Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Vers un nouveau Droit Canonique

Léon Renwart, s.j.

N°1977-4 Juillet 1977

| P. 229-245 |

Ces réflexions sur le projet concernant les instituts de vie consacrée comportent deux parties. La première met en lumière les qualités de ce document et la nécessité de formulations canoniques ; elle examine les objections que l’on soulève contre un « code » et propose de promulguer plutôt des lois canoniques. La seconde partie étudie certains canons et y propose quelques retouches.

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Le projet de code pour les instituts de vie consacrée connaît dès maintenant une large diffusion [1]. Bien que la mention « Réservé » qu’il porte empêche d’y voir un texte tombé dans le domaine public, si nombreux sont ceux qui ont parlé ou écrit à son sujet que nous nous croyons autorisé, nous aussi, à communiquer nos réflexions [2] aux lecteurs de la revue.

Nous le ferons en deux temps. Une première partie s’efforcera de préciser les qualités du document actuel, d’examiner les objections que l’on fait à la manière dont il est présenté, de montrer la nécessité des formulations canoniques et de suggérer une voie pour faire bénéficier l’Église du travail considérable réalisé par la sous-commission. Une seconde partie étudiera certains canons et y proposera quelques retouches.

I

Ceux qui ont suivi l’évolution des travaux de la sous-commission chargée de revoir cette partie du Code auront remarqué la volonté de celle-ci de ne pas faire du nouveau texte un replâtrage de l’ancien. Pour tenir pleinement compte des décrets conciliaires, de leurs documents d’application et des actes de Paul VI, une refonte s’imposait. Les principes qui ont guidé le travail sont connus, mais ils méritent d’être rappelés brièvement :

  • le but des normes canoniques doit être de favoriser l’épanouissement du don divin de la vocation ;
  • ceci demande le respect de l’esprit du fondateur et des saines traditions qui constituent le patrimoine propre de chaque institut ;
  • la fermeté et la clarté des principes constitutifs de la vie consacrée doit s’unir à la flexibilité requise pour que les normes puissent facilement être adaptées aux conditions et besoins divers de l’Église et des instituts ;
  • on doit promouvoir la participation la plus grande possible de tous les membres à la vie et au gouvernement de leur institut ;
  • on doit tendre à la suppression de toute disparité non nécessaire entre instituts masculins et féminins.

Ce simple rappel suffit à faire pressentir tout ce que le texte qu’on nous présente doit à l’approfondissement théologique au centre duquel se situe le dernier Concile. N’en explicitons qu’un point : le primat reconnu au droit particulier sur le droit commun est la traduction canonique d’un progrès dans notre théologie du Saint-Esprit : l’idée « qu’un groupe de chrétiens puisse être rassemblé par l’Esprit en institution charismatique, (qui) ne jouait pratiquement aucun rôle dans la théorie de l’institution de l’Église, (et donc) que l’Esprit, par des charismes permanents, soit principe d’institutions... est une acquisition propre de Vatican II [3] ». Sa conséquence logique est cette attention aux instituts dans ce qu’ils ont d’original : le droit commun apparaît alors, en vertu d’une saine théologie, au service de ces manifestations de l’Esprit en faveur de toute l’Église que sont les instituts dans leur diversité.

Menée avec beaucoup d’efficacité et non moins de courage (et il en fallut dans un climat où l’opinion n’était guère favorable aux formulations juridiques), l’entreprise, dans son ensemble, a été un succès : on nous offre un texte clair, concis, logiquement ordonné. S’il reste améliorable sur certains points, ceci ne peut nous faire perdre de vue ni la difficulté du travail ni le mérite de l’avoir réalisé.

Cependant, à parcourir les revues, on s’aperçoit que, malgré leurs qualités ces textes ne suscitent pas un accord unanime. Comme il fallait s’y attendre, un certain nombre de laudatores temporis acti regrettent cette refonte trop radicale à leurs yeux. Mais d’autres voix se sont fait entendre, qu’il convient d’écouter d’abord. Elles mettent en cause, à divers titres, le principe même de la promulgation d’un nouveau Code.

Ne risque-t-on pas de brûler une étape importante ?

Nous offrir d’emblée une synthèse de ce genre élaborée au sommet (quelles que soient la compétence et l’ouverture de ceux qui se sont attelés à ce travail) ne nous ferait-il pas brûler une étape importante, celle des lois et réglementations de portée moins universelle ? Plus proche des situations concrètes dans leur diversité, celles-ci peuvent plus facilement « s’adapter à la vie qu’elles veulent favoriser [4] » ; elles peuvent aussi plus facilement évoluer quand c’est nécessaire ou même, simplement, améliorer leur formulation au contact des faits. S’il y a lieu, la codification vient alors normalement recueillir le fruit de ces expériences et en dégager les grands principes valables pour tous. Procéder à l’inverse et commencer par une codification n’est pas sans danger dans les circonstances actuelles.

En invitant tous les instituts à un aggiornamento, Vatican II a déclenché, il faut bien s’en rendre compte, un bouillonnement intense dans toutes les formes de vie consacrée. On a pu affirmer que l’Esprit était visiblement à l’œuvre. Il serait sans doute plus exact de dire que la vie religieuse a été agitée par des esprits divers, dont tous ne méritent assurément pas d’être canonisés. Mais le discernement auquel nous avons été invités est-il dès maintenant chose achevée ? Nous n’oserions l’affirmer. S’il est urgent que l’autorité, à tous les échelons, sorte de « l’inhibition » détectée par le P. Beyer [5] et reprenne fermement son service, qui est de dire le droit et de le faire respecter, n’est-il pas moins indiqué que ce soit d’emblée par des normes promulguées par les instances suprêmes ? Comment éviter alors de tomber de Charybde (des réglementations trop précises parce qu’elles ne tiendraient pas compte d’une situation encore en pleine évolution) en Scylla (des normes tellement générales qu’elles en perdraient presque toute utilité) ?

Un code ou des lois ?

Nombreux sont ceux qui estiment qu’un code tend, par sa nature même, à englober tout le domaine dont il synthétise la législation. On peut se demander si cette tendance n’est pas à l’origine d’une des principales difficultés que, de leur propre aveu, les rédacteurs de ce chapitre ont rencontré, à savoir rédiger des normes qui s’appliquent à la fois aux diverses catégories de religieux, aux instituts de « vie apostolique associée » et aux instituts séculiers. De plus, cette manière de faire ne va pas sans inconvénient.

Il n’est pas sûr du tout que les instituts séculiers ne se sentiront pas « marginalisés », voire plus ou moins « récupérés » par les religieux (c’est un danger auquel ils sont sensibilisés, non sans raison) ni qu’ils trouveront, dans les quelques canons qui leur sont consacrés, l’aide qu’ils souhaitent pour s’épanouir selon le génie propre de leur vocation.

Si l’on pense qu’un code est censé avoir prévu toutes les catégories dans le domaine qu’il couvre, ne s’expose-t-on pas au danger de voir ses textes servir d’argument contre de nouvelles formes de vie consacrée que l’Esprit suscitera peut-être demain dans l’Église ? L’histoire devrait nous rendre prudents. Qu’on se rappelle les Visitandines, dont le nom dit bien la vocation à laquelle elles ont dû renoncer pour pouvoir être des religieuses, c’est-à-dire, selon le droit canon alors en vigueur, des cloîtrées. Que l’on pense aux Sœurs de Saint Vincent de Paul, leurs contemporaines, qui ont dû tourner ces mêmes règles canoniques pour pouvoir s’adonner aux œuvres admirables qui ont fait d’elles, pour nombre de gens, le type même de la « religieuse » (ce qu’elles ne sont canoniquement pas). Ne parlons pas de la bataille qu’il a fallu livrer pour que les vœux simples des scolastiques jésuites soient reconnus comme d’authentiques vœux de religion. Pour en venir à l’histoire toute récente, qui ne se rappelle combien les instituts séculiers ont dû lutter pour faire reconnaître leur spécificité ? Et comment des fondations nouvelles, dont on pressent l’apparition, pourront-elles se situer dans ce code, avec leurs modalités inédites ?

Si, au lieu d’un code, on avait, pour chaque catégorie, une ou des lois canoniques, chacune de celles-ci pourrait être plus adaptée au domaine dont elle traiterait (au lieu de devoir s’en tenir aux généralités) et la possibilité resterait ouverte de façon patente pour d’autres formes de vie consacrée, lorsque l’Esprit les suscitera dans l’Église.

Une législation plus adaptée à la nature du domaine qu’elle concerne

Pareille forme de législation ne correspondrait-elle d’ailleurs pas mieux à la nature du domaine qu’elle concerne ? Sous ses formes multiples, la vie consacrée est un don fait par l’Esprit à son Église par le moyen des fondateurs qu’il inspire. Elle traduit, de façon adaptée aux époques, aux mentalités et aux besoins, l’infinie variété des modes selon lesquels peut être vécue la suite du Christ. Qui oserait prétendre que l’Esprit a, dès maintenant, révélé toutes les virtualités des conseils évangéliques ? Dans ces conditions, régler par des lois distinctes ce qui doit nécessairement l’être pour que chacun de ces charismes s’incarne ne relèverait-il pas d’une meilleure théologie qu’un code, qui risque toujours d’être compris comme ayant tout dit sur le sujet (et l’histoire a prouvé que le danger n’était pas illusoire) ?

Ceci nous amène à une autre objection, qui a été soulevée à diverses reprises contre l’idée même d’un Code de droit canonique [6] : de quelle théologie implicite relève pareille conception du droit de l’Église ? Ne s’inspire-t-elle pas trop de « l’Église société parfaite » (et donc semblable aux autres sociétés humaines parfaites, les États [7]) au détriment d’une attention plus grande à la nature unique de cette société, fruit d’une initiative divine qui aboutit à l’Incarnation ? Des lois fournissant « un corps à l’esprit » ne répondraient-elles pas mieux à la nature de cette Église, sacrement visible (et donc nécessairement incarné dans des institutions et des lois) d’une réalité qui la dépasse toujours ?

Avant de promulguer un nouveau Code (fût-ce par parties), ne conviendrait-il pas de réfléchir d’abord à cette question fondamentale ?

Les présupposés philosophiques et sociologiques

On ajoute que le Code de 1917 est nettement marqué par une époque et par une mentalité. Il n’est pas difficile de voir tout ce qu’il doit à l’exemple du Code Napoléon. On a pu y déceler aussi l’influence des philosophies alors régnantes dans les milieux juridiques (cartésianisme et kantisme, notamment). Il en est résulté, dans les textes et plus encore dans la manière de s’en servir, aux divers échelons de la hiérarchie, un ensemble de formulations claires, précises, où tout (ou presque) semblait prévu, prêt à l’application. Cela eut certes d’énormes avantages par comparaison avec le fouillis que représentait l’ancien droit, mais l’on peut se demander si bon nombre des reproches qu’on a fait à ce Code ne viennent pas de la philosophie qui lui était sous-jacente. Le rôle de la jurisprudence a été fort réduit, parfois même plus que ne l’aurait demandé le simple respect du texte. Il est toujours plus aisé d’appliquer un énoncé clair qui semble fournir une solution toute faite que de se pencher sur le cas dans sa complexité. Par exemple, lorsqu’un fondateur présente de nouvelles constitutions, il est plus facile d’examiner si elles répondent aux « règles selon lesquelles la Sacrée Congrégation a coutume d’approuver les instituts » que de chercher à voir si cette forme inédite de vie ne correspond peut-être pas à un authentique charisme.

Marqué par une époque, ce Code le fut encore d’une autre façon : nous l’avons imposé à toute l’Église « latine », entendez non seulement aux Latins de notre vieille Europe, au génie desquels il répondait, mais encore aux Anglo-Saxons, beaucoup plus sensibles au rôle prudentiel du juge, et surtout aux peuples auxquels l’Église latine, alors encore en pleine expansion missionnaire, avait porté l’Évangile. L’on est bien obligé de se rendre compte aujourd’hui que cette expansion missionnaire n’a pas été exempte d’un certain « colonialisme ». Même quand le missionnaire, protégé par la puissance conquérante, n’était pas aussi l’un de ses meilleurs agents, ne restait-il pas imbu de la supériorité de la civilisation qu’il apportait en même temps que sa foi ? Nous n’en sommes heureusement plus là. Est-ce bien le moment, alors que ces peuples prennent de plus en plus conscience des richesses de leur propre civilisation, de leur imposer à nouveau une législation pensée à l’occidentale ?

Des textes « pensés à la place d’autrui »

Nous en arrivons à une faiblesse majeure de ces textes (même si, comme nous le dirons dans un instant, elle était actuellement inévitable ou presque) : ils ont été pensés « à la place d’autrui ».

  • Un ensemble de canons qui traitent de la vie consacrée a été rédigé sans qu’aucune religieuse ne participe à cette rédaction : sauf erreur, la Commission ne comportait, aux postes de décision, aucune religieuse (elles constituent environ les 9/10e du monde des religieux).
  • Les Instituts Séculiers étaient un peu moins mal partagés : ils avaient un représentant dans cette Commission. Celui-ci aura sans doute pu obtenir que certaines formulations inadéquates soient corrigées ; mais qui ne sent la différence entre un texte ainsi amélioré et une rédaction qui aurait été le fruit d’une expérience vécue de l’intérieur ?
  • Quant aux Églises d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, il faut bien reconnaître qu’elles non plus n’ont guère eu l’occasion de dire à leur façon comment elles conçoivent l’organisation de la vie consacrée dans leurs pays et leurs civilisations. Or leur manière de vivre et d’exprimer fondamentalement les réalités évangéliques peut se révéler assez différente de la nôtre. Pour ne parler que de ce que nous en savons, donnons-en deux tout petits exemples. Une lettre publiée dansVie consacrée remarquait : « Ici en Afrique, les formes traditionnelles de la clôture donnent lieu à d’étranges soupçons, car « celui qui se cache fait des choses mauvaises ». » Et, dans telle région du Zaïre, il n’existe pas, dans la langue indigène, d’expression équivalente à notre mot « pauvreté ». Ces faits n’empêchent assurément pas les religieuses de là-bas de vivre très profondément ces mêmes réalités, mais les oblige à en traduire autrement la richesse.

À la décharge de la Commission, il faut reconnaître que, presque toujours, il aurait été impossible actuellement de faire appel à des personnes compétentes prises dans les groupes en cause. Il n’y a pas si longtemps que les religieuses (et les femmes en général) sont autorisées à s’inscrire aux facultés de théologie et de droit canonique. Rien d’étonnant, dès lors, que rares soient encore parmi elles les spécialistes de ces matières et plus rares encore celles qui, après avoir assimilé la formation reçue de professeurs masculins, seront parvenues à la repenser en femmes consacrées. Il n’est pas besoin d’insister. Une situation analogue existe pour les Églises d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine, etc. Ce n’est pas en un jour que nous sommes arrivés à dire, conformément au génie de notre civilisation, comment nous voyons et vivons une vie consacrée authentiquement chrétienne. En ces Églises et par elles aussi, l’Esprit a un message pour le Peuple de Dieu, mais, pour cueillir ce fruit, il faut le temps des lentes maturations.

Et cependant, nous ne pouvons attendre

Dans l’intervalle toutefois, on ne peut attendre ; il est nécessaire et même urgent que soient de nouveau formulées des règles suffisamment fermes et précises pour que ceux qui doivent les suivre tout autant que ceux qui ont mission de les faire appliquer sachent à quoi s’en tenir. Assurément, cela ne résoudra pas tous les problèmes, car on n’empêchera pas certains de regretter le Code de 1917, voire de s’efforcer de maintenir l’autorité qu’il leur accordait sur les moniales et les autres religieuses, pas plus qu’on n’empêchera d’autres de se réclamer de Vatican III pour se dispenser d’obéir à Vatican II. Mais cette promulgation montrera au moins à l’ensemble des instituts ce que l’Église leur demande aujourd’hui et elle les délivrera aussi de la « dictature des groupes de pression », qui est le résultat presque automatique d’une démission ou d’un fléchissement de l’autorité.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas profiter de l’énorme travail fait (et, dans l’ensemble, fort bien fait) par la Commission en ce qui concerne les religieux ? Pourquoi, moyennant quelques retouches, ne pas promulguer ces textes sous forme de lois obligatoires pour eux [8] durant la période de transition nécessaire pour la « prise de parole » de ceux et celles qui n’étaient pas encore en état de faire valoir leur légitime point de vue ? Il devrait être prévu, dans la promulgation même, qu’à l’expiration de cette période les textes seront remis sur le métier avec la participation active à tous les stades de leur rédaction de ceux et celles qu’ils concernent. Ainsi, ces nouvelles formulations auraient chance d’être l’expression vécue de ce que l’Esprit suggère pour répondre de façon adaptée à la richesse des situations diverses où l’Église est appelée à s’épanouir. Ces textes seraient soumis à l’approbation de la Hiérarchie, qui est et reste la seule à avoir reçu du Christ la mission et la grâce d’authentifier les charismes que son Esprit donne à l’Église par le truchement des fondateurs.

Des normes pour les approbations requises

Toutefois, pour que la promulgation, même sous cette forme, de ces lois canoniques atteigne le but visé par la Commission, il est un point qui devrait, à notre sens, être précisé en même temps : les normes à suivre par les autorités compétentes pour les approbations que ces textes leur réservent.

Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit nullement, dans notre pensée, de fixer des règles aux successeurs des Apôtres : eux seuls ont mission d’authentifier les charismes et c’est à eux que l’assistance de l’Esprit a été promise par le Christ pour cette mission.

Mais, dans la pratique courante, nombre de décisions concrètes sont prises au niveau des congrégations romaines ou des curies épiscopales, qui participent de plus loin à ce charisme : c’est pour elles que des critères nous semblent devoir être précisés. Sinon la porte reste juridiquement ouverte à la réintroduction de manières de faire anciennes, que la nouvelle législation s’est si heureusement efforcée d’éliminer parce qu’elles étaient dépassées.

Le danger n’est pas illusoire. N’en donnons qu’un exemple, pris dans l’après-concile. Celui-ci avait prescrit que le genre de vie des instituts purement contemplatifs soit revu d’après les principes et les critères de rénovation et d’adaptation indiqués dans Perfectae caritatis (n. 7). Le Motu proprio Ecclesiae sanctae déclarait en conséquence : « Des expériences non conformes au droit commun, à faire assurément avec prudence, seront volontiers permises par le Saint-Siège, d’après leur opportunité » (n. 6 ; cf. n. 10, pour les moniales). Le décret Venite seorsum, promulgué comme constituant désormais le droit commun, rappelle qu’il n’est pas licite de faire des expériences contraires aux normes qu’il édicte, sans la permission préalable du Saint-Siège (III, 17). Mais, nous révèle le P. Basil Pennington, o.c.s.o. : « En pratique cependant une exigence extrême et une restriction presque incroyable accompagnent cette ouverture », à savoir que les moniales souhaitant faire ces essais demandent en même temps la dispense de leurs vœux. Et l’auteur d’ajouter : « Pour ma part, il me semble presque incompréhensible que des moniales, cherchant des moyens de vivre plus profondément leur engagement au Seigneur, puissent être obligées de demander la dispense de leurs vœux [9] ». Voilà en tout cas comment on referme une porte pourtant ouverte par le Concile.

Il faut absolument empêcher que des mésaventures analogues n’arrivent au texte actuel. Cela suppose deux choses, à notre avis :

  • que soient précisées les règles et les critères que seront tenues de suivre les congrégations romaines et les curies épiscopales dans les approbations que le projet de Code leur réserve (à bon droit, d’ailleurs) ;
  • que l’attention soit attirée sur le Tribunal de la Signature apostolique (qui joue dans l’Église un rôle analogue à celui du Conseil d’État dans les pays qui en ont un) : depuis la réforme de la Curie par Paul VI en 1967, ce tribunal suprême connaît en effet des appels ou recours interjetés auprès de lui contre des décisions d’un organisme de la Curie romaine. Les normes de sa compétence et de ses interventions auraient éventuellement à être précisées et adaptées, chose relativement facile.

Il n’en va pas de même pour le premier point, car ici nous touchons au mystère même de l’Église, société visible d’institution divine. L’expérience, notamment celle des « règles selon lesquelles la Sacrée Congrégation a coutume d’approuver les instituts », a montré que des critères trop précis risquent de fonctionner à la manière d’un lit de Procuste et d’infléchir, voire d’uniformiser des fondations nouvelles aux dépens de ce qui constitue leur inspiration authentique.

Dans quelle mesure le recours à la Tradition pourra-t-il fournir des normes ou des orientations ? Il est difficile de le dire, car l’histoire révèle certes des constantes, mais montre tout autant combien les dons de l’Esprit sont imprévisibles et surgissent d’ordinaire au milieu d’un révèle certes des constantes, mais montre tout autant combien les dons bouillonnement d’idées et de tentatives où le discernement est ardu [10].

La difficulté, mais aussi la beauté de la tâche confiée aux autorités compétentes dans les approbations que le Code leur confie vient du fait que ces autorités constitueront en pratique l’organe dont usera la Hiérarchie pour authentifier les charismes que l’Esprit donne à son Église par la personne et l’œuvre des fondateurs et de ceux qui continuent ce qu’ils ont mis sur pied. S’il faut aider, et parfois avec une ferme autorité, certains élans généreux à ne pas dévier, il est non moins nécessaire de « ne pas éteindre l’Esprit » (1 Th 5,19), de ne pas déprécier les dons de prophétie, même quand ceux-ci dérangent nos habitudes et bousculent la routine dans laquelle nous avons tous tendance à nous assoupir. En paraphrasant le texte de l’Apôtre, on dirait volontiers qu’il faut tout vérifier, retenir ce qui est bon (qu’il soit nouveau et ne rentre pas dans les cadres établis, ou ancien, mais toujours pleinement valable) ; s’il faut se garder de toute espèce de mal (et en protéger ceux et celles pour qui des règles fermes et sages sont une protection et un soutien), il est non moins important de favoriser la croissance du Corps du Christ jusqu’à sa plénitude.

Cette tâche magnifique ne serait-elle pas celle qui revient à des congrégations romaines et à des curies épiscopales qui se situent pleinement dans l’esprit et la lettre de Vatican II ?

II

Une question de genre littéraire

La commission s’était fixé comme but d’éviter que le texte des canons ne paraisse révéler un intérêt quasi exclusif pour les normes du comportement extérieur, au détriment de l’attention à la suite du Christ : sans rénovation spirituelle, rappelait Perfectae caritatis (2, e), les meilleures adaptations des textes juridiques resteront sans effet.

On peut toutefois se demander si la solution adoptée n’a pas abouti, comme l’écrit le P. Tillard, o.p., dans une note qu’il envoie à la revue, « à un nouveau genre littéraire, indéfinissable, qui confond exhortations spirituelles et déterminations prescriptives du Droit. Bien des canons proposés n’ont pas leur place dans un code... ».

Certes plusieurs des textes repris à Vatican II sont loin d’être des déterminations juridiques précises (ce que l’on attend traditionnellement d’un canon), ils marquent bien cependant l’esprit qui doit animer les institutions que les textes décrivent. Ne pourrait-on envisager, malgré la nouveauté, un document qui, au début de chaque section, citerait d’abord textuellement les passages conciliaires, puis donnerait, dans une typographie différente, les canons proprement dits ? Ainsi, sans perdre le bénéfice du rappel de l’esprit qui doit animer les dispositions législatives, celles-ci pourraient garder leur précision et leur netteté juridiques, qualités indispensables elles aussi.

Description théologique de la vie consacrée (canon 1)

Comme le signale le préambule, les canons qui ouvrent le chapitre sont spécialement importants, car ils fixent les éléments essentiels de la vie consacrée. Aussi méritent-ils toute notre attention.

On doit louer la Commission d’avoir parlé, dans le titre donné à son texte, des « Instituts de vie consacrée par la profession des conseils évangéliques ». On sait que ce problème du titre a donné lieu à de longues discussions, qui ne sont pas closes. Évidemment, un titre gagne à être bref, ce qui n’est pas le cas ici, mais il nous paraît beaucoup plus important qu’il soit exact, ce qu’il est, croyons-nous. Il dit bien, en effet, ce qui caractérise les instituts en question : ils sont une manière organisée (instituts) de consacrer sa vie au Christ (vocation propre de tout chrétien, appelé comme tel à la perfection [11]) non point seulement par la pratique des conseils évangéliques, adressés à tous les chrétiens [12], mais dans un état de vie structuré par la profession de ceux-ci.

Il est dommage que le premier alinéa de notre canon, par souci sans doute de faire bref, ait cru résumer la doctrine de Vatican II en disant, des membres de ces Instituts, qu’ils suivent ainsi le Christ « de plus près ». Certes ces mots se trouvent dans Lumen gentium 42 et Perfectae caritatis 1, mais dans un contexte qui montre qu’il s’agit d’imiter certains aspects de la vie du Sauveur, de réaliser « une conformité plus grande avec la condition de virginité et de pauvreté que le Christ Seigneur a choisie pour lui-même et qu’a embrassée la Vierge sa Mère » (Lumen gentium, 46).

Il serait regrettable qu’une formule elliptique semble mettre en doute une doctrine aussi importante et aussi clairement affirmée par le Concile que la vocation de tous les chrétiens à la perfection, chacun selon son état ou sa forme de vie [13]. Il faudra donc compléter et préciser ce texte, par exemple en y insérant les mots de Lumen gentium cités ci-dessus, ce qui donnerait :

La vie consacrée par la profession des conseils évangéliques est une forme de vie stable, dans laquelle les fidèles, en réponse à un appel divin qui les pousse à imiter de plus près la condition de virginité et de pauvreté que le Seigneur a choisie pour lui-même et qu’a embrassée la Vierge sa Mère, se donnent tout entiers à Dieu aimé par-dessus tout...

Du rôle de l’autorité dans la reconnaissance de la vie consacrée (canon 14)

Il nous paraîtrait utile, pour bien préciser le rôle propre de la Hiérarchie, de rappeler ici aussi que c’est par le moyen des fondateurs que l’Esprit donne à son Église le charisme de nouveaux instituts. Même si l’approbation canonique par les autorités compétentes constitue les instituts comme formes reconnues de vie consacrée, la Hiérarchie ne fait en cela qu’accueillir (Perfectae caritatis, 1) en la suivant avec docilité (Lumen gentium, 45) et authentifier l’impulsion donnée par l’Esprit Saint aux fondateurs [14]. Il est important de le rappeler, car cette affirmation théologique est celle qui doit commander l’attitude de la Hiérarchie devant les formes nouvelles proposées à son approbation : s’agit-il, toutes déconcertantes qu’elles soient, d’impulsions authentiques de l’Esprit ? C’est pourquoi nous suggérerions, pour ce canon, une rédaction dans ce genre :

C’est à l’autorité compétente de l’Église, sous la conduite de ce même Esprit qui suggère aux fondateurs des formes variées de vie consacrée par la profession des conseils évangéliques, d’interpréter ces conseils, de régler par des lois leur pratique, de donner l’approbation canonique aux formes stables de vie en question et de veiller à ce qu’elles croissent et s’épanouissent selon l’esprit de leurs fondateurs.

Documents principaux et recueils annexes (canon 90)

Ce canon est très important pour ceux et celles qui sont chargés de revoir les textes législatifs de leur institut. Il maintient, avec raison, la distinction, établie par Ecclesiae sanctae, entre documents fondamentaux et recueils annexes. Mais on peut se demander si les rédacteurs ont été bien inspirés en résumant comme ils l’ont fait le contenu des nos 12 et 14 de ce Motu proprio. Les énoncés de celui-ci nous paraissent plus clairs, aussi proposerions-nous de les reprendre pour l’essentiel, par exemple sous cette forme :

§ 1. Les lois générales de chaque institut comporteront d’ordinaire les éléments suivants :
a) les principes évangéliques et théologiques de la vie religieuse et de son rôle ecclésial, avec la nuance propre que les fondateurs ont reçu mission de mettre en lumière, les documents qui précisent et maintiennent l’esprit des fondateurs et leurs intentions spécifiques ainsi que les saines traditions, l’ensemble constituant le patrimoine de chaque institut ;
b) les normes juridiques requises pour définir clairement, dans leurs lignes essentielles, le caractère de l’institut, ses buts et ses moyens.
Ce recueil fondamental devra être approuvé par l’autorité ecclésiastique compétente et ne pourra être modifié sans son accord.
§ 2. Tout ce qui, dans les normes juridiques concernant la vie de l’institut, est par nature sujet à mutation, répond à des coutumes purement locales, à des circonstances actuelles, aux conditions physiques et psychologiques des membres et aux situations particulières, sera déterminé par l’autorité compétente de l’institut et réparti par elle en un ou plusieurs recueils annexes ; ceux-ci pourront être revus et adaptés, conformément à l’esprit des lois générales ci-dessus mentionnées, par l’autorité compétente de l’institut.

La typologie de la vie religieuse (canons 93-122)

Classer les multiples formes que connaît la vie religieuse est une tâche particulièrement ardue, vu la difficulté de trouver un principe adéquat de distinction. Perfectae caritatis avait parié des instituts purement contemplatifs, de ceux qui sont voués à une vie apostolique, de ceux qui mènent la vie monastique ou conventuelle et enfin de la vie religieuse laïque. Il était aisé de voir que ces divisions se recouvraient partiellement, car il y a des moines et des moniales qui mènent une vie purement contemplative ; d’autre part, les instituts laïcs sont, pour la plupart, voués à la vie apostolique.

Le projet actuel distingue d’une part la vie monastique (moines et moniales) et de l’autre les instituts voués à l’apostolat (chanoines réguliers, conventuels et instituts « apostoliques »). Ceci est loin de contenter tout le monde, si l’on en croit divers échos.

Des instituts contemplatifs de fondation plus récente ne se retrouvent pas, disent-ils, dans la classification actuelle : celle-ci ne connaît que la manière monastique de s’adonner à la vie contemplative.

En ce qui concerne le malaise ressenti devant cette typologie par des religieux et religieuses de vie active, le P. Tillard, dans la note déjà citée, nous communique des réflexions auxquelles sa grande expérience de ces milieux donne un poids tout particulier : « La grosse ligne de distinction sur laquelle se fonde, en fait, la typologie du projet est celle de l’équilibre entre « apostolat » et « culte de la louange divine », ce qui est la façon dont Ignace de Loyola a vu les choses et qui, depuis, a été reprise par toute une ligne de spiritualité. Or cette façon de distinguer laisse échapper la réalité d’une foule de congrégations féminines, les plus nombreuses. En effet, plusieurs de celles-ci se sont d’emblée situées à mi-chemin entre ce que le projet de droit canon appelle les « instituts conventuels » et les « instituts apostoliques ». Ceci me paraît évident à la suite de l’étude attentive de beaucoup de chartes de fondation. Bref, cette typologie ignore le fait « religieux-féminin ». Il aurait fallu ou bien (puisqu’on insistait sur le droit particulier) ne pas s’aventurer dans ce domaine difficile, ou bien adopter comme point de référence non l’équilibre entre « apostolat » et « vie liturgique », mais l’équilibre tout différent entre « vie communautaire » et « apostolat ». On serait alors arrivé à une autre typologie, amenant la mention d’une catégorie intermédiaire entre « type conventuel » et « type ignatien », catégorie où la plupart des congrégations féminines se retrouveraient. De plus, on aurait mentionné une autre catégorie, intermédiaire cette fois entre « type ignatien » et « type sociétés de vie commune », dans laquelle entreraient beaucoup de congrégations diocésaines fondées sans charisme bien typé et surtout pour un « service » (caritatif ou pastoral) que la vie commune rend possible et nourrit sans que toutefois la dimension théologale propre aux vœux soit centrale ».

Le problème est ardu mais mérite, croyons-nous, d’être signalé.

Les signes visibles du témoignage religieux (canon 93)

Le second alinéa en signale deux : la séparation du monde et l’habit religieux. La séparation du monde doit être conforme à la nature et à la fin de chaque institut ; cette formule nuancée nous paraît à la fois permettre les adaptations variées que requièrent les petites communautés, les situations nouvelles, les mentalités diverses et rappeler que, même « insérée en plein monde », la communauté religieuse, à la différence d’un institut séculier, doit garder une spécificité visible. Or celle-ci ne va pas sans une certaine distance, même matérielle ; les plus engagés parmi les instituts récents réservent à bon droit à la communauté certains locaux, certaines heures, etc.

Par comparaison, on est quelque peu étonné de trouver ensuite la simple mention de l’habit prescrit par les constitutions. La formule nuancée employée par Paul VI dans Evangelica testificatio [15] nous paraît tenir un compte plus exact de la situation réelle en un domaine où, par réaction contre des prescriptions minutieuses et souvent désuètes, beaucoup sont allés à l’autre extrême. Sauf circonstances spéciales, il nous semble que le religieux ou la religieuse, à la différence du membre d’un institut séculier, doit être reconnaissable à un signe distinctif. Celui-ci doit-il toujours être un habit propre à son institut ? Nous n’oserions l’affirmer, tout en constatant que des fondations toutes récentes vont à nouveau dans ce sens. Aussi une formule plus souple, inspirée du texte de Paul VI, nous paraîtrait-elle plus conforme aux principes mêmes qui ont inspiré cette révision du code. Nous proposons :

Le témoignage public que ces instituts ont à rendre au Christ et à l’Église entraîne cette séparation du monde qui est propre à la nature et à la fin de chaque institut. Quant au vêtement, il témoignera de la consécration religieuse, selon des modalités à préciser par chaque institut d’après les circonstances.

Les moniales et la vie contemplative (canons 105-107)

Le fait d’avoir maintenu une section spéciale consacrée aux moniales nous paraît difficilement conciliable avec le principe que la Commission s’était fixé : éviter, dans l’établissement des normes, toute discrimination entre instituts de perfection masculins et féminins [16]. Les moniales préféreraient qu’on ne les flatte pas (« la portion la plus illustre du troupeau du Christ ») mais qu’on les laisse jouir de cette égalité de droits avec les moines posée en principe par la Commission. Certes, elles apprécient l’autonomie de gouvernement et la disparition de nombreux recours à l’Ordinaire (et au supérieur régulier, le cas échéant), mais elles voient mal ce qui justifie un traitement différent de celui des moines pour les questions de clôture.

On ne l’a peut-être pas assez remarqué : Venite seorsum se compose de deux parties où l’on sent nettement la main de rédacteurs de mentalité différente. La première présente fort bien la vie contemplative dans son ensemble, elle en décrit la nature, le sens et les exigences ; parmi celles-ci, figurent en bonne place, pour moines et moniales, le recueillement, le silence, la clôture matérielle par laquelle chaque institut assure et garantit sa séparation d’avec le siècle. Mais la seconde partie ne s’intéresse plus qu’aux moniales de vie purement contemplative, elle renouvelle pour elles, à de faibles changements près, toutes les dispositions discriminatoires de la clôture papale des moniales. Or, de deux choses l’une : ou bien cette clôture stricte avec ses séparations matérielles, ses portes fermées à clef, ses permissions limitées à demander à une autorité extérieure au monastère, était jugée bonne, utile ou nécessaire pour la vie monastique comme telle, alors pourquoi ne pas l’avoir imposée aux moines tout autant qu’aux moniales ? – ou bien cette Instruction est encore restée prisonnière de la mentalité critiquée, non sans raison au dire du Père Said, par de nombreuses congrégations féminines : « Dans le Code, les membres des instituts de femmes paraissent considérés comme ayant besoin de tuteur dans presque toutes les manifestations de leur vie et de leur activité [17] » : la législation sur les moniales en était le plus bel exemple. Quoi d’étonnant, dès lors, qu’un grand connaisseur de la vie monastique féminine n’hésite pas à déclarer que Venite seorsum est déjà périmé, qu’en fait plus aucune autorité ne peut en imposer l’application ; ce que l’on avait fait prévoir à la commission qui rédigea cette partie du document est maintenant un fait accompli. Ajoutons toutefois que ce n’aura pas été sans de nombreuses souffrances.

Loin de nous la pensée d’arracher toutes les grilles et d’ouvrir les monastères à tout venant. Chez les hommes comme chez les femmes, la vie contemplative requiert un recueillement, un isolement, un silence sans lesquels elle devient pratiquement impossible. Mais, lorsqu’on admet le principe de l’égalité entre hommes et femmes si heureusement mis par la Commission à la base de son travail, nous ne voyons pas de motif qui justifie une législation canonique différente pour moines et moniales en ce qui concerne la clôture. Aussi proposerions-nous une refonte assez radicale du chapitre traitant des instituts monastiques, avec disparition de la subdivision entre moines et moniales.

Dans leur état actuel, les canons 98 (définition de l’état monastique) et 99 (fonction principale des moines) nous paraissent convenir aux moniales tout autant qu’aux moines. Le canon 100 traite des instituts uniquement voués à la contemplation (§ 1) et de ceux qui s’occupent aussi de certaines œuvres (§ 2). Son texte est bon et convient parfaitement aux moniales. Il faudrait toutefois, croyons-nous, compléter ce canon par un alinéa qui rappelle la nécessité, pour moines et moniales, d’une clôture adaptée à leur genre de vie et à ses diverses modalités, clôture à définir dans les constitutions [18].

Le canon 101, qui prévoit l’autonomie des monastères et précise que le supérieur d’un monastère sui iuris est de droit un supérieur majeur, s’applique sans difficulté aux moniales.

On pourrait insérer ici, en le précisant un peu, le canon 106, qui traite des moniales associées à un institut masculin. Pour éviter toute ambiguïté dans un changement notable (et souhaitable) et pour reconnaître l’aide que les moniales peuvent apporter à leurs confrères [19], nous proposerions un texte dans ce genre :

Les monastères de moniales, même associés à un institut masculin, jouissent, dans la détermination de leur genre de vie et leur gouvernement, de la pleine autonomie par rapport à l’institut frère. Il convient toutefois que les monastères d’hommes et de femmes unis par une commune vocation s’aident mutuellement à mieux la remplir, sans que ceci puisse justifier d’intervention dans le gouvernement de l’autre branche.

Les canons 102 (fédérations de monastère), 103 (formation des membres par les soins du monastère) et 104 (passage à un autre monastère ou à un autre institut) sont bons et s’appliquent aux moniales aussi bien qu’aux moines.

Par suite de cette refonte, les canons 105 (définition des moniales) et 107 (clôture propre à celles-ci) disparaissent.

Comme on le voit par ces quelques considérations, celles-ci, loin d’être une critique contre le nouveau projet, visent à l’améliorer dans le sens même où il a été pensé. La plus radicale d’entre elles, la suppression d’un traitement distinct pour les moniales, est dans la logique d’un principe excellent, réponse à un signe des temps détecté par Jean XXIII, Vatican II et Paul VI. Il ne serait pas difficile de montrer que les autres principes qui ont dirigé cette refonte méritent des éloges analogues et que nos suggestions n’ont eu pour but de les appliquer mieux encore, si c’est possible. Aussi redisons-nous en terminant tout le bien que nous pensons de cette formulation nouvelle. La promulguer sous forme de code n’est sans doute pas indiqué (nous avons dit pourquoi), mais en faire la ou les lois de la vie religieuse aujourd’hui nous semble répondre à une attente et à un besoin.

St.-Jansbergsteenweg 95
B-3030 LEUVEN (HEVERLEE), Belgique

[1C’est ce que constate le P. A. Gutierrez, c.m.f., dans l’article « Schema canonum de Institutis vitae consecratae per professionem consiliorum evangelicorum », Commentarium pro Religiosis et Missionariis, 58 (1977), 3-34, qui est un commentaire détaillé de ce projet.

[2Qu’il nous soit permis de remercier, pour leur étroite collaboration à la rédaction de ces pages, tous les membres du Comité de Vie consacrée et très spécialement le P. Alfred de Bonhome, s.j., dont la compétence canonique nous a été précieuse.

[3Gh. Lafont, o.s.b., « L’Esprit Saint et le droit dans l’institution religieuse », Vie Spirituelle, Supplément, 20 (1967), n° 82, 473-501, et 83, 594-639 ; ici, p. 616.

[4Tel est le rôle que P. Branchereau reconnaît à la législation, en conclusion de son étude sur Les Congrégations religieuses en Anjou sous l’épiscopat de Mgr Angebault, Angers, Faculté de Théologie de l’Université Catholique, 1976.

[6Notamment par A. Rouco Varela, dans l’Archiv für katholischen Kirchenrecht, 138 (1969), 95-113, et par G. Fransen, Doyen de la Faculté de droit canonique de l’U.C.L., « Code de « droit » canonique ou discipline positive de l’Église ? », Revue Théologique de Louvain, 8 (1977), 3-14. Il est intéressant de trouver un écho à ces préoccupations au deuxième congrès international de droit canonique (Milan, 1973), dans le discours d’ouverture prononcé par le Card. Felici, Président de la Commission chargée de la révision du Code ; cf. Communicationes, 5 (1973), 249.

[7Et conçue, comme eux, plus sous forme « pyramidale » que comme Peuple de Dieu. Ne doit-on pas voir une inspiration de l’Esprit Saint dans le fait que la Constitution dogmatique Lumen gentium ait placé le chapitre sur le Peuple de Dieu avant celui sur la hiérarchie ? On peut se demander si le texte qui nous est proposé a suffisamment tenu compte de ce changement de perspective et de ses conséquences dans le gouvernement. Si le rôle des personnes intéressées est signalé pour les décisions à prendre à l’intérieur des instituts (c. 26, 29, 35), rien n’est encore dit, dans les rapports de ceux-ci avec l’autorité ecclésiastique, d’une réflexion et d’un discernement avec les personnes directement concernées par les décisions en cause.

[8Pour les instituts séculiers, il faudrait alors voir avec eux comment formuler les règles canoniques qui décrivent leur état.

[10« Cet effort de discernement est à la fois nécessaire et délicat : nécessaire puisqu’il s’agit d’une institution qui se prétend reliée à une inspiration charismatique et ordonnée au bien de l’Église ; délicat car, lorsqu’il s’agit de juger une œuvre procédant de l’Esprit Saint, les critères que l’Église peut tirer de sa longue expérience passée ne sont pas absolus » (Gh. Lafont, art. cité du Supplément, 1967, 620).

[11« Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie » (Lumen gentium, 40).

[12« La sainteté de l’Église est entretenue spécialement par les conseils que, sous des formes multiples, le Seigneur dans l’Évangile a proposés à l’observation de ses disciples » (Lumen gentium, 42).

[13Il conviendrait de corriger aussi les deux autres passages où l’on retrouve ce « de plus près » : canon 33, § 2 (il suffit d’omettre le mot) et canon 89, § 1 : l’expression s’y trouve dans un membre de phrase qui pourrait, à cette place, apparaître comme un cadre pour tous les types de vie consacrée : ceux qui suivent le Christ dans sa prière (vie monastique), dans son activité bienfaisante (instituts adonnés à l’apostolat ou réunis par lui) ou dans sa fréquentation des hommes (instituts séculiers). Pour éviter le danger de cette interprétation rétrécissante, il serait sans doute plus simple de laisser tomber tout ce membre de phrase.

[14Gh. Lafont, art. cité du Supplément, 1967, spécialement 619-625.

[15N° 22.

[16Clairement affirmé dès les débuts des travaux de la Commission, ce principe a été explicitement appliqué aux moniales par le P. M. Said, o.p., Rapporteur de celle-ci, qui écrit : « Ce fut enfin un principe admis par le groupe de travail que d’éviter, dans le droit, toute discrimination entre instituts masculins et instituts féminins. Il aurait donc été choquant (absonum) de ne pas appliquer ce principe quand il s’agit des moniales » (Communicationes, 6, 1974, 89 - nous avons traduit).

[17Communicationes, 2 (1970), 176-177, n° 7 (cf. Vie consacrée, 1971, 287).

[18Ni pour les moines, ni pour les moniales, cette clôture ne serait plus appelée « papale », expression qui n’a plus de raison d’être, car elle ne correspond plus à une excommunication dont seul le Saint-Siège pouvait dispenser (peine suspendue par Venite seorsum et non reprise, heureusement, dans le nouveau projet) ni à une approbation spéciale de Rome.

[19Sainte Thérèse d’Avila, Docteur de l’Église, en est un exemple canonisé.

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