Chronique d’Écriture Sainte
Jean-Louis Ska, s.j.
N°1979-5 • Septembre 1979
| P. 305-315 |
La douzaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer ont été répartis en deux groupes : d’abord les ouvrages généraux (Ancien et Nouveau Testaments), puis les études plus spécialisées.
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I
Une nouvelle collection, dirigée par Joseph Doré, de l’Institut Catholique de Paris et intitulée « Jésus et Jésus-Christ », se fixe comme but d’instaurer le dialogue autour de la personne de Jésus de Nazareth. Des personnes de différentes confessions, des non-chrétiens, des spécialistes de différentes disciplines sont conviés à échanger leurs opinions. Deux volumes, d’inspiration plus traditionnelle, devraient plutôt servir de base à l’échange. À l’aide de la critique historique et littéraire, deux des meilleurs spécialistes francophones de l’Écriture ont étudié le messianisme, c’est-à-dire les diverses manières dont le peuple d’Israël s’est représenté son chef de file national et religieux. H. Cazelles [1] s’est chargé de la partie vétérotestamentaire de ce travail. Après un bref coup d’œil sur les emplois du mot « messie » dans la Bible, il fait le tour d’horizon des différentes conceptions de la monarchie chez les voisins d’Israël. Puis il nous fait assister à la naissance du messianisme en Terre Sainte : Saül, la monarchie davidique, avec ses rites, ses institutions et les premières réflexions sur la royauté. La suite de l’histoire des idées messianiques n’est qu’une accumulation d’échecs, incapables pourtant d’éteindre une espérance qui resurgit sans cesse de ses cendres. Les prophètes pré-exiliques reporteront leur regard sur l’élection davidique, infaillible, malgré les faiblesses et les écarts des différents rois, ou sur la Loi et l’alliance auxquelles le roi est lié. L’expérience amère de l’exil fait surgir de nouvelles figures : les rois autochtones disparus, on se tourne, pour en attendre le salut, vers les prophètes, les rois étrangers, le « Serviteur de Dieu ». C’est une dernière conception qui se concrétisera finalement, celle des deux messies, le messie de David et le messie d’Aaron, lorsque les grands prêtres asmonéens prendront le pouvoir et s’adjugeront la royauté. Mais l’échec religieux de cette tentative provoquera la naissance d’une nouvelle forme d’espérance : l’eschatologie et l’apocalyptique. Le peuple d’Israël désillusionné se tourne vers Dieu et attend désormais de lui seul l’instauration d’un Royaume juste et définitif. Diverses formulations, souvent imprécises, circulent alors, et à l’aube de l’ère chrétienne règne une grande confusion.
P. Grelot [2] a consacré son volume à cette période très trouble. Pour ce faire, il a choisi une méthode très rigoureuse : il s’en tient aux textes, qu’il a pour la plupart traduits lui-même. Qu’il s’agisse des mouvements qui ont précédé Jésus-Christ (Esséniens, Pharisiens, diaspora hellénistique), des contemporains de Jésus, ou des courants messianiques qui ont survécu à la destruction de Jérusalem, on se rend à l’évidence qu’il y avait peu d’unité et beaucoup d’ambiguïtés dans les esprits à cette époque à propos du messie. On comprend mieux dès lors les réticences de Jésus à cet égard et le peu de place que tiennent ces idées dans sa prédication. Le messianisme lui-même est assez marginal dans le judaïsme et il n’est en faveur que dans des mouvements à forte coloration politique et nationaliste. Tout ceci ressort non d’une fresque historique, mais d’une étude minutieuse des textes. Avec beaucoup de maîtrise, P. Grelot démêle l’écheveau des diverses conceptions et montre comment Jésus et ses disciples se dégagent de ces tendances souvent équivoques.
Ces deux livres d’un très haut niveau scientifique s’adressent essentiellement à un public universitaire.
Le lecteur devra surmonter deux difficultés majeures pour comprendre le livre que G. Theissen [3] consacre aux origines sociales du christianisme : sa problématique et son style. L’exégète allemand, en effet, pose au Nouveau Testament un certain nombre de questions qui ont surgi assez récemment. Il s’agit, en gros, de préciser quelle place tiennent les conditions et les tensions sociales du temps de Jésus dans la rédaction du message évangélique. En second lieu, l’auteur adopte résolument le style propre à l’exégèse universitaire allemande, auquel le public francophone n’est guère accoutumé. L’exposé est très systématique – presque scolaire. Qu’on soit rebuté ou séduit par la logique et la rigueur sans ornements de l’exposé, le texte est un peu revêche au premier abord. L’auteur n’est pas le premier venu : il s’est signalé par de nombreuses publications de qualité. En ce qui touche la méthode, il refuse de se laisser enfermer dans une perspective marxiste réductrice ou de s’évader dans une vision purement spirituelle. Ses analyses doivent beaucoup à M. Weber et à ce qu’on appelle la sociologie fonctionnaliste. Pour être bref, disons que cette étude ne se limite pas à voir dans la religion le reflet des conflits sociaux d’une époque, mais qu’elle porte aussi son attention sur la manière dont les actes religieux contribuent à résoudre les problèmes d’une société donnée. La religion joue donc un rôle positif dans la société et on trouvera dans cette étude un complément ou un correctif aux études dites « matérialistes » de la Bible. En trois grands chapitres, l’auteur décrit 1. « Le comportement social typique dans le mouvement de Jésus », en insistant beaucoup sur le rôle des charismatiques itinérants soutenus par les communautés – 2. « Les influences de la société sur le mouvement de Jésus », c’est-à-dire les facteurs économiques, écologiques, politiques et culturels auxquels Jésus et ses premiers disciples ont été confrontés – 3. « L’influence du mouvement de Jésus sur la société » par son message d’amour et de réconciliation en réponse à l’agressivité ambiante. Nous laisserons aux spécialistes le soin de juger le détail de ce travail. De notre côté, il nous semble que cette recherche, toute intéressante et même nécessaire qu’elle soit, n’en demeure pas moins assez extérieure au message central de l’Évangile, et que les différentes parties du livre ne sont pas assez intégrées les unes aux autres. La troisième partie, par exemple, ne parle plus des charismatiques itinérants, et paraît plus psychologique que sociologique. Ces limites n’enlèvent rien par ailleurs à la valeur de la démarche et à ses principaux résultats. Le lecteur préparé et intéressé à cette étude aura de toute façon grand avantage à lire l’excellente préface du traducteur B. Lauret.
Les évangiles nous donnent-ils une image fidèle de l’activité et de l’enseignement de Jésus ? R. Bultmann, on le sait, l’a nié. Le Nouveau Testament serait le reflet des préoccupations de l’Église primitive et le Jésus de l’histoire nous serait à jamais inaccessible. R. Gerhardsson [4] s’inscrit en faux contre cette position radicale. Professeur à Lund, en Suède, et disciple de H. Riesenfeld, chef de file de l’école d’Uppsala, il a longtemps étudié les modes de transmission des traditions qui étaient d’usage dans les milieux juifs au début de notre ère. Le c. 3 (Transmission orale) qui décrit les techniques et le fonctionnement de cette transmission est fondamental dans son argumentation. Le Nouveau Testament fait allusion à la tradition orale juive en plusieurs endroits (Ac 22,3 ; 28,17 ; Ga 1,14 ; Mc 7 et Mt 15). Mais le christianisme primitif dès le début a connu, lui aussi, une « transmission consciente, voulue et organisée » (p. 37). Paul lui-même, l’homme de l’Esprit et de la liberté, insiste non moins sur la valeur de la tradition, norme de la vie de l’Église. Paul se réfère explicitement à la tradition de Jésus (1 Co 7,10 ; 9,14 ; 1 Th 4,15) ou cite la tradition des évangiles (1 Co 11,23-25 et 15,1-8). Nous touchons ici du doigt la transmission comme acte réfléchi et voulu en tant que tel. On transmettait la tradition sur Jésus pour elle-même, parce qu’elle avait valeur en soi, et non seulement parce qu’elle servait les desseins des prédicateurs. Il n’empêche qu’on se permettait des libertés. « En résumé, les problèmes et les besoins de la communauté post-pascale ont coloré la matière, mais ils ne l’ont pas créée » (p. 60). Pour trois titres messianiques, Seigneur, Fils de Dieu et Messie (Christ), on peut montrer qu’il est possible de remonter à Jésus lui-même et de voir ensuite comment l’Église a interprété ces titres, sans pour autant les avoir produits. Le titre « Fils de l’Homme » a été conservé, bien qu’il soit embarrassant ; argument de plus en faveur de la fidélité de la tradition. Il y a donc une continuité remarquable dans la tradition sur Jésus. Les témoins oculaires ont dû jouer un rôle important. Et il est très probable que déjà Jésus a enseigné de manière à imprimer dans la mémoire de ses disciples son enseignement. Cela se remarque au style des paraboles par exemple. On a retenu aussi des actions typiques de Jésus, provoquant la réflexion. Et les différents éléments de la tradition, centrés sur la Passion et la Résurrection, entraient dès le début dans une construction cohérente. Somme toute, les principaux arguments en faveur d’une fidélité de la tradition envers le Jésus historique sont au nombre de quatre : 1. Des hommes ayant autorité transmettaient la tradition. 2. La christologie post-pascale n’a pas oblitéré l’image du Jésus terrestre. 3. La tradition du christianisme primitif est toujours restée fidèle à l’autorité des Écritures. 4. Dès la vie terrestre de Jésus, la tradition de ce même Jésus a été conservée avec soin et propagée avec fidélité. Il y eut certes par la suite des adaptations. Mais elles avaient pour unique but une meilleure compréhension de Jésus, une mise en lumière du sens de sa vie et un approfondissement du legs du passé. Ce livre est court et d’une lecture agréable. Deux qualités qui le recommandent aux lecteurs soucieux de leur culture biblique. Il requiert sans doute une certaine connaissance du monde juif et de l’exégèse du Nouveau Testament.
II
É. Pousset a publié dans la revue mensuelle Christ, source de vie, une lecture continue de l’Évangile de saint Marc [5]. Il a repris ces différents articles et les a remis sur le métier pour les éditer sous forme de livre. L’auteur est professeur au Centre d’Étude et de Recherche de la Compagnie de Jésus à Paris et il recueille ici le fruit du travail accompli par un groupe de lecture de l’Écriture qu’il dirige. Monique Rosaz, membre de ce groupe, s’est chargée des travaux préparatoires d’analyse de l’évangile. On ne nous propose pas un commentaire, ni une méditation, mais une lecture de textes à l’aide d’une méthode qui doit beaucoup à A. J. Greimas. On en expose brièvement les principes dans la préface. C’est dire qu’on ne peut utiliser ce manuel qu’en ayant constamment sous les yeux l’évangile de Marc. Le travail qui est à l’origine de ce livre est très technique, mais l’auteur évite autant que possible le langage des spécialistes. Il n’empêche, à notre avis, que la pensée sera plus facilement accessible à ceux qui sont quelque peu initiés à la linguistique. Quelques analyses sont particulièrement réussies : la tentation au désert, la guérison du lépreux, où les rôles sont inversés : le lépreux reprend sa place dans la société et Jésus s’en voit exclu ; à propos des paraboles, il devient patent que les interprétations moralisantes passent à côté de leur message réel ; les quelques remarques sur les sacrements (p. 104) méritent qu’on s’y arrête, tout comme celles sur le renoncement et les « mérites » (p. 143) ; les interprétations du texte sur le mariage (p. 157-160) et de l’onction de Béthanie (p. 193-197) sont très neuves. Le livre est à recommander à tous ceux qui désirent pénétrer plus avant dans l’évangile de Marc lu comme un tout et qui ne reculent pas devant un certain effort intellectuel.
Dom Célestin Charlier est surtout connu pour son livre La lecture chrétienne de la Bible. C’est une autre part de sa personnalité qu’on pourra découvrir dans un volume inaugurant la nouvelle série « Bible et Vie chrétienne » publiée par l’abbaye de Maredsous. Il s’agit d’homélies qu’il a prononcées sur le prologue de saint Jean [6] dans les communautés qu’il animait dans le sud de la France. Il est bien difficile de résumer ces méditations particulièrement denses. Très au courant de l’exégèse de Jn 1, l’auteur s’en dégage résolument pour en donner toute la sève théologique et spirituelle. Le mystère de la Trinité occupe la place centrale. Ce mystère de Dieu, révélé par Jésus-Christ, se trouve inscrit comme en creux dans notre nature. Par notre foi, nous accueillons ce que nous attendons au plus profond de nous-mêmes sans pouvoir en concevoir la plénitude. Ce désir est à la fois celui de notre intelligence et celui de notre volonté. On remarquera que Dom Célestin Charlier adopte le singulier dans la traduction du v. 11 : « À celui qui est né, non du sang... » (p. 115-122). Les spécialistes sont cependant en majorité en faveur du pluriel : « À ceux qui sont nés... ». Mais ce n’est qu’un détail. L’ouvrage se recommande lui-même par sa profondeur, par la qualité de sa contemplation qui concentre le regard sur ce qui est l’essentiel du christianisme : l’incarnation du Verbe.
Ces derniers temps, on se tourne assez volontiers vers les Actes des Apôtres pour y trouver des lumières et des encouragements auprès des premières communautés chrétiennes affrontées à des difficultés proches des nôtres. E. Haulotte [7], professeur d’Écriture Sainte à Paris et à Lyon, nous en offre un guide de lecture dans la série des « Suppléments à Vie chrétienne ». Dans l’introduction, l’auteur mentionne les principaux points d’ancrage d’une lecture des Actes aujourd’hui ; D. Sesboüé donne l’essentiel du contexte socio-économique de ce livre (la maison, la campagne et la ville, le commerce, le travail et le mécénat) ; vient enfin un paragraphe important sur « La construction du récit des Actes ». L’auteur propose de subdiviser l’œuvre en divers « cycles » axés sur quelques villes : Jérusalem (c. 3 à 12), Antioche (c. 13 à 18,24), Éphèse (18,24 à 20,38) et Rome (de 20,38 à la fin). Tout ne se déroule pas dans la même ville, mais elle est chaque fois le centre de l’activité et des allées et venues. Cette division topographique recueillera beaucoup de suffrages. Certains pourront objecter cependant qu’elle masque un peu la place centrale du c. 15, le passage de la prédication aux Juifs à la prédication aux païens, de la prédominance de Pierre à celle de Paul. La lecture suivie et commentée des Actes comporte bien des notes suggestives (par exemple sur la Pentecôte, la communauté des biens chez les premiers chrétiens, et la conclusion sur l’eucharistie). Les premiers chapitres s’octroient cependant la part du lion (c. 1 à 12 : p. 28 à 104 ; c. 12 à 28 : p. 105 à 136). En général, l’auteur a le mérite de nous obliger à relire les textes attentivement. On lui en sera reconnaissant. Il nous paraît dommage, par contre, que son style paradoxal et symbolique ne soit pas toujours accessible au lecteur moyen de cette collection. « Clarity, charity » (clarté, charité), disent les Anglo-Saxons. Mais, la difficulté surmontée, on ne regrette en rien d’avoir suivi cet excellent guide.
À qui s’adressent les exigences les plus vigoureuses de l’Évangile ? Comment les comprendre quand elles paraissent inapplicables au commun des mortels ? Th. Matura [8] tente de répondre en exégète et en religieux à ces questions. On trouve dans son livre une présentation et une analyse exhaustive de tous les textes des trois synoptiques qui contiennent des exigences « radicales », absolues, inconditionnelles. Après une brève introduction et une première classification des textes, l’auteur les étudie en les regroupant sous cinq titres : exigences à l’égard des disciples, ensembles sur le renoncement, attitude à l’égard des biens matériels, radicalisation de la Loi, paroles détachées ; puis il compare les synoptiques aux autres écrits du Nouveau Testament Enfin, dans une « vue d’ensemble », il recueille les résultats de ses analyses et note les questions ouvertes. Selon Th. Matura, les exigences radicales de l’Évangile sont en général à prendre au pied de la lettre et non au sens figuré. C’est Jésus seul qui peut prétendre à une telle autorité. Mais l’insistance de l’auteur porte surtout sur les destinataires de ces appels inconditionnels. Il ne s’agit pas d’un groupe particulier ; c’est chaque croyant qui se voit interpellé et chaque acte de foi requiert un don de soi inconditionnel, manifesté par le renoncement aux biens matériels, le détachement de la famille, etc. Il n’y a donc pas dans l’Évangile une morale à deux étages, l’une pour tous et l’autre pour une élite de « parfaits », par exemple pour les religieux. Ce livre, bien qu’il ne puisse éviter entièrement le langage technique, demeure assez lisible. Il demande au lecteur une certaine patience quant aux analyses minutieuses des textes. Pour ce qui touche son contenu, l’auteur reconnaît que le thème choisi est délimité de manière quelque peu artificielle. Sans doute le travail aurait-il gagné en replaçant ces textes à l’intérieur de la prédication évangélique dans son ensemble. Quel est ce Royaume qui requiert tant de ses membres ? Ces exigences, semble-t-il, suivent l’annonce du don de Dieu, qui est toujours premier. La réponse humaine, radicale et inconditionnelle, n’est jamais que seconde par rapport à lui. Ceci ne nous empêche pas, loin de là, de savoir gré à l’auteur de son travail de pionnier, précis et consciencieux.
L. Jacquet a mené à bonne fin son immense commentaire des Psaumes [9] avec la publication d’un troisième et dernier volume (pour le second, voir Vie consacrée, 1978, 313-314). La méthode n’a pas changé : traduction du psaume, présentation, notes critiques, notes exégétiques, orientation chrétienne, utilisation liturgique, prière de conclusion. Les notes critiques s’adressent à l’exégète de métier, familier de l’hébreu, tandis que les notes exégétiques sont accessibles à tous. Il est inutile de souligner à nouveau la richesse surabondante de cet ouvrage dans lequel on puisera sans fin des matériaux pour la recherche, la réflexion, la méditation et la catéchèse. Peut-être la lecture de l’ouvrage aurait-elle pu être facilitée si les nombreuses références bibliographiques avaient été mises en note. Et on aurait encore davantage pu profiter de ce volume si l’auteur avait pu lui adjoindre quelques tables et index supplémentaires (index des citations bibliques et patristiques, table des auteurs anciens et modernes). On ne trouve, en effet, qu’un index des principaux thèmes. Mais était-ce possible de faire plus ? Dans quelques notes complémentaires, l’auteur parle brièvement du Ps 151, du psautier dans la liturgie de Vatican II, de l’attribution du psautier à David, de la royauté de Yahvé, de l’agenouillement et du prosternement, et il cite quelques derniers textes à propos de certains psaumes. Dans ces notes, l’auteur attaque avec virulence la réforme liturgique dans son utilisation du psautier. Il lui reproche surtout d’avoir supprimé quelques psaumes, d’en avoir écourté d’autres et d’avoir réparti les psaumes sur un mois et non plus sur une semaine comme autrefois. Les critères de ces choix lui paraissent très subjectifs et peu soucieux de la tradition. Il nous semble que maints arguments sont pertinents, malgré le ton polémique, voire partial. Car tout est-il négatif dans le renouveau liturgique ? Par ailleurs, il est vrai que « découper » l’Écriture comporte toujours un certain danger, celui d’introduire un canon dans le canon. Il convient, en définitive, de féliciter l’auteur pour son œuvre de patience et de le remercier pour cet incomparable outil de travail.
Le nom de Divo Barsotti est familier aux lecteurs de cette chronique. Cette fois, on vient de traduire son commentaire spirituel du dernier écrit de l’Ancien Testament, rédigé en grec, probablement à Alexandrie dans la première moitié du premier siècle avant Jésus-Christ : le livre de la Sagesse [10]. Cette œuvre peut être divisée en trois parties. Dans la première, le juif croyant compare le sort du juste avec celui de l’impie. Le bonheur apparent du second est trompeur, car la mort consacre sa perte. L’immortalité est promise aux seuls justes qui ont pris pour guide la sagesse (c. 1 à 6). Quelle est donc cette sagesse qui donne accès à l’immortalité ? La seconde partie donne la réponse à cette question (c. 6 à 9). Cette description de la sagesse se termine par une prière pour demander cette grâce de Dieu. Enfin, la troisième partie (c. 10 à 19) est une longue homélie sur les bienfaits accordés à Israël au cours de son histoire, et plus particulièrement durant l’Exode. Les idées forces de cet écrit sont l’universalisme de la sagesse qui pénètre le cœur de chaque homme et lui ouvre la perspective d’une union intime avec Dieu. Le monde ne se divise plus entre juifs et païens, mais entre sages et impies. L’influence hellénistique est indéniable et on aurait tort, selon l’auteur, de négliger ou de rejeter cet apport positif de la pensée grecque à la révélation. Le génie sémitique est dramatique et il met en relief l’action de Dieu. Le génie grec est plus réflexif et plus apte à exprimer le dessein de Dieu, sa « philanthropie » et sa pédagogie (paideia), sa providence envers les hommes. D. Barsotti écrit toujours aussi simplement et son livre constitue une excellente méditation biblique, œuvre d’un connaisseur de la Bible et d’un homme de prière.
Avec sa compétence d’exégète et sa connaissance approfondie de l’Antiquité, Annie Jaubert [11] apporte sa contribution au débat concernant la place faite ou à faire à la femme dans l’Église. Elle expose ses opinions dans une petite brochure de « Vie chrétienne » d’une manière très accessible. Les quatre premières parties sont consacrées à la Bible : Ève et Marie - L’Ancien Testament - La conduite de Jésus - Les écrits pauliniens. A. Jaubert est particulièrement sensible aux conditions et aux comportements de chaque époque. C’est dans leurs cadres qu’il faut comprendre les attitudes du peuple d’Israël, de Jésus ou de Paul. Jésus a certainement introduit une nouvelle manière de considérer la femme, sans être pour autant un révolutionnaire. Ce sont les textes de Paul, souvent taxé de misogyne, qui requièrent le plus d’attention. L’auteur les aborde en les situant à l’intérieur de la pensée globale de l’apôtre sur l’être nouveau du chrétien qui abolit toute séparation (Ga 3,26-28). Si certains textes semblent contredire ce principe, ce n’est qu’en apparence. Paul continue à raisonner comme un homme de son temps, et il faut distinguer dans son message entre le caduc et l’essentiel. Rappelons en passant que l’auteur traduit le fameux passage d’1 Co 11,10 : « C’est pourquoi la femme doit porter une marque de dignité sur la tête... » alors que beaucoup traduisent (à tort) : « une marque de sujétion ». Enfin, dans une cinquième partie, « Éclairages pour aujourd’hui », Annie Jaubert aborde avec beaucoup de finesse et de circonspection les problèmes actuels. Elle décèle dans l’attitude courante des chrétiens bien des préjugés et des blocages d’ordre psychologique ou sociologique. Très sereinement, elle montre tout le sens que peut avoir le diaconat féminin ou l’homélie féminine. En ce qui concerne le sacerdoce, elle pense que l’argument tiré de la symbolique masculine n’est pas entièrement convaincant (le prêtre doit être un homme, puisqu’il représente le Christ, homme et époux face à l’Église-épouse), car le prêtre représente aussi l’Église, qui n’est pas seulement masculine. Les sacrements de la réconciliation et de l’onction des malades semblent offrir moins de difficultés que l’eucharistie. Mais pourrait-on refuser à une femme qui a l’entière charge d’une communauté, comme c’est souvent le cas dans des pays de mission, de présider l’eucharistie ? La question mérite d’être posée. A. Jaubert invite à la réflexion, en soulignant la nécessité de l’ouverture et de la tolérance, du dynamisme et de la compréhension, car tous ne marchent pas au même rythme dans l’Église. On ne manquera pas de lire cette étude qui se distingue par son intelligence, et, ce qui est rare dans ce genre de discussions, par le ton équilibré de ses propos. [12]
J.-M. Cambier s’est fait connaître par ses écrits sur saint Paul. Sa longue fréquentation de l’apôtre lui a fait percevoir que la liberté paulinienne proposait à notre monde un idéal correspondant à son désir d’une morale d’adultes. L’ouvrage adopte un langage dépouillé et s’adresse à tous les chrétiens, quelle que soit leur formation. Les idées sont exposées en douze chapitres assez courts. 1. Différentes philosophies de la liberté à diverses époques. 2. La conception chrétienne de la liberté. 3. Les préparations de la liberté évangélique dans l’Ancien Testament. 4. La doctrine paulinienne de la liberté (« La vocation à la liberté chrétienne est une grâce et une tâche »). 5. Quelques grands axes de la pensée paulinienne sur la liberté. 6. La liberté chrétienne comme consécration à Dieu et à ses frères. 7. L’imitation du Christ. 8. La liberté chrétienne répond aux aspirations humaines de vérité et les épanouit dans la charité. 9. Les différentes manières de concrétiser un idéal spirituel dans l’Église. 10. Conseils aux éducateurs en vue d’une pédagogie de la liberté. 11. Insertion de la liberté chrétienne dans le monde contemporain. 12. But de la liberté chrétienne : magnifier ensemble la gloire de Dieu. La préface du cardinal L.-J. Suenens souligne l’actualité de cet ouvrage qui aide à retrouver l’équilibre au milieu des tensions et des conflits de notre monde. L’on regrettera certes que l’auteur ait passé rapidement sur certains points. Son vocabulaire, très classique, eût gagné à être mieux mis en valeur (ou, parfois, modernisé). Mais on sera reconnaissant à J.-M. Cambier d’avoir abordé avec compétence ce vaste sujet.
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P.S. - Voici encore un ouvrage qui nous parvient au moment de mettre sous presse. L’Institut catéchétique « Lumen Vitae » (Bruxelles) ouvre une nouvelle collection intitulée « Écritures », qui se donne pour objectif d’introduire à la lecture structurale de la Bible. Le premier ouvrage de la série est consacré à la bande dessinée biblique et vise à donner au lecteur des critères de jugement et de choix à propos des albums parus après la guerre [13]. Tout d’abord, une partie « Méthodes » présente les principaux problèmes posés à la bande dessinée biblique. Elle comprend trois chapitres : 1. Un inventaire des bandes dessinées bibliques parues dans le monde depuis 1945. – 2. Le message biblique peut-il passer par le canal de la bande dessinée ? A quel prix ? – 3. Proposition d’une méthode d’analyse de la bande dessinée, sur la base des travaux de V. Propp et F. de Saussure. Une seconde partie (« Analyses ») applique cette méthode de lecture à la manière très diversifiée dont les bandes dessinées traitent le surnaturel et le merveilleux dans deux récits bibliques, l’annonciation et la tentation au désert. Une troisième partie, « Fondements », très technique, s’interroge sur la rigueur logique de la méthode d’analyse. Une bibliographie complète l’ouvrage. Les auteurs dominent remarquablement la matière qu’ils exposent avec perspicacité. Mises à part les parties plus techniques, l’ouvrage dans son ensemble répondra aux questions des catéchètes et des parents dans un domaine important et peu étudié.
[1] H. Cazelles. Le Messie de la Bible. Christologie de l’Ancien Testament. Coll. Jésus et Jésus-Christ, 7. Paris, Desclée, 1978, 20 x 13, 240 p.
[2] P. Grelot. L’espérance juive à l’heure de Jésus. Coll. Jésus et Jésus-Christ, 6. Paris, Desclée, 1978, 20 x 13, 278 p.
[3] G. Theissen. Le christianisme de Jésus. Ses origines sociales en Palestine. Coll. Relais Desclée, 6. Paris, Desclée, 1979, 20 x 13, 166 p., 323 FB.
[4] B. Gerhardsson. Préhistoire des évangiles. Coll. Lire la Bible, 48. Paris, Éd. du Cerf, 1978, 19 x 14, 126 p., 26 FF.
[5] Une présentation de l’Évangile selon saint Marc. Coll. Source de Vie. Desclée De Brouwer, 1978, 11 x 18, 215 p.
[6] C. Charlier, o.s.b. Jean l’Évangéliste. Coll. Bible et Vie chrétienne. Paris, Lethielleux, 1979, 22 x 16, 224 p., 51 FF.
[7] E. Haulotte. Actes des Apôtres. Un guide de lecture. Supplément au n° 211. Paris, Vie chrétienne, 1978, 21 x 16, 144 p., 16 FF.
[8] Th. Matura. Le radicalisme évangélique. Aux sources de la vie chrétienne. Coll. Lectio divina, 97. Paris, Éd. du Cerf, 1978, 22 x 14, 212 p., 59 FF.
[9] L. Jacquet. Les psaumes et le cœur de l’homme. Étude textuelle, littéraire et doctrinale. Tome 3, Ps. 101-150. Gembloux, Duculot, 1979, 25 x 16, 816 p., 1.800 FB.
[10] D. Barsotti. Le Livre de la Sagesse. Paris, Téqui, 1978, 21 x 14, 222 p.
[11] A. Jaubert. Les femmes dans l’Écriture. Éclairages pour aujourd’hui. Supplément au n° 219. Paris, Vie chrétienne, 1979, 21 x 16, 80 p., 12 FF.
[12] J.-M. Cambier, s.d.b. La liberté chrétienne, une morale d’adultes. Louvain-la-Neuve, chez l’auteur (Passage de la Neuville 14, B.P. Galilée 009), 1978, 25 x 16, 272 p., 250 FB.
[13] A. Knockaert et Ch. van der Plancke. Bandes dessinées bibliques et catéchèses. Coll. Écritures, 1. Bruxelles, Lumen Vitae, 1979, 23 x 15, 174 p., 16 h.-t., 290 FB.