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Les nouvelles constitutions

Premier et second livres

Michel Dortel-Claudot, s.j.

N°1980-1 Janvier 1980

| P. 41-49 |

À l’heure où les Instituts sont appelés à élaborer leurs Constitutions définitives, après les années d’expérimentation qui ont suivi le Concile, l’auteur énonce ici quelques principes directeurs pouvant guider les Chapitres Généraux dans leur travail. Il suggère ce qui, à son avis, devrait se trouver dans ce qu’il appelle le premier et le second livres. C’est le fruit d’une longue expérience qu’il nous livre ; chaque Institut pourra s’en inspirer à la lumière de son charisme propre.

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Introduction

Le décret Perfectae caritatis, n. 3, avait demandé aux Instituts de réviser leurs Constitutions. Le Motu Proprio Ecclesiae Sanctae, de Paul VI, a précisé comment faire cette révision.

Dans beaucoup de cas, modifier simplement tel ou tel article des Constitutions d’avant le Concile n’aurait pas permis de réaliser la rénovation adaptée demandée par Vatican II. C’est pourquoi un grand nombre de Congrégations ont été amenées, lors du Chapitre spécial ou du Chapitre ordinaire suivant, à se donner de nouveaux textes, remplaçant pratiquement, bien que ad experimentum, leurs Constitutions. À ces nouveaux textes, divers noms furent donnés : Décrets Capitulaires, Orientations, Règle de vie, etc. Une telle manière de faire était légitime, du moment que la fin, la nature et le caractère de l’Institut étaient respectés, et que rien de contraire au droit commun n’était introduit dans ces nouveaux textes.

Le Motu Proprio Ecclesiae Sanctae indiquait, en outre, à quel moment chaque Institut aurait à soumettre ses Constitutions rénovées pour approbation définitive : au lendemain du deuxième Chapitre ordinaire qui suivra le Chapitre spécial, était-il dit au n. 6. Conformément à cette disposition toujours en vigueur, et compte tenu de l’espace le plus courant entre deux Chapitres ordinaires, le moment approche où la plupart des Instituts devront présenter à l’approbation de l’Église les textes qu’ils désirent avoir pour Constitutions définitives, que ces textes aient été entièrement rédigés depuis Vatican II, ou qu’ils soient les Constitutions d’avant le Concile, simplement modifiées et complétées [1].

Déjà, des Instituts ayant célébré leur deuxième Chapitre ordinaire après le Chapitre spécial, ont demandé à la Sacrée Congrégation d’approuver définitivement leurs nouvelles Constitutions ; et plusieurs approbations ont été accordées.

Certains Instituts dont le deuxième Chapitre ordinaire s’était réuni trop peu de temps après le Chapitre spécial, par suite de circonstances diverses, telles que le décès du Supérieur Général ou la réduction de son mandat à quatre ans, ont demandé à la Sacrée Congrégation de retarder de quelques années la mise au point de leurs Constitutions définitives : cela leur a été accordé quand les raisons invoquées ont paru légitimer cette dispense.

En ce moment même, un peu partout dans le monde, un très grand nombre d’instituts, de droit pontifical ou diocésain, préparent activement le Chapitre général qui votera les Constitutions définitives [2].

Situation ancienne, possibilités nouvelles

Jusqu’au Concile, toutes les normes devant régler la vie d’un Institut – depuis celles définissant sa nature et son but, jusqu’à celles fixant dans le plus petit détail la façon de voter pour les élections – se trouvaient dans un seul livre appelé « Constitutions ». Une fois celles-ci approuvées par l’autorité ecclésiastique compétente, aucune de ces normes ne pouvait être changée sans la permission de cette même autorité. Les Chapitres Généraux n’avaient le droit de modifier librement que les codes autres que les « Constitutions » : ceux qu’on nommait « Directoires », « Orientations ou décrets des Chapitres Généraux », « Coutumiers », etc. Mais de tels recueils ne contenaient généralement que des prescriptions de moindre importance nécessaire à la vie courante, les règles particulières à tel ou tel office, des décisions très liées aux circonstances, parfois des exhortations de caractère ascétique et spirituel.

Les Instituts qui le désirent peuvent continuer à placer dans un seul livre – leurs « Constitutions » – toutes les normes devant régler leur vie religieuse, en ce qui concerne leur esprit et but, les conseils évangéliques, la vie communautaire, la prière, l’apostolat, la formation, le gouvernement, etc., et soumettre ainsi à l’approbation de l’Église la totalité de ces normes. Comme par le passé, ces Constitutions pourront être complétées par des « Directoires », etc., qui n’ont pas à être soumis à l’approbation de l’autorité ecclésiastique compétente, et dont nous ne nous occupons pas ici.

Les Instituts qui ont conservé leurs Constitutions d’avant le Concile parce qu’ils en étaient satisfaits, et n’ont modifié que certains de leurs articles, auront tout intérêt à prendre cette voie plus simple.

Mais, à côté des Instituts dont on vient de parler, on en trouve d’autres affrontés à des situations plus complexes, qui désirent tout à la fois :

  • être en possession de normes reconnues et approuvées par l’Église, fixant de façon définitive leur identité propre dans le Peuple de Dieu, et l’essentiel de leurs obligations ;
  • être en mesure d’adapter aux circonstances, donc de modifier dans le futur, certaines autres normes moins essentielles ; et cela sans avoir à recourir chaque fois à l’autorité ecclésiastique compétente.

Afin de permettre à de tels Instituts de répondre à ces deux exigences, il est suggéré ce qui suit :

  • Tout ce qui formait la matière des Constitutions approuvées avant le Concile, pourra être distribué et répartien deux documents ayant chacun un statut juridique propre. Sans préjuger du nom particulier que les Instituts voudront donner à chacun de ces deux documents – et seulement pour la clarté de l’exposition – nous les appelons ici : lepremier livre et lesecond livre.
  • Le premier livre est à présenter, le moment venu, à l’approbation de l’autorité ecclésiastique compétente, comme l’étaient les Constitutions d’avant le Concile. Et comme celles-ci, il ne pourra plus, une fois solennellement approuvé, être modifié qu’avec l’accord de cette même autorité. Il constituera, pour ainsi dire, la partie du droit de l’Institutstabilisée par l’Église, c’est-à-dire déposée de façon toute spéciale entre ses mains.
  • Tout autre sera le statut juridique du second livre. Le moment venu, celui-ci sera présenté à l’autorité compétente, en même temps que lepremier livre dont il est le « complément ». Mais, contrairement aupremier livre, il ne sera pas l’objet d’une approbation formelle. Par le fait même, son contenu ne se trouvera pas « stabilisé », et les Chapitres Généraux de l’Institut pourront le modifier sans avoir à recourir à l’autorité compétente.

Cependant, les Instituts veilleront à ne modifier leur second livre que pour des raisons graves et après un discernement suffisant.

Que mettre dans le premier livre ?

Discerner ce qui est à placer dans le premier livre, et ce qui est à renvoyer au second, est particulièrement important. Il reviendra à chaque Institut de faire en Chapitre Général un tel discernement, conformément à son charisme et dans le respect de sa fin, et de sa nature. On peut cependant donner à ce sujet quelques orientations générales, dont tout l’Institut devra tenir compte :

– Le premier livre doit d’abord constituer pour l’Institut et ses membres une règle de vie au sens le plus profond du terme. Il doit être composé et rédigé de telle façon que les religieux puissent y attacher leur cœur, y revenir souvent dans la lecture et la prière, personnelle et communautaire. Son langage doit être clair et limpide, facile à inscrire dans la mémoire, comme l’est celui des Règles anciennes. On éliminera donc de ce premier livre, non seulement les formules ambiguës et à double sens, mais également les concepts et expressions « toutes faites » qui seraient trop marquées par notre temps : à la mode aujourd’hui, tout cela passera demain... Le premier livre doit pouvoir durer et résister à l’épreuve du temps ; on doit donc y retrouver les mots simples de toujours, ceux véhiculés par des siècles de tradition et dont ont vécu des générations de saints religieux. L’expérience de ces dernières années semble avoir démontré que les religieux goûtent davantage la manière de parler de leurs très anciennes Règles et de leurs vieux Directoires d’autrefois que le style, souvent intellectuel et froid, des textes votés à la hâte par les Chapitres Spéciaux, au lendemain du Concile.

– « Règle de vie » au meilleur sens du terme, le premier livre ne doit pas être seulement un ouvrage qu’on prend pour la méditation et la lecture spirituelle, même s’il est indispensable qu’il soit aussi cela.

Le premier livre doit être un « livre de vie », c’est-à-dire indiquant au religieux ce qu’il a à vivre, ce que doit être son type d’existence. C’est pourquoi, il ne peut se contenter d’énoncer des principes de théologie spirituelle, de décrire des attitudes purement intérieures, des mouvements de l’âme, des sentiments du cœur. Il doit également « camper » de façon claire une forme de vie bien visible, et qui soit, par là même, un signe et un témoignage dans le Peuple de Dieu.

Dans ce premier livre, doivent donc figurer côte à côte, et le plus mêlés possible, les principes spirituels qui inspirent la vie et l’action du religieux (ce qu’on pourrait appeler la spiritualité de l’Institut), et les exigences fondamentales qui découlent de ces principes, au niveau de l’agir et des attitudes de vie. Le premier livre ne sera une Règle de vie que dans la mesure où il tracera une route suffisamment dessinée pour qu’on puisse l’emprunter sans se payer de mots.

– Le premier livre définira donc d’abord l’esprit, le but, la nature de l’Institut, sa mission dans l’Église, le type de service apostolique qui est le sien. Tout ceci constitue les différents aspects, les diverses facettes de son charisme propre. On ne peut se contenter d’énoncer celui-ci au moyen de deux ou trois courtes phrases tellement vagues et générales qu’elles soient applicables à toute forme de vie chrétienne.

– Le premier livre définira ensuite les exigences en matière de conseils évangéliques, de vie communautaire, de vie de prière, etc., à tenir pour absolument fondamentales dans l’Institut, compte tenu de son charisme propre et de ce qui s’impose à toute vie religieuse.

Il est, en effet, des exigences s’imposant à toute vie religieuse, et auxquelles on ne peut opposer la spécificité de l’Institut sans changer la nature de celui-ci. Certes, le charisme de l’Institut fera qu’on mettra l’accent sur une exigence plutôt que sur une autre. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut plus parler de vie religieuse, si le premier livre ne reprend pas à son compte ou souligne de façon insuffisante ces éléments constitutifs et nécessaires de toute vie religieuse que sont, par exemple, le caractère perpétuel et public de la consécration, la vie en communauté, la mise en commun des biens et la dépendance que cela implique, l’obligation de placer sa vie sous l’obéissance et notamment d’accepter les obédiences et de prendre pour règle de conduite personnelle les Constitutions de son Institut, etc. Ces choses sont simplement évoquées à titre d’exemple, et la liste est loin d’en être exhaustive. Elles démontrent que le premier livre doit contenir un authentique programme de vie religieuse, aux arêtes vives et bien dessinées. Au candidat frappant à la porte de l’Institut et demandant : « Qui êtes-vous ? Que vivez-vous ? », on doit pouvoir tendre le premier livre, et dire : « lisez, la réponse est là ».

– En ce qui concerne le gouvernement, devront figurer, par exemple, dans le premier livre :

  • les articles plus généraux qui indiquent un esprit ;
  • ceux décrivant des structures d’ensemble, par exemple la division de l’Institut en provinces ;
  • ceux qui définissent l’essentiel des rôles de supérieur général, conseiller général, supérieur provincial, conseiller provincial, supérieur local, etc. ;
  • ceux qui fixent la composition du Chapitre Général, du Conseil Général ;
  • ceux qui concernent la durée des mandats des charges les plus importantes : supérieur et conseiller général, supérieur provincial ;
  • ceux qui précisent certaines conditions à remplir pour être nommé à ces mêmes charges ;
  • ceux qui disent comment le supérieur général et les conseillers généraux sont élus, comment les supérieurs provinciaux sont désignés ;
  • ceux qui déterminent le rôle particulier reconnu dans l’Institut au Chapitre général et aux chapitres provinciaux.

Là encore, ces points ne sont donnés qu’à titre d’exemple ; et il y en a d’autres à faire figurer dans le premier livre. Celui-ci, on le voit, comprendra nécessairement un ensemble de normes juridiques, même si le second livre en contiendra probablement encore davantage.

– En ce qui concerne la formation, le premier livre devra, entre autres choses :

  • présenter brièvement le but et le sens de la formation aux différentes étapes ;
  • dire quelles qualités sont particulièrement requises des candidats à l’Institut, compte tenu de son charisme ;
  • définir la durée de la probation préalable et du Noviciat. Cette durée peut être variable selon les personnes, mais il faut définir, conformément au droit commun, quelle sera dans l’Institut la durée minima et la durée maxima ;
  • préciser qui admet à la probation préalable et au Noviciat, qui a pouvoir de renvoyer un postulant, un novice ;
  • définir la nature de l’engagement prononcé au terme du noviciat : vœu ou promesses, ainsi que les obligations contractées par qui fait des promesses ;
  • préciser qui admet à cet engagement ;
  • fixer la durée de cet engagement dans l’Institut. Cette durée peut être variable selon les personnes, mais il faut alors définir, en conformité avec le droit commun, quelle sera dans l’Institut la durée minima (par exemple, 3 ans) et la durée maxima (par exemple, 9 ans) ;
  • préciser enfin qui admet à la profession perpétuelle, et sous quelle forme doit intervenir le Conseil du supérieur majeur désigné pour admettre : vote délibératif ou seulement consultatif.

En règle générale, une norme concernant la formation, mérite d’être d’autant plus stabilisée dans le premier livre qu’elle touche davantage aux personnes. Le respect dû aux candidats et aux jeunes religieux en formation, demande que ceux-ci sachent, une fois pour toutes, ce qui les attend et les diverses étapes par lesquelles ils auront à passer. Pour la même raison, il convient de placer dans le premier livre les précisions concernant le niveau d’autorité ayant le pouvoir d’admettre aux différentes étapes de la formation. Si ces diverses normes touchant de près aux personnes étaient placées seulement dans le second livre, un Chapitre Général à venir pourrait être tenté de les modifier en fonction des jeunes religieux directement en cause. Or, ceci ne serait sûrement pas sain.

Et les normes du droit commun ?

Avant le Concile, la plupart des Constitutions reproduisaient les divers articles du Code de droit canonique concernant la vie religieuse, les élections, les biens temporels. D’où la question : les normes du droit commun doivent-elles figurer dans les futures Constitutions définitives des Instituts ?

À une telle question, il faut répondre : oui. Il convient, en effet, que les religieux puissent connaître l’ensemble des normes qui régissent leur vie, que celles-ci fassent partie du droit commun, ou soient particulières à leur Institut. En outre, les normes du droit commun et celles du droit particulier sont tellement intimement mêlées les unes aux autres dans la vie concrète et quotidienne d’un Institut, que les séparer serait pratiquement impossible.

Une autre question doit être posée : le Instituts ayant choisi de distribuer la matière des Constitutions en deux livres distincts, conformément à ce qui a été dit plus haut, devront-ils faire figurer les normes du droit commun dans le premier livre ou dans le second livre ? Ici, il importe de bien distinguer :

  1. les nonnes du droit commun ne faisant que reprendre dans un langage canonique une obligation fondamentale de toute vie religieuse, par exemple : l’obligation de la vie commune, de verser à la Communauté tout argent reçu au titre d’un salaire ou d’un don, de participer quotidiennement, sauf empêchement, à la Messe, etc. ;
  2. celles de nature plus proprement juridique, par exemple, celles qui concernent les biens patrimoniaux des religieux, la séparation d’avec l’Institut, l’aliénation des biens de l’Institut, etc.

Les normes de type (a) prendront tout naturellement place dans le premier livre. La question ne vaut donc que pour celles de type (b), à caractère proprement juridique.

Placer dans le premier livre les normes de type (b), à caractère juridique, peut présenter un inconvénient : alourdir un texte qui doit demeurer essentiellement inspiratif et dynamisant.

Les placer dans le second livre a un autre inconvénient, non moins grave : mêler ensemble et mettre sur le même pied des normes auxquelles les Chapitres Généraux ne peuvent toucher, du fait qu’elles appartiennent au droit commun, et d’autres normes qu’ils peuvent librement modifier. Et la méthode qui consisterait à indiquer d’un signe particulier, placé dans la marge, les normes du droit commun, semble insuffisante à assurer la stabilité de celles-ci.

C’est pourquoi, la sagesse commande de placer également dans le premier livre les normes du droit commun à caractère juridique. Mais, afin de ne pas risquer d’alourdir le texte, on ne placera pas ces normes dans le corps même des chapitres du premier livre ; on les regroupera toutes à la fin de celui-ci, dans une sorte d’Annexe ou d’Appendice, faisant partie intégrante du premier livre, mais ayant sa place bien à part.

[1Pour plus de renseignements, on peut consulter notre cours ronéotypé : Que mettre dans les nouvelles Constitutions des Congrégations religieuses ? (Paris, 1977), que l’on peut se procurer aux Ateliers de Frileuse, Carmel, F 91640 Briis-sous-Forges (traduction anglaise dans les « Publications » de la Conférence religieuse canadienne, Ottawa).

[2D’un pointage fait à partir de 110 Congrégations dont nous connaissons bien les projets, ressort ceci :– 15 d’entre elles ont déjà terminé leurs Constitutions définitives (1 en 1977, 7 en 1978, 7 en 1979) ;– 20 comptent les avoir terminées en 1980 ;– 34, en 1981 ;– 29, en 1982 ;– 11, en 1983 et une en 1984.

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