Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Comment j’aide quelqu’un à choisir sa vocation

Henri Teste

N°1978-1 Janvier 1978

| P. 49-53 |

Un aumônier de jeunes nous fait part de la manière dont il accompagne ceux qui sont en recherche de vocation.

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La première chose qui convient, c’est de prendre au sérieux ce que dit mon visiteur lorsqu’il fait cette démarche de venir me voir. J’écoute et je pose des questions qui me permettent d’opérer un premier discernement non seulement pour moi-même, mais avec lui en Dieu. Car il ne s’agit pas de projeter une image que je posséderais de sa vocation, mais bien plutôt d’éveiller en celui qui cherche à s’éclairer sa propre mémoire. C’est dans ce terreau que sa propre histoire devient, par l’intermédiaire de Jésus-Christ, histoire divine. À chaque fois que c’est possible, je fais les liens entre son histoire et la Bible, Ancien et Nouveau Testament, soit pour marquer une harmonie de démarches, soit pour montrer une différence, lorsque l’attitude du Christ permet de dévoiler un « davantage » dans l’expérience de celui qui me parle. C’est ainsi que l’on peut mettre un lien explicite entre les personnes divines et nous.

Dans un second temps, je déploie le sens de l’Église comme Corps mystique du Christ, pain d’amour pour tous les hommes. La relation entre Dieu et nous n’est vraie, en effet, que dans un amour dont le Christ est le lien en tant que Corps du Christ qui rassemble chacun d’entre nous, chacun des élus du Père, chacun de ceux que le Père appelle à sa mission. Qui que nous soyons, nous sommes appelés à vivre une mission concrète : le Père nous confie une parcelle de son Royaume qu’il nous faut faire fructifier en harmonie avec le reste du Corps du Seigneur, avec le reste de l’Église. Cette histoire personnelle est donc une histoire d’amour, au sens fort du mot, en vue de la mission que le Seigneur nous révèle dans notre propre histoire de liberté, dans notre propre histoire d’amour pour lui et pour les autres. Très rapidement je demande à mon interlocuteur de parler de sa prière et de sa vie sacramentelle. Il me semble bon de toujours marquer davantage ce qui est fait et encore à faire plutôt que de souligner la vision négative du « je n’arrive pas à... ». Certains en effet la déploient toujours avant d’arriver à prendre au sérieux et à dire les gestes et les paroles qu’ils vivent explicitement pour Dieu, et que la pudeur ne permet pas de dire facilement à quelqu’un d’autre. Il faut de la patience pour qu’à l’intérieur de ce dialogue puisse se développer la liberté spirituelle. Toute ma tâche est de faire prendre conscience au candidat (?) qu’il se situe dans l’Église locale et universelle. Il faut que son histoire passe par là. Il faut que la lecture des événements de sa vie en Dieu passe par des gestes concrets qui touchent son comportement de foi, de charité et d’espérance.

J’attache beaucoup d’importance à la fidélité de nos rencontres. Ainsi puis-je mieux voir le lien entre ce qui est dit et ce qui est vécu, la prise en charge effective de la mission naissante. Il y a là une purification de l’imaginaire, pour autant que le candidat fasse confiance. La régularité de ces réunions aide la structuration spirituelle, car les jalons que sont ces rencontres renforcent l’histoire de la liberté du candidat. C’est là qu’il puisera l’assurance du geste à poser en face du Dieu fidèle et bon. Pour mesurer cette fidélité des rencontres, il faut peser l’envie du candidat et le renoncement qu’il est capable d’opérer envers d’autres activités. Je propose toujours un peu plus qu’il n’est désiré, pour montrer l’importance de ce cheminement avec Dieu. Cette démarche est une chose sérieuse qui engage toute la vie. Lorsque le candidat n’est pas capable de renoncer à quelque chose pour inscrire dans sa vie cette nouvelle fidélité et lui donner l’importance que je lui donne, je fais une réflexion sur l’irrégularité, mais d’une manière neutre, en essayant d’en inscrire l’importance comme une espérance qui viendra par la grâce de Dieu.

Si le garçon perçoit à un certain moment la nécessité d’aller plus loin, il pourra relire sa vie à travers ces jalons qui sont devenus pour lui des repères de sa progression vécue dans le mystère de l’Église incarnée, corps mystique du Christ. Lorsque cette question d’un « plus » naît au cœur du candidat, je lui propose de faire une retraite d’Évangile. Bien souvent, c’est lui-même qui en ressent le besoin. Durant cette retraite, j’insiste beaucoup sur l’attitude d’humilité du Christ face à son Père. D’abord je cherche à faire découvrir ce qu’est le péché face à la miséricorde de Dieu notre Père qui crée par amour, et à faire contempler l’amour intense que Dieu a pour chacune de ses créatures et pour le candidat particulièrement. Puis je lui fais parcourir l’appel des disciples (Jn 1,35-51), ou l’appel à la mission universelle (Mt 26) et les conditions pour suivre Jésus (Mc 8 et parall.). Tout cela dans la lumière de la résurrection qui nous fait passer de la tristesse à la joie.

Cette retraite est souvent le moment d’une remise en question de certains comportements ; c’est aussi l’enracinement de certaines fidélités. A chaque fois, un des fruits est une meilleure connaissance de soi-même qui révèle le sens de la vocation. Pour la vocation religieuse, je me réfère aux critères énoncés par le Père Decloux [1]. Il me paraît important de clôturer la retraite par une méditation de la mort et de la résurrection du Christ, afin que le candidat puisse pénétrer de l’intérieur le tout d’une vie qui se livre et s’accomplit dans ce geste-là, dans la volonté du Père. Il est bon d’être attentif à la manière dont le candidat vit la paix de la décision qu’il prend ou qu’il porte de manière encore confuse.

La décision que le candidat prend, je la respecte toujours, quoi que j’en pense. Mais je lui demande, quand il choisit de vivre à la suite du Christ, de se taire et de porter cet appel à la vocation religieuse ou sacerdotale dans l’intimité de Dieu durant huit ou quinze jours, sans l’y obliger pourtant. Il est toujours révélateur de voir comment le candidat porte la découverte de cet appel et comment il vit les prémices de cette décision. Rappelons-nous la manière dont le Christ demande le silence des disciples en saint Marc. Malgré cette demande, beaucoup parlent, il y a toujours un prêtre, un ami, une maman, un papa qui reçoit la confidence. Le plus important n’est pas qu’on se taise, mais c’est la manière dont on parle : quelle est l’attitude du cœur, l’intériorité qui fait vivre. C’est ici qu’apparaît normalement la pudeur respectueuse de la relation à Dieu. Dès lors toute la vie du candidat s’épanouit à la grâce que Dieu lui fait en l’appelant et en lui donnant la force de répondre.

Si la parole ainsi confiée n’est pas l’expérience de cette paix, c’est le signe que l’imagination n’est pas suffisamment purifiée en Dieu et qu’il faut poursuivre le cheminement. Cela ne veut pas dire nécessairement qu’il n’y ait pas vocation, mais seulement qu’il faut poursuivre. Parfois même il faut admettre l’entrée d’un tel candidat au noviciat, pour lui permettre de cheminer plus profondément, par exemple lorsque les conditions objectives de son entourage ne sont pas porteuses de vocation.

Après ce temps fixé en accord avec lui (tenir compte de la force psychique et spirituelle), nous nous retrouvons pour échanger sur ce qu’il a vécu, et la manière dont le Seigneur l’a confirmé dans sa prière et son silence. Suivant le résultat, et s’il persévère, je lui demande alors de rencontrer le supérieur majeur concerné, car il est responsable de l’accueil des vocations. Je conseille au candidat de dire ce qu’il a vécu et de s’en remettre au jugement de ce supérieur. J’insiste sur cette rencontre à cette étape-ci pour deux motifs qui me paraissent importants. Le premier est la relation à l’Église qui accueille toute vocation : pour un futur religieux, c’est au supérieur majeur qu’il convient de se remettre. Ensuite il est nécessaire d’inscrire concrètement « dans son corps » l’appel du Christ. Une fois cette rencontre faite, et si le supérieur majeur demande de continuer avec le même guide spirituel, je poursuis en éprouvant la vérité de cette vocation dans la paix de la prière et de la vie sacramentelle. Je parle alors explicitement des trois vœux : vœu de pauvreté, qui modifie le rapport avec toutes les choses ; vœu de chasteté, qui transforme le rapport à soi et aux autres ; vœu d’obéissance, qui remet la volonté et les idées propres à Dieu ou au supérieur.

Tout en contrôlant encore la fidélité de nos rencontres, la prière, les sacrements, je développe la doctrine de l’Église sur les sacrements de réconciliation et de l’Eucharistie. Il m’arrive aussi de prendre l’Écriture pour prier avec le candidat ou pour réfléchir à une attitude du Christ qui peut aider à mieux se situer face à lui.

À ce moment-là, je parle souvent des parents pour voir comment le candidat se situe par rapport à eux. Il faut envisager aussi la date d’entrée : cette question est souvent portée avec un peu d’agitation. C’est pour cela qu’il faut en parler de temps en temps en fixant une date précise où le choix se fera. Lorsque la décision est prise, il faut inviter à en parler aux parents et au supérieur majeur, en insistant sur l’attitude d’humilité et sur le fait (qu’on aura vu) que c’est le Seigneur qui demande d’entrer à tel moment. Je défends toujours devant les parents ce que le candidat propose (si je ne suis pas d’accord sur la période d’entrée, il sait ce que je pense). Ici, je fais percevoir explicitement que sa décision est une chose, et que la décision des parents ainsi que du supérieur majeur en est une autre. C’est, me semble-t-il, l’aider à prendre sa décision librement dans l’Église. Dans toutes ses dimensions, l’Église a à reconnaître cette vocation. Il faut que lui sache tenir à ce que le Seigneur lui demande contre vents et marées ! C’est le Seigneur qui appelle qui conduit le monde. Là, l’humilité permet de vivre le respect des décisions des uns et des autres. Le discernement familial est très beau à vivre, car cela révèle souvent la véritable disponibilité des parents vis-à-vis de Dieu et de l’Église. C’est souvent dur pour eux d’offrir un enfant à l’Église, surtout aujourd’hui où elle apparaît si fragile et si vulnérable. Pour ma part, j’aime rencontrer les parents, non pour défendre leur fils (je ne le fais que lorsque je crois que c’est nécessaire), mais pour être devant eux le témoin de la vérité d’un engagement possible aujourd’hui dans l’Église. En ce qui concerne le candidat, je crois qu’il doit pouvoir compter uniquement sur les forces de Dieu pour présenter son engagement à ses parents. « Dieu protège toujours ceux qu’il aime ». Mais je réponds volontiers aux questions des parents pour leur montrer qu’il y a encore moyen de donner sa vie pour l’Église, que l’amour, la gratuité, le don de soi aux autres et aux plus pauvres demeure un service unique que l’on peut rendre à l’humanité d’aujourd’hui.

Quand les parents acceptent, c’est toujours pour moi une grâce extraordinaire que de vivre ce cheminement des parents et de l’enfant, surtout quand il y a une harmonie familiale et une véritable recherche commune de la volonté du Seigneur. Ce qui est convaincant pour les parents c’est la sérénité de leur fils et sa manière posée de discuter de sa décision. Il ne peut le faire que parce qu’il voit profondément que la volonté du Seigneur est bien qu’il entre à telle date. Et par obéissance à l’Église il remet sa décision à celle de ses parents. J’accompagne le jeune jusqu’au moment où il entre dans l’Ordre choisi. Par après, j’essaie d’être présent d’une manière la plus discrète possible, soit par un petit mot si je ne peux pas me déplacer et toujours en essayant de respecter le temps liturgique. C’est plus pour maintenir une amitié qu’une guidance, car après l’entrée je m’efface le plus possible pour vivre moi aussi ma vie sacerdotale comme religieux obéissant, chaste et pauvre. Cela m’aide à me purifier face à notre Seigneur et à lui offrir ce qu’il m’avait confié pour un temps et éternellement aussi. Telle est mon action de grâce et mon assurance en lui.

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