Reconnaître l’Esprit dans l’Église
Principes et méthode du discernement communautaire
François Évain, s.j.
N°1978-5 • Septembre 1978
| P. 286-294 |
Pour ne point trop parler du discernement, l’essentiel ne serait-il pas d’en parler bien ? C’est ce que s’efforcent de faire ces conférences, basées sur deux convictions : l’objet de tout discernement doit avoir un rapport avec l’évangélisation ; l’Esprit, qui est donné à l’Église, y parle et en chacun de ses membres et dans ceux qui ont autorité. Mais l’Esprit n’est pas seul à parler en nous, il nous faut discerner ses motions. En vertu de la structure de l’Église, « icône de la Trinité », le discernement spirituel communautaire se situe en trois cercles concentriques : l’Église dans son ensemble, la congrégation avec son charisme propre, la communauté qui se trouve devant une option qui l’engage tout entière ou concerne un de ses membres d’une façon qui retentit sur le groupe comme tel. Le P. Evain rappelle enfin brièvement les étapes d’une démarche où la prière, l’écoute mutuelle et la réflexion s’unissent pour assurer à la fois la coresponsabilité et l’obéissance.
Conférences données à l’Assemblée générale des Supérieures de la Suisse romande (Delémont, 9-11 octobre 1977).
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Introduction
On parle beaucoup – beaucoup trop ? – aujourd’hui de « discernement communautaire ». Sensibles aux techniques d’animation de groupe, nombreux sont les prêtres, religieux, religieuses ou laïcs qui croient ainsi être dans le vent. Dans cette réaction contre le pieux individualisme attribué au siècle dernier, tout se passe comme si, actuellement, on ne pouvait plus ni prier, ni penser, ni décider quoi que ce soit sinon ensemble. Il n’est pas rare que cette naïveté aboutisse à stériliser l’imagination – la « créativité » – de chacun et surtout à démobiliser les énergies, personne n’osant rien entreprendre sans que « le groupe ait été consulté ». Le cancer de la concertation ronge les communautés et le risque n’est pas chimérique d’un retour du balancier à un individualisme anarchique.
C’est dire l’importance d’une réflexion critique qui situe le discernement communautaire dans son ordre, c’est-à-dire comme un comportement pastoral, inspiré par la foi. L’enjeu, en effet, en marque l’esprit : il s’agit de reconnaître l’appel de Dieu dans une option à prendre par une communauté au service de l’Église.
Dans cet éclairage les décisions trouvent leur vrai sens, qu’il s’agisse d’une nouvelle implantation, de la fermeture d’une maison aussi bien que de modifier un emploi du temps ou le style d’un accueil. Les problèmes abordés ne sont plus seulement administratifs, pédagogiques, financiers ou psychologiques mais, en dernière analyse, ils sont toujours, peu ou prou, missionnaires.
Ceci requiert une double attention : aux personnes d’une part, aux exigences de l’évangélisation d’autre part. Être attentif aux personnes, cela veut dire aider chacune à reconnaître ses dons et ses charismes et à les distinguer de ce qui serait tentation ou caprice. Reconnaître les exigences de l’évangélisation, c’est percevoir les signes des temps et leur expression dans les besoins pastoraux de l’Église. A la source de tout discernement communautaire, il y a la conviction que le chemin qui amène chaque personne à obéir à l’appel du Seigneur, la conduit, au sein d’une communauté, à entrer dans la mission évangélisatrice de l’Église. Le discernement doit faire apparaître comment le projet personnel de chacun s’inscrit, en le construisant, dans le projet missionnaire de la communauté. Telle est la problématique spirituelle d’un discernement communautaire mené selon le charisme de la congrégation [1].
Le déploiement du discernement s’effectue selon le lieu réel où il se situe, à savoir en communauté. Quelle communauté ? Il ne s’agit ici ni d’un groupe sociologique, ni d’une équipe « fonctionnelle », mais, plus radicalement, d’une communauté de foi. Celle-ci est placée, dans l’Esprit Saint, au cœur de plusieurs cercles concentriques : Église, congrégation, fraternité de base. Cette situation fournira le plan de cette étude.
Discerner dans l’Église : l’Esprit et l’évangélisation
Le discernement communautaire est donc une certaine manière de vivre selon l’Esprit, qui « ne cesse de rassembler » l’humanité en un seul Peuple à la louange de la gloire de Dieu. Le mystère de l’Église – icône de la Trinité – est la lumière dans laquelle chaque communauté doit, d’emblée, se situer pour choisir et décider [2].
La pratique de l’Église primitive fournit un modèle de ce que peut être un discernement ecclésial dans l’Esprit Saint.
Au chapitre premier des Actes des Apôtres, nous trouvons une esquisse de ce discernement (Ac 1,15-26). La communauté est invitée à discerner l’appel de l’Esprit à partir d’un événement : la trahison de Judas pose à l’Église un problème de structure. Il faut compléter le collège apostolique institué par le Christ. Mais ce problème de structure met en jeu la mission : c’est un apôtre qu’il s’agit de trouver. Comment procéder ? On commence par prier, c’est-à-dire par placer la situation dans la lumière de la Parole de Dieu. On s’arrête à un verset de Psaume : « Qu’un autre reçoive sa charge » (Ps 109, 8). Quelle charge ? On réfléchit ensemble sur la « théologie des ministères » : il faut un témoin de la résurrection. Après la prière et la réflexion qui précisent l’objet de la décision, on en vient à prendre des moyens : « On en présenta deux ». De nouveau on prie : « Montre-nous lequel tu as choisi ». La prière est l’âme du discernement : la décision à prendre ne doit être rien d’autre qu’une reconnaissance de l’appel de l’Esprit. La technique de décision – ici le tirage au sort – n’a de signification que dans cette lumière de l’Esprit Saint.
La même méthode se vérifie, de façon plus explicite, au Concile de Jérusalem (Ac 15). Ce qui pose problème, c’est une divergence d’opinions concernant la « pastorale d’ensemble ». A travers une obligation concrète – le rite de la circoncision –c’est la théologie du salut qui est en question. Diverses tendances – liées à des questions de personnes – s’affrontent : conflit entre le courant conservateur, issu du pharisaïsme, et le courant missionnaire, plus ouvert, de Paul et Barnabé [3]. Que fait-on ? « Les Apôtres et les Anciens se réunirent pour examiner cette affaire » (Ac 15,6). On écoute alors les points de vue des uns et des autres : trois « discours », celui de Pierre, celui de Paul et Barnabé, celui de Jacques (Ac 15,7-21). L’examen du texte montre les différences des points de vue et des caractères, mais aussi le souci commun de ne rien décider qui ne soit conforme au dessein de Dieu. Pierre parle de l’Esprit Saint donné à tous et du salut par la foi (Ac 15,8-9) ; Paul et Barnabé apportent le témoignage des prodiges accomplis par Dieu parmi les païens (Ac 15,12) ; Jacques enfin, après avoir souligné son accord avec Pierre, montre comment l’événement s’éclaire grâce aux paroles des prophètes et il propose une solution concrète (Ac 15,13-21).
Deux caractéristiques marquent cette délibération : elle est communautaire et elle est « dans l’Esprit Saint ». La première se voit dans l’introduction de la décision prise : « D’accord avec toute l’Église... » (Ac 15,22). La seconde est dans le corps de la lettre encyclique envoyée aux communautés : « L’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons décidé... » (Ac 15,28). On ne peut être dans l’Esprit Saint sans être d’accord « avec toute l’Église », ni réciproquement. Ainsi apparaissent les deux axes de tout discernement vraiment communautaire : verticalement l’inspiration de l’Esprit Saint ; horizontalement l’accord avec l’Église, qui n’est pas un quelconque « consentement universel », mais, comme le mot l’indique, l’union des cœurs dans une même foi.
La réflexion sur cette pratique des premières communautés chrétiennes permet de mettre en lumière ce que signifie : « discerner en Église ».
D’une part l’objet de tout discernement communautaire est l’ évangélisation ; d’autre part la méthode est une démarche de prière, de réflexion et de délibération, dominée par le souci d’être fidèle à l’Esprit.
Les décisions doivent, en effet, se situer en fonction de la mission évangélisatrice de l’Église. Il ne s’agit pas, ici, d’un débat d’idées mais d’une option à prendre par une communauté. Celle-ci doit donc commencer par vérifier comment le choix en question se rapporte à l’une ou l’autre des étapes du long cheminement de l’évangélisation [4].
Mais cette évangélisation étant, fondamentalement, l’œuvre de l’Esprit dans l’Église, le discernement ne sera vraiment « communautaire » que dans la mesure où il reflétera l’image de la communauté des Personnes divines : là est la source de son inspiration. Il s’agit de demeurer dans l’Esprit qui « poursuit son œuvre dans le monde et achève toute sanctification [5] ».
Discerner dans la congrégation : le charisme et la mission
On entre ainsi dans le second cercle du discernement communautaire : celui de la congrégation religieuse. Pour répondre à sa vocation dans l’Église, celle-ci doit reconnaître l’appel de l’Esprit dans son être, c’est-à-dire dans son charisme, et dans son agir, c’est-à-dire dans sa mission.
La fidélité à l’Esprit Saint, source de tout discernement, requiert d’abord que la congrégation religieuse soit ce qu’elle est : une certaine manière de vivre l’Évangile, selon une consécration signifiée par la communauté de vocation et les trois vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Or cette forme de vie n’a de sens que reconnue par l’Église. C’est pourquoi la congrégation religieuse a – comme l’Église tout entière – une finalité évangélisatrice : « Les religieux, déclare Paul VI, trouvent dans leur vie consacrée un moyen privilégié d’évangélisation efficace [6] ». Il importe donc que toute décision, examinée dans un discernement communautaire, vérifie la relation entre vie consacrée et évangélisation.
Si l’on discute par exemple de l’opportunité pour des religieux ou des religieuses de s’engager dans un travail professionnel, il faudra faire apparaître des motivations en rapport avec l’évangélisation. Il ne s’agit pas avant tout – comme on l’entend dire parfois – d’être comme tout le monde en partageant la condition de ceux qui « gagnent leur pain à la sueur de leur front ». Il s’agit d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut. Il n’est pas rare de constater que, faute d’être clairement missionnaire, la motivation qui fait assumer un travail professionnel, n’est qu’un alibi que se donnent inconsciemment ceux et celles qui croient, dans les mutations actuelles de l’Église et de la société contemporaine, avoir perdu leur identité. Or leur identité se situe dans leur vocation et celle-ci est, radicalement, consécration.
Il faut donc en revenir au lien entre consécration et « évangélisation efficace ». Sous ce rapport, il n’est pas sans intérêt de remarquer que chacun des trois vœux signifie l’une des étapes de l’évangélisation : la pauvreté est partage de vie, l’obéissance est mission et la chasteté, amour qui se met au service [7].
Le discernement communautaire s’inspirera donc avant tout de ce charisme de toute congrégation qui est d’annoncer la Bonne Nouvelle par la vie consacrée.
Mais cette consécration – évangélisatrice dans la mesure même où elle est évangélique – est vécue diversement par chaque congrégation. Les fondateurs et fondatrices en ont précisé les modalités dans leurs Constitutions. L’Église a reconnu, pour chacune, une spécificité du témoignage et, partant, une mission.
Il s’ensuit que le discernement communautaire n’est « opérationnel » que si la décision étudiée est rapportée à la mission propre à chaque congrégation. Il n’est pas inutile de rappeler que c’est l’Église tout entière qui porte la responsabilité de l’évangélisation [8] : dans l’Église, Corps du Christ, les « ministères » sont différents [9].
En d’autres termes, il convient que chaque congrégation détermine, en fonction de son charisme propre, ses options prioritaires. Le discernement communautaire – au plus haut niveau – lui permettra de le faire en fonction des diverses « voies de l’évangélisation ». On ne saurait, en effet, tout faire. Il faut, dans la prière, la réflexion et la délibération, prendre conscience du point exact où se situe le témoignage propre ou l’action apostolique privilégiée. Selon la « trajectoire » de l’évangélisation, décrite par Paul VI, cela va du partage silencieux de la vie à la coopération liturgique, en passant par l’annonce de la foi, la catéchèse, les moyens de communication sociale, etc. [10].
On est ainsi parvenu au plan des options concrètes et des moyens à prendre. Chaque congrégation devra en décider dans un discernement communautaire effectué dans le double éclairage de son charisme et de sa mission.
Discernement dans la communauté : obéissance et coresponsabilité
Cependant le lieu où se vit réellement le discernement communautaire est, en définitive, la fraternité ou communauté locale. Il y a, en effet, discernement communautaire quand tous les membres d’une communauté prennent ensemble une option pastorale concernant soit l’une ou l’autre des personnes (apostolats, santé, voyages, loisirs, etc.) ; soit la communauté tout entière (style de pauvreté, implantations, accueils, etc.).
L’approche de la décision met en jeu tout ce que nous avons analysé jusqu’ici, à savoir : d’une part le rapport au mystère de l’Église et à l’évangélisation et, d’autre part, le rapport entre le charisme et la mission de la congrégation.
Dans cet éclairage, la délibération de la communauté trouve son centre de gravité dans l’équilibre entre deux facteurs : l’obéissance et la coresponsabilité. Toute la question est, en effet, de savoir où est le pouvoir de décision et donc comment le discernement communautaire est une pratique de l’obéissance comme coresponsabilité.
La réponse peut être lue dans le décret du Concile Vatican II sur la rénovation adaptée de la vie religieuse [11]. Il s’ensuit cette conviction que c’est la motion de l’Esprit Saint qui est à l’origine de tout : elle inspire l’obéissance de la foi au service de l’Église. Elle fonde le respect dû à la dignité et à la liberté des personnes, la collaboration responsable à laquelle sont invités tous les membres de la communauté et l’idéal de service qui doit être celui de l’autorité religieuse. Ce rappel théologique n’est pas inutile car le discernement communautaire vérifie trop souvent ce que Péguy dénonçait en parlant du « mystique » qui vire au « politique ».
Il convient donc de préciser sur quoi se fonde cette coresponsabilité et comment elle intervient dans une obéissance évangélique.
Il faut en revenir à cette certitude que l’Esprit Saint parle au cœur de chacune des personnes qu’il appelle à la vie consacrée. Cet appel suscite une réponse dont l’expression est précisément une responsabilité [12]. La coresponsabilité est donc la conscience de chacun d’avoir, comme on dit très justement, « voix au chapitre », c’est-à-dire droit d’exprimer comment il entend gérer sa propre vocation au sein de la congrégation où Dieu l’appelle. C’est dire que chacun doit être capable de donner un avis sur les questions que posent à sa communauté les choix à faire. C’est là l’objet du discernement communautaire.
Encore faut-il bien comprendre de quel lieu on parle quand on exerce son droit à la coresponsabilité. Le discernement communautaire, rappelons-le encore une fois, est l’expression d’une communauté de foi : il se vit en Église. Or en fondant celle-ci, Jésus-Christ l’a structurée de façon hiérarchique : douze dont un. Lui-même en donne le sens lorsqu’il dit : « Qui vous écoute, m’écoute [13] ». La délibération communautaire au sein de la vie religieuse ne s’identifie donc pas à celle d’un Parlement. On devrait même dire qu’elle n’est pas « démocratique » : ce n’est pas, en effet, une majorité qui l’emporte, mais un discernement. La coresponsabilité dans la foi n’est pas la cogestion. La motion de l’Esprit Saint, source de toute option, passe par ceux qui décident, c’est-à-dire les supérieurs et non le groupe [14]. Cette structure communautaire – à la fois coresponsable et hiérarchique – doit se vérifier à tous les niveaux de la vie religieuse, jusqu’à celui de la communauté locale [15]. Ainsi seulement le discernement communautaire se vivra comme une obéissance dans la foi.
Conclusion : « Radioscopie » du discernement communautaire
Le discernement communautaire apparaît donc, en dernière analyse, comme l’expression de la vie d’une communauté de foi. Il donne à la personne humaine toute la plénitude que lui confère sa consécration. Il oblige chacun à se situer à égale distance de l’individualisme et du collectivisme et exige d’éviter aussi bien l’égoïsme de qui se ferme sur son « jardin secret » que l’aliénation de « l’homme unidimensionnel [16] », mesuré seulement par son groupe sociologique.
Ce paradoxe est celui du mystère pascal. La décision à prendre en communauté vérifie le « passage » de la mort à la résurrection dans la mesure même où elle implique le difficile équilibre de la coresponsabilité et de l’obéissance, du charisme et de la mission d’une congrégation, de la vocation évangélisatrice de l’Église et, en dernière analyse, des motions de l’Esprit dont nul ne sait, à l’avance, « ni d’où il vient ni où il va [17] ».
C’est tout cet enjeu qui permet de décrire le processus du discernement communautaire à l’instar de ce que saint Ignace propose dans les Exercices Spirituels touchant l’art de se décider selon l’Esprit, c’est-à-dire le choix ou « élection ».
Le discernement communautaire peut ainsi se déployer en cinq étapes.
Première étape : la prière : toutes les personnes concernées commencent par s’efforcer de se placer, en pleine liberté, sous la motion de l’Esprit Saint, se trouvant « comme l’aiguille d’une balance » pour suivre uniquement ce qui sera perçu comme s’ordonnant davantage « à la gloire et à la louange de Dieu [18] ».
Deuxième étape : un temps de réflexion personnelle (solitaire) : chacun examine les diverses solutions qui peuvent être envisagées dans l’option qui fait l’objet du discernement communautaire. Il s’agit de peser soigneusement le pour et le contre de chacune de ces solutions. Cette réflexion personnelle doit s’achever dans un choix qui exprime la préférence « spirituelle » de chacun.
Troisième étape : un temps de dialogue et d’écoute mutuelle : chacun expose aux autres le fruit de sa réflexion : son choix, justifié par l’évaluation critique des raisons pour et des raisons contre. Il importe de rappeler à ce sujet le climat dans lequel doit se dérouler cette écoute mutuelle : c’est celui du « préjugé favorable [19] ». Ne pas s’interrompre mutuellement. Ne pas formuler à ce moment-là les objections qui pourraient survenir, mais s’efforcer d’entrer dans le point de vue de l’autre et d’en discerner la valeur positive.
Au terme de ce « tour de table », un débat général s’instaure dans lequel on évalue les convergences et les divergences. « Après avoir ainsi appliqué à la question sous tous ses aspects l’intelligence et la réflexion, regarder de quel côté la raison incline le plus. C’est selon la plus forte motion de la raison, et non pas selon quelque motion des puissances sensibles, que doit se faire le choix [20] ». Il va sans dire que cette « raison », dont parle ici saint Ignace, n’est autre que l’intelligence de l’homme éclairée par l’Esprit Saint, dans la lumière de qui chacun s’est d’abord placé.
Au terme de cette évaluation, on fait ensemble un choix, à valeur indicative et non pas décisive. Si l’on opte de le dégager par un vote, celui-ci se fera toujours à bulletins secrets.
Quatrième étape : prise de décision par le supérieur, qui en informe la communauté. Cette décision ne suit pas nécessairement le vote, car le supérieur doit être attentif à ce qu’il peut y avoir de valable dans l’opinion de la minorité. (Au Concile, le vote des Pères est ratifié ou non par le Pape). Seule la ratification exprime la décision prise selon l’Esprit Saint.
Cinquième étape : tous retournent alors à la prière afin que la communauté tout entière se dispose à accueillir la décision et que chacun, dans l’Esprit Saint, s’efforce de la faire sienne. Ainsi le discernement communautaire s’achève dans l’obéissance de la foi et dans la charité fraternelle qui sont les fruits de l’Esprit [21]. Comme dans l’Église primitive, la communauté peut dire de son discernement : « Ceci a paru bon au Saint-Esprit et à nous ».
Alors se vérifie pour cette communauté, cette congrégation et l’Église tout entière la conclusion de l’évangile de Marc : « Ils s’en allèrent partout prêcher la Bonne Nouvelle, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient ».
« Les Fontaines »
B.P. 205
F-60500 CHANTILLY, France
[1] Le service de l’Église ne doit pas détruire la spécificité de la vocation d’une congrégation ; c’est pourquoi le discernement communautaire doit tenir compte de son charisme propre.
[2] C’est l’éclairage que propose le Concile Vatican II dans la présentation du mystère de l’Église (Lumen gentium, § 1-4) comme dans celle de son activité missionnaire (Ad gentes, § 2-6).
[3] « Un conflit en résulta et des discussions assez vives... Comme la discussion devenait violente... » (Ac 15,2.7).
[4] Cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi (L’évangélisation dans le monde moderne - sigle : EN), 8 décembre 1975, nos 21-24.
[5] Prière eucharistique IV.
[6] Paul VI, EN, n° 69. Cf. aussi Evangelica testificatio (Lettre sur le renouveau de la vie religieuse, 29 juin 1971) : « Le témoignage évangélique de la vie religieuse manifeste aux hommes la primauté de l’amour de Dieu avec une force dont il faut rendre grâce à l’Esprit Saint » (n° 6).
[7] Ga 5, 13. – On peut manifester cette « correspondance » comme suit.
[8] Paul VI, EN, n° 14.
[9] Rm 12,6-8.
[10] Paul VI, EN, nos 40-48.
[11] Vatican II, Décret Perfectae caritatis (sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse, 28 octobre 1965).
[12] En allemand, cette correspondance apparaît mieux : dans Verantwortlichkeit (responsabilité), il y a Antwort (réponse), qui lui-même contient Wort (mot) : la responsabilité est la réponse de qui a son mot à dire.
[13] Lc 10,16.
[14] Perfectae caritatis, n° 14.
[15] C’est pourquoi toute communauté requiert un supérieur local (sur place ou non). Ceux qui déclarent (comme il arrive parfois) « n’avoir pas besoin de responsable » manifestent qu’ils n’ont pas compris la signification « religieuse » de la coresponsabilité dans l’obéissance de la foi.
[16] Titre de l’ouvrage célèbre de H. Marcuse.
[17] Jn 3,8, qui ajoute : « Ainsi en sera-t-il de quiconque est né de l’Esprit ».
[18] Exercices spirituels, n° 179.
[19] Ibid., n° 22.
[20] Ibid., n° 182.
[21] Ibid., n° 183.