Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La conférence de Puebla

Luciano Mendes de Almeida

N°1979-5 Septembre 1979

| P. 259-265 |

La conférence de Puebla est un événement qui intéresse l’Église entière, même si les situations religieuses et socioéconomiques d’Amérique latine et de nos pays sont profondément différentes. Nous publions ici – en lui gardant son style oral – une interview de l’évêque auxiliaire de Sâo Paulo : il nous y donne un aperçu de l’expérience vécue à Puebla, rappelle la genèse du document, évoque sa structure d’ensemble et marque le fil conducteur : « libération pour la communion ».

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L’expérience de Puebla

Nous avons eu des grâces très spéciales dans cette rencontre de Puebla : la rencontre et l’amitié avec des personnes très liées avec Dieu par la prière et le témoignage de vie : laïcs, prêtres, évêques, qui semblaient vraiment être des hommes de Dieu.

Ce n’était pas un congrès où l’on discutait de questions théologiques entre hommes travaillant avec leur intelligence, mais une assemblée d’hommes qui cherchaient Dieu, qui avaient l’intention de trouver la volonté de Dieu. Cela s’exprimait spécialement dans la liturgie, les prières, les moments de silence, et cela a porté tout le travail plus intellectuel. Cela nous donnait de temps en temps l’impression d’être en retraite.

Les sujets par eux-mêmes incitaient à la prière. Puis il y avait cette responsabilité de tout un continent, la recherche de ce que Dieu désire pour l’Église qui travaille dans ces pays. Il y avait également cette grande demande qui part de Paul VI (Evangelii nuntiandi) : L’Évangile perd-il sa force ? Qu’est-ce que Dieu demande de nous pour que l’Évangile ne perde pas sa force ? Que signifie, aujourd’hui, évangéliser l’Amérique latine ?

Le document de Puebla n’exprime pas l’expérience totale qui s’y est faite. Il y a eu plus que cela. De même qu’un chapitre général est d’abord une rencontre fraternelle, rencontre très importante, et qui marque plus que les documents.

Cependant, l’assemblée de Puebla était convoquée pour la rédaction d’un document. En plus de la rencontre fraternelle, il y avait une tâche à accomplir : on devait pouvoir rédiger un document en un temps qui n’était pas bien long. Et toute la technique du travail a dû être orientée vers cette rédaction. Mais on ne peut pas assimiler Puebla uniquement à ce document.

Puebla est une expérience d’Église qui a commencé il y a deux ans et qui, à la différence de Medellin, a déjà touché les paroisses, les Églises particulières. Les gens ont prié pour Puebla ; ils savaient ce qui devait avoir lieu là.

Il y a eu tout un travail de préparation qui a su se centrer au cœur des masses pour se transformer en intérêt sérieux pour la vie de l’Église. Cela a été tellement vrai que si, à cause de la mort de Paul VI ou de Jean-Paul Ier, la réunion n’avait pas pu avoir lieu, cette préparation resterait une grâce pour l’Amérique latine. Il y a eu des études, des documents préparatoires, et surtout cette invitation à centrer l’attention sur des points importants pour la vie de l’Église : la prière, la liturgie, le témoignage de vie, la communication de la Parole de Dieu, etc. Tout cela a été étudié entre conférences épiscopales, mais avec la collaboration de leurs Églises particulières.

L’Europe est en attente d’un document. Mais il faudrait se rendre compte qu’en plus d’un document, il y a eu une espèce d’ébranlement des colonnes de l’Église en Amérique latine pour qu’elles puissent confirmer et être capables de soutenir quelque chose en plus dans la construction du Royaume de Dieu.

Quelles furent les caractéristiques de cette expérience ?

* Une expérience assez large de rencontre

  • par la durée : du 27 janvier au 13-14 février,
  • par le nombre : plus ou moins 360 membres « officiels », mais au total, avec ceux qui étaient là pour travailler, plus de 400 personnes.

* L’expérience d’une collégialité.

* L’expérience d’un service à un continent : on n’était pas là pour servir « sa » patrie mais on était là comme membre d’un continent au service d’un continent tout entier. En tant que Brésiliens, on abordait les problèmes de Cuba, du Mexique... C’est l’expérience de l’universalité de l’Église. Quand on devient évêque, on ne doit pas se concentrer exclusivement sur son diocèse : on est évêque de l’Église universelle, mais présent à une Église locale.

* Une unité d’intention.

* Une ouverture très grande sur les problèmes du monde, en premier lieu, évidemment, sur ceux de l’Amérique latine.

* Une attention spéciale à la pensée et à la parole du Saint-Père. Il ne s’agit pas de dire « les évêques d’Amérique latine », mais « des évêques, en Amérique latine, en communion avec le Pape ». C’est très important. On était en communion avec le Pape. Ce qu’il nous disait, ce qu’il pensait, ce qu’on avait l’intention de lui présenter, était toujours présent. Même quand il n’était pas physiquement présent, il était là, comme la voix du Christ sur la terre.

* Une occasion d’intégration de plusieurs points de vue ; ceux-ci n’étaient pas discordants ; mais il s’agissait, non seulement de voir leur complémentarité, mais d’arriver à les intégrer. Il n’y a pas eu de groupes qui aient dominé : on avait une volonté très sincère d’intégration, et un respect très grand pour les minorités. (Ce n’est pas ce que les journaux ont écrit !)

Le document de Puebla

Ce n’est pas un document de gens très capables de précisions scientifiques, mais un document de pasteurs de l’Église – document d’un homme au milieu de son peuple, désireux de se faire comprendre, préoccupé non de la rédaction de son texte, mais de la communication avec les gens. C’est un document pastoral. Mais le document de Puebla est simple.

On aurait pu écrire, en tant qu’évêques, à d’autres évêques qui n’étaient pas présents, pour qu’ils puissent communiquer le message au peuple de Dieu. Mais cela n’a pas été choisi ainsi. C’est un document que les agents de pastorale pourront lire, comprendre. On a donc évité les mots techniques – par exemple, au lieu de parler de la « sacramentalité » du Christ, l’on parle de la « présence vivante » du Christ. C’est pour cela aussi que le texte est un peu plus long, car lorsqu’on parle dans un style plus simple, il faut parfois mieux expliciter les idées.

C’est comme une réunion de famille : on cause avec simplicité, on s’adresse aux membres absents de cette famille.

Medellin, même en marquant définitivement la vie de l’Église en Amérique latine, a été un peu un livre fermé. Nous ne l’avons pas lu, quand Medellin s’est réalisé, en 68. Après, oui, et il est descendu peu à peu vers la base. Mais Puebla déjà se situe à la base. Elle n’exige pas un grand effort d’explication parce qu’elle a commencé à la base et est médiatisée par la parole simple d’hommes ayant des responsabilités dans leur Église, et qui ont choisi le langage simple, la conversation avec leur peuple.

Moments préparatoires du document

L’Amérique latine a été divisée en quatre blocs :

  • les pays de l’Amérique centrale continentale,
  • les pays de l’Amérique centrale insulaire,
  • les pays d’Amérique du Sud, nommés bolivariens,
  • le Brésil avec la partie du Sud de l’Amérique latine : Paraguay, Uruguay, Chili, Argentine.

Ces quatre groupes de pays travaillaient comme des unités dans l’ensemble de l’Amérique latine, et ils devaient préparer des éléments pour arriver peu à peu à proposer un schéma de travail. Cela a commencé il y a deux ans.

La présidence du CELAM (Conseil épiscopal de l’Amérique latine) a été chargée d’orienter tout ce mouvement des Églises locales.

  • On est arrivé à unpremier document, « D.C. » – document de consultation – qui a reçu le nom d’usage de « livre vert » (à cause de sa couverture verte). Ce document vert a reçu de nombreuses critiques qui ont permis d’améliorer le texte.
  • Les quatre groupes se sont en effet remis au travail et ils ont abouti à unsecond document, « D.T. » – document de travail, ou « livre blanc » (couverture blanche). En septembre 78, il y avait déjà deux documents, séparés par une armée de travail.
  • Ensuite, la mort du Paul VI vient interrompre toute cette chaîne de travail. Mais Jean-Paul Ier insiste sur la nécessité de réaliser Puebla. On travaille encore.
  • Dom Aloisio Lorscheider, président du CELAM, prépare une espèce de grand schéma, instrument de travail très utile, qu’on a appelé « drap de lit », parce qu’il était grand et blanc, avec trois colonnes centrales : les sujets, les sous-thèmes, les citations des documents.
  • Avec Jean-Paul II, tout recommence. La date est fixée : janvier-février. Avec l’avantage qu’on a pu étudier les documents avec un temps plus large.
  • Au Brésil, une réunion des évêques a eu lieu deux jours avant le départ, au Cénacle, à Rio. Cette réunion a été décisive, semble-t-il, pour Puebla.

– Avant tout, parce qu’on a décidé de se mêler aux autres, comme des citoyens d’Amérique latine, et de ne pas défendre les points de vue brésiliens. C’est très important : cela a créé un climat de service fraternel.

– Ensuite, parce qu’on a étudié le document brésilien d’il y a un an et plus (suggestions pour Puebla). On a alors souligné l’importance du § 76 : « La théologie de la communion donne le sens à la théologie de la libération ». Cette phrase, qui semble assez simple, a été prise, pour nous, les évêques brésiliens, comme un slogan, un leit-motiv pour toute la coopération du Brésil à Puebla. Nous sommes allés à Puebla avec l’intention d’ouvrir Medellin vers un horizon de communion. La parole la plus forte de Medellin, qui était la libération, est restée valable, mais elle recevait un nouveau dynamisme interne : on doit partir de la situation de l’homme, le libérer, faire qu’il puisse se convertir, mais pour aboutir à la communion. Il ne s’agit pas seulement de libérer l’homme, d’ouvrir « les prisons ». Il faut libérer les hommes, mais pour un but : les rassembler, leur donner la possibilité de faire l’expérience de fraternité, de communion.

C’est avec ces idées en tête que nous avons fait le voyage vers Puebla. Nous désirions établir une base qui pourrait se décrire dans une équation théologique :

évangéliser = libérer pour la communion

évangélisation = libération + communion.

C’était un peu le point de départ du message brésilien. Cela a été très important pour Puebla. Car si l’on pense maintenant à ce qui s’est passé à Puebla, il y a eu cette flèche : libération vers la communion. Et cela a été le fil conducteur de la formation du document.

Le mouvement de l’assemblée

* Avant tout, il y a eu la parole du Pape. Cette parole était très désirée. La parole du Pape, c’est la parole du père, la parole du Christ et alors, dans une attention de foi, cela a toujours de l’importance. Tout cela nous a marqués. Évidemment, ce que le Pape nous a dit est présent dans le document : la vérité du Christ, de l’Église et de l’homme.

Le Pape a un amour immense pour l’homme, comme le Christ. Il parle beaucoup de l’homme. C’est quelque chose de nouveau. Jean XXIII a parlé de l’homme, Pie XII aussi, mais Jean-Paul II parle toujours de l’homme, de la dignité humaine, du Christ qui s’est fait homme.

* Le lendemain, on est entré dans le travail. On a groupé les gens en 20 commissions, par ordre alphabétique, pour préparer une route, un espèce de schéma général.

Le premier jour a été une journée remarquable, parce que 360 personnes, en groupes de 20 environ, travaillaient ensemble.

* Ensuite, il a fallu relire tout cela. Ce fut le travail d’une petite commission de cinq personnes : un de Panama, un de Saint-Domingue, un du Pérou, un d’Argentine, un du Brésil. Elle a dû imbriquer ces suggestions pour arriver à un schéma final qui soit en même temps le fruit de toute la préparation, et qui intègre la parole du Pape.

Et on est arrivé à ce schéma qui est, aujourd’hui, à peu près la table des matières du livre.

On a suivi une méthode qui, en Amérique latine, est bien connue pour le travail en groupes :

voir- juger - agir,

vision du réel,
jugement sur le réel,
action qui naît de cette vision du réel.

Cela nous a beaucoup marqués en Amérique latine. Il était normal que cela puisse nous orienter.

VOIR

Ie partie :

L’évangélisation
– comment elle s’est développée dans le passé,
– comment elle se développe maintenant,
– quelles sont les tendances, quels sont les espoirs pour l’avenir ?|

JUGER (= comment Dieu juge)

IIe partie : Le dessein de Dieu sur la réalité de l’Amérique latine (réflexion doctrinale sur l’évangélisation)

AGIR c’est-à-dire évangéliser

IIIe partie : L’évangélisation dans l’Église d’Amérique latine : communion et participation.
IVe partie : l’Église missionnaire au service de l’évangélisation en Amérique latine.|

Conclusion

Ve partie : Sous le dynamisme de l’Esprit, où on souligne les nombreux signes d’espérance qui se présentent en Amérique latine.

L’accueil du document

L’accueil réservé par la presse à la Conférence générale dépassa toute attente. Cela est dû tout spécialement à la parole et à la présence du Pape Jean-Paul II, et aussi au thème de la conférence elle-même. Il est rare, je pense, qu’un événement d’Église rencontre un tel intérêt de la part de la presse.

Dans les communautés ecclésiales, il y a un grand accueil du texte ; dans tout notre continent, on l’étudie dans des cours. Aucun document n’a, jusqu’à présent, rencontré une telle audience, eu une telle répercussion.

La conférence de Puebla fut préparée et réalisée dans un climat de foi et d’union. Mais cet effort ne se termine pas avec la publication d’un document. Maintenant commence une nouvelle étape pour la vie ecclésiale de notre continent. Il est nécessaire que nous puissions tous entendre la parole du Saint-Père et de l’épiscopat comme un écho du message même de Jésus-Christ qui nous envoie évangéliser : « Allez et prêchez l’Évangile à tous les peuples ».

Le document de Puebla doit être assimilé et intériorisé dans tous les niveaux de vie de nos communautés. Dans la prière et le discernement spirituel, nous allons approfondir les orientations pastorales reçues, de manière à revitaliser l’action évangélisatrice en Amérique latine.

Les évêques du Brésil, dans leurs assemblées, s’efforcent de discerner les meilleurs chemins pour concrétiser, au niveau national, les lignes pastorales de Puebla. Nous cherchons à assumer avec joie et enthousiasme notre part de la grande mission que l’Église réunie à Puebla nous confie.

c/o Archevêché
SÂO PAULO Capital, Brésil

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