Va... je t’envoie
Louise Vanwert, i.e.j.
N°1978-3 • Mai 1978
| P. 151-154 |
Dieu peut-il, de nos jours encore, appeler une religieuse, chargée de sérieuses responsabilités dans son pays, à partir aider une Congrégation naissante dans une jeune Église ? Telle est la question qui s’est posée à celle qui nous dit ce que fut sa réponse et celle de son Institut.
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« Va ! » Ce mot de la mission est-il encore actuel pour nos Instituts de vie religieuse apostolique ? C’est là une question troublante que se posent pas mal de religieux. Secoués par les mutations profondes qui leur sont imposées par les circonstances, découragés parfois devant le manque d’ouvriers apostoliques, ils seraient tentés de penser qu’ils n’ont plus qu’à survivre, à « tenir » le plus longtemps possible tout en se livrant jusqu’au bout. Solution de grande générosité, où s’exprime un souci réel de fidélité, et cependant solution qui, le plus souvent, n’apaise pas pleinement le cœur, car un instinct très sûr, à la fois naturel et surnaturel, nous dit que Dieu veut la vie, et la vie en abondance. Le petit nombre est-il réellement obstacle à la vie, peut-il nous empêcher d’incarner aujourd’hui encore l’audace apostolique dans la totale disponibilité ? L’histoire, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, nous porte à répondre par la négative. Les Apôtres, les premiers compagnons d’Ignace et tant d’autres ne se sont laissés arrêter ni par leurs effectifs réduits ni par les mutations de leur temps. Au contraire, fermement décidés, motivés en profondeur par une foi inébranlable dans la mission de leur Institut vue comme participation à la mission de l’Église universelle, ils ont osé entreprendre de grandes choses, ils ont osé courir le risque de la nouveauté incessante des appels de l’Esprit.
Pour ma part, cette conviction ancrée dans le passé se voit confirmée par l’expérience qu’il m’est donné de faire, expérience qui me fait vivre, moi et toutes mes sœurs, et que je partagerai ici tout simplement.
L’appel d’un Évêque
J’appartiens à un Institut fondé il y a près de 150 ans et comptant une centaine de membres, dont l’âge moyen est assez avancé. Depuis 25 ans, je suis responsable de la formation des jeunes et membre du Conseil général. Il y a environ trois ans, une lettre, banale en apparence, m’arrivait d’une de mes consœurs du Zaïre. Une nouvelle parmi d’autres (du moins c’est ainsi que, de prime abord, je percevais la chose) : l’Évêque du diocèse où nous sommes insérées songe à la fondation d’une communauté religieuse autochtone, car quatre jeunes filles lui en ont fait la demande ; il cherche quelqu’un pour les aider dans leur fondation et leur formation. Ce projet rencontrait une de mes aspirations profondes : aider une Église jeune à créer ses propres structures, à incarner l’Évangile sans renier les valeurs de son peuple. À ce moment rien ne pouvait me laisser croire que je pourrais participer à cette mission : mes fonctions dans la Congrégation, ma tâche de professeur me vissaient au pays ! Les lettres se succédèrent de plus en plus précises : « ne viendrais-tu pas ? »... « pour un an »,... « pour trois mois »,... « pour un mois » ?
« Pour un mois »... l’impossibilité semblait disparaître et à partir de ce moment, je pris la demande comme un appel et je la partageai avec ma Supérieure générale. Un mois, oui, c’est possible sans tout bousculer en Belgique.
Et je reçus le feu vert. Nous eûmes, je crois, à ce moment, la grâce de la naïveté, naïveté de croire qu’un mois de présence parmi ces jeunes pourrait être un dépannage réel, naïveté de croire qu’une fois lancées dans pareille aventure, Dieu ne nous mènerait pas au-delà de nos courtes vues. Ce premier mois au Zaïre fut pour moi comme un expériment. J’en suis revenue plus convaincue que jamais qu’il était important pour l’Église d’avoir des religieuses autochtones capables de penser la vie consacrée à l’intérieur de la vie africaine ; j’étais aussi convaincue que l’Esprit travaillait ce petit noyau fondateur. L’Évêque, de son côté, lançait un appel précis à mon Institut pour que je puisse m’engager totalement dans cette tâche. Quelle tâche, au fond ? Comme dans tout noviciat, il fallait poser les bases d’une vie religieuse solide, en d’autres termes, aider ces jeunes à acquérir une formation sérieuse ; mais, en même temps, puisqu’il s’agissait d’une fondation nouvelle, tout un travail de recherche s’imposait : à quoi est appelé ce groupe nouveau, quelle est son inspiration propre, son charisme ? Travail passionnant à mener dans l’écoute mutuelle, la prière, les essais et les erreurs, pour percevoir l’appel profond de l’Esprit.
Un long discernement
Cette demande explicite de l’Évêque fut ressentie par les responsables de mon Institut comme une interpellation extrêmement exigeante : me laisser partir, ne fût-ce que pour un an, c’était être acculées à pas mal de problèmes : lâcher ma profession d’enseignante à quelques années de la pension, me remplacer auprès des jeunes et cela de façon assez imprévue, etc.
Ce fut l’occasion d’un long discernement éclairé par la prière, les rencontres, les demandes de conseil. Ce discernement ne pouvait se limiter aux membres du Conseil général ; ma communauté, c’est-à-dire la communauté de la maison de formation, était concernée plus que toute autre par l’appel qui m’était adressé. Tout un cheminement était nécessaire pour entrer dans cette perspective inattendue : ce fut l’occasion d’un approfondissement du sens de notre communauté apostolique, « communauté rassemblée pour être envoyée ».
Ainsi, dans la prière, la réflexion à la lumière de l’Évangile, la communauté pouvait assumer mon départ, et si je recevais officiellement ma mission de ma Supérieure générale, ma communauté m’envoyait elle aussi, se constituait partie prenante de mon travail là-bas. Dès que l’Institut fut mis au courant de la décision, c’est réellement chacune des Sœurs qui, d’une certaine manière, m’envoyait et se sentait envoyée à travers moi, assumant pleinement, elle aussi, le projet.
Lors de mon premier retour au pays, après six mois de travail au Zaïre, il m’apparaissait clairement qu’un engagement sérieux dans ce type de mission ne pouvait se limiter à une année. L’Évêque, de son côté, renouvelait son appel, espérant que je pourrais être consacrée à cette tâche tout le temps qu’il faudrait. Nouveau travail de discernement, où les conséquences d’une absence prolongée étaient pesées dans la prière et la réflexion.
Très vite, je reçus le coup d’envoi qui me permettait une présence active de neuf mois sur douze en Afrique.
Les motifs d’un envoi en mission
Qu’est-ce qui fut décisif dans le « oui » à l’appel reçu ? Avant tout, ce me semble, la conscience d’un appel d’Église : une Église jeune, riche d’espérances mais pauvre encore en formateurs ou formatrices. Les pauvres aident les pauvres, dit-on parfois. C’est bien ce que nous expérimentons en vivant ce partage, oui, je dis bien ce partage réciproque. Mon Institut envoie un de ses membres pour un temps, et cela malgré (ou grâce ?) à sa pauvreté en nombre ; la jeune Église à Kamina, par ces quatre novices qui fondent une nouvelle cellule de vie consacrée, nous apporte un renouveau de vie, car, sans s’en douter, elle fait une brèche dans notre mur, permettant le passage d’un vent de jeunesse et de renouveau. Là où nous ne pensions plus devoir rester (notre présence au Zaïre avait été récemment encore remise en question), il nous est donné de participer à une fondation ; à un moment où pas mal de choses semblent mourir autour de nous, il nous est donné d’aider à la naissance d’une vie.
Autre élément décisif venu comme authentifier le premier : au cours de l’histoire de mon Institut, bien souvent nous avons dû entreprendre des choses nouvelles, pour un temps seulement (laissant à d’autres le soin et la joie de les continuer) ; la mission qui m’était demandée paraissait être de ce type : aider cette nouvelle communauté à prendre son départ puis m’effacer progressivement.
Le temps seul pourra dire l’impact profond que la participation à cette fondation aura eu sur mon Institut. Nous laissons cela à Dieu. Ce qui compte, c’est qu’aujourd’hui, avec des moyens bien pauvres, il nous est encore et toujours demandé de nous laisser envoyer pour permettre à Jésus-Christ de construire son Royaume et cela, pour nous consacrés, qu’est-ce, sinon vivre ?
B.P. 309
KAMINA, Zaïre