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Vie psychique et vie spirituelle

André de Jaer, s.j.

N°1977-2 Mars 1977

| P. 105-107 |

Brève note qui précise en quoi consistent ces deux dimensions distinctes et indissociables. Elle analyse ensuite les relations qui existent entre elles et elle les situe l’une par rapport à l’autre à la lumière de la réalité ultime de l’homme dans le mystère de Jésus-Christ. Enfin, elle fournit quelques suggestions sur la manière de vivre spirituellement une cure psychologique.

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Définitions

La vie psychique, dans l’homme, se définit à partir de l’expérience, consciente ou non, que l’individu fait de lui-même : elle est la manière dont il se découvre lui-même, situé dans le monde et par rapport aux autres. Il est né à tel endroit, à telle date, de tels parents, avec telle constitution génétique et organique. Cet ensemble conditionne la genèse psychologique de l’individu qu’il est.

La vie spirituelle, dans l’homme, se définit à partir de la rencontre de Dieu : elle est la manière dont l’être humain, dans l’Esprit de Dieu, se découvre affecté, touché par Jésus-Christ, par Dieu son Créateur et Rédempteur, qui se manifeste à lui à travers la réalité sacramentelle et communautaire de l’Église.

Éléments de réflexion

Toute réalité spirituelle est-elle susceptible d’interprétation psychologique ?

Dans la mesure où toute réalité spirituelle touche l’affectivité et la rationalité de l’homme, elle est susceptible d’une interprétation psychologique. Cette interprétation explicite en termes spécifiquement humains ce qui est et humain et divin. Réalité spirituelle et phénomène psychique ne sont pas deux mondes séparés. Tout ce qui vient de Dieu dans l’homme touche celui-ci tout entier. Dieu nous aime et nous sauve tels que nous sommes ; l’homme aime Dieu avec ce qu’il est. Toute expérience que l’homme fait de Dieu a une face humaine. Des tempéraments affectifs et psychologiques différents conditionnent de manière différente la vie dans le mystère de Dieu. Les psychologues ont donc quelque chose à dire sur les réalités spirituelles.

Une réalité spirituelle est-elle réductible à son interprétation psychologique ?

Non. Le dire serait nier la spécificité de la réalité spirituelle : celle-ci est certes susceptible d’une interprétation psychologique, mais elle ne se réduit pas à cette interprétation.

Tout phénomène psychique est-il susceptible d’une intelligence spirituelle ultime ?

Oui. Affirmer le contraire serait nier l’alliance totale de l’homme avec Dieu. Ce qui ne signifie pas que cette intelligence puisse être perçue à chaque instant par chacun [1]. Mais il y a une intelligence de ce phénomène psychique, pleinement éclairée dans la résurrection, et déjà commencée dans le don miséricordieux de l’Esprit dans l’Église.

Il est donc possible d’annoncer le mystère de Jésus-Christ présent en ce qui se passe dans ce phénomène psychique, tout en sachant que le discours théologique et spirituel n’épuise pas ce mystère de Jésus-Christ (pas plus que le discours psychologique), même si, dans l’Église, il est assisté et donné par le Saint-Esprit. Il faudra donc le faire avec prudence et humilité.

Un phénomène psychique est-il pleinement intégrable à son intelligence spirituelle ?

Il semble bien que non. Il y a toujours des « résidus » psychologiques irréductibles (un fond d’angoisse, un fond narcissique...). Ces « résidus » sont le signe de l’irréductibilité de notre être créé et pécheur à son intégration dans la vie spirituelle de Dieu Trinité. Cette obscurité même est un partage de la passion du Christ, de son agonie et de son abandon, comme de la descente aux enfers. La transparence sera totale en notre résurrection.

Situation affective et cure psychologique

Si une situation affective déterminée appelle une cure psychologique [2], il importe d’intégrer continûment cette cure dans la vie spirituelle. Car le recours à la thérapie peut être un moyen du combat spirituel, comme le médecin peut l’être dans d’autres infirmités. En utilisant toutes les ressources de l’intelligence humaine et des sciences de l’homme, nous sommes invités à ne pas mettre en elles notre assurance, mais en Dieu seul [3], et à nous en servir comme moyen pour les autres (apostolat) et pour Dieu (contemplation). Il importe d’aider celui ou celle qui entre en cure à situer la thérapie à ce niveau. Ainsi la libération personnelle espérée et attendue grâce à celle-ci ne sera pas recherchée pour elle-même, mais pour une plus grande gloire et un plus grand service de Dieu.

Conclusion

Toute réalité psychologique est appelée à être relue à l’intérieur du combat de l’homme, de l’Église, pour Dieu. Car aucun phénomène psychologique n’est totalement étranger à la liberté spirituelle de l’homme devenu enfant de Dieu. L’intelligence spirituelle de ces phénomènes comporte toute la mémoire de l’histoire, de l’alliance, et inclut la naissance et la vie, la passion et la résurrection du Christ.

Cette intelligence spirituelle appelle donc toujours une prière, à partir de cette situation psychologique, à l’exemple des psaumes de demande et d’imploration, de pardon, d’offrande à Dieu, d’action de grâce. Il peut être bon que cette prière soit partagée, et l’intercession des contemplatifs, que leur vocation situe au cœur de l’Église, porte elle aussi ce combat spirituel dont nous sommes tous solidaires dans la communion des saints.

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[1D’où le sens de l’action pastorale de l’Église, de la direction spirituelle, d’une part, et des « nuits » des sens et de l’esprit, d’autre part.

[2Sauf erreur, certaines cures ont parfois été comme des démissions des responsables spirituels : par manque de lucidité et d’énergie dans le combat des esprits, on s’en est remis aux seules lumières des hommes, dépassés pourtant par le drame du salut, dont ils sont les acteurs, mais aussi les victimes. Il est assez connu par ailleurs que la confusion contraire n’a pas été sans exister. Il ne faut pas identifier comme action du mauvais esprit ce qui appartient à l’humanité fragile de l’homme : on combat alors ses propres projections au lieu de soigner et de guérir son frère ou sa sœur en humanité.

[3Voir Saint Ignace, Constitutions de la Compagnie de Jésus, Coll. Christus, Paris, Desclée De Brouwer, 1967, 254, n° 814.

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