affirmer qu’il n’y avait pas de maturité humaine possible sans connaissance expérimentale de l’autre sexe. Ceci avait donné naissance à une théorie où une amitié amoureuse prenait place dans la vie consacrée, y permettant toutes les manifestations physiques de l’amour, l’union corporelle exceptée. Ce courant semble dépassé aujourd’hui, mais il faut remarquer que le don mutuel qui s’arrête à mi-chemin risque fort d’être un mensonge ou du moins une parodie de l’amour. Par nature, l’amour veut aller jusqu’au bout de ce qu’il promet. Or, les caresses et autres manifestations corporelles sont un chemin vers l’accomplissement du don total et réciproque des partenaires. L’union corporelle est l’expression d’un engagement mutuel, elle est signe de la communion recherchée et expression de la communion déjà vécue. En ce sens, elle ne peut être pleinement humaine que dans l’union conjugale, car là seulement elle exprime le don total de la vie dans toute sa profondeur et sa durée. Il est rare, bien sûr, que l’acte particulier aille jusqu’à cet accomplissement ; mais l’orientation profonde, le but, est là et chaque réalisation imparfaite peut être un pas vers une réalisation totale. De la même façon, toute préparation, toute manifestation physique affectueuse, ne prennent leur sens que par une orientation vers le don mutuel, don qui peut aller jusqu’à la communion spirituelle dans une recherche commune et une rencontre de Dieu ; là est la réalité la plus profonde du mariage.

Nous sentons donc que ce qu’il y a de faux dans certaines manifestations d’amitié ne provient pas d’une loi, mais de l’exigence même de l’amour. C’est faux parce qu’il y a manque de respect du partenaire qui est pris comme un objet ; c’est faux parce qu’il y a un manque de respect de soi-même qui utilise l’autre et réduit son propre épanouissement au plaisir ressenti ou à la recherche d’une sécurité passagère, en oubliant l’orientation profonde de l’être et le choix fondamental, dont seule la réalisation peut assurer l’épanouissement réel.

Par-delà ce type d’amitié, il peut y en avoir d’autres, comme il arrive à deux amis qui ont dépassé ce stade de la manifestation corporelle, tout au moins dans ce qu’il a de directement amoureux, mais qui éprouvent à être ensemble une certaine complaisance affective. Une telle recherche de la présence risque, elle aussi, de refermer sur soi, même si elle veut être recherche de Dieu à deux. Or, nous le redisons, ceci est la voie du mariage. En fait, il y a, toujours et assez profondément, une certaine solitude dans la chasteté consacrée, car nous avons été choisis par le Christ pour être ses amis ; nous avons été appelés à tout laisser pour le suivre. Du fait de cette solitude inhérente à la chasteté consacrée, il y a donc une exigence de séparation au sein même d’une amitié, et cela doit être voulu et accepté. C’est à chacun d’approfondir sa relation à Dieu. L’amitié alors, pourra se situer petit à petit, au plan spirituel, c’est-à-dire dans l’Esprit, au vrai plan de l’appel du Christ sur nos vies. Elle sera l’aboutissement de la croissance de chacun dans le Christ, plutôt que le chemin de cette croissance. Cette amitié oblige à des choix continuels qui engagent de plus en plus profondément dans l’appel reçu et conduisent à une maturité plus grande.

Le « comment » de cette séparation différera suivant les cas. Bien souvent, elle découlera des exigences mêmes de la vie religieuse et de l’obéissance. Si l’éloignement n’est pas possible, il faut alors mesurer les rythmes des rencontres, provoquer des moments de vraie solitude, et non pas de solitude à deux, accepter comme bénéfiques les éloignements temporaires sans chercher à les écourter. Si un tel comportement se révèle, sinon difficile – il le sera toujours – mais impossible, il faut alors savoir provoquer un éloignement plus ou moins définitif, qui seul pourra permettre la réelle maturation de cette amitié en Dieu, dans la liberté. Si jamais elle devenait passion, ce qui peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, c’est alors la rupture définitive qui s’imposerait ; nous savons que ce courage existe et qu’il est bien souvent source de réelle maturité.

Le plus dur sans doute, en tout ceci, est de sentir que l’on fait souffrir l’autre. C’est une des exigences de l’amour, et nous ne devons pas penser qu’il est l’apanage des seuls consacrés. Les parents connaissent la nécessité que s’éloigne du foyer l’enfant qui grandit, pour qu’il prenne sa pleine dimension d’adulte. Ils connaissent aussi la nécessité de certaines exigences qui le font souffrir, mais sont indispensables à la construction de sa personnalité dans la liberté. Ne pensons pas trop vite que les exigences propres à la vie religieuse dépassent celles qui existent dans la vie des autres hommes et des chrétiens qui veulent suivre le Christ en vérité. Elles sont autres, et ont des aspects dépouillants, c’est vrai, mais chaque vie comporte ses exigences. La joie de grandir dans le Christ, ou plutôt de diminuer pour qu’il grandisse en nous, vaut bien les quelques sacrifices qui nous sont demandés.

Que faire quand une amitié se dessine ?

C’est la question qui nous est souvent posée, et en définitive, c’est peut-être la plus importante. Faut-il s’y refuser tout de suite ? Peut-on envisager un cheminement, une évolution vers une plus grande maturité de l’un et l’autre des deux amis ? Cela dépend beaucoup des tempéraments, de la profondeur spirituelle de chacun et de la situation. Je pense que, pour beaucoup, l’abstention sera une humble prudence, car il ne faut pas se cacher que le chemin est difficile et exigeant et qu’il demande rigueur et maîtrise de soi. Certains qui, dans l’amitié, recherchent l’approfondissement en Dieu, le trouvent davantage et avec plus de vérité dans l’éloignement. Les amitiés peuvent être bonnes, mais elles ne sont pas nécessaires. Non pas que nous n’ayons pas besoin des autres pour aller à Dieu, mais un autre privilégié n’est pas indispensable pour notre route. Et nous savons combien les relations apostoliques nous mènent à reconnaître le Christ qui accomplit son œuvre de salut en nos frères ; nous prenons aussi de plus en plus conscience de sa présence en nous. Cette contemplation, en même temps qu’elle augmente notre amour et notre attachement pour lui, nous aide à une meilleure connaissance de nous-mêmes, de nos capacités, de nos limites aussi et de la possibilité que nous avons de les vivre pour l’accroissement du Royaume.

Si l’on décide de continuer l’expérience, il faut savoir prendre sans tarder un temps de recul pour faire le point en fonction du choix fondamental de notre vie, qui est le don total à Dieu et à la mission qui nous a été confiée, afin de discerner en quoi cette amitié peut nous aider à réaliser l’œuvre du Christ.

La poursuite de l’amitié demande que l’on puisse s’en ouvrir à quelqu’un – un seul témoin – qui aidera à faire le cheminement nécessaire. Dans ce domaine, il nous est très difficile de rester objectif, et on l’est d’autant moins que la sensibilité est prise, ce qui arrive toujours plus ou moins au début. Nous pouvons nous faire de grandes illusions et baptiser d’amitiés spirituelles ce qui, en fait, n’est qu’une recherche mutuelle. Bien sûr, le sujet des partages et des échanges se portera tout naturellement sur ce qui nous tient le plus à coeur : notre vocation, l’Église, l’extension du Royaume ou le travail pastoral concret que nous avons à accomplir. Mais il peut y avoir beaucoup de recherche de soi dans ces amitiés dites spirituelles. C’est bien souvent une justification que l’on se donne avec la meilleure foi du monde, pour ne pas voir les exigences de purification.

Méfions-nous, si nous sommes incapables de parler de cette amitié et si nous la préservons jalousement de tout regard extérieur, il est à craindre que tout n’est pas transparent en nous et que nous redoutons plus ou moins inconsciemment la vérité qui nous fera mal. Mais méfions-nous aussi du trop grand besoin de parler, et ce besoin se rencontre fréquemment. En fait, il correspond soit à un désir de justification, ce qui montre que l’on n’est pas encore libre, même si, en fait, on aurait toutes les raisons de l’être et de continuer dans la paix, soit au besoin de montrer que l’on est aimé, et l’on sent, dans ces cas, une certaine fierté à pouvoir se situer au nombre de ceux qui sont assez libres de l’opinion d’autrui pour faire ce qui leur paraît bon. Sachons être attentifs à nos réactions comme d’ailleurs aux réactions de ceux qui nous entourent. Celles-ci ne sont pas toujours justes ni toujours fondées, mais elles sont bien plus objectives que les nôtres.

Il y a lieu aussi de s’examiner sur le point précis du respect de l’autre dans sa vocation et en lui-même. Il est nécessaire de sortir suffisamment de soi pour évaluer si les rencontres que nous avons permettent à l’ami d’être plus donné, plus ouvert aux autres, plus compréhensif de leurs besoins, si, en fin de compte, cette amitié nous renvoie aux autres. Il faut noter que les réactions masculines et féminines sont différentes, bien que les nuances personnelles rendent toute généralisation difficile et peut-être dangereuse. Cependant, globalement, il faut savoir que l’homme plus que la femme est capable de séparer sa vie affective de sa vie active, et que, sans qu’il y ait dichotomie en lui, une amitié risque moins de peser sur son engagement apostolique. La femme, elle, est généralement un être plus entier et son cœur entraîne tout, les pensées comme les activités. C’est sans doute pour cela que les religieuses semblent avoir plus de difficulté à vivre l’amitié. La femme doit pouvoir resituer les affirmations rassurantes de son partenaire dans le cadre de sa psychologie masculine. L’homme, qui ne réalise pas toujours l’emprise que peut exercer le cœur dans une vie féminine, risque de minimiser les conséquences de ses demandes. Là encore, un témoin extérieur capable de mesurer les réactions de l’un et de l’autre pourra être d’un grand secours.

Mais, ce qui pour nous est peut-être le meilleur critère, c’est celui de notre mission dans l’Église.

Si la formation d’équipes pastorales donne à l’Église son vrai visage d’humanité, si ces équipes permettent à la femme de se situer en Église, et à travers l’annonce de la Bonne Nouvelle, de faire remonter à Dieu les richesses qu’elle en a reçues, il est important de pouvoir vivre ces situations avec la plus grande transparence possible. Lorsque des affinités naissent, il faut s’interroger afin de les orienter tout de suite. N’y a-t-il pas danger à ce qu’on passe plus de temps à parler de la mission qu’à la vivre, et la lutte pour rester libre ne prend-elle pas, en définitive, beaucoup d’énergie ? Peut-être est-ce un moment à passer, nous savons toutes par expérience que nos difficultés intérieures interfèrent parfois avec notre travail, et cela pour toutes sortes de raisons, mais il ne faut pas laisser les difficultés se prolonger trop longtemps.

Sommes-nous capables d’orienter tout le dynamisme affectif que l’amitié a réveillé en nous vers les autres à qui le Christ nous a envoyés ? Vers notre communauté ? Cette amitié est-elle un stimulant pour être plus présents aux autres, plus disponibles en Église ? Et, en retour, le don aux autres aide-t-il à faire épanouir cette amitié en un don plus total au Christ ? Fait-il percevoir clairement la nécessité de se garder libres pour ceux que le Christ aime et vers lesquels il nous envoie ?

Importante aussi est l’attention portée au milieu humain et ecclésial dans lequel nous travaillons. Avec un peu de réflexion, nous réaliserons que, dans certains cas, dans certaines circonstances culturelles, une amitié mixte sera difficilement comprise. Cela pourra demander une coupure radicale, du moins exigera toujours une grande réserve, par souci de l’œuvre de Dieu, du Royaume à instaurer, qui est le but profond de notre envoi.

Dans le cas d’une amitié avec quelqu’un qui ne fait pas partie du groupe communautaire, on pose souvent la question du rôle de la Communauté. Il est certainement important, mais peut-être pas de la façon dont on l’envisage parfois. L’amitié est affaire personnelle très intime, et il est très difficile et très délicat à une communauté d’aborder le sujet en groupe. En ce domaine, le dialogue doit se faire de personne à personne, à moins que l’intéressé ne l’ait lui-même abordé. Ce qui en dernier recours est déterminant pour conduire à une maturation et un cheminement, c’est l’enracinement de l’être dans le Christ. La vie de prière qui nourrit cet attachement au Christ et développe l’amour qu’on lui porte doit être un des objets de recherche de la communauté, et c’est la meilleure aide qu’elle puisse apporter dans les moments difficiles par lesquels nous passons tous, chacun à notre tour. Le rôle de la communauté consistera principalement à intensifier le climat d’amitié entre les membres, à fortifier la vie de prière et de foi dans laquelle chacun trouve Dieu. Ce climat permettra de maintenir et d’affermir de plus en plus le choix initial.

Cependant, pour celui qui vit une amitié, la valeur de ses relations communautaires est un critère important. Il doit veiller à maintenir son degré d’engagement à l’égard de sa communauté, non pas tellement dans les choses à faire – ce qui peut être la tentation – mais dans l’amour profond et fraternel de chacun des membres, dans la collaboration à la construction de l’ensemble, dans l’ouverture mutuelle et la recherche de la fin qui les a réunis, c’est-à-dire l’annonce de la Bonne Nouvelle.

Une véritable amitié

Avons-nous répondu à notre question ? Une des difficultés pour donner une réponse claire est l’abus même du mot « amitié ». On en parle beaucoup actuellement, dans un temps où les relations humaines sont difficiles et prennent une valeur qu’en d’autres époques on ne songeait pas à leur donner puisqu’elles allaient de soi. Cependant, l’amitié vraie n’est pas n’importe quelle rencontre interpersonnelle ; elle comporte une dimension de gratuité que l’on trouve rarement. Et saint Thomas ne craint pas de prendre le symbole de l’amitié pour parler de l’amour que Dieu nous porte et que nous lui rendons. Il donne ainsi à la charité une chaleur humaine et affective que malheureusement le terme n’évoque pas spontanément, et à l’amitié une exigence d’ouverture, de clarté, de transparence aux autres, que nous ne trouvons pas souvent dans les relations que nous honorons du nom d’amitié.

Dieu est l’ami pour lequel chacun est unique. C’est lui qui fait les premiers pas, qui attend à la porte, ne désirant rien d’autre pour lui-même que la joie de voir l’homme s’ouvrir au bonheur qu’il lui offre.

Si nous appelons amitiés ce qui n’est que camaraderie ou bonne affection fraternelle, nous risquons de surfaire des sentiments qui, pour valables et positifs qu’ils soient, ne peuvent procurer l’intensité de vie que nous en attendons. Sachons les accepter pour ce qu’ils sont, et en les situant à leur véritable niveau, en recevoir toute la joie et le soutien mutuel qu’elles apportent. Mais ne pensons pas trop vite que nous avons atteint les plus hauts sentiments ; cela nous décevrait à la longue. Que penser de toutes ces amitiés aussi nombreuses et changeantes que les lieux où nous nous trouvons ? Sinon, tout simplement, qu’on a besoin d’un soutien affectif.

Si le prototype de l’amitié se trouve dans l’amour qui existe entre Dieu et l’homme, c’est un lien désirable entre deux personnes qui aiment Dieu et pour lesquelles cet amour reste premier et très ardemment désiré. Mais c’est une réalité rare et un don que l’on reçoit. De même que l’amour de Dieu est vie en nous, qu’il croît et s’intensifie avec le temps, de même l’amitié peut évoluer, grandir en se libérant de ce qui serait satisfaction trop personnelle. C’est par ce chemin de dépouillement que l’amitié peut se purifier et devenir vraiment la rencontre de deux êtres qui se sont totalement donnés à Dieu, qui ne vont pas à lui l’un par l’autre, mais qui, l’ayant rencontré, se retrouvent en lui et simplement, dans la joie, partagent l’émerveillement de son amour.

Tel est le but. Le chemin en est rude et les faux pas sont possibles : accrocs divers, retours sur soi, épanouissements ambigus, comme il y en a toujours au long d’une marche vers Dieu. Cependant, dire qu’il est praticable ne signifie pas que l’amitié soit nécessaire. Dieu en personne peut nous combler affectivement, nous rendre capables d’aimer les autres pour eux-mêmes, nous conduire à une réelle maturité humaine. En ce domaine, nous nous sentons très conditionnés. Si nous affirmons que la seule voie pour aller à Dieu est de passer par une amitié, nous nous limitons à nos conditionnements psychologiques, et surtout nous limitons la liberté de Dieu. N’enfermons pas nos désirs et nos aspirations dans nos propres limites ; sans les nier, nous avons à les dépasser, car créés à l’image de Dieu, nous sommes par l’Esprit ouverts à l’infini.

L’amour qui est ouverture à l’autre est joie, mais il est aussi source de souffrances. Il nous rend vulnérables à autrui, c’est-à-dire capables d’être touchés par lui, de souffrir de sa souffrance, de nous réjouir de sa joie et de vouloir totalement son bonheur. Pour des êtres qui ont choisi de suivre le Christ dans le célibat, ce bonheur ne peut venir que d’une pleine autonomie dans la vocation et dans la marche vers Dieu, même si les échanges mutuels peuvent apporter une aide et un éclairage. Ainsi vécue dans le renoncement de la croix – « qui perd sa vie la trouvera » (cf. Mt 10,39) –, une telle amitié ouvre aux autres et à Dieu, car elle élargit notre cœur à tout ce qui est humain, et le fait entrer dans l’amour même de Dieu pour tout être humain. Alors, nos rapports en communauté et nos relations, tant avec nos collaborateurs qu’avec ceux que Dieu nous a confiés pour leur révéler son amour, bénéficieront de cet approfondissement et de cet élargissement. Là est notre véritable responsabilité. Qu’elle soit vécue à travers une amitié ou dans le seul dialogue intime profond avec Dieu, notre chasteté consacrée doit nous ouvrir à tous les hommes, et faire de nous à la suite de Jésus et comme lui, des « frères universels ». Cela seul est important.

Que Dieu nous donne la joie d’une amitié humaine ou qu’il nous réserve pour une amitié unique avec lui, dans un cas comme dans l’autre, puisse-t-il ouvrir notre cœur à un amour chaleureux, comparable au sien, au travers duquel il manifestera son amour pour tous les hommes.

Villa Vecchia
45 Via Frascati
I-00040 MONTE PORZIO CATONE, Italie

Mots-clés

Dans le même numéro