Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Liminaire

Vies Consacrées

N°1977-3 Mai 1977

| P. 131-132 |

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Une conscience grandit aujourd’hui dans l’Église, parmi les différents groupes de chrétiens, et dès lors aussi dans les communautés religieuses et dans la vie consacrée : celle de vivre dans un monde plongé dans l’injustice, où l’homme est trop souvent méprisé, méconnu, peu respecté. Une telle perception s’accompagne d’ailleurs souvent d’un sentiment d’impuissance : que faire pour changer ce monde si peu conforme à l’Évangile et au commandement de l’amour ? Comment affronter avec quelque chance de succès une réalité économique, politique et sociale tellement écrasante, en face de laquelle nos pauvres efforts et nos bonnes volontés ne peuvent rien ?...

Par ailleurs il est trop clair qu’il ne suffit pas de se déclarer chrétien et défenseur du christianisme pour être du même coup partisan réel de la justice. Jésus avait déjà prévu la chose dans l’Évangile, quand il proclamait : « Pourquoi m’appelez-vous “Seigneur, Seigneur” et ne faites-vous pas ce que je dis ? » (Lc 6,46).

Ce qui est souligné par la liaison entre le service de la foi et la promotion de la justice, c’est que nous n’allons pas assez loin dans la lecture des événements de notre monde, quand nous cherchons à comprendre les manifestations de mépris et de rejet de l’homme sans y lire le refus même de Dieu. « Si quelqu’un dit : « j’aime Dieu », et qu’il baisse son frère, c’est un menteur. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4,20).

Il y a un drame de l’athéisme, même si Dieu reste apparemment reconnu et professé, partout où il y a un drame d’écrasement de l’homme par l’homme, partout où règnent la torture, la méconnaissance des frères, l’insouciance vis-à-vis de la misère et de la pauvreté. Il y a un combat des esprits, et un refus de l’Esprit de Dieu, là où il y a égoïsme, désir de s’affirmer et de dominer, de promouvoir uniquement ses propres intérêts, et donc partout où le bien de l’autre ou de la communauté humaine tout entière sont blessés.

L’injustice entre les hommes est en effet plus qu’une simple réalité anthropologique. Cette blessure mortelle de la charité est dans son fond une réalité christologique et théologique, parce qu’elle est refus d’accueillir Jésus, l’envoyé du Père, et donc de s’ouvrir au pardon et à l’amour du Père de tous.

Religieux et consacrés, « livrés au radicalisme des Béatitudes » (Paul VI, Exhortation sur l’évangélisation, 69), comment ne pas être touchés au cœur par ce double drame : l’athéisme, source d’injustice, de violation des droits de l’homme parce que la vision de l’homme sans Dieu est tronquée, et l’injustice, fruit d’un athéisme pour le moins pratique, parce que Dieu n’est pas reconnu dans le frère.

Les quelques articles rassemblés dans ce numéro voudraient aider religieux, religieuses et autres consacrés, d’une part, à se situer en vérité et à s’engager avec assurance dans le service de la foi en ce monde aux prises avec l’athéisme – Madeleine Delbrêl en est un témoin privilégié – et d’autre part, à discerner comment promouvoir la justice et la libération de l’homme dans une réelle solidarité avec les pauvres (par fidélité au cœur de leur mission, le témoignage de la Bonne Nouvelle du Royaume) – Mgr Ancel et Roger Heckel donnent des critères pour cet engagement –, tandis que les pages de Pierre Gervais veulent aider à inscrire la prière de l’apôtre dans ces situations nouvelles. Pour prolonger cette réflexion, nous publierons cette année dans le numéro 5 un article de J. M. R. Tillard sur l’insertion dans le monde du travail et une note de J.-M. Hennaux sur les choix apostoliques.