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Monachisme urbain aujourd’hui : pourquoi ?

Jean Leclercq, o.s.b.

N°1978-3 Mai 1978

| P. 170-185 |

Depuis toujours, des moines et des moniales ont voulu unir l’expérience du désert et la proximité des foules. Jean Leclercq nous le rappelle dans un bref survol historique. Il nous indique ensuite les exigences et les conditions d’existence d’un monachisme urbain aujourd’hui. Enfin il évoque les besoins auxquels répondent ces communautés contemplatives urbaines.

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Chacun des mots de ce titre indique l’une des exigences du sujet, leur succession déterminera le plan de l’exposé : il doit s’agir de rappeler ce qu’est le « monachisme », de quelle façon il peut être « urbain », et cela dans l’actualité, dans « l’aujourd’hui » que nous avons le privilège de vivre, enfin « pourquoi » il a une fonction à remplir dans le Liège de nos jours [1].

Actualité du monachisme

Il n’y aura pas lieu d’exposer longuement ce qu’est le monachisme. Encore faut-il préciser en quel sens ce terme sera utilisé ici, puis évoquer à quel point il est de notre temps.

Tous les mots, au cours de l’histoire, s’usent ou, ce qui revient parfois au même, se chargent de significations si différentes qu’ils en viennent à ne plus vouloir dire aucune d’elles avec nécessité. Quoi qu’il en soit des vicissitudes historiques du vocabulaire, des ambiguïtés juridiques de son contenu, la sensibilité commune de l’Église d’aujourd’hui n’admet pas d’équivoque : dans la typologie des divers modes d’existence chrétienne, est monastique celle qui est centrée sur l’attention à Dieu, par conséquent celle qui accorde à la prière priorité sur toutes les autres activités (sans les exclure), et en les admettant dans la mesure où elles sont compatibles avec cette attitude fondamentale, cette occupation primordiale. Tout le reste (structures et observances) n’est destiné qu’à favoriser cette vie de prière chez celles et ceux qui en ont entendu l’appel, chez celles et ceux qui viennent chercher en leurs communautés le témoignage qu’elles rendent à l’amour absolu reçu de Dieu, restitué à Dieu, par Jésus-Christ, dans l’Esprit Saint, celui d’un renoncement joyeux, et de la solidarité universelle.

La fonction constitutive du monachisme est le service de la prière comme participation à la diaconie contemplative du Christ, à sa propre expérience de Dieu, à l’œuvre de salut que, grâce à elle, il a accomplie en sa vie, en son sacrifice, et qu’il continue en sa gloire en envoyant d’auprès du Père son Esprit dans l’Église. Si le monachisme comporte une part de mystère, irréductible aux justifications que l’on pourrait donner de lui au nom d’une efficacité quelconque, c’est parce qu’il participe à ce mystère de la prière.

Pour parler d’une telle activité et d’une telle existence, on n’hésite pas, aujourd’hui, à employer les termes de contemplation et de vie contemplative. Par exemple, un récent numéro de la revue nationale de l’apostolat dans les campus universitaires des États-Unis est entièrement consacré au silence, à la méditation, à la prière, à ce que le titre de quatre des articles désigne comme « la contemplation » et « l’attitude contemplative [2] ». De même, à l’une des conférences publiques données, chaque hiver, à Notre-Dame de Paris sur l’actualité religieuse, les organisateurs ont fixé ce titre, pour le 11 décembre prochain : L’appel contemplatif aujourd’hui. Ne voit-on pas surgir, en bien des endroits, ce qu’on appelle maintenant des « moines spontanés » qui, à titre individuel ou en groupe, sans appartenir à aucune institution, manifestent que la démarche contemplative constitue l’une des exigences du monde d’aujourd’hui ? A ce besoin spirituel, plus vivement ressenti maintenant, mais qui fut de toutes les époques, répond le monachisme.

Le monachisme urbain autrefois

À ce mystère monastique, identique partout et toujours, quels caractères particuliers va imprimer le fait d’être réalisé en milieu urbain, aujourd’hui ? Pour tenter de les discerner, il faut d’abord évoquer rapidement l’histoire : en ce domaine comme en tous les autres, la tradition aide à saisir les exigences de l’aujourd’hui et du demain, selon ce mot attribué à Confucius : « Raconte-moi le passé et je t’annoncerai l’avenir. » En premier lieu, ce regard rétrospectif nous libérerait, s’il en était besoin, de tout préjugé contraire à une vie contemplative menée en ville. En effet, on n’a jamais identifié le désert chrétien (cette situation religieuse en présence de Dieu, par laquelle on participe à la solitude salvatrice du Christ) avec les espaces sauvages. On s’est toujours rappelé que l’Église, en l’Apocalypse, est présentée comme une ville, qui ne se confond pas avec la cité séculière, mais qui peut s’insérer en elle afin de la consacrer. La ville n’est ni plus sainte, ni moins, que la campagne, peuplée, elle aussi, de pécheurs que Dieu veut sauver. Toutefois, cette œuvre de salut n’est-elle point favorisée par la concentration des moyens que les hommes ont de se communiquer les uns aux autres les bienfaits divins ? Un spécialiste américain de sociologie religieuse a pu parler récemment du « caractère sacré de New-York ».

Il s’est toujours agi, pour beaucoup de moines et de moniales, d’unir l’expérience du désert à la proximité des foules. Il y a beaucoup de demeures dans la maison contemplative de Dieu : la préférence donnée à la résidence urbaine est l’une des constantes de son histoire, depuis ses origines [3]. N’oublions pas que le créateur de l’idéologie du désert non peuplé, sinon de solitaires, Cassien, dis-je, a passé la plus grande partie de son existence en de grandes villes d’Orient, avant de se retirer à Marseille afin d’y rédiger, non sans des pointes d’exagération, les interviews qu’il était allé demander à des chefs de communautés suburbaines, qu’il présente comme s’ils étaient ermites dans le Sahel. Après lui, le monachisme urbain connut des vagues de prospérité successives. Des statistiques portant sur une vaste région allant des sièges épiscopaux de la région de Tours à celui de Maestricht et Tongres, devenu celui de Liège à partir de 717 ou 718, montrent qu’aux temps mérovingiens, la plupart des monastères étaient « dans les murs ». A partir du roi Dagobert (623-639), l’évolution se fait à l’inverse [4]. Mais elle reprend ensuite et, au Xe siècle, il y avait à Rome dix fois plus de monastères qu’il n’y en a au XXe. Déjà auparavant, quoi qu’il en soit de la migration légendaire des moines du Mont-Cassin à Rome pendant la guerre byzantino-gothique du VIe siècle, Rome avait eu un rôle dans la diffusion de la Règle de saint Benoît, ce document dont la liturgie est explicitement référée à celle de « l’Église Romaine », ce texte qui introduit, là où on l’adopte, un lien avec le centre de la chrétienté.

Des noms de gares, comme Liège-Guillemins ou Limoges-Bénédictins, évoquent encore le fait que, durant tout le Moyen Âge, des monastères se trouvèrent aux endroits par où l’on accédait aux grandes agglomérations, et j’ai séjourné cette année dans un faubourg de Dublin qui conserve le nom révélateur de « Monkstown » parce qu’une abbaye y fut à l’origine d’une extension de cette capitale de l’Irlande. A partir du moment où, au XIIIe siècle, existèrent des Universités, beaucoup de communautés voulurent avoir, dans les villes où elles se trouvaient, une maison qui ne fût pas seulement une résidence pour leurs étudiants, mais un lieu de rayonnement, voire de recrutement. A cette époque, les Chartreux s’établissent à Liège.

Une nouvelle vague de monachisme urbain déferla au XVIIe siècle, celui où la Paix-Notre-Dame fut fondé, celui où Port-Royal-des-Champs créa Port-Royal de Paris : celles et ceux qui demeuraient en chacun de ces endroits étaient alors désignés comme des solitaires, étant bien admis que, pour mériter ce titre, il faut, en régime chrétien, être également solidaire de tout l’environnement et de l’univers entier.

Il a fallu attendre le XIXe siècle, avec son romantisme bucolique, pour que l’on pût déclarer (je n’invente pas) : « la vie contemplative ne peut se mener qu’à la campagne. » Et même alors, comme dans les monastères ruraux de tous les temps, moines et moniales ont été les agents de ce qu’on a appelé « l’urbanisation des campagnes » : ils y portèrent une mentalité urbaine, avec ses exigences d’hygiène, de culture, d’occupations non rurales (telles que les études), sans oublier l’urbanité de leurs manières. Exactement comme les citadins d’aujourd’hui tiennent à retrouver, en leur résidence secondaire de la forêt ardennaise ou autre, les mêmes commodités qu’en leur appartement.

Le monachisme féminin, en particulier, a toujours eu un caractère urbain prédominant, et c’est encore le cas aujourd’hui. N’étant point prêtres, les moniales s’adonnent au ministère de la prière plus qu’à celui de l’action pastorale. Jadis, dans des villes qui étaient généralement peu étendues, ou dans leur quartier, on connaissait leur existence, ainsi que celle des reclus et recluses qui, aux frais de la cité, intercédaient pour elle. Aujourd’hui, ces lieux de prière sont souvent ignorés ; il faut avouer que l’on a beaucoup contribué à les cacher par des moyens, comme grilles et voiles, qui ne sont plus guère en usage que dans certaines sociétés musulmanes. Récemment, à Rio de Janeiro, j’ai encore célébré l’Eucharistie devant une de ces grilles, armée de longs piquants, dont l’excuse était double : datant du XVIe siècle, elle est protégée comme un monument historique ; et, d’autre part, elle fut introduite en même temps que d’autres coutumes de cette péninsule ibérique où l’influence de l’Islam fut si forte. Maintenant l’heure est venue d’en finir avec tout ce folklore et d’inventer un monachisme urbain pour notre temps.

Le monachisme urbain aujourd’hui

Ses exigences et les conditions de son existence

Il n’est pas davantage utopique dans le présent qu’il ne le fut dans le passé : il existe, il répond à une nécessité croissante, mais il comporte aussi des exigences nouvelles. Il est présent, de plus en plus, en ces lieux de peuplement où la majorité de nos contemporains existent, même si un nombre de plus en plus élevé d’entre eux, plutôt privilégiés, s’évadent, durant les temps de vacances et de week-ends, dans la campagne proche ou lointaine, où il est bon qu’il y ait aussi des monastères. Dans l’un et l’autre environnement, ceux-ci doivent rester premièrement des maisons de prière, où puissent s’épanouir des vocations à la prière, où le service de la prière dans l’Église (et pas seulement de la prière liturgique) soit accompli, avec, secondairement, d’autres activités compatibles avec celle-là, et rayonnant à partir d’elle : partage de la retraite et du recueillement, de l’expérience spirituelle, de la joie, du réconfort que requièrent les formes contemporaines de l’ascèse ; témoignage en faveur de la conciliation possible entre cette vie de prière et la culture.

Or, il faut le reconnaître, il est plus difficile d’être fidèle à la vie monastique en ville qu’à la campagne, parce que les occasions d’activités non monastiques y sont plus nombreuses. Un authentique monachisme urbain n’est donc possible qu’à certaines conditions. Il requiert, tout d’abord, une conviction commune au sujet de la vocation et de l’identité, du sens et du rôle, d’un tel monachisme : conviction relative à la vie de prière, à la signification du phénomène urbain, à la physionomie du monachisme qui lui convient. Ce programme commun sera ce qui retiendra moniales et moines en leur fonction et fera de leur monastère un centre d’attraction, et non de dispersion. Aux individus, il faudra le courage de n’avoir point, normalement du moins, d’activités incompatibles avec cette vocation communautaire. Il va sans dire que cette conviction ne doit pas seulement être partagée au niveau des idées, mais à celui de la charité vécue. Elle n’exclut pas des prises de position personnelles différentes en plusieurs domaines, et elle doit même s’en enrichir. Mais il n’est pas de témoignage monastique là où l’union des cœurs n’est point perceptible.

Cette conviction de base doit nécessairement s’accompagner d’une observance adaptée à l’environnement urbain et non conçue jadis dans un milieu rural. Ceci entraîne des conséquences pratiques, et tout d’abord quant à l’horaire : là plus qu’ailleurs, il est marqué, non plus, comme ce fut le cas jusqu’au XIXe siècle, par la durée naturelle des journées et des nuits, mais par ce qu’on appelle le « temps industriel », c’est-à-dire résultant de l’industrie humaine : partout, dans nos pays, le gaz, puis l’électricité ont, selon la formule d’un Psaume, « changé la nuit en jour ». Ensuite, quant aux rythmes de vie, qui ne résultent plus seulement de la succession des saisons, ni de celle de la semaine et du dimanche : ils comportent maintenant l’alternance de périodes, moins longues, mais plus intenses qu’autrefois, de travail productif, et de vacances, avec leurs possibilités de loisir contemplatif ; au repos du septième jour a succédé un long week-end qui commence au soir du cinquième : les monastères des villes pratiqueront l’accueil davantage et différemment du lundi au jeudi, alors que ceux de la campagne le feront surtout du vendredi au dimanche. Les formes même de l’accueil, de l’hospitalité, de cette distance par rapport à la vie séculière qu’on a appelée la clôture, doivent désormais être celles que rendent possibles et utiles l’environnement et la vocation urbaine, et l’habitat doit être aménagé en conséquence. Quant au travail et à l’économie, il n’est ni plus ni moins difficile de les organiser en ville qu’à la campagne.

L’évolution des villes, il est vrai, pose elle-même un problème nouveau, auquel il faudra bien que l’Église et son monachisme apportent, eux aussi, une solution. C’est un fait que la plupart des monastères urbains sont situés dans ce qui est devenu, durant les siècles récents, le centre des villes : pour ne citer que deux exemples dont les noms parlent, S. Germain-des-Prés et S. Martin-des-Champs ne sont plus dans des espaces verts, mais au milieu du macadam du Paris moderne. Or les études de sociologie urbaine permettent de constater, à la lumière de statistiques précises, un phénomène qui se réalise dans les « mégapoles » du monde entier : le centre se dépeuple (quitte à être encore occupé par des bureaux où l’on afflue durant les jours et les heures de travail), tandis que l’agglomération périphérique augmente et ne cesse de s’étendre. Il faudra donc deux sortes de monastères urbains : ceux des quartiers nouveaux et ceux du centre ancien. L’un des rôles de ces derniers sera de contribuer, grâce à des rencontres au sommet, dans la prière, à la connaissance mutuelle, à l’entente et à la réconciliation, entre deux catégories d’habitants des quartiers centraux : ceux des logements de luxe (historiques ou tout récents), et les déshérités qui n’ont pas eu le moyen d’émigrer vers les nouveaux centres vitaux. Je rêve d’une Commission de l’Urbanisme Monastique, chargée de faire de la prospective en ce domaine. Sans doute, au Heu de communautés vastes et rares, s’acheminera-t-on vers une dissémination de petits groupes de prière, entre lesquels pourra exister un réseau de relations et d’échanges, dans le genre de ce que la Communauté Saint-Benoît réalise auprès de Paris.

Formes de réalisation

S’il y a toujours eu un monachisme urbain, sa réalisation ne peut plus être aujourd’hui ce qu’elle fut jadis. En ce sens, il y a là un type de vie qui est nouveau par rapport à ce qu’il fut dans le passé pré-industriel. Et, grâce à l’Esprit Saint, il ne manque pas à l’Église. Je pense à l’Ermitage Notre-Dame-de-la-Ville, qui est situé au cœur d’une grande métropole des États-Unis. Il est de nombreux faits d’érémitisme urbain, dont la discrétion demande qu’on ne les fasse point sortir de l’anonymat, jusqu’au jour où une mort paisible lève le secret, comme ce fut le cas d’Huguette, cette carmélite qui, par fidélité à sa vocation, sortit de ses murs et de ses grilles et alla vivre en une mansarde de Bruxelles, où j’eus la joie de m’édifier auprès d’elle ; sa communauté avait eu l’intelligence et la charité d’approuver son projet, puis, plus tard, elle lui accorda le dernier accueil, celui de son cimetière. C’est sur elle que l’abbé Poelman a rassemblé, dans la revue Vie consacrée, d’émouvants souvenirs [5].

Parmi les nouvelles formes de vie communautaire, la plus connue dans nos pays est aujourd’hui celle de la Fraternité Monastique de Saint-Gervais, située au cœur de Paris. Ses membres ont évité toute publicité inutile, mais ils ont dû distribuer un bref programme [6] qui les dispensât d’expliquer de vive voix leur raison d’être. Ils y disaient leur dessein de créer, au centre d’un des quartiers les plus peuplés de la ville, un lieu de contemplation, un espace de silence et de prière, d’accueil et de partage, de gratuité et de paix, où chacun puisse être accueilli quel que soit son milieu, son âge, sa mentalité, pour cette quête de Dieu dont tant de nos contemporains sont assoiffés. Il est beau de constater que de telles aspirations peuvent prendre corps, non seulement sans entrer en conflit avec des institutions monastiques anciennes, mais avec leur aide.

Au groupe de moines est maintenant venu s’ajouter celui des moniales qui vivent, non loin d’eux, près de l’église Notre-Dame des Blancs-Manteaux. Elles aussi ont dû justifier et leur existence, et le fait qu’en fin d’après-midi, elles rejoignent Saint-Gervais pour prier et chanter, avec les moines, la louange de Dieu et participer à l’Eucharistie. L’archevêque de Paris les a confirmées dans leur voie en leur écrivant :

Vous voulez vous engager dans une vie contemplative au cœur de Paris. Je m’en réjouis.
Vous éprouvez la nécessité d’un temps prolongé d’oraison personnelle et communautaire, joint à une liturgie journalière. Vous ne voulez pas, toutefois, que cette liturgie soit vécue, chaque jour et habituellement, entre vous seules ou dans un petit groupe de personnes choisies.
Vous tenez à célébrer les merveilles de l’amour de Dieu avec l’ensemble du peuple chrétien, dans une église ou une chapelle ouverte à tous. Vous ne voulez pas être étrangères aux parisiens et parisiennes qui viendront prier avec vous.
Enfin votre travail professionnel ne sera pas seulement pour vous un gagne-pain, mais une participation réelle à la vie des citadins et aux tâches de la cité.
Ce projet est original et correspond au désir du Cardinal de voir se créer des foyers de prière adaptés aux besoins spirituels des gens qui vivent à Paris ou qui y travaillent. Vous pouvez donc le réaliser humblement, à votre place, dans l’Église qui est à Paris.
À une époque où la femme prend conscience de sa mission dans le monde autrement qu’en référence à sa situation d’épouse ou de mère, l’autonomie de votre vocation apparaît comme un critère d’authenticité. Le dialogue entre des hommes et des femmes qui poursuivent la même expérience spirituelle sera d’autant plus fructueux dans l’Église que chacun y apportera toute sa richesse propre. A votre manière vous devez servir la promotion de la femme dans une société qui ne lui a pas encore rendu toute sa place...

Par ces faits et par cette déclaration, nous sommes déjà orientés vers la question de savoir à quels besoins répondent les communautés contemplatives urbaines. Quel est leur « pourquoi ? »

Nouvelles raisons d’être

Pour être réaliste, la réponse doit comporter une distinction entre les villes en général et, d’autre part, Liège et celles qui présentent des analogies avec elle. En toutes, l’un des termes les plus souvent utilisés pour caractériser le rôle des monastères est celui d’oasis. Aux IVe et Ve siècles, les solitudes d’Égypte, de Syrie et de Palestine s’étaient tellement peuplées d’ermites et de cénobites qu’on avait pu les comparer à de véritables villes : un historien anglais a écrit sur ce phénomène du désert devenant cité un livre qui, dès son titre, affirme ce fait : The Desert a City [7]. Aujourd’hui, c’est la ville qui, en bien des cas, est devenue un désert, à cause de son immensité, par conséquent du caractère impersonnel et anonyme des relations qu’y entretiennent des gens qui se croisent sans se connaître, qui cohabitent sans communiquer entre eux. Cette possibilité d’incognito s’avère très favorable aux vocations d’ermites : nulle part on ne peut passer inaperçu, se perdre dans la foule, s’isoler, mieux que dans une grande ville. Toutefois, pour ceux et celles qui n’ont point cette vocation, la métropole est devenue un lieu non de solitude volontaire toute remplie de Dieu, mais d’isolement subi, stérile et douloureux. Un tel enfer, pour rester habitable, exige des compensations sous forme de regroupements divers : on y voit se multiplier toutes sortes de clubs, d’associations destinées à remédier à l’ennui par le jeu ou le sport, les centres d’intérêt commun dans le domaine des affaires, des plaisirs et de la culture. Dans le domaine religieux, les paroisses, elles-mêmes devenues très vastes, peu favorables aux relations humaines, ne remédient qu’en partie au vide spirituel dont souffrent tant de citadins. Le rôle des monastères est d’être des foyers complémentaires, qui attirent, éclairent, réchauffent, offrent à ceux qui aspirent à se rencontrer en présence de Dieu, afin de rencontrer Dieu, des possibilités que n’assure aucune autre institution.

Leur fonction est donc à la fois spécifique et multiple, et le nombre élevé de chrétiens qui viennent s’y retrouver atteste qu’ils la remplissent bien : votre présence ici, ce soir, en est une preuve de plus. Ce qu’on attend des monastères urbains, et ce qu’on y trouve en effet, c’est le témoignage et le partage de cette expérience spirituelle qu’est l’union avec Dieu réalisée dans la prière ; c’est un contact avec la parole de Dieu, telle qu’elle se trouve dans l’Écriture que l’on vient écouter, méditer ensemble, telle qu’elle est transmise par une tradition nourrie de la doctrine de beaucoup de saints, telle qu’elle est reçue par des membres de l’Église qui lui consacrent le meilleur de leur temps afin de se laisser totalement pénétrer par elle et de manifester tout ce qu’elle peut apporter de paix, de joie, et de charité vraie. Car la prière, liturgique et autre, accompagnée par le fond sonore de la rue, donne à cette rencontre avec Dieu un caractère extrêmement réaliste : on ne s’éloigne point des conditions concrètes de l’existence réelle de la plupart des femmes et des hommes d’aujourd’hui ; on sait qu’on vient de les croiser sur la voie publique, où ils continuent de poursuivre leur marche rapide, et où on les retrouvera bientôt. On porte en soi, devant la face du Dieu invisible et présent, tous leurs soucis, leurs bonheurs faciles, leurs souffrances, leurs problèmes, leur vide intérieur, leur besoin d’être aimés. L’amour que l’on vient exprimer à Dieu renvoie vers eux, et l’on repart avec une volonté accrue de s’engager envers eux, de leur sourire, de les aider, de les faire, eux aussi, vivre du même amour.

Cette attitude contemplative, qui déborde en une activité charitable aux formes indéfinies, ne peut pas se réduire à certaines de ces « œuvres » qui se spécialisent dans la bienfaisance. Elle requiert une animation, une inspiration, un souffle, un calme enthousiasme, une ouverture illimitée à toutes les détresses humaines, que seule peut favoriser l’expérience chrétienne en ce qu’elle a de plus essentiel, de plus simple, de plus profond, voire de plus intense, et, en même temps, de plus humble : la prière, cet acte dans lequel la foi devient explicite, l’espérance reçoit un élan sans cesse renouvelé, la charité s’exerce de la façon la plus gratuite, désintéressée, la plus conforme à ce que fut l’union de Jésus à son Père, dans le Saint-Esprit : son offrande, son sacrifice, ce passage en l’intimité de Dieu dans lequel il a voulu, et continue de vouloir, en sa gloire, nous entraîner. Prière qui est de louange, d’adoration, d’action de grâce, à l’école de la liturgie (sans se limiter à celle-ci) et qui ne vise pas d’abord à l’efficacité. Prière qui suppose et accepte un renoncement total aux résultats immédiats. Qui, mieux que les moniales et les moines, est préparé, par une existence consacrée, à ce service d’Église apparemment le plus inutile de tous, et pourtant le plus nécessaire ?

S’ils ne s’en acquittent point, se laissant accaparer par des tâches plus faciles, d’autres le feront à leur place, car l’Esprit Saint, qui suscite un besoin de Dieu en beaucoup de nos contemporains, ne manque point d’imagination pour faire surgir du sol de l’Église de tels lieux de ressourcement et de retour à l’essentiel de la foi et de ses exigences. En plusieurs villes, on voit aujourd’hui des institutions religieuses (dont certaines portent le titre de « missionnaires ») reconvertir les activités de suppléance qu’elles avaient adoptées au XVIIe ou au XIXe siècle, et ouvrir des « maisons de prière ». Parfois même elles quittent des bâtiments qui n’étaient fonctionnels qu’en vue de leurs tâches antérieures et font construire des édifices où tout est conçu pour les activités de prière : salles de méditation en commun, lieux d’adoration, « coins de silence », chapelles, chambres multiples où l’on peut se recueillir, espaces verts dans la mesure où le terrain le permet. On s’est demandé récemment, au cours d’une réunion d’experts en vie religieuse, « si les congrégations actives ont encore une raison d’être. » Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les ordres contemplatifs ont un présent très prometteur, là où ils ont su adapter aux exigences d’aujourd’hui leurs observances traditionnelles.

Ni les motivations, ni les critères sociologiques déterminant les tâches à assurer, ne peuvent plus être ce qu’ils étaient dans le passé lointain, ni même il y a cinquante ans. Les monastères doivent maintenant devenir des endroits d’accueil à la fois pour des laïques individuels et pour des communautés de laïques, ces groupes de plus en plus diversifiés qui s’ajoutent aujourd’hui à la paroisse traditionnelle, sans la remplacer, s’intégrant en elle, mais lui apportant un complément nécessaire. Il est bon que, parfois, ils se retrouvent en elle, et qu’en d’autres occasions certains d’entre eux viennent chercher animation et expression en d’autres foyers de prière, et, parmi ceux-ci, dans des monastères. Certes, il est difficile, pour ceux-ci, de s’adapter, pour ainsi dire, à tous les publics. Chacun d’eux doit accepter d’avoir des limites et de ne s’adresser qu’à tels ou tels groupes sociaux. Il est normal que chaque monastère ait son « public », selon qu’il est situé au centre d’une ville, à la périphérie, ou à la campagne ; et dans le même quartier d’une même ville, il est légitime qu’il y ait des groupes chrétiens, des publics, différents, qui puissent venir indépendamment les uns des autres ou avec tels ou tels autres. Ce qui importe, c’est qu’auprès de tous, le témoignage monastique soit authentique et déchiffrable, à deux niveaux ou, si l’on veut, en deux domaines : celui de la qualité et de l’expression de la prière ; celui de la vie communautaire. Qu’on n’y trouve pas seulement une collectivité, une collection ou juxtaposition d’individualités, même fortement accentuées, entraînant autant d’individualismes ; mais une communauté de personnes dont chacune enrichit sa propre personnalité par cela même qu’elle donne aux autres et reçoit d’elles. Un monastère doit porter témoignage d’une vie de communauté qui soit vraie, d’abord au plan humain (celui des services réciproques, ainsi que ce fut le cas dans l’Église primitive), ensuite au plan des motivations chrétiennes, qui sont de foi, d’espérance et d’amour, comme dans la primitive Église. Mais ces services et ces motifs, il faut que les laïques d’aujourd’hui puissent les percevoir comme valables. Aussi ni les services rendus, ni les formes d’expression des motivations, ne doivent-ils plus être nécessairement, et ne peuvent-ils plus être, ce qu’ils étaient dans le contexte socio-culturel des premières générations chrétiennes. L’Évangile dont les monastères doivent témoigner, en ville comme ailleurs, doit rester une Bonne Nouvelle pour aujourd’hui.

Le monachisme en une ville comme Liège

Il est des villes qui sont marquées par deux traits principaux : ce sont de grands centres industriels et de grands centres culturels. La réalité industrielle comporte elle-même deux aspects : un immense déploiement de technologie scientifique, lequel se rattache au domaine culturel, et l’utilisation d’une vaste main-d’œuvre qui est souvent d’origine étrangère : ceci évoque les problèmes humains et sociaux de ceux des habitants de l’agglomération (ville et faubourgs) qui, en comparaison d’une autre partie de la société, vit dans une certaine situation de pauvreté, ce qui est le cas spécialement des migrants : indigence matérielle parfois, mais surtout isolement personnel, familial, religieux, sentiment d’exil, impression d’être marginal, ou d’être abandonné au milieu d’un monde indifférent, sinon hostile, avec tout ce que cela entraîne de tristesse, de déception, voire d’aigreur, de ressentiment et d’envie. Le monachisme n’a point le droit d’ignorer ces problèmes, de n’entretenir de relations qu’avec la partie influente de la population. Certes, une telle attitude constitue pour lui une tentation, et l’on doit constater qu’il y a quelquefois cédé. Mais aujourd’hui, l’Église, par la voix de son autorité, par celle de ses membres les plus lucides et les plus courageux, proclame qu’il ne peut plus en être ainsi : la conscientisation à ce que Paul VI a appelé « la clameur des pauvres » n’est point facultative, laissée au libre choix de quelques êtres dévoués. Les contemplatifs, moins que d’autres, en sont dispensés. Leurs monastères sont appelés à devenir, pour tous, des lieux de rencontre dans la charité, de compréhension réciproque, d’aide mutuelle (car les riches ont quelque chose à apprendre de ceux qui ne le sont pas), enfin, s’il en était besoin, de réconciliation.

L’autre donnée qui, au moins autant que leurs usines, fait la richesse de certaines villes, est leur tradition culturelle, animée par leur Université et d’autres institutions de recherche et d’enseignement. Moines et moniales, jadis, dans les villes et dans les campagnes, ont parfois eu le quasi-monopole de la culture. Cette situation est dépassée : des organismes, académiques et autres, mis en place par la société, assurent désormais cette fonction, restituant, par là-même, les monastères au rôle qui leur est propre : le ministère de la prière. Mais cette situation nouvelle accroît leur responsabilité quant à la contribution religieuse, et spécifiquement contemplative, qu’ils doivent apporter au nouvel humanisme qui a commencé de prendre figure sous nos yeux, si nous n’y sommes point aveugles.

Humanisme sorti du cercle des disciplines littéraires et artistiques, pour entrer dans celui, plus vaste, de la recherche scientifique, technologique, anthropologique, politique. Humanisme qui fait une grande part à l’ethnologie, à la psychologie, à la sociologie, à la pratique interdisciplinaire de ce que l’on appelle, non plus les sciences humaines, mais les « nouvelles sciences humaines », car elles se sont très profondément modifiées en un peu plus d’une décennie, portant maintenant leur attention, non seulement sur les manifestations de l’activité consciente, inséparable de son substrat inconscient, mais sur la genèse, la « production » de tous les exercices et résultats de cette activité. Humanisme qui ne peut plus se limiter à l’étude de l’une des cultures du passé : rappelons-nous le temps où l’on parlait « d’humanités gréco-latines » comme s’il n’en existait point d’autres ! Humanisme à base de relations internationales, intercontinentales et interraciales, et qui, à cause de cela, comporte une dimension politique, une commune recherche de la paix, de la justice et de la liberté, de ces valeurs dont le troisième et récent rapport du Club de Rome, Buts pour l’humanité [8], montre que l’importance est partout reconnue, quoi qu’il en soit des déficiences propres à toute mise en application. Humanisme interculturel, et même pan-culturel, favorisé par la présence en tout pays de personnes venues d’autres parties du monde, avec lesquelles peut s’échanger un dialogue enrichissant conduisant, en particulier, à mieux connaître les diverses traditions religieuses. Humanisme qui est déjà universel, global, cosmique même, puisqu’il inclut maintenant l’exploration des mondes situés hors de l’atmosphère de notre petite planète.

Au centre de ces horizons infiniment ouverts se trouve le moi de l’homme à la recherche de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’identité » : ce qui, en lui, en tous, est permanent à travers crises et changements, ce qui est propre à chaque personne, et ce qui est commun à toutes. Comme on l’écrivait récemment, « ces trois caractères vont ensemble : constance, unité, reconnaissance du même : ils définissent ensemble les postulats de la conscience philosophique et forment les préconditions de son pouvoir de connaissance, de soi comme du monde. Être, être un, reconnaître l’un, constituent solidairement le sol de son activité [9] ». De celle-ci, on scrute le développement, depuis ses processus biologiques de base jusqu’à son épanouissement en discours, en pensée, en poésie, en art, en philosophie, en amour, et au-delà de tout, mais pouvant tout pénétrer, en expérience spirituelle.

Les religions, éminemment la nôtre, ont leur mot à dire en cette quête de l’identité humaine, car celle-ci comporte une orientation vers un au-delà que philosophes et savants ne peuvent qu’entrevoir, au sujet duquel ils ne peuvent que s’interroger et questionner ceux qui ont connaissance d’une réponse. En cette nouvelle étape du développement humain, l’échange est nécessaire entre tous, ceux qui cherchent et ceux qui ont trouvé ou, plus exactement, qui ont reçu d’en haut une solution. Il faut un dialogue entre eux, et entre eux et Dieu. Autour des Universités, de tous les centres de haute culture, apparaissent des « chercheurs » auxquels seule une rencontre entre eux et avec Dieu peut apporter la paix. Les maisons de prière ne sont-elles pas les lieux privilégiés d’une telle rencontre au sommet, à partir des conditions concrètes de l’existence ? Non que tous les membres d’un monastère soient supposés instruits des problèmes de pointe en tous les domaines ; il leur est surtout demandé de créer, grâce à leur propre sérénité intérieure, à leur distance (leur « détachement ») par rapport à tout, un milieu où d’autres viendront partager avec eux cette ré-collection qui permettra de tout réconcilier. Il ne s’agit point davantage d’une utopie constituant une évasion dans le vague et l’indéfini : le souci de tous ceux que l’on côtoie chaque jour ou dont on connaît les problèmes, grâce à une intelligente information, se situe dans cette perspective cosmique. C’est elle qui nous ouvre à tout, c’est elle qui nous rend attentifs à tous, respectueux de tous ; c’est elle qui agrandit notre capacité d’amour, que l’Esprit Saint, répandu dans nos cœurs, viendra remplir de charité.

Le nouveau dilemme consiste, pour chacun de nous, à devenir mondial, vivant à l’unisson de la terre, aux dimensions de l’univers, assumant toutes les richesses de toutes les cultures, tout en découvrant notre moi le plus vrai, le plus intérieur, en l’amenant à se révéler à Dieu pour que lui-même se révèle à nous. Différenciation croissante, subjectivité plus profonde, communion avec l’ordre du réel en son entier, conciliation de l’intimité et de l’intersubjectivité : comment ce paradoxe peut-il s’accomplir, sinon par la convergence des personnes vers un réel suprême dont nous croyons qu’il s’est incarné pour pouvoir se communiquer totalement ? En cet univers agrandi, en cette culture devenue sans frontières, qui fait entrevoir à certains l’infini qui attire tout, pour tout pénétrer ; à proximité de ces centres où s’intensifient la recherche scientifique, la réflexion philosophique, la vérification religieuse, des lieux sont absolument nécessaires où Dieu soit approché, perçu comme présent, proposé, humblement affirmé. Sans la prière, les civilisations deviennent folles et s’égarent ; elles se retournent contre l’homme au lieu de le tourner vers un au-delà qui l’épanouisse. Plus la nôtre évolue dans le sens où elle a commencé de le faire, plus elle a besoin de monastères. Nous croyons, et nous savons même (car les faits, sur ce point, confirment notre foi) que Dieu ne cessera point de susciter des témoins de sa présence au monde et de la possibilité que nous avons de nous unir à lui, de nous emplir de lui.

Abbaye Saint-Maurice
CLERVAUX, Grand-Duché de Luxembourg

[1Texte de la conférence donnée à l’Abbaye bénédictine de la Paix-Notre-Dame, à Liège, lors des fêtes du 350e anniversaire de la fondation. Nous lui avons conservé son style oral et les allusions à la ville où se situe ce monastère (N.D.L.R.).

[2The National Institute for Campus Ministries Journal, vol. 2, nr. 2, Spring 1977.

[3Cf. J. Dubois, « Éléments d’une histoire du monachisme urbain », Lettre de Ligugé, 143, fasc. 5 (1970), 10-29.

[4H. Atsma, « Les monastères urbains du nord de la Gaule », Revue d’histoire de l’Église de France, 62 (1976), 165-168, 183-184.

[6On trouvera ce texte en appendice (N.D.L.R.).

[7D. J. Chitty. The Desert a City. An Introduction to the Study of Egyptian and Palestinian Monasticism under the Christian Empire, Oxford, 1966.

[8Goals for Mankind : Report from the Club of Rome on the New Horizons of Global Community, ed. Ervin Laslo, New York, 1977.

[9A. Green, « Atome de parenté et relations œdipiennes », dans L’identité, Séminaire interdisciplinaire dirigé par Claude Lévi-Strauss, Paris, 1977, 82.

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