Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chronique d’Écriture Sainte

Jean-Louis Ska, s.j.

N°1980-5 Septembre 1980

| P. 308-319 |

La douzaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer ont été répartis en trois groupes : questions de méthodes et ouvrages généraux, Ancien Testament, et enfin Nouveau Testament.

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I

Que l’exégèse soit à un tournant ou à un carrefour, beaucoup l’admettent. Dans une telle situation, il est normal de recalculer ses coordonnées et de tracer de nouveaux itinéraires. P.-M. Beaude nous en donne un premier exemple [1]. Son livre se compose d’une courte introduction retraçant à grands traits l’histoire de l’exégèse critique et de deux grandes parties, tournées l’une vers le passé et l’autre vers l’avenir. Les acquisitions du passé (1re partie) sont répertoriées dans un premier chapitre : la théorie documentaire, ou les quatre sources du Pentateuque (le yahviste, l’élohiste, le deutéronomiste et l’écrivain sacerdotal), les trois parties du prophète Isaïe, quelques notes rapides sur les écrits sapientiaux et les psaumes, le messianisme, la formation des évangiles et l’authenticité des lettres pauliniennes. Le second chapitre traite des méthodes : histoire des formes, de la tradition ou de la rédaction. Ici, on pourrait regretter que l’exposé soit trop succinct et traite surtout des résultats ; de même, on ne parle pour ainsi dire que du Nouveau Testament. Chacun de ces paragraphes est suivi de notes critiques.

La deuxième partie (« Avancées et perspectives ») projette le regard vers les nouveaux domaines de la recherche. Les récentes découvertes et l’étude du judaïsme élargissent le champ d’investigation des exégètes (ch. 1). En ce qui concerne le Nouveau Testament, de nouveaux objets polarisent l’attention : apocalyptique, résurrection, récits de l’enfance, miracles (ch. 2). Un troisième chapitre se concentre sur le problème du Jésus de l’histoire et des « nouvelles pistes » de l’exégèse sur ce terrain épineux. Le quatrième chapitre (« Nouvelles pratiques »), assez intéressant, décrit quelques-unes des nouvelles méthodes à l’essai actuellement (approches matérialiste, structurale, psychanalytique). Enfin, en quelques pages (ch. 5 : « Nouvelles questions théoriques »), l’auteur rassemble ses remarques critiques sur les méthodes du travail exégétique. Le livre s’achève par un « choix bibliographique » et un petit lexique. Le texte est abordable et il traite avec clarté de questions complexes. On lui reprochera sans doute – mais est-ce toujours justifié ? – d’être trop rapide. Avec plus de raison, on pourrait dire que l’Ancien Testament ne reçoit que la part du pauvre dans un livre qui se veut général. Or, c’est souvent dans la recherche vétéro-testamentaire que les méthodes sont nées. Mis à part cela, on y trouve un bilan de l’exégèse actuelle qui clarifie bien la situation.

La collection « écritures » de l’Institut Lumen Vitae de Bruxelles s’est donné pour tâche d’introduire à de nouvelles méthodes de l’exégèse actuelle (voir Vie consacrée, 1979, 315). La lecture structurale nous est présentée par A. Fossion [2], qui s’adresse plus particulièrement à tous ceux qui doivent enseigner la religion, mais aussi à tous ceux qui lisent les Écritures seuls ou en groupe. Une première partie expose d’un point de vue théorique le bien-fondé de la lecture structurale. Critiquant la distinction classique entre fond et forme, la méthode structurale voit dans un texte d’abord une série de relations entre différents termes qui se définissent les uns par les autres. Le sens d’un texte n’est pas à chercher derrière lui ou ailleurs, mais au-dedans, puisqu’il surgit du jeu des différents éléments qui le constituent. Ce jeu varie à l’infini, et on ne pourra jamais en épuiser toutes les possibilités. Cette nouvelle manière de lire les Écritures ne contredit en rien la manière traditionnelle de l’Église en ce domaine. Au contraire, l’exigence de communication, le respect du texte et sa valeur symbolique, entre autres, favorisent une lecture ecclésiale dans l’esprit de Vatican II.

La seconde partie, plus pratique, présente quelques méthodes et les illustre par des exemples. On procède en trois étapes : 1. Une étape intra-textuelle, ou analyse qui reste à l’intérieur d’un passage de l’Écriture – 2. Une étape inter-textuelle, ou rencontre du texte biblique avec des textes de la Tradition ou de la culture contemporaine – 3. Une étape de production, où il s’agit d’écrire un nouveau texte qui fasse en quelque sorte écho dans notre monde à ce texte de la Bible qui vient d’être lu. Les méthodes utilisent des outils forgés principalement par R. Jakobson et A. J. Greimas, A. Delzant et G. Lafon. L’une est « binaire » et se base sur les oppositions relevées dans un texte ; une autre dégage les transformations qui s’opèrent au cours d’un récit ; le modèle « ternaire » (qui reprend le « carré sémiotique ») suit pas à pas le parcours logique d’un texte ; ces méthodes peuvent être combinées. Cette partie est sans doute moins difficile que la première pour le non-initié.

La troisième partie, enfin, « Perspectives didactiques », contient bon nombre de conseils judicieux sur l’enseignement des Écritures et la façon de surmonter les obstacles rencontrés habituellement par les catéchètes ou les groupes bibliques. L’ouvrage se termine par une courte bibliographie. L’auteur a été soucieux de s’expliquer de façon à être abordable par tous : définition des termes techniques, schémas, tableaux, exemples permettent de mieux saisir sa méthode. Que celle-ci comporte de nombreux avantages, c’est la conviction de l’auteur et sera sans doute celle de nombreux lecteurs après lui. Certains, peut-être, pourront s’étonner de retrouver plus d’une fois les mêmes idées au cours des trois étapes de la démarche (étapes intra-et inter-textuelles, étape de production). Ne serait-il pas possible de sortir du cercle ? D’autres poseront sans doute la question de la dimension historique des textes, que la méthode semble négliger. Sur ce point, l’auteur a déjà entamé un dialogue qu’il sera intéressant de poursuivre (p. 41-45). Mais l’immense profit qu’on peut retirer de cette manière de lire la Bible sera probablement de fixer l’attention directement sur les textes et de prendre goût à s’y attarder.

Un autre ouvrage de la même collection se limite à une seule méthode : celle de la morphologie des contes de V. Propp [3]. Dans la préface, É. Pousset en trace les linéaments et prévient le lecteur de quelques difficultés de langage. En gros, V. Propp classifie les contes non pas selon le contenu, mais grâce à ce qu’il appelle les « fonctions », c’est-à-dire les actions des personnages, définies par leurs rôles et leurs significations dans le développement du récit. Il en repère trente et une différentes, qu’on retrouve pour la plupart dans tous les contes selon un ordre précis. Ensuite, l’auteur, P. Jullien de Pomerol, découpe l’évangile de Matthieu en quatorze séquences suivant sa méthode en expliquant rapidement ce qui le guide dans ses choix. Cette première analyse se fait sur « l’axe syntagmatique », c’est-à-dire qu’on recherche les ensembles (« syntagmes ») qui regroupe une série complète de « fonctions ». Suit alors une vérification sur « l’axe paradigmatique » : puisque l’évangile peut être divisé en quatorze séquences qui reprennent la majorité des trente et une « fonctions », on peut comparer le contenu d’une même fonction dans chacune de ces quatorze séquences. Ce procédé met en lumière l’avancement du récit. Enfin, l’auteur collationne les principaux résultats de sa recherche. En voici l’essentiel : il est possible d’appliquer la méthode de V. Propp à l’évangile de Matthieu ; le contenu de l’évangile n’est pas celui d’un conte ; la méthode de V. Propp fait apparaître un plan et une structure ; on comprend mieux la place des discours dans l’évangile.

Au terme de cette lecture, beaucoup seront séduits par cette entreprise originale, conduite avec intelligence. Certains diront sans doute qu’on en apprend plus sur la méthode de Propp que sur l’évangile de Matthieu, que l’auteur recourt souvent à l’exégèse classique pour résoudre des problèmes de compréhension, ou même, qu’on n’a pas tenté de définir des termes essentiels comme « foi », « disciple », « Dieu », ni le rôle de Jésus, ou le genre littéraire « évangile » en se servant uniquement de l’outil de V. Propp. Mais était-ce possible d’en faire plus dans un premier essai ? Il augure en tout cas d’un avenir intéressant, en forçant à relire des textes qu’on croit trop bien connaître.

Dans un recueil d’articles auxquels il a ajouté quelques inédits, A. Paul (voir Vie consacrée, 1975, 56) veut poser quelques jalons d’une histoire de la Bible, depuis sa naissance comme canon jusqu’à nos jours [4]. La première partie (« Israël éclaté ») montre que la Bible a surgi des cendres d’Israël comme état et nation. Autour de la Bible, deux mouvements parallèles se sont formés, la Synagogue et l’Église, qui ne sont plus liés à une terre ou à un pouvoir politique. L’auteur connaît bien cette période de l’histoire. Dans la seconde partie (« De Bible à Bible »), il relève les constantes de l’histoire de la Bible dans le judaïsme et l’Église. Cela se résume en grande partie à une histoire des traductions de la Bible ou des « vulgates ». Juifs et chrétiens ont eu souvent des réactions identiques (le sola scriptura des protestants a été anticipé par les qaraïtes dans le judaïsme). Dans deux notes, l’auteur juge de manière élogieuse le livre de P. Beauchamp (L’un et l’autre Testament, voir Vie consacrée, 1977, 302) et critique la traduction d’A. Chouraqui (voir Vie consacrée, ibidem, 301), qui, à la limite, n’est plus une traduction, selon lui. Enfin, deux lectures de textes, suivant une méthode propre (la résurrection de Lazare en Jn 11 et l’exorcisme de Gerasa en Mc 5,1-20), lui permettent d’exposer ses propres vues et de critiquer la méthode structurale qui négligerait l’écriture au profit du texte. Par « écriture », l’auteur entend l’acte de ceux qui ont rédigé les textes avec tout ce que cela implique historiquement, tout comme l’acte de ceux qui lisent et écrivent aujourd’hui sous la mouvance de la Bible.

Le livre contient des articles de diverses factures, et on ne perçoit pas toujours bien leur enchaînement. D’autre part, l’auteur use d’une langue difficile, parfois torturée, qui n’est pas habituelle dans les ouvrages de la collection « Lectio divina ». Il n’empêche que les intuitions de l’auteur soient souvent remarquables.

II

R. Michaud n’est pas un inconnu pour les lecteurs de cette chronique (voir Vie consacrée, 1976, 314 et 1978, 316-317). Voici un troisième volume, cette fois sur l’Exode [5]. Fidèle à sa méthode, il divise son exposé en deux parties. Dans la première, il fixe les points d’ancrage des textes bibliques dans l’histoire profane. L’auteur se base surtout sur les travaux de R. de Vaux. Selon ce dernier, il faudrait distinguer à l’arrière-fond de nos textes deux exodes, l’un contemporain de l’expulsion des Hyksos en 1552 et l’autre, bien plus tardif, vers 1250, sous Ramsès II, lorsque des clans sémites s’enfuirent d’Égypte. Le nom divin YHWH, révélé à Moïse, est peut-être à rapprocher de celui de la divinité des mystérieux « Shasus de YHW », une tribu nomade connue des Égyptiens et qui pourrait s’apparenter aux Madianites ou Quénites de la Bible. En ce qui concerne les différentes traditions qui sont à l’origine de nos textes, l’auteur reprend des idées chères à G. von Rad et M. Noth. Pour ces exégètes, les différents événements racontés, en particulier la sortie d’Égypte et la révélation au Sinaï, sont d’origines différentes et ont été sans doute vécus par des groupes distincts qui, une fois fusionnés, ont formé le peuple d’Israël.

La seconde partie, intitulée « Théologie », parcourt les textes pour déterminer leur genre littéraire, leurs développements et les différents contextes dans lesquels ils s’insèrent. Qu’un texte soit rédigé par l’Israël nomade, dans le royaume de Salomon ou durant l’exil, voilà qui lui donne une tout autre résonance. Et il importe de le déceler si on veut apprécier à leur juste valeur les différentes moutures des textes. Cette seconde partie se lit avec beaucoup d’intérêt. L’auteur analyse les formes littéraires avec son souci de clarté bien connu, en particulier les schémas de litiges qu’on trouve dans les récits du séjour au désert. Il expose également de façon judicieuse l’évolution de certains rites ou de certains récits suivant leurs contextes successifs. Le livre est complété par une bibliographie et quelques cartes. R. Michaud, une fois de plus, fait montre de ses talents de pédagogue. On lui en saura gré. Cependant, sa tranquille assurance ne devrait pas donner le change. Le cadre historique exposé dans la première partie est très hypothétique, et on doit bien avouer qu’on n’a aucune preuve formelle, du point de vue historique, de l’exode tel qu’il est raconté dans la Bible. On ne peut rien affirmer ou infirmer. Cela veut dire que la seconde partie, « Théologie », correspond mieux à l’intention de ces récits. Mais là aussi, on est plus prudent aujourd’hui quant à l’existence et à la datation des différentes sources. Il n’empêche qu’on doive recommander ce travail qui constitue une excellente introduction à la lecture d’un texte difficile.

Le renouveau biblique et liturgique a remis les psaumes au centre de la prière des chrétiens. Cela ne va pas sans poser de graves questions. P. Beauchamp s’attache à en résoudre quelques-unes [6]. Les problèmes préliminaires sont traités dans une première partie (« Les psaumes et nous »). Il y va surtout de l’actualité des psaumes, de leur dimension universelle, des principaux obstacles d’une lecture des psaumes (les malédictions et les déclarations d’innocence), et de la place des psaumes dans la prière du Christ. Puis l’auteur tente de définir l’essentiel de la prière psalmique. La seconde partie, « Supplication », expose la stratégie du mal, question fondamentale et partout présente dans les psaumes. Le juste menacé et incapable de résister ne peut trouver secours qu’en Dieu. « Louange », titre de la troisième partie, décrit la joie de cette découverte du juste qui trouve Dieu de son côté. Joie partagée qui contient en germe tout apostolat, annonce d’un salut expérimenté, elle est au commencement et à la fin de toute prière. On ne se met à prier, en effet, qu’en étant sûr de la puissance de celui à qui on s’adresse et la prière se termine par l’action de grâces pour le bienfait reçu. Mais il y a une distance entre la supplication et la louange ; c’est le temps de l’espérance, de la mémoire, du chemin (quatrième partie, « Promesse »). Cette distance entre la demande et son exaucement est un temps d’épreuve qui force à approfondir la compréhension de ce que Dieu promet vraiment et qu’il révèle finalement en Jésus-Christ.

Dans la dernière partie du livre, l’auteur analyse un certain nombre de psaumes. Une première série est regroupée autour du thème de la création, vécue dans le présent (Ps 8.19.104.139), dans le passé (Ps 136.74.89) ou projetée dans le futur (Ps 93.95-100.24.29.47). En guise de « récapitulation », l’auteur lit le psaume 22. P. Beauchamp s’est efforcé de renouveler notre attention et de nous faire redécouvrir l’éternelle nouveauté de notre foi. Il y réussit fort bien. Celui qui veut entrer dans la prière des psaumes, celui qui veut se ressourcer y trouvera de nombreuses suggestions et des intuitions fécondes. Le livre contient également des notes perspicaces sur de grands thèmes bibliques. Un livre qui sera certainement d’une grande aide à tous ceux qui ouvrent le psautier.

Le sujet des Journées Bibliques de Louvain de 1978 était le courant sapientiel. Elles furent dirigées par M. Gilbert qui a été longtemps un des rédacteurs de cette chronique. Le volume qui rassemble les communications de ce Congrès s’adresse à des spécialistes [7]. On y trouve des articles en plusieurs langues (anglais, allemand, français), et les études se font sur les textes originaux (grec et hébreu). Une première partie mesure l’ampleur du courant sapientiel : à Sumer et à Mari, et dans la Bible, dans les psaumes, le cantique des cantiques, le Deutéronome et Isaïe, ou dans les énigmes. Pour terminer cette première partie, on pourra lire deux articles plus accessibles sur « La sagesse de la femme » (S. Amsler) et sur la Sagesse personnifiée dans l’Ancien et le Nouveau Testaments (P.-É. Bonnard). La seconde partie se limite aux livres sapientiaux. On y passe sous la loupe différents passages des Proverbes, Job, Qohelet (Ecclésiaste), du Siracide (Ecclésiastique) et du livre de la Sagesse. Un titre pourra retenir l’attention : « Épouser la Sagesse - ou n’épouser qu’elle ? Une énigme du livre de la Sagesse » de P. Beauchamp : c’est un article qui aborde une question proche de ce qui fait l’essence de la vie religieuse. Plusieurs index rendent plus aisée l’utilisation de ce livre savant.

III

La nouvelle édition de l’Évangile de Jésus de H. Galbiati sera accueillie avec joie par les catéchètes et les enseignants [8]. L’édition française a bénéficié de la collaboration de M. Du Buit, o.p. On y trouve un courte introduction au milieu du Nouveau Testament et à la rédaction des évangiles. Pour son texte, l’auteur a choisi différents passages repris textuellement aux quatre évangiles et agencés suivant un schéma chronologique. En gros, c’est une version moderne du Diatessaron de Tatien ou des « Vies de Jésus ». Un grand nombre de cartes, de plans, de notes et de photographies facilitent la compréhension des textes. Une table des passages cités et un petit lexique complètent cet ouvrage qui sera d’une grande utilité pédagogique.

La première partie du commentaire sur saint Matthieu par saint Jérôme a été présentée dans Vie consacrée, 1978, 313. La seconde partie [9] contient les index des deux volumes (index scripturaire, index des noms de personnes et index analytique). Ce commentaire patristique, d’un genre bien différent de celui que nous pratiquons aujourd’hui, n’en garde pas moins une valeur indéniable, car il va droit aux vérités de la foi. Par exemple, la guérison des deux aveugles de Jéricho devient une parabole du salut (Mt 20,29-31, p. 98-101). Jésus est descendu à Jéricho, ville de brigands, parce qu’il voulait délivrer les hommes des ténèbres. Les deux aveugles sont « au bord » du chemin, parce qu’ils ignorent la « voie » du Christ. Ils symbolisent les Pharisiens et les Sadducéens, ou bien l’Ancien et le Nouveau Testaments. Ils sont aveugles parce qu’ils ne connaissent que la loi écrite et la loi naturelle, mais non la loi du Christ. La foule qui les réprimande représente les Gentils qui sont toujours tentés de jalouser ceux qui les ont précédés dans le Royaume. Ce petit exemple devrait montrer l’intérêt de ce commentaire.

Si on voulait caractériser l’œuvre du regretté D. Mollat, on pourrait reprendre ces quelques phrases qu’il a écrites à propos de l’expérience des apôtres devant le tombeau vide, dans l’évangile de Jean : « Le Seigneur n’est plus là, le voilà soustrait, cette fois, à toute prise sensible. L’intuition du disciple franchit cet abîme ; le Seigneur est vivant. C’est le propre de la foi pascale de le rejoindre maintenant au-delà de tout espace » (Études johanniques, p. 181). A la suite de Jean, son évangéliste préféré, le P. Mollat a sans cesse refait ce chemin de l’expérience sensible du Verbe incarné, de l’éveil de la foi et de son élan final au-delà des limites de notre monde. E. Malatesta, s.j., et Bernard Mollat, prêtre, ont rassemblé les écrits qui permettront au lecteur de recueillir les fruits de sa riche expérience spirituelle. Un premier volume relève davantage des études techniques [10] ; jamais, cependant, le discours ne perd la saveur d’une rencontre personnelle avec le monde vivant des écrits johanniques. Un résumé, trop rapide, en fera pressentir toute la richesse. La « divinité du Christ », manifestation de sa « gloire », est un point focal de l’évangile de Jean. Jésus a révélé de diverses manières le mystère de sa personne et l’évangile montre comment ses contemporains ont pu le percevoir. Mais l’insistance de la tradition johannique sur la divinité du Christ n’éclipse en rien son enracinement profond dans le terreau humain (ch. 1). Pour comprendre cette donnée, il convient de contempler le mystère de l’Incarnation (ch. 2), qui donne la clé de la théologie de Jean. Cette contemplation, malgré les apparences, n’exclut pas la conversion (ch. 3). D’une manière différente des synoptiques, mais de façon très réelle, Jésus appelle les hommes dans saint Jean. Leur réponse, que ce soit le drame du refus ou la transfiguration du croyant, est un élément essentiel de l’œuvre johannique. La réponse positive de la foi est décrite avec beaucoup de profondeur dans le ch. 4. On retiendra l’insistance sur l’aspect d’option et d’engagement, de grâce et de dépouillement. Cette expérience de foi se fonde sur le témoignage des signes que le ch. 5 analyse en détail. L’étude du vocabulaire spatial (ch. 6) montre une nouvelle fois comment saint Jean passe des données concrètes à leur signification théologique. Les derniers chapitres traitent de textes particuliers (ch. 7 : le discours eucharistique de Jn 6 ; le ch. 8, « Avant qu’Abraham fût, je suis », Jn 7-8 ; ch. 9, 10 et 11 : divers aspects de l’expérience pascale selon Jn 20). Très souvent, l’auteur met en exergue le cadre liturgique de ces textes. On trouvera dans ce livre un complément de tout premier ordre au Saint Jean, maître spirituel, du même auteur (voir Vie consacrée, 1977, 310).

Les deux autres volumes sont d’un style différent [11]. Bien que saint Jean y occupe toujours une place prépondérante, leur champ est un peu plus large.

Le premier contient une biographie du P. Donatien Mollat par Bernard Mollat, prêtre du diocèse de Paris. Ensuite, cinq méditations sur l’Esprit Saint témoignent de l’intérêt croissant du P. Mollat pour la vie spirituelle. Habituellement, il puise dans le Nouveau Testament la sève d’une doctrine solide. Puis, sous le sous-titre « Parole », on a regroupé trois écrits qui développent de grands thèmes bibliques : la Sagesse, la Parole de Dieu comme force de salut et la prière. Le volume se termine par une bibliographie complète du P. Mollat et par une liste des thèses qu’il a dirigées lorsqu’il était professeur à l’Université Grégorienne de Rome.

Le second de ces deux volumes démontre à l’évidence que le P. Mollat pouvait aborder de nombreux domaines. La première partie (« La Vie ») contient non seulement des réflexions pertinentes sur les « signes des temps », mais aussi sur le cycle liturgique et la célébration eucharistique. Dans la seconde partie (« La Gloire »), on trouvera, entre autres, plusieurs lectures de l’Apocalypse à la lumière du livre de l’Exode. Les dernières surprises nous sont réservées par la troisième partie : « Spiritualité ignatienne ». Une brève vie spirituelle de saint Ignace, centrée sur la figure du Christ, un parallèle entre l’évangile de Jean et les Exercices de saint Ignace et une homélie prononcée lors de son jubilé d’or (1970) font percevoir l’harmonie qui régnait dans l’œuvre du prêtre et de l’exégète.

Au terme de cette lecture, les lignes de forces de cette œuvre remarquable ressortent avec netteté : familiarité avec saint Jean, intuition spirituelle et contemplation sereine. Notre reconnaissance ira sans réserve à E. Malatesta et B. Mollat qui nous ont livré cet héritage.

Les publications de X. Léon-Dufour sont en général marquées par un double souci : lire les Écritures avec des yeux neufs et les traduire dans un langage actuel. Le problème abordé cette fois est celui de la mort [12]. L’auteur rencontre sur sa route des difficultés provenant des expressions traditionnelles du « catéchisme » à propos de la mort. Comment comprendre le jugement particulier, le jugement dernier, l’état intermédiaire qui les sépare, ciel et enfer ? Le Nouveau Testament dépeint-il la mort de Jésus comme un sacrifice de substitution, Jésus mourant à la place des pécheurs pour expier leurs fautes ? L’exégète veut répondre en croyant à toutes ces questions en remontant au Jésus historique, puis en interrogeant les grands interprètes de son message, les synoptiques et Jean d’une part, Paul de l’autre. Pour Jésus, l’auteur procède en quatre étapes : Jésus face à la mort des autres, Jésus face à la mort menaçante, Jésus face à la mort imminente, Jésus face à la mort qui est là ou Jésus en croix. L’affrontement est donc de plus en plus serré au fil des chapitres. Voici un aperçu des principaux points de ces pages. Jésus n’a pas cherché à esquiver la mort, ni la sienne, ni celle des autres. Sans être stoïque ni doloriste, il lutte, il souffre, mais sans jamais perdre sa confiance en son Père. Sa propre mort, il ne l’a pas envisagée comme un « sacrifice » au sens cultuel du terme. Mais il a compris que sa fidélité à sa mission et à son Père rendait inévitable cette issue qui fut celle des prophètes et des justes de l’ancienne alliance. Il ira au-devant de cette ultime épreuve en ne s’appuyant que sur son Père. Sa mort ne se comprend donc qu’à la lumière de son œuvre et de sa prédication au service des hommes, et dans la lumière de Pâques. Lors de son dernier repas, Jésus a exprimé son espérance en Dieu et dans une communauté avec ses disciples qui se perpétue au-delà de la mort. Son agonie traduit la souffrance d’un homme qui voit sa vie échouer parce qu’il n’a pas voulu renier son message. Les diverses paroles de Jésus en croix expriment, selon les perspectives différentes de chaque évangéliste, l’attitude de Jésus face à son Père et face aux hommes. Son dernier cri, qui serait probablement « Mon Dieu, c’est toi ! », témoignerait de sa confiance inébranlable en son Père au cœur de la plus cruelle souffrance.

Paul, de son côté, se veut l’interprète du mystère pascal. Il traduit pour les chrétiens la nouveauté advenue à l’humanité par la mort et la résurrection de Jésus en divers langages : justification et vivification, libération et transformation, réconciliation et assimilation. Pour Paul comme pour Jésus, le langage cultuel du sacrifice est secondaire. Jésus a vécu et est mort dans la fidélité à son Père et le service des hommes. Sa mort a réconcilié le pécheur avec Dieu. Ce nouveau rapport de l’homme avec son créateur s’actualise dans toute l’existence, notamment par les sacrements de baptême et d’eucharistie. Deux chapitres traitent alors de la question de la souffrance et de la mort chez Paul. Dans l’un et l’autre cas, Paul y voit une séquelle du péché, sans pouvoir expliquer davantage. Mais Jésus « donne sens au non-sens de la mort » (p. 236) par sa confiance en Dieu et le chrétien est appelé à lutter contre la souffrance à la suite de son maître. Face à sa propre mort, Paul a réagi comme Jésus, en y voyant une conséquence de sa fidélité à son message. En appendice, l’auteur répond avec la tradition à la question du jugement particulier et du jugement dernier. Dès notre mort, nous sommes vainqueurs avec Jésus-Christ dans toute notre personne, et non seulement dans une « âme » séparée du « corps ». D’autre part, avec Jésus-Christ, nous restons solidaires du monde et des hommes, et nous œuvrons à sa transformation définitive (jugement dernier). Une bibliographie et plusieurs index s’ajoutent à un ouvrage qui s’adresse à tous, mais qui n’en requiert pas moins une certaine culture religieuse. On ne peut que recommander sa lecture, même si, à première vue, il semble enlever sa base scripturaire à une théologie largement répandue concernant le « sacrifice » de Jésus-Christ. Cela peut déconcerter. Mais on gagnera à suivre la démarche jusqu’au bout. On pourra aussi discuter certaines options et on voudrait voir préciser certains termes, comme le « service » des hommes et le fondement de la confiance de Jésus en son Père. Mais cette recherche personnelle a l’immense mérite de greffer la réflexion à propos d’une question actuelle sur le tronc solide des Écritures.

Les lecteurs de cette chronique connaissent bien Divo Barsotti. Son dernier livre n’est pas à proprement parler un commentaire spirituel de la Bible, mais une longue méditation, nourrie à la fois de la lecture des Écritures et de la tradition mystique, sur l’unicité de Dieu [13]. La contradiction apparente dans la bouche de celui qui pose cette affirmation en face du seul Seigneur ne se résout que dans l’incarnation et le mystère pascal. C’est un livre qui replonge vers l’origine même de ce qui fait la vie de foi et la vie religieuse.

Via della Pilotta 25
I 00187 ROMA, Italie

[1P.-M. Beaude. Tendances nouvelles de l’exégèse. Coll. Tendances nouvelles. Paris, Le Centurion, 1979, 22 x 14, 164 p.

[2A. Fossion. Lire les Écritures. Théorie et pratique de la lecture structurale. Coll. écritures, 2. Bruxelles, Éd. Lumen Vitae, 1980, 22 x 15, 184 p., 360 FB.

[3P. Jullien de Pomerol. Quand un évangile nous est conté. Analyse morphologique du récit de Matthieu. Coll. écritures, 3. Bruxelles, Lumen Vitae, 1980, 23 x 15, 240 p., 1 h.-t., 420 FB.

[4A. Paul. Le fait biblique. Israël éclaté. De Bible à Bible. Coll. Lectio divina, Paris, Éd. du Cerf, 1979, 22 x 14, 228 p.

[5R. Michaud. Moïse. Histoire et théologie. Coll. Lire la Bible, 49. Paris, Éd. du Cerf, 1979, 19 x 14, 194 p.

[6P. Beauchamp. Psaumes nuit et jour. Paris, Éd. du Seuil, 1980, 21 x 14, 256 p.

[7M. Gilbert et coll. La Sagesse de l’Ancien Testament. Coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium, 51. Gembloux, Duculot ; Leuven, University Press, 1979, 25 x 16, 424 p., 1.700 FB.

[8H. Galbiati. L’Évangile de Jésus. Nouv. éd. Paris, Apostolat des Éditions ; Montréal, Éd. Paulines ; Vicenza, Institut St-Gaétan, 1979, 17 x 12, 416 p., très nombr. ill.

[9Saint Jérôme. Commentaire sur saint Matthieu. T. II. Coll. Sources chrétiennes, 259, Paris, Éd. du Cerf, 1979, 20 x 13, 358 p.

[10D. Mollat, s.j. Études johanniques. Coll. Parole de Dieu. Paris, Éd. du Seuil, 1979, 21 x 14, 190 p.

[11D. Mollat, s.j. Exégèse spirituelle. I. La Parole et l’Esprit. II. La vie et la gloire. Coll. Épiphanie. Paris, Éd. du Cerf, 1980, 20 x 14, 220 et 184 p.

[12X. Léon-Dufour, s.j. Face à la mort. Jésus et Paul. Coll. Parole de Dieu, Paris, Éd. du Seuil, 1979, 21 x 14, 320 p.

[13D. Barsotti. Dieu est Dieu. Paris, Téqui, 1980, 21 x 14, 248 p., 36 FF.

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