Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Vers l’union à Dieu dans toute la vie

Jean Delcuve, s.j.

N°1979-5 Septembre 1979

| P. 287-304 |

Dans un style direct et simple, l’auteur nous communique le fruit de son expérience. Après avoir rappelé avec force que la communion à Dieu dans toute la vie est un pur don gratuit, il marque l’absolue nécessité de notre collaboration : le « prix de la grâce ». Et il évoque les conditions nécessaires, les diverses situations rencontrées, les pratiques à mettre en œuvre. Ces pages éclairent des points essentiels de l’éducation à la prière réelle, qui nous introduit au cœur du monde et du mystère trinitaire.

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Si l’Esprit met en toi le désir...

Si l’Esprit met en toi le désir de l’unité entre ta prière et le reste de ton activité – car la vraie prière est une activité du cœur, au sens biblique du mot – ou du regard contemplatif dans toute ta vie, ou de ton unification dans le Christ, ou d’une constante union filiale au Père, ou encore d’une entière docilité vis-à-vis de lui – tous désirs qui acheminent finalement au même résultat : l’union à Dieu dans toute la vie –, bénis-le et remercie-le, car c’est une grande grâce qu’il te fait. Ne la laisse pas passer, mais demande-lui de t’ouvrir entièrement à son action et d’y collaborer, à la clarté de ce qu’il t’enseignera progressivement comme conditions nécessaires à l’accomplissement de ce désir.

Sache que lui seul peut opérer cette unité, rendre effectif ce regard, réaliser cette unification, cette union, cette livraison de tout toi-même à lui. C’est lui qui en fait naître le désir, qui l’intensifie et le rend efficace. Dans notre vie spirituelle, il est toujours premier ; il l’est à son éveil comme tout au long de sa croissance. Tout revient donc pour toi à te livrer à son emprise, sans condition ni réserve, à t’abandonner à sa conduite, te laissant guider par lui là où spontanément tu n’irais pas, à être accueillant à son action, souple à l’imprévisibilité de celle-ci, car l’Esprit est souverainement libre. Il t’invitera à des choix, à des renoncements auxquels tu n’avais pas songé ou auxquels, pressenti, tu répugnes naturellement. Remarque que ta liberté de chrétien est une liberté de communion à la liberté de Dieu. Tu seras libre dans la mesure où ta volonté coïncidera avec celle de Dieu, s’exercera dans la dépendance de l’Esprit.

Ta collaboration

Si la réalisation de ce désir dépend d’abord de l’Esprit, elle te concerne secondement. Personne ne peut vouloir cette unité de vie à ta place. Dans la dépendance et la force de l’Esprit, sans le précéder mais en lui apportant toute ta collaboration, tu dois la vouloir personnellement et consentir aux options et aux sacrifices qui la conditionnent.

Ce n’est pas que d’autres ne puissent t’y aider, une communauté évangélique, de solides amitiés spirituelles, et en premier lieu, un témoin de Dieu et de son action dans ta vie. Il t’aidera à reconnaître l’action de l’Esprit en toi, à discerner ses appels d’autres voix : celles qui viennent du malin ou de l’homme charnel en toi, à mieux voir la route sur laquelle l’Esprit t’invite à avancer. Il stimulera ta volonté : il sera, au besoin, ta mémoire, te rappelant l’œuvre de l’Esprit et ses appels ; il t’en montrera la sagesse, la bonté. Il t’aidera à marcher à la clarté des lumières reçues quand ce sera nuit, à attendre, dans l’humilité et l’espérance, le retour de la lumière, à comprendre la signification des silences divins ; il te guidera dans ton combat spirituel. Mais toute son aide se fera en référence à l’Esprit. Il est essentiellement son témoin, le témoin de son action.

C’est dire que la vie divine et sa croissance en toi sont directement l’œuvre de l’Esprit : son action est pré-requise à l’aide du témoin de Dieu. Sans doute cette dernière n’est pas à minimiser : son expérience, sa connaissance des voies de l’Esprit, de ses modes d’action et de leurs fruits, son « sens » du Christ et de l’Église te seront extrêmement précieuses pour reconnaître sûrement les venues de l’Esprit en toi. Toute ta vie, tu béniras Dieu des hommes qui furent pour toi les instruments privilégiés de l’Esprit. Mais, dans la mesure même où ils souhaitent être ses instruments, ils ne cesseront de se référer à lui, et par lui au Christ et au Père et de t’y renvoyer. Si importante que soit leur aide, l’action de l’Esprit se situe à une autre profondeur et, à ce niveau, tout se passe entre l’Esprit et toi.

L’Esprit, le cadre de vie, les structures extérieures

Souverainement libre, l’Esprit l’est aussi vis-à-vis du cadre de vie, des structures : son action ne s’enferme dans aucune d’elles ni dans leur ensemble. Il peut parfaitement opérer en dehors d’elles, et il le fait. Est-ce à dire que certaines structures ne sont pas aidantes, voire ne rentrent pas dans le dessein de l’Esprit sur un homme ? Du tout. Lorsque l’Esprit, par exemple, appelle un homme, une femme à marcher à la suite du Christ sur une route d’Évangile que trace la Règle d’une famille religieuse, c’est normalement dans le respect de celle-ci qu’il insère son action. Il parle par elle, il conduit à travers elle, il incline, de l’intérieur, à son observance, sans préjudice de ses appels particuliers. L’important est que la règle de vie soit pratiquée en dépendance de lui, comme chemin de conformation au Christ, d’union filiale au Père et à sa volonté. La Règle ne constitue pas un tout fermé sur lui-même. Elle doit être pratiquée comme chemin d’union à Dieu, au sein d’une communion aimante avec lui. Elle n’est source de vie qu’à l’intérieur de cette communion. Elle est un « sacramental » de Dieu, de ses venues, de son amour. Sa fonction importante est une fonction de médiation : elle doit ouvrir à Dieu et à son vouloir.

Certaines ordonnances de la Règle visent à créer une ambiance de silence, de recueillement destinée à permettre l’attention à Dieu partout présent et demeurant en nous, l’audition de sa parole – car le plus souvent, par respect pour la liberté de l’homme, l’Esprit parle à voix « basse » –, à favoriser le dialogue intime avec Dieu, à développer le regard contemplatif qui rejoint les êtres en leur profondeur trinitaire, là où Dieu leur donne leur être, leur agir, et qui permet la vision de Dieu à l’œuvre en eux. De ces ordonnances, la grande tradition religieuse, fruit d’une sagesse venant de l’Esprit, atteste l’importance, et ce n’est jamais en vain qu’on les minimise : trop de faits le montrent.

Certes, de ces structures extérieures de silence, le religieux apôtre envoyé en plein vent doit pouvoir se passer, mais elles ont dû créer en lui des structures intérieures de recueillement, capitales s’il veut demeurer en tout docile à l’Esprit. Au reste, lorsque l’Esprit n’appelle pas à la vie religieuse mais à une vie toute livrée à lui en dehors d’elle, il invite ceux qu’il appelle à ce don à assumer personnellement certaines structures plus souples mais réelles de silence, de recueillement. Le Christ lui-même ne s’en est pas dispensé, lui qui priait à l’écart, des nuits durant, et qui s’arrachait parfois à l’activité pour se retirer dans des lieux déserts, à preuve ce passage de l’Évangile de Luc : « On parlait de lui (Jésus) de plus en plus et de grandes foules s’assemblaient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Et lui se retirait dans les lieux déserts, et il priait » (Lc 5,15 et 16).

L’unité de la vie et l’union à Dieu

Si tu veux réaliser ton unification dans le Christ, l’union filiale au Père, vivre le regard contemplatif qui voit tout à travers les yeux de Jésus, dans la lumière de l’Esprit, celui-ci doit t’avoir fait comprendre intérieurement la valeur absolument première de l’union à Dieu – de l’union au Père avec et dans le Christ, dans la dépendance de l’Esprit –, tout au long de la vie.

Si tu regardes le Christ, tu t’apercevras très vite qu’au cœur de sa vie, il y a son union filiale au Père et que c’est cette union qui fait l’unité de sa vie. Au témoignage de l’Épître aux Hébreux, sa première parole en entant dans ce monde fut « Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,7-9). Aux disciples qui le pressent de manger après sa conversation avec la Samaritaine, il répond : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4,34). Parlant de son départ, il déclare : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que « Je suis » et que je ne fais rien de moi-même : je dis ce que le Père m’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,28-29). Dans les paroles qu’il prononce, dans l’enseignement qu’il donne, dans les œuvres qu’il accomplit, il est en totale dépendance du Père et de son vouloir : il ne fait rien de lui-même. Son avant-dernière parole sur la Croix est pour constater qu’il a accompli toute la volonté du Père : « Tout est achevé » (Jn 19,30). Comment ne pas rappeler aussi cette parole de lui, qui en même temps que son union, laisse percevoir son regard contemplatif : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne voie faire au Père » (Jn 5,19) ?

Ainsi toute la vie du Christ se déroule en présence du Père, le regard tourné vers lui, en ouverture au Père, en communion filiale avec le Père ; elle est aussi orientée toute entière à la seule gloire du Père. Par suite de cette dépendance filiale continue, l’action du Christ s’insère dans celle du Père : c’est une activité de parfaite communion. À l’apôtre Philippe qui lui demande de montrer le Père, Jésus répond : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même. Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres » (Jn 14,10).

A la clarté de certains textes d’Évangile on entrevoit que l’unification de la volonté humaine du Christ dans celle du Père se fait sous la motion de l’Esprit : il est conduit par lui.

Comme il en fut pour le Christ, l’union filiale au Père et à sa volonté doit être au cœur de ta vie. Elle passe par une communion au Christ, une demeure en lui. Souviens-toi de l’allégorie de la vigne et des sarments : « Demeurez en moi comme je demeure en vous. De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même produire du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,4-5). Et cette double communion au Fils et au Père se réalise dans une dépendance de l’Esprit. Ce n’est que progressivement que l’Esprit te dévoilera cette triple dimension de l’union à Dieu. Le plus souvent, il commence par attirer à une union au Christ ou à Dieu dans son unité. Laisse-toi attirer par lui à la forme d’union qu’il veut en ce moment pour toi.

Pour la réalisation de cette union, l’Esprit te fera comprendre que tu dois mettre Dieu non seulement au terme de ton activité, en la lui offrant après l’avoir décidée par toi-même, mais au principe de celle-ci en la laissant choisir par Dieu, et que tu dois la développer en dépendance de lui, en ouverture à lui. C’est ainsi que ton activité s’insérera dans celle de Dieu, qu’elle en découlera. Une oraison liturgique – l’oraison du contemplatif dans l’action – exprime bien la totalité de la priorité qui doit revenir à Dieu dans toute ton activité : « Que ta grâce inspire notre action, Seigneur, et la soutienne jusqu’au bout, pour que toutes nos prières et nos activités prennent leur source en toi et reçoivent de toi leur achèvement [1] ».

L’unité de ta vie sera en voie de réalisation – elle est toujours à parfaire – lorsque toute ton activité, qu’elle soit prière explicite ou autre modalité d’action, prendra sa source dans une impulsion de l’Esprit et se poursuivra en dépendance de lui. C’est une des directives que saint Paul donnait aux Galates : « Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi sous l’impulsion de l’Esprit » (Ga 5, 25). C’est dire que c’est lui – à travers les indications de la route d’Évangile qu’il t’a appelé à suivre comme à travers ses appels particuliers –, qui harmonisera dans ta vie la part de la prière explicite et de l’activité unie à Dieu. Quand tu seras en tout conduit par l’Esprit, la dualité qui existait entre ta prière et ton action sera résolue par une union permanente à Dieu rythmant ta vie au gré du vouloir de l’Esprit. L’Esprit te donnera de comprendre que ce n’est pas l’activité voulue par Dieu pour toi et réalisée en dépendance de Dieu qui t’écarte de lui, mais l’activité partiellement ou entièrement réalisée « en dehors » de lui, de son vouloir.

Union à Dieu dans ton activité et mouvements du cœur vers Dieu

Tu peux distinguer dans tes activités trois sortes d’actions.

1. Des actions qui ne requièrent de ta part que peu d’attention pour être posées : elles se font quasi machinalement tant elles sont simples, tant tu en as l’habitude. Songe, par exemple, aux toilettes du matin et du soir, à certains trajets que tu fais plusieurs fois par jour sur un parcours peu fréquenté, etc. De telles actions te gardent libre l’usage de tes pensées : tu peux les tourner vers Dieu. Elles laissent libres les mouvements de ton cœur pour un commerce explicite avec le Seigneur : tu peux les accomplir en conversant avec lui, soit que ton cœur seul lui parle, soit que l’amour du cœur s’explicite en langage des lèvres. Si l’Esprit t’invite à les accomplir dans un dialogue avec le Seigneur, sois généreux à y répondre. Tu verras, au bout de mois et d’années, quelle intimité elles t’ont permis de nouer avec lui.

2. Il est d’autres actions qui tout en réclamant plus d’attentions, laissent suffisamment libre ton esprit pour te permettre un certain entretien avec le Seigneur : ne l’omets pas dans la mesure où l’Esprit t’y incline. Ainsi en est-il de certains travaux manuels, de certains travaux de ménage.

Le propre de ces deux premiers genres d’actions est de laisser libre jeu aux mouvements de l’affectivité. Tu peux converser avec toi, ruminer un ou plusieurs événements : l’amertume d’une blessure reçue, la joie d’une rencontre, songer aux grands ou petits événements de l’heure, ressasser des soucis, faire des projets, tu peux revenir sur le passé ou rêver à l’avenir. Suivant que l’Esprit t’y incline, mêle Dieu à ton dialogue intérieur ou impose silence à celui-ci pour mieux converser avec Dieu. Veille à soumettre à l’Esprit les pensées et les mouvements de ton cœur, les exposant à la lumière de Dieu, à la chaleur de son amour, les confrontant avec les pensées et les sentiments du cœur du Christ. Saint Alphonse Rodriguez, le portier jésuite de Majorque, disait : « Quand j’éprouve une amertume en moi, je la mets entre Dieu et moi et je le prie jusqu’à ce qu’il la transforme en douceur [2] ». Fais de même, avec l’aide de l’Esprit. Mets les mouvements de ton cœur qui ne sont pas selon Dieu – selon le Christ – entre Dieu ou le Christ et toi, et prie-le jusqu’à ce qu’il les transforme en mouvements selon son cœur. Laisse le Christ conformer tes sentiments aux siens. Laisse l’Esprit orienter les pensées de ton cœur vers Dieu, son amour, son service, la communion à son amour des hommes, vers la louange, l’action de grâces, la supplication. Tu seras vite amené à faire la constatation que ce ne sont pas ces actions voulues par Dieu qui te distraient de lui, mais certains mouvements de ton cœur. C’est sur celui-ci que tu dois veiller.

3. Il est enfin des actions qui réclament toute ton attention. Sauf grâce spéciale, elles ne permettent pas l’orientation explicite de la pensée vers Dieu. Mais elles doivent être accomplies en état d’ouverture du cœur à Dieu. Alors le cœur demeure en éveil, tourné vers Dieu. C’est si vrai que tu remarqueras immédiatement si tu « sors » tant soit peu de Dieu. Et, à certains moments, le cœur, tenu en éveil par l’Esprit, exprimera à Dieu son amour. Si semblables actions ont leur source dans l’Esprit et sont orientées par lui vers la gloire du Père, elles te rapprochent de Dieu : alors même que tu ne penses pas explicitement à lui, ton cœur demeure orienté vers Dieu. Comme tu le vois, pour ce troisième genre d’actions, c’est encore sur ton cœur qu’il te faut veiller.

Pareille union à Dieu, c’est trop clair, ne se réalise pas sans combat, sans ascèse. Il s’agit d’harmoniser constamment ta volonté à celle du Père, de conformer les mouvements de ton cœur à ceux du Christ, de t’accorder à l’imprévisibilité de l’Esprit. Les progrès de l’union à Dieu dans l’activité sont liés au progrès de la conversion du cœur. Sans cette conversion, pas de regard contemplatif. Si le regard met en branle le cœur, il est plus encore le fruit de l’orientation du cœur faisant regarder vers l’être aimé.

L’union à Dieu et l’activité directement caritative ou apostolique

Par ton offrande unie à celle du Christ au Père pour la vie du monde – à condition que tu la vives effectivement –, par ta communion à Dieu au sein de ton activité, toute ta vie devient apostolique, l’Esprit l’insérant dans celle du Christ Sauveur. Tes activités plus directement caritatives ou apostoliques rentrent dans la deuxième ou troisième catégorie d’actions que nous avons distinguées. Accomplies en dépendance de l’Esprit, du vouloir du Père, en conformité de sentiments et d’intentions avec ceux et celles du Christ, elles sont intégrées par l’Esprit dans l’œuvre rédemptrice que le Père accomplit aujourd’hui à travers le Christ ressuscité. Tu deviens ainsi son collaborateur. Si l’Esprit te donne d’en percevoir parfois quelques résultats, accueille-les dans l’humilité et l’action de grâces, car ta collaboration est toute sous-tendue par son action et celle du Christ ressuscité. Mais le plus souvent ses effets te resteront cachés. C’est dans la foi qu’il te faut œuvrer au salut du monde, abandonnant au Père la valeur rédemptrice de ton activité dans le Christ. Qu’il te suffise de t’en remettre au Père. Que sa gloire soit tout pour toi comme elle l’était pour Jésus.

L’union à Dieu, les circonstances de la vie, les événements

L’Esprit te fera comprendre que le milieu de vie que le Père veut pour toi est « divin », parce qu’il est habité par la présence de la Très Sainte Trinité et qu’elle y est à l’œuvre pour toi. Certes, tous les milieux de vie ne se situent pas en pleine pâte humaine, ne sont pas exposés à tous les vents : il en est de plus « protégés ». Mais, dans la mesure où le Père t’y veut, ne le considère pas comme un milieu irréel, parce qu’il est celui qu’il a choisi pour toi et dans lequel il veut agir en toi et par toi. Mais n’y sois pas attaché comme à un absolu : laisse Dieu te transplanter quand et où il le voudra. Le plus souvent, ta vie se passera partiellement en milieu extérieurement plus fermé et partiellement en milieu ouvert. Si tu vis en milieu plus clos, garde les yeux ouverts sur le monde à sauver avec le Christ, porte en toi, avec lui, l’humanité tout entière : il est important que ton regard et ton cœur ne soient pas enfermés entre quatre murs. Laisse l’Esprit transformer ta vie en rencontre avec Dieu dans les divers milieux où la providence du Père te place. L’Esprit t’enseignera la manière de le faire.

Pour ta vie d’union à Dieu, il est important que l’Esprit t’ait découvert le caractère « sacramental » de tout événement. Aucun événement ne peut venir s’interposer entre l’amour que le Père te porte dans le Christ et toi. Dans tout événement, Dieu est caché et vient à toi avec son amour. Médite longuement, dans la lumière de l’Esprit, les versets 31 à 39 du chapitre 8 de l’Épître aux Romains, surtout les versets 38 et 39 : « Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur ». Prie l’Esprit de t’enseigner la manière d’accueillir tout événement de manière à t’ouvrir à l’amour de Dieu qui vient à toi à travers lui. Peut-être, l’accueil de cet amour te demandera-t-il de travailler à changer le cours de cet événement ; peut-être, te demandera-t-il de te changer toi-même face à cet événement en modifiant tes sentiments, ton attitude, de manière à l’accueillir comme une venue de Dieu à toi. Ou, si tu préfères, laisse-toi interpeller par Dieu à travers l’événement. Le discernement de l’interpellation est souvent délicat ; une chose est certaine : c’est que la signification profonde de cette interpellation va toujours dans le sens d’une plus étroite conformation au Christ, à ses attitudes intérieures, à ses comportements extérieurs, d’une plus grande docilité à l’Église.

L’union à Dieu et les relations avec les hommes

L’Esprit t’éclairera sur la profondeur divine de chaque homme, invisible aux seuls yeux humains, sur Dieu « plus intime à tout homme que celui-ci ne l’est à lui-même ». Chaque homme que tu abordes ou qui t’aborde, avec lequel tu converses, a une profondeur trinitaire : au moment même où tu noues contact avec lui, son existence et son agir s’enracinent dans l’acte créateur du Père, du Fils et de l’Esprit. Il est l’objet de leur amour créateur et tous ses dons, ses qualités ont leur source première en Dieu. Cela est vrai de tout homme au moment même de ta rencontre avec lui et aussi longtemps que dure celle-ci.

Mais l’acte créateur est ordonné à l’adoption filiale des hommes par le Père, par et en son Fils, par et dans l’Esprit. Lors de ton contact avec un homme, le regard de foi te permet de voir en lui un fils du Père, un frère du Christ, un consacré par l’Esprit Saint, en fait ou en espérance. Habitue-toi à n’aborder chaque homme que dans cette clarté trinitaire. Songe que la Trinité l’habite d’une demeure de donation amoureuse, ou qu’elle l’appelle à cette demeure. De toute façon, tout homme est actuellement l’objet de l’amour sauveur du Père qui, pour lui comme pour toi, a livré son Fils, du Fils qui a donné sa vie, de l’Esprit par lequel Jésus a opéré le mystère de la rédemption et qui réalise l’adoption filiale. Tu ne peux oublier non plus l’identification révélée par Jésus entre tout homme dans le besoin et lui-même. Imprègne-toi de la relation faite par Jésus du jugement dernier, que saint Matthieu nous rapporte au chapitre 25 de son Évangile, versets 31 à 46.

Pour voir un homme dans toute sa réalité, il faut le regarder dans sa profondeur trinitaire, dans la lumière de l’amour actuel des Trois pour lui. Voir tout homme dans cette clarté nous fait l’aborder autrement, même s’il nous est peu sympathique, voire s’il nous a offensé. Encore faut-il que, dans tes rencontres, tu demeures dépendant de l’Esprit, uni par lui au Seigneur Jésus et en celui-ci au Père, afin que, dans tes contacts, tu revêtes les sentiments intérieurs qu’ils désirent de toi, adoptes les comportements extérieurs qu’ils souhaitent, mieux, que tu les laisses aimer en toi. Pour cela, tu devras t’être mis longuement, dans la lumière de l’Esprit, à l’école du Christ, tu devras laisser celui-ci éduquer ton cœur et le conformer progressivement au sien.

L’union à Dieu et la mise en pratique de quelques directives de l’apôtre Paul

« Priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus » (1 Th 5,17.18).

« Ne soyez inquiets de rien, mais en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnée d’action de grâces, faites connaître vos demandes à Dieu » (Ph 4,6).

« En tout temps, à tout sujet, rendez grâce à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ » (Ep 5,20).

Médite ces textes et supplie l’Esprit qu’ils deviennent pour toi une lumière de vie. Laisse l’Esprit t’initier à la prière en toute circonstance :

prière par laquelle tu exposes tes demandes à Dieu, lui abandonnes tes soucis ;

prière de supplication pour que Dieu te vienne en aide, pour qu’avec et comme le Christ tu acceptes de dépasser certains mouvements spontanés de ta sensibilité ou de ta volonté pour les conformer à la volonté de Dieu. Lors des grandes épreuves, fais tienne la prière du Christ à l’agonie : « Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mt 14,36) ;

prière d’action de grâces. Paul écrit « en tout temps », « à tout sujet ».

Plusieurs préfaces du sacrifice eucharistique font écho à cette directive ; elles commencent par ces mots : « Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire et de t’offrir notre action de grâce toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant ». « Toujours », « en tout lieu », « à tout sujet », ce ne sont pas là de vains mots : ils recouvrent une réalité de foi, à savoir qu’il n’y a aucun moment de notre existence, aucun lieu, aucune circonstance dans lesquels nous puissions nous trouver qui ne soient enveloppés de la présence et de l’amour de Dieu. Demande à l’Esprit Saint de t’ouvrir les yeux à cette présence et à cet amour.

Il est deux autres conseils du même Apôtre dont la mise en pratique favorisera ton union à Dieu : « Soit... que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites-le pour la gloire de Dieu » (1 Co 10,31).

« Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père » (Col 3,17).

La pratique de ces deux consignes te conduira loin sur la route de l’union à Dieu, avivera ton regard contemplatif si, en songeant au Seigneur Jésus, au Père, tu te rends présente leur présence.

La « prière de Jésus »

La répétition de la « prière de Jésus » – qu’il vaudrait mieux appeler la prière à Jésus – chère aux moines d’Orient : « Jésus, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur » peut t’unir d’une façon très simple à Jésus, si tu la formules non seulement avec tes lèvres mais avec tout ton cœur. Elle favorise la mémoire de Jésus, de sa présence, de son amour sauveur. « Une des plus grandes grâces qu’un homme puisse obtenir en ce monde, note justement Jean Lafrance, est de découvrir que, dans le nom de Jésus, il peut unifier toute son existence, prier en toutes circonstances et vivre à l’aise partout [3] ».

L’union à Dieu et l’Eucharistie

La célébration de l’Eucharistie est un moment privilégié de ta rencontre avec les trois Personnes divines. La consécration te met en présence du sommet de l’amour sauveur du Père, du Fils et de l’Esprit. Du Père qui t’a tant aimé ainsi que tous les hommes qu’il envoya son Fils unique en victime d’expiation pour nos péchés et pour que nous vivions par lui (cf. 1 Jn 4,9-10). Du Fils qui pour toi et la multitude humaine livra son corps et versa son sang. De l’Esprit qui forma le cœur du Christ Sauveur, conduisit son amour jusqu’à l’extrême, et qui opère le changement du pain et du vin dans le corps et le sang de Jésus. Ouvre-toi tout entier à cette présence des Trois dans le sommet de leur amour rédempteur.

À la messe, le Christ renouvelle son offrande au Père pour ton salut et celui du monde entier. Mais il te demande de t’y unir en permettant à l’Esprit de faire de toi « une vivante offrande à la louange de la gloire du Père » (cf. Prière eucharistique IV). Dans la force de l’Esprit, librement, engage ta personne et ta vie dans l’offrande du Christ. Mais n’oublie pas que ton offrande, si tu l’as faite d’un cœur sincère, doit marquer toute ta vie. Tu as à transformer ton existence en un sacrifice continuel, faisant tienne la directive de Paul aux Romains : « Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant ; saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel ». Et Paul d’en tirer la conséquence de vie : « Ne vous conformez pas au monde, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rm 12,1-2). Tu expérimenteras combien cette vie en état de discernement de la volonté de Dieu t’unira à lui. Et ton offrande vécue, en union avec celle du Christ, assure à ta vie une valeur rédemptrice.

Au moment de la communion, la Trinité se donne à toi, dans l’amour qu’elle te porte. Le Fils, certes, et dans un but très précis qu’il nous a signifié lors du discours sur le pain de vie : que tu vives de sa vie (cf. Jn 6,57). Mais le Père aussi se donne à toi pour intensifier ta filiation divine. Et l’Esprit vient en toi prendre davantage possession de toi, t’insérer plus profondément dans le Christ, dans son offrande au Père et t’unir en lui à tous les hommes. Ouvre-toi tout entier à leur accueil, à l’accueil de leur vie, de leur charité. Car la communion est le moment où Jésus, le Père et l’Esprit te partagent leur cœur pour que tu les aimes de l’amour dont ils s’aiment et entres en communion avec leur amour pour les hommes. Tu auras à faire de tes journées une réponse d’amour à leurs prévenances, une communion à leur amour pour les hommes en étant, en quelque sorte, le « sacrement » de leur amour pour eux. Pour cela, il te faudra vivre tes relations humaines en état d’ouverture au cœur du Christ, au cœur du Père, à la charité de l’Esprit demeurant en toi afin d’en être, quelque peu de moins, la transparence. L’Esprit t’y aidera si tu lui demeures docile.

Progressivement tes commuions doivent te transformer dans le Christ, te faire vivre de sa vie, participer à son offrande, compénétrer ton cœur de la charité qui remplit le sien.

L’office divin, prolongement de la prière eucharistique, te met en contact avec le Christ et toute l’Église, dans l’adoration et la louange du Père, l’action de grâces, l’intercession, la supplication pour le pardon, en même temps qu’il actualise les mystères de la vie de Jésus et de sa Mère.

L’union à Dieu et l’oraison

Si tu veux devenir un familier de Dieu, l’oraison est capitale, encore qu’il te faille avoir une conception juste de celle-ci. Elle est essentiellement une rencontre, dans la foi, l’espérance et la charité, avec le Dieu vivant : le Père, le Fils, l’Esprit, une ouverture de toute ta personne à Dieu, son amour, sa parole, son action, ses vouloirs, ouverture qui te conduise au don de tout toi-même à lui, dans la vérité et l’amour. Tout le reste est cheminement vers cet essentiel, approche de cet essentiel. Ne confonds pas cet essentiel avec une présence matérielle à la prière, ou une présence à toi-même, voire à un auteur spirituel : la véritable oraison est présence à Dieu, accueil de Dieu, ouverture à Dieu, dialogue avec Dieu. Son but est de faire de toi un « amoureux » de Dieu, un fils aimant du Père, un intime du Christ, étroitement associé à son œuvre rédemptrice, un familier de la Très Sainte Trinité, un témoin auprès des hommes de son invisible amour. Elle doit réaliser progressivement en toi une conformation de ta personne au Christ (cf. Rm 8,29), un revêtement de celui-ci (cf. Rm 13,14), une « filialisation » de toi-même à l’égard du Père (cf. Rm 8,15-16), une livraison vraie à l’Esprit (cf. Rm 8,14), un cœur filial à l’égard de la Vierge, un cœur fraternel à l’égard des hommes, une évangélisation de tout toi-même par une longue fréquentation du Christ et de ses mystères.

Comme tu le vois, l’oraison est fondamentalement école de formation de ton cœur au contact de la charité du Christ, du Père, de l’Esprit, et, ajoutons-le, de la Vierge. Mais elle est aussi école du regard : elle doit éclairer pour toi, dans la lumière de l’Esprit, les réalités de la foi, te les rendre personnelles, vivantes, de manière que tu puisses vivre ta vie à leur clarté, y intégrer toute ton existence. Elle doit former et développer sans cesse ton « sens » de l’« invisible », absolument requis si tu veux devenir contemplatif dans toute ta vie. A la clarté de cet invisible, tu découvriras Dieu « plus intime à toi-même que toi-même », la merveille d’amour de l’inhabitation des Trois en toi, la profondeur trinitaire de ton être, celle de tout homme, de tout être, de tout événement, car la Trinité est la source perpétuellement jaillissante de tout ce qui existe [4] – tu découvriras que ton milieu d’existence le plus intime, comme celui de tout être est « divin », car « c’est en Dieu... que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (cf. Ac 17,28) –, tu comprendras que toute beauté, toute bonté, tout le positif de chaque être ont leur source en Dieu et sont une participation de ses infinies perfections, car « tout est de lui et par lui » (cf. Rm 11,36). Ces clartés intérieures sont extrêmement importantes si tu veux voir Dieu, la Trinité, en tout et tout voir en Dieu, en la Trinité.

Enfin l’oraison doit créer en toi une pente du cœur qui te ramène spontanément à Dieu au cours de tes activités. Aucune vraie maman ne prend la résolution de penser à ses enfants au cours de ses journées : elle y est ramenée par la pente de son cœur. Au début de ta vie spirituelle, l’Esprit t’inclinera à prendre la résolution de penser à Dieu, à certains moments déterminés, mais quand il t’aura rendu « amoureux » de Dieu, tu seras ramené à lui par la pente même de ton cœur.

En dehors de l’oraison tu as à vivre, sous l’action de l’Esprit, les réalités de la foi qu’il t’aura découvertes et rendues familières. C’est la foi – lumière sur l’invisible – qui doit éclairer ta vie. Je ne sais plus quel romancier a imaginé une fourmi réduite aux seules dimensions de la longueur et de la largeur, se heurtant à des problèmes insolubles dans un espace à deux dimensions, mais qui ne le sont nullement dans un espace à trois dimensions. Ne réduis pas ta vue aux trois dimensions de l’espace ; intègre celle de l’« invisible » : c’est la plus importante, celle qui éclaire le sens de la vie et de la destinée humaine, projette sa clarté sur tout l’univers que découvrent nos yeux, te montre Dieu présent et agissant au cœur de tout le réel.

Une remarque en passant : si utile que puisse être la vraie théologie, qui est réflexion sur la foi, elle ne se confond pas avec celle-ci. Ce sont les réalités de la foi qui sont esprit et vie, non la théologie.

L’union à Dieu et l’instant présent

À chaque moment, seul l’instant présent nous est donné. Or Dieu y est présent avec son amour. D’où l’extrême importance de l’accueil de Dieu et de son amour dans l’instant présent. Permets-moi de te citer deux pages de Jean Lafrance dans son beau livre Prie ton Père dans le secret [5] : elles expriment exactement ce que je souhaite te dire.

Tu seras un homme de prière continuelle si tu sais laisser venir à toi l’instant présent comme un cadeau de Dieu. Tu sais bien que ta vie devient prière le jour où tu livres ton être au Père dans le sacrifice de Jésus. Ton existence devient un sacrifice spirituel à la gloire de la Trinité. Mais le don de toi-même n’est vrai et réel que si Dieu t’entraîne sur le terrain où il veut te mener. Habituellement, tu veux fabriquer ton offrande toi-même alors que Dieu te demande autre chose : le plus souvent ce à quoi tu tiens comme à la prunelle de tes yeux. Laisse à Dieu le soin de prendre dans ta vie ce qu’il veut pour en faire la matière de ton sacrifice spirituel. Ainsi tu seras en état de totale disponibilité vis-à-vis de l’action de Dieu en toi.

Et c’est là précisément que tu rejoins l’instant présent, c’est la charnière entre la vie éternelle et la vie quotidienne, dit le Père Loew. Tu veux te livrer tout à Dieu mais tu dois lui laisser la manière et la forme de réaliser ce don. Et il réalise sa volonté d’amour en toi à travers le dédale de ton histoire personnelle. Chaque instant de ta vie est une parcelle de cette histoire sainte, et il vient à toi avec une volonté précise de Dieu. C’est là, à cet instant précis, que tu dois vivre ce don de toi-même au Père.

Ne choisis pas l’événement, il vient à toi d’une manière imprévisible et te surprend par son étrangeté. Si tu le subis passivement, tu vis ton histoire comme un destin ; si tu l’assumes en profondeur comme une volonté de Dieu, tu fais de ta vie une histoire sainte. Comme le Christ a fait de sa mort apparemment imposée de l’extérieur un acte libre d’amour du Père, tu es appelé à faire de chaque événement de ta vie une offrande spirituelle. C’est là le fondement ultime de ta présence continuelle à Dieu.

L’instant présent est ainsi le seul point de ta vie où, saisissant la volonté de Dieu, tu peux t’unir à lui dans son être même. Tu n’as plus de pouvoir sur le passé qui appartient à sa miséricorde, et tu n’as aucune idée de l’avenir qui est confié à sa Providence ; il ne te reste donc que le présent. L’instant présent est une fenêtre ouverte sur l’éternité, c’est « le clin d’œil » de Dieu dans lequel tu vis (R. Guardini). Tu ne peux atteindre Dieu que dans l’instant présent, dans celui-ci et dans le suivant : c’est le sacrement perpétuel de la présence et de l’action de Dieu.

Lorsque tu te trouves en chemin de fer et que tu passes le long de cultures perpendiculaires à la voie, il n’est qu’un seul moment précis où le regard puisse les embrasser avec netteté dans toute leur longueur. Avant ou après, tu ne vois qu’un enchevêtrement confus. Dans l’instant présent sont concentrés toute ton expérience humaine et tout l’amour de Dieu pour toi. Dieu n’est plus dans ton passé, il n’est pas encore dans l’avenir ; il n’est présent pour toi que là où tu es.

Si tu veux faire de ta vie une prière continuelle, une union constante à Dieu à travers toutes choses, vis pleinement l’instant présent, tu y découvriras, cachée sous l’apparence banale du quotidien, la présence vivante de Dieu. A ce point précis, tu rencontreras Dieu ; si tu le cherches ailleurs, tu le manqueras. C’est là qu’il t’attend pour se donner à toi et se communiquer tout entier :

Celui qui a l’instant présent a Dieu...
Et qui donc a l’instant présent a tout...
L’instant présent suffit...
Que rien ne te trouble...
(Sainte Thérèse d’Avila).

En conclusion

La réalisation de l’union continue à Dieu, du regard contemplatif dans toute la vie relève, disions-nous au début de ces pages, de l’action de l’Esprit Saint et de ta collaboration. Elle est fonction de l’entrée toujours plus profonde de Dieu dans un cœur d’homme, de l’émerveillement face à sa beauté, sa bonté, son amour : entrée et émerveillement suscitant, sous la poussée de l’Esprit, le désir d’une vie toute livrée à Dieu, toute unie à lui, l’aspiration à le rejoindre, à l’aimer en tout, à tout voir dans sa lumière.

Elle est un don de l’Esprit suscitant mais dépassant ta collaboration. Plus cette union te deviendra réelle, plus tu la percevras comme un pur don gratuit. Pour ta collaboration, laisse-toi guider par l’Esprit, suis-le docilement. C’est à lui de t’indiquer les modalités de l’union à laquelle Dieu t’invite : elles revêtent un caractère particulier pour chacun, fruit de l’amour unique que Dieu lui voue et de la libre réponse d’un chacun à cet amour.

Mais si elle est un don qui dépasse ton apport, elle réclame que tu y mettes le prix, que tu sois prêt à tout perdre pour elle. Il en est de l’union à Dieu comme du trésor caché dans un champ, de la perle fine dont nous parle Jésus (cf. Mt 13,44-46). Il faut consentir à tout vendre pour l’acheter. Il te faudra accepter les purifications, les dépouillements de l’Esprit ; il te faudra, en particulier, discerner et vaincre la tentation de l’unification de ta personne et de ta vie dans les tâches immédiates : études, activités diverses même apostoliques, pour t’unifier dans le déploiement de relations personnelles avec les Trois, pour vivre en dépendance d’eux, en étroite communion avec eux. « Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ », écrit saint Jean dans sa première épître ; il eût pu ajouter « et avec leur Esprit ».

Le prix peut sembler cher ; en réalité, il est peu face à ce qu’il procure. « Dans l’expérience du grand amour, écrit Romano Guardini, le monde entier se concentre dans le « toi et moi » et tout événement devient partie de cette relation [6] ». Ainsi, quand l’amour de la Très Sainte Trinité prend tout le cœur, rencontres humaines, activités, événements, peines et joies, soucis et détentes, tout vient se concentrer dans un dialogue du cœur avec le Père, le Fils et l’Esprit. Toute la vie est alors transformée parce que tout est vu et accueilli à l’intérieur du plus grand des amours.

Et la Vierge Marie...

Personne n’a été plus unie aux trois Personnes divines que la Vierge Marie. Elle est l’épouse du Saint-Esprit, la mère du Fils, la fille parfaite du Père. Un trait dominant de sa personnalité est son cœur contemplatif. Il se laisse entrevoir à travers le Magnificat et par deux fois saint Luc l’a noté dans son évangile (Lc 2,19 et 51). Elle est une admirable éducatrice du cœur contemplatif. Toute orientée vers les Trois, elle tourne vers eux nos cœurs, nous conduit à eux et s’efface devant eux. Ne crains pas de la mêler à ton dialogue avec les Trois.

Carrefour de l’Europe 3
B 5180 GODINNE, Belgique

[1Oraison de l’Office de Laudes du lundi de la première semaine du Temps ordinaire dans « Prière du Temps Présent ».

[2Cité par Jean Lafrance dans La prière du cœur, 78 (en dépôt : Abbaye Sainte-Scholastique, F 81110 Dourgne).

[3Jean Lafrance, La prière du cœur, 70.

[4Cf. l’antienne du cantique évangélique à l’office de Laudes du dimanche de la Trinité : « Bénie soit la sainte et indivisible Trinité qui crée et gouverne toutes choses maintenant et toujours et dans les siècles sans fin ».

[5Jean Lafrance, Prie ton Père dans le secret, 152-154 (en dépôt : Abbaye Sainte-Scholastique, F 81110 Dourgne).

[6Romano Guardini, L’essence du Christianisme, Paris, Alsatia, 1950, 13.

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