Théologie de la vie religieuse
Bulletin bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1980-1 • Janvier 1980
| P. 50-60 |
Les ouvrages reçus cette année des éditeurs se groupent assez facilement en trois sections. Nous mettrons dans la première trois instruments de travail ; la seconde sera consacrée à des ouvrages doctrinaux sur la vie religieuse ou certains de ses aspects ; la troisième nous présentera les moniales vues par une « mécréante » et deux livres sur les nouvelles formes que prend, dans l’Église, la pratique des conseils évangéliques.
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I
Le tome V du Dizionario degli Istituti di Perfezione [1] va de « Iona » (communauté presbytérienne écossaise), à « Monachisme » (important article par plusieurs collaborateurs, dont J. Leclercq, o.s.b., pour l’époque actuelle et ses problèmes). Il est toujours passionnant de feuilleter une encyclopédie de cette valeur, mais on se trouve quelque peu désespéré lorsqu’il faut en rendre compte. Signalons au moins ce qui nous a paru le plus digne d’intérêt. Un pays, l’Italie, se voit consacrer une longue notice. On trouve, comme dans les volumes précédents, le nom de très nombreuses personnes ayant un rapport à la vie religieuse ou consacrée (mais nous ne sommes point parvenus à découvrir les normes qui ont présidé au choix des illustrations : plusieurs saints et bienheureux, même récents, n’en ont pas, mais le portrait de Luther par Cranach est reproduit à pleine page, en couleurs). Ordres, Congrégations, Instituts séculiers sont nombreux, eux aussi, notamment tous les « Missionnaires », masculins et féminins. Parmi les notices plus développées, relevons celles des Méchitaristes, du monachisme melchite, des Sisters of Mercy. D’un point de vue plus théorique, on trouvera bon nombre de notices plus ou moins détaillées : Instituts de perfection chrétienne, Instituts séculiers, Instituts à vœux simples, le Concile de Latran IV et son rôle dans la fixation de la législation canonique sur les religieux, le travail (avec de bonnes réflexions de J. Leclercq, o.s.b., sur la situation actuelle et les critères du discernement qu’elle appelle), la liturgie dans le monde des religieux (y compris les rites propres à certaines familles), le point de vue marxiste sur la vie religieuse, les Ordres mendiants et les Ordres militaires (avec, pour chacun, une étude des caractéristiques de leur architecture), le problème de la multiplicité des Instituts au cours des siècles et aujourd’hui, enfin l’étude déjà citée sur le monachisme.
Lorsqu’il justifie l’expression « Instituts de perfection », qui lui plaît manifestement, le P. Gutierrez nous semble minimiser l’importance de la déclaration conciliaire (LG 45) : « Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie ». Ceci met clairement en question l’existence d’un « état de perfection » (pour lequel on nous annonce un article). À partir de LG, le Concile a, sans doute délibérément, omis cette expression (une seule exception : « institut de perfection » dans LG 45 – les deux seuls emplois d’« état de perfection » se trouvent dans SC 98 et 101). De plus, l’article « Instituts de perfection chrétienne » nous a paru développer surtout les aspects juridiques, ce qui se comprend si d’autres contributions sont prévues. Nous espérons notamment que l’article « Vœu » (annoncé) traitera ex professo de la différence, essentielle pour la compréhension de la vie consacrée, entre « vouer quelque chose à Dieu » et « se vouer tout entier à Dieu ».
La missiologie, outre les nombreuses notices sur les Instituts, est représentée par divers articles d’ensemble : littérature en pays de mission, linguistique dans les mêmes contrées, missiologie, etc. Signalons encore une étude sur Luther (son attitude en face des vœux de religion, l’évolution du protestantisme jusqu’à nos jours). Pour les religions non chrétiennes, on a quelques lignes sur Mahomet, sur divers aspects des religions asiatiques (lamaïsme, entre autres), sur les lupercales, le manichéisme, etc. Ceux qu’intéresse l’actualité découvriront dans ces pages « Le Lion de Juda et l’Agneau Immolé », Chiara Lubich, Mgr Malula, Thomas Merton et bien d’autres.
Ces quelques indications suffiront à faire pressentir l’intérêt de ce dictionnaire et l’éminent service que rendent à l’Église et à la vie consacrée les directeurs de l’œuvre et leurs nombreux collaborateurs.
Avec ce volume de plus de 500 pages, comportant 6.823 entrées relatives à l’année 1975, la Bibliographia Internationalis Spiritualitatis [2] fête son dixième anniversaire. Pour donner une faible idée du labeur que représentent ces volumes, nous nous sommes livré à quelques calculs : l’ensemble compte plus de 5.000 pages, y figurent plus de 67.000 entrées, la spiritualité de la vie religieuse y est représentée par près de 3.000 entrées, et son histoire, pour près du double. Encore ces deux derniers chiffres ne traduisent-ils pas exactement la richesse des renseignements concernant la vie selon les conseils évangéliques ; on trouve des références utiles en plus d’un autre endroit, tels la liturgie des heures, les vertus morales, la direction spirituelle, etc.
Une telle somme de renseignements constitue un instrument de travail de premier choix. Aussi est-on amené à le souhaiter aussi parfait et aussi complet que possible. C’est dans cet esprit que nous soumettons aux éditeurs les remarques suivantes. Il reste dans le texte des omissions (par exemple, p. VII, « Vertus morales », manquent les références à l’obéissance et à la pauvreté) ou des erreurs (par exemple, au n° 4397, le prénom du P. Martelet est Gustave et non Giuseppe). De même, un rapide pointage des deux revues publiées par notre Centre fait apparaître des omissions curieuses : ne sont pas cités l’article de L. de Naurois sur la crise du droit canonique (N.R.Th., 1975, 501), celui de Sœur Edayal sur un essai de monachisme chrétien en Inde (Vie consacrée, 1975, 85), ceux de plusieurs religieuses zaïroises sur la pauvreté religieuse dans leur pays (ibid., 92 et 352), celui du P. Lassus à propos des moniales (ibid., 278) ni celui du P. Martelet sur la consécration séculière (ibid., 65). – Mais, redisons-le, ces remarques n’ont pour but que d’aider à rendre plus utile encore un recueil qui rend de grands services et auquel on souhaiterait, si c’est possible, une parution plus rapide (le délai actuel est de trois bonnes années par rapport aux documents cités).
La Règle de saint Benoît [3] nous donnera, dans l’édition annoncée à l’occasion du XVe centenaire de la naissance du Saint, un volume qui comprendra, sur les pages de gauche, le texte latin du ms. de Saint-Gall accompagné de notes critiques ; sur les pages de droite, une traduction nouvelle par H. Rochais, accompagnée de notes doctrinales, dues comme les notes critiques, à E. Manning. Le volume s’ouvre par une Introduction qui fait le point des recherches (fort actives ces derniers temps) sur la Règle du Maître et celle de saint Benoît, sur les Dialogues et l’enseignement monastique du Saint. Les références aux textes bibliques et autres explicitement cités dans la Règle nous sont donnés ainsi qu’un double index : mots latins et (pour la première fois) mots français. Tout ceci constitue un excellent instrument de travail et de réflexion. – Félicitons les éditeurs pour cette manière originale, mais éminemment utile, de célébrer ce centenaire.
II
Du P. David M. Knight, auteur du livre De feu et de nuée [4], on peut vraiment dire que, s’il a les deux pieds sur terre, son regard reste fermement fixé sur le Christ et sur Dieu. Et c’est ce qui fait la valeur exceptionnelle de ces pages. En quatre chapitres, nous sommes invités à nous remettre devant les yeux les principes de base, puis à comprendre le célibat consacré, la vie communautaire et les caractéristiques de la vie religieuse. Le volume s’achève par quelques notes complémentaires.
Dans chacune de ces sections, le lecteur pourra faire une ample moisson. Sur ce qui spécifie l’un par rapport à l’autre le religieux et le chrétien laïc, la doctrine nous a paru très éclairante : ce qui les distingue, ce ne sont pas les attitudes de foi en face du monde présent ou futur (elles sont identiques et dans l’acceptation de ce monde dont nous sommes solidaires et dans l’émancipation par rapport à ce même monde, que tout chrétien transcende radicalement). La distinction se situe au seul niveau de l’expression que chacun est appelé à donner à ces attitudes. Ici intervient une notion-clé dans la doctrine de l’auteur, celle de « réalité-symbole » : méritent ce nom les attitudes par lesquelles nous signifions et rendons réels, en y investissant notre être, des choix intérieurs invisibles. Cette notion lui permet de poser en thèse que nous croissons en grâce en permettant à celle-ci de s’exprimer dans et par notre nature (dans ces « réalités-symboles ») et que l’élément le plus positif de la vie consacrée par des vœux est le renoncement comme tel. Une note importante montre bien qu’il est question ici non de l’ascétisme moral, ni de l’ascétisme mystique, ni de l’ascétisme « cultique » (quelles que soient la valeur et l’utilité de ces attitudes), mais du renoncement chrétien comme tel, c’est-à-dire de celui qui, par le moyen de « réalités-symboles », est expression et expérience de la foi, de l’espérance et de la charité : ce renoncement est donc la proclamation incarnée que, tout en renonçant aux valeurs personnelles qui atteignent aux racines mêmes de l’être en ce monde, celui qui le vit se trouve ne rien perdre en fait : c’est essentiellement un renoncement pascal, dans lequel nous abandonnons telle valeur, réelle au niveau humain, pour la retrouver immédiatement au niveau de la foi, de l’espérance et de la charité.
Sur le célibat consacré, la doctrine de l’auteur, conséquence des prémisses ci-dessus, nous a paru très ferme et très éclairante. Par son célibat, le religieux, en une « réalité-symbole », « exprime, établit et réalise avec Jésus-Christ en ce monde une relation, spécifique et unique en son genre, d’amour entre époux » (76). Parler du célibat consacré comme d’une « relation conjugale » est certes employer un langage qui suscitera sans doute plus d’une réticence instinctive ; l’auteur s’en est rendu compte et nous eussions souhaité que lui-même ou son traducteur aient trouvé une formule qui heurte moins nos oreilles. Mais, pour qui accepte de passer outre à cette réaction spontanée, la formule dit bien que le célibat consacré nous engage, envers Dieu et envers Jésus, à une relation incarnée dans un style de vie qui est, par le fait même, exclusive d’autres relations du même genre. En affirmant ceci, il nous semble mettre le doigt sur la faute de raisonnement de ceux qui s’en vont répétant : « L’amour de Dieu ne fait pas nombre avec l’amour des hommes » (et qui oublient que ce même amour de Dieu prescrit le mariage monogamique). Au niveau des traductions concrètes, la relation nouée avec le Christ par la chasteté consacrée, pour être une « réalité-symbole » du dépassement eschatologique de l’amour conjugal (« sacrement » de l’union du Christ et de son Église, au témoignage de saint Paul), impose des renoncements précis dans les amours et les amitiés humaines. À qui objecterait les quelques cas célèbres d’amitiés hautement spirituelles (saint François et sainte Claire, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal), sans doute faudrait-il répondre non seulement que ce sont des exceptions qui confirment la règle, mais surtout ceci : étant un vrai don de Dieu et telles qu’elles ont été vécues, elles ont à leur manière été elles aussi une « réalité-symbole » du dépassement des amours humaines. Car il est une question qu’on oublie souvent de poser. On affirme (et c’est vrai) que l’amitié et l’amour entre homme et femme sont de puissants stimulants de développement de la personne. Mais on omet de se demander si celui qui est appelé au célibat n’est pas invité par le fait même à renoncer à ce moyen humain de développement (pour excellent qu’il soit) précisément pour que la « réalité-symbole » qu’il doit être soit vécue par lui. Il ne va pas de soi qu’une « amitié privilégiée » qui s’offre soit réellement un don de Dieu (ce qu’une pente naturelle nous incite trop facilement à préjuger) : lorsqu’elle l’est vraiment, elle doit encore être vécue d’une manière qui en fasse la « réalité-symbole » du dépassement, dans l’amour du Christ, de tout amour humain.
Sans avoir pu signaler toutes les richesses de ces pages, ces quelques lignes auront du moins, nous l’espérons, attiré l’attention sur un ouvrage où le lecteur trouvera une moisson abondante pour sa réflexion et sa vie.
Dans Projet communautaire [5], le Supérieur Général des Frères Maristes s’adresse d’abord aux membres de son Institut dans le but de les aider à construire, dans la docilité à l’Esprit Saint, un bon projet communautaire. Un premier chapitre montre de quoi il s’agit (voir et juger, puis agir en tenant compte de ce qui est déjà réalisé et de ce qui reste à faire). Puis c’est le contenu du projet qui nous est exposé (ch. II), tandis que le ch. III nous rend attentifs aux éléments réels qui doivent y être intégrés. Le ch. IV propose une méthode de recherche pour la construction du projet préliminaire. Nous sommes ensuite invités à dégager les enseignements de l’expérience des dix dernières années. Pour assurer le passage harmonieux de l’ancienne communauté à la nouvelle, le Fr. Rueda marque l’importance de maintenir l’unité, d’apprécier à leur juste valeur les « piliers » de la communauté d’autrefois et de découvrir une nouvelle ferveur qui nous permette de discerner les « nouveaux piliers » pour la future communauté et de nous mettre à l’œuvre avec un sens accru de l’adaptation courageuse. Un dernier chapitre situe enfin les communautés dans la Province, l’ensemble de l’Institut et l’Église. – Remarquables par leur réalisme, ces pages, fruit d’une expérience vécue au jour le jour, le sont aussi par leur solidité doctrinale : ce qui est proposé aux Maristes, ce n’est pas de bâtir une communauté, c’est de découvrir et de construire la cellule d’Église que le Christ leur demande d’être aujourd’hui. Ce que leur Supérieur Général dit à ses frères se transpose sans peine pour d’autres Instituts. Aussi souhaitons-nous une large diffusion à ces pages, dont nous verrions volontiers une édition « pour tous » en langue française (comme cela s’est fait en italien).
Ce qui est à l’origine du thème choisi pour l’Assemblée de la Conférence religieuse Canadienne dont Classes moyennes, Les pauvres, Dieu [6] nous donnent aujourd’hui les actes, c’est une réflexion de la troisième réunion interaméricaine des religieux (1977). Le rapport canadien avait reconnu que les religieux et religieuses de ce pays sont « très souvent des gens de la classe moyenne au service de la classe moyenne ». La réaction des autres groupes ne fut pas celle que le rapporteur attendait, mais bien : « Vous admettez que vous êtes de la classe moyenne, alors restez-y et évangélisez vraiment la classe à laquelle vous appartenez ». C’est dans ce but que les organisateurs de la rencontre ont fait appel à trois conférenciers : le chanoine Jacques Grand’Maison, l’abbé Marcel Gervais et le Père Jacques Bélanger, o.f.m.cap. Le premier, en deux causeries, s’est chargé d’une approche socio-théologique des classes moyennes, ce « miroir aux alouettes ». Très suggestifs, bien qu’ils procèdent souvent par allusions plus claires pour des Canadiens que pour des Européens, ces deux exposés aident à prendre conscience du milieu dans lequel baignent la plupart des religieux et des tendances qui s’y développent ; plusieurs sont loin de répondre à l’idéal évangélique. L’abbé Gervais nous offre une étude biblique sur Dieu et le pauvre. Il nous a semblé qu’elle ne touchait qu’indirectement le thème du congrès. Dans une approche pastorale, le P. Bélanger, persuadé qu’une conversion est nécessaire, s’efforce de la faire passer en pratique et offre dans ce but quelques suggestions assez concrètes. Pages d’autant plus intéressantes que nombre de nos communautés devront sans doute, elles aussi, reconnaître qu’il « faudrait donner un vrai coup de barre pour modifier notre style de vie, mais on ne croit pas que l’ensemble de nos religieux accepterait cette conversion. On croit encore nécessaire de préparer cette conversion » (Conclusion d’un atelier, p. 129).
III
Dans l’Avant-Propos de son livre Les contemplatives, des femmes entre elles [7], Catherine Baker se demande : « Pourquoi suis-je si sûre que nous sommes des milliers de mécréantes à nous sentir concernées par cette si étrange histoire ? » Reçue dans soixante-dix monastères, l’auteur nous livre le fruit de ses rencontres en des pages où elle se refuse à jouer à la journaliste ou à l’ethnologue. Elle conclut : « J’ai voulu écrire ce livre, partagée entre le désir de dire la joie tranquille des moniales que j’ai aimées et le souci ne pas « planer » et de rester lucide sur ce qui nous séparait. J’espère que j’ai « donné à voir », selon la belle expression de Paul Eluard, cette rencontre entre elles et moi » (453-454). Nous croyons que l’intérêt de ce livre réside précisément en cela. Comment la vie des contemplatives est-elle vue par « ceux du dehors », par ceux surtout qui, comme C. Baker, « ne croient pas à leur Dieu » ? (Il est vrai que les moniales lui ont gentiment rétorqué qu’elles ne croyaient pas en son athéisme non plus).
Comment « être signe » pour le monde d’aujourd’hui ou, tout au moins, lui poser un problème qui soit comme une première ouverture vers la découverte de celui auquel les moniales ont voué toute leur vie ? Qu’est-ce qui heurte les gens à notre époque, quels sont les comportements qui les étonnent, ceux qu’ils admettent, ceux enfin qui leur font soupçonner que doit exister, plus profondément, quelque chose ou quelqu’un ? Relevons quelques points que ces pages signalent. Certes, les moniales paraissent à l’auteur « d’étranges étrangères dans notre monde » et l’appel auquel elles ont répondu lui semble « un désir absurde qu’elles nomment vocation » (mais la plupart des témoignages cités sont fort beaux). C. Baker ne cache pas ce qu’elle pense de certaines observances : « celles qui tiennent à la clôture et qui la confondent avec le recueillement sont des fossiles » (130). Quand elle en arrive à l’obéissance (dans la manière dont elle est parfois encore vécue, mais aussi dans son principe), elle avoue avoir eu envie d’écrire que la grande déception rencontrée dans ces communautés de femmes tient essentiellement au manque de liberté qu’elle y avait perçu, mais elle reconnaît loyalement qu’elle a rencontré bien des femmes « libres » parmi les religieuses cloîtrées et qu’elles lui semblent même moins rares que dans la vie de tous les jours (149-150). Sur la pauvreté, elle a des réflexions nuancées. C’est sans doute le signe le plus lisible pour notre époque et il importe davantage de la vivre que de la montrer. Mais que faire lorsqu’on est logée dans telle abbaye cossue (et lourde à entretenir) ou dans tel château reçu ou acheté à vil prix, mais qui donne une façade de richesse ? L’auteur conseillerait de les quitter pour un logis plus simple, même s’il doit être plus coûteux. En conclusion de ce chapitre, elle a quelques réflexions intéressantes sur beauté et pauvreté, qu’elle termine par une question qu’elle se reconnaît incapable de résoudre : « J’ai vu des monastères d’une parfaite beauté dans une simplicité nue et rayonnante... Mais, dans telle ville ouvrière du Nord... comme la salle à manger était laide... ! Tout de suite j’ai reconnu cette maison : c’est celle de tous les mineurs de la région... (Et là) j’ai vu des jeunes et des moins jeunes défiler, tous ouvriers... Mais, dans les maisons où la beauté invitait à la contemplation, je n’ai jamais vu d’ouvriers » (194-195).
Que les engagements irrévocables soient l’objet d’une fin de non-recevoir, en pouvait s’y attendre ; mais il est plus étonnant (et révélateur à la fois) que certaines de ses correspondantes partagent sa conception plutôt subjective de la fidélité. Sur la chasteté des moniales, C. Baker donne un témoignage sans ambiguïté : « Contrairement à ce que je pensais en commençant cette enquête, je suis certaine aujourd’hui que pratiquement toutes les cloîtrées vivent dans la chasteté la plus absolue » (302-303). Par contre ce qu’elle dit des amitiés et certains témoignages qu’elle cite (notamment sur les communautés mixtes) laissent plutôt rêveur. Sur la foi enfin, elle a des réflexions qui ne manquent pas d’intérêt ; elle cite notamment cette phrase d’une moniale : « Avant, lorsque j’étais athée, je vivais une absence vide, maintenant je vis une absence pleine » (434). – Ces pages seront éclairantes pour ceux et celles que n’effarouche ni une certaine verdeur du langage, ni une espièglerie occasionnelle (elle reste toujours gentille) et qui sont capables de les lire avec sympathie et discernement.
Française, sensibilisée par les événements de mai 68, mère de famille et journaliste, Monique Hébrard restait attentive, comme elle l’écrit « aux quelques lueurs (de l’embrasement de mai 68) qui rougeoiaient encore ». C’est ce qui l’amena à prendre contact avec les communautés charismatiques et à s’informer davantage sur le mouvement dans lequel elles s’inséraient. D’où trois parties dans Les nouveaux disciples [8] : un « voyage à travers une douzaine de communautés » (la Théophanie, la Sainte-Croix, le Lion de Juda et l’Agneau Immolé, le Chemin Neuf, etc.) ; une part de réflexion sur les problèmes que pose le mouvement charismatique dans lequel elles s’inscrivent et une conclusion qui situe ce mouvement dans l’histoire de l’Église et s’efforce d’en dégager la valeur. C’est avec sympathie, mais en gardant les yeux ouverts, que l’auteur a mené son enquête : elle ne nous cache pas ce qui l’a étonnée ni les points d’interrogation que ces expériences ont soulevés chez elle ou chez d’autres. Ainsi, elle rapporte la parole de Mgr Coffy à propos d’un de ces groupes : « Je leur fais une totale confiance, mais il y a deux questions que je leur pose : quel sera le sort des enfants quand ils grandiront et comment vieilleront les couples ? »
Du point de vue de notre chronique, ce livre nous paraît intéressant sur deux points surtout. Il pose le problème de la spécificité de la vie religieuse et il le fait à partir du vécu. Car, de toutes les communautés que nous présente l’auteur, « Le Lion de Juda et l’Agneau Immolé » est la seule qui se veuille monastique (bien qu’elle réunisse des célibataires et des couples mariés). Toutes les autres se situent simplement comme des chrétiens désireux de vivre à plein l’Évangile. En quoi les religieux se distinguent-ils encore de ces simples chrétiens qui vivent en communauté et y pratiquent les conseils évangéliques d’une façon souvent remarquable ? La réponse ne serait-elle pas celle que donne un membre d’un de ces groupes : « Les religieux, ils se sont fait eunuques pour le Seigneur » ?
Nous touchons ici une question controversée et souvent obscurcie par une confusion. Lorsqu’on demande ce qui caractérise les religieux, beaucoup (et d’éminents ténors n’évitent pas cette erreur) comprennent : qu’est-ce qui fait l’essentiel de leur vie ? Or l’essentiel de toute vie chrétienne, c’est la charité, l’amour pour Dieu et le prochain. Ce qui nuance la manière dont elle est vécue, c’est le type d’appel que le Seigneur adresse à chacun et la réponse qu’il attend. Si l’on veut bien rester dans cette optique, il nous semble en effet que c’est le célibat voué pour le Seigneur qui spécifie la manière dont le religieux (et le membre d’institut séculier) vit sa pratique des conseils évangéliques. Son amour pour tous ses frères (car le célibat consacré ne peut pas dessécher le cœur) devra s’incarner en ne s’appuyant que sur Jésus-Christ, sans la médiation humaine privilégiée (et souvent bien utile) du couple. Sa liberté par rapport aux biens de ce monde pourra prendre des formes que des parents ne peuvent envisager, car ils ont charge de famille, et cette même raison permettra à son obéissance de répondre à des appels qu’il ne serait habituellement pas raisonnable d’adresser à des gens mariés, car leur première responsabilité doit s’exercer l’un envers l’autre et envers leurs enfants.
Et ceci met en lumière un autre point important : puisque, dans ces nouvelles communautés, c’est parce qu’ils sont chrétiens que leurs membres veulent pratiquer l’Évangile dans sa plénitude, c’est donc bien à tous les chrétiens (et non à quelque caste privilégiée, supposée « suivre le Christ de plus près ») que l’on doit présenter l’appel à être parfaits comme le Père Céleste est parfait.
Ne dites pas : les temps sont mauvais [9] est un reportage sur l’Église d’aujourd’hui. Et cependant Gilbert Gannes, dans son Avant-Propos, nous rappelle d’abord le Discours vrai, dans lequel le philosophe païen Celse rassembla, dès le IIe siècle de notre ère, les principaux arguments contre la foi chrétienne : « On n’a jamais fait mieux depuis », nous dit-il. Raisonnement parfait, logique impeccable de ceux dont le cœur n’est pas touché, persécutions contre ces « objecteurs de conscience » que seront toujours les chrétiens, Empire romain chancelant sous les coups des Barbares, divisions à l’intérieur de l’Église (où pullulaient déjà les sectes), toutes les conditions semblaient réunies pour qu’échoue le christianisme. Ce ne fut pas la seule fois au cours de son histoire. Et la situation actuelle ressemble étrangement à celle que connut Celse. Puisque alors l’Église « réussit à s’imposer dans l’écroulement d’un monde, qu’elle précipita », Gilbert Garnies nous invite à nous étonner « non pas que l’Église institutionnelle se soit si souvent compromise, trompée et divisée, mais qu’elle ait pu y survivre ». Plutôt que de mettre avec insistance l’accent sur les défaillances de l’Église actuelle, sur la désaffection apparente de son peuple, sur les excès ou la désertion de ses clercs, l’auteur nous invite à découvrir les germes de renouveau qui sourdent un peu partout et font craquer « une civilisation avachie et pourrissante, qui sera bientôt, comme ses augustes devancières, ensevelie dans la pourpre moisie où reposent les dieux morts ». Dans ce but, il a choisi de nous décrire ses rencontres personnelles avec cinq grandes figures de la chrétienté d’aujourd’hui. Mais, avant de nous en parler, il nous dit ce qu’il a vu à New York, « ce bouillon de culture où se mijotent nos lendemains ». Ce qu’il nous montre, ce n’est pas le New York luxueux que visitent les touristes fortunés, c’est Brooklyn, Times Square, le Klinton (« la cuisine de l’enfer »), le Lower East Side (que le Guide Bleu conseille de visiter « dans un véhicule fermé »), le Bronx : ceux qu’il a vus à l’œuvre là-bas parmi les « rebuts d’humanité » que rejette la grande ville, ce sont des Focolarini, des Frères de Taizé, des Catholic Workers, des Missionnaires de la Charité, l’Aide à toute détresse, d’autres encore. De là, nous dit-il, il est remonté aux fondateurs de ces mouvements. Il nous décrit sa rencontre avec eux et avec elles. Récits simples et émouvants qui campent devant nos yeux Chiara Lubich et le mouvement des Focolarini, Jacques Loew et l’École de la foi, Sœur Magdeleine et les Petites Sœurs de Jésus, Werenfried Van Straeten et l’Aide à l’Église en détresse, l’Abbé Pierre et les Compagnons d’Emmaüs. Ces pages ne se résument pas, elles se lisent, se méditent et nous passionnent. L’éclat de rire n’y est pas exclu, par exemple lorsque l’on voit le P. Van Straeten décider les fermiers flamands à élever un porc en faveur de l’œuvre, puis décerner tranquillement à ces quadrupèdes le titre de « cochon bienfaiteur ». Mais, le plus souvent, c’est une émotion profonde qui nous étreint devant ces gestes si simples, si profondément humains, si chrétiens, qui vont à l’essentiel. Vraiment, saint Augustin avait raison de dire (et Gilbert Gannes de nous le rappeler) : « Ne dites pas que les temps sont mauvais. Nous sommes les temps. Soyons bons et les temps seront bons. »
[1] Dizionario degli Istituti di Perfezione, diretto da G. Pellicia e da G. Rocca. Vol. V : Iona - Monachesimo. Roma, D.I.P. (I-00185, via Domenico Fontana, 12), 1978, 29 x 21, XXVI p. - 1742 col., 12 h.-t. en couleurs.
[2] Bibliographia Internationalis Spiritualitatis. Vol. 10 (1975). Roma, Ed. del Teresianum, 1978, 24 x 16, XIX-501 p., 25.000 lires.
[3] Règle de saint Benoît. Édition du Centenaire. Rochefort, Éd. La Documentation Cistercienne, 1980, 21 x 13, ± 275 p., 450 FB.
[4] D.-M. Knight. De feu et de nuée. La vie religieuse comme réponse passionnée à l’appel du Seigneur. Coll. Vita Evangelica, 8. Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1979, 18 x H, 306 p., $ 5.00.
[5] B. Rueda, f.m.s. Projet communautaire. Coll. Circulaires des Supérieurs Généraux de l’Institut des Frères Maristes des Écoles. Vol. 27, n° 1, Rome, Maison Généralice, 1978, 21 x 14, 168 p. – Une traduction italienne, Progetto comunitario, est parue à Milan, Éd. Ancora, 1978, 19 x 12, 148 p., 2.600 lires.
[6] Classes moyennes. Les pauvres. Dieu. Coll. Donum Dei, 25. Ottawa, Conférence religieuse canadienne, 1979, 23 x 15, 156 p., $ 4.50.
[7] C. Baker. Les contemplatives, des femmes entre elles. Coll. Voix de femmes, Stock 2. Paris, Stock, 1979, 20 x 12, 460 p.
[8] M. Hébrard. Les nouveaux disciples. Voyage à travers les communautés charismatiques. Paris, Le Centurion, 1979, 22 x 15, 284 p.
[9] G. Gannes. Ne dites pas : les temps sont mauvais. Paris, Plon, 1979, 20 x 13, 286 p., 16 h.-t.