Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Découverte de la valeur actuelle d’un charisme

« Si tu savais le don de Dieu... »

Marie-Claude de Martimprey

N°1977-1 Janvier 1977

| P. 24-31 |

Comment déceler, sous une formulation anachronique, le charisme toujours valable d’un institut ? Comment en prendre conscience et retrouver ensemble l’orientation qu’il implique pour la Congrégation ? Auxiliatrice « du Purgatoire », l’auteur a dû faire face à cette difficulté. Dans ces pages, elle nous décrit comment elle a aidé ses sœurs à redécouvrir avec elle et toutes ensemble l’appel de l’Esprit pour son institut aujourd’hui

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

« Si tu savais le don de Dieu, c’est toi qui le prierais, et il te donnerait l’eau vive, devenant en toi source jaillissante de vie éternelle » : Jésus parle ainsi de l’Esprit, celui qu’il nous livre en plénitude (Jn 4,10-14).

Communautés religieuses abreuvées de cet Esprit, nées d’un charisme qui nous fait membre chacun pour notre part du Corps du Christ, que faisons-nous de ce charisme, de ce don qui nous a été remis pour que le corps vive et grandisse dans la surabondance de tous les dons ? Sommes-nous dans l’Église et pour le monde source jaillissante en vie éternelle ?

Si nous nous posons cette question aujourd’hui, c’est que l’Église nous le demande. L’un des principes directeurs du nouveau droit canon pour les religieux, en cours d’élaboration, est en effet d’aider les Instituts à remettre en lumière leur charisme et à en vivre, de sorte que le dynamisme de ce charisme soit porté et manifesté par des structures expressives du souffle de l’Esprit, au lieu d’être bloqué, tari dans des règlements multiples trop généraux ou trop particuliers.

Aussi, pour réviser nos constitutions, où désormais le droit propre primera le droit commun, nous avons à nous remettre dans la motion de l’Esprit qui nous anime et à la vivre. Ainsi nous serons mieux à même de reconnaître notre charisme jaillissant dans l’aujourd’hui, d’en rendre grâces et d’en « faire part » à l’Église pour qui il a été donné.

C’est l’objectif même des sessions que nous avons faites dans plusieurs de nos communautés et cette année dans nos provinces du Japon et de Chine. Nous essaierons d’en partager ici l’expérience, non pas comme la proposition d’un modèle à imiter, mais peut-être comme l’inspiration d’autres initiatives à prendre dans la motion de ce même Esprit.

Un projet

Pour réaliser ce projet, il importait d’abord de clarifier nos intentions. Était-il vraiment nécessaire de faire des sessions ?

Que de fois, par exemple, j’ai entendu les sœurs me demander un texte, à cause des difficultés réelles et de tous genres qu’éprouve une communauté à se réunir un certain nombre de fois pendant quelques jours ou quelques heures.

Peut-être ces réticences, motivées bien sûr, signifiaient-elles cependant, au-delà des raisons évoquées, le manque ou la fragilité du désir de se renouveler dans la vie de l’Esprit, dans l’accueil de ce charisme qui nous a été confié pour l’édification du Corps du Christ. Peut-être ces réticences étaient-elles donc les meilleurs signes du besoin d’une telle session portant sur le sens même de notre vie consacrée dans un institut religieux.

En réalité aucun moyen humain considéré en lui-même (fût-ce un très bon texte) ne peut remplacer une session telle que nous la voulions et que, en vérité, nous l’avons reçue du Seigneur lui-même : c’est-à-dire une expérience de l’Esprit donnée à une communauté qui l’attend dans la prière, la reçoit dans la lumière de la foi et la partage fraternellement.

Le but n’était donc pas d’abord de faire une étude de notre charisme plus exhaustive que les précédentes, plus renouvelée quant aux conceptions théologiques qui fondent notre foi et au langage dans lequel nous les exprimons. De fait, un tel approfondissement doctrinal nous semble indispensable et trouve sa place dans l’itinéraire que nous parcourons ensemble, mais de telle manière que cette étude nous aide à entrer de plus en plus dans une nouvelle vision de foi et ainsi nous replonge dans le dynamisme originel de notre charisme.

Et c’est pourquoi, pour commencer et introduire cet itinéraire au souffle de l’Esprit, nous fallait-il d’abord nous mettre ensemble dans les attitudes qui nous permettraient de vivre cette expérience, attitudes d’espérance, d’accueil, de gratuité nées de la contemplation de l’œuvre du Père à laquelle nous avons été appelées à collaborer dans la consécration de tout notre être. Ce dessein de salut est le projet d’alliance nouvelle et éternelle que le Christ nous offre par le don de sa vie et réalise en nous par son Esprit d’amour.

Cet unique don est reçu par chacun et chaque groupe en une forme propre et c’est ce que saint Paul nomme un « charisme », nous rappelant que tout charisme est « pour le bien commun », pour l’édification de la communauté ecclésiale (cf. 1 Co 12). Ce charisme est voie d’accès à « l’inépuisable richesse du Christ », il ne nous est donné que pour que nous soyons témoins de cette voie qui nous est ouverte, signes au monde de cette expression de l’amour du Père pour tous ses enfants.

Ce don d’amour toujours actuel, nous avons sans cesse à le demander dans la prière, à l’accueillir comme une grâce, à le recevoir comme une mission. Il nous personnalise, faisant de nous tel membre du Corps du Christ, en communion avec tous les autres jusqu’à ce que ce Corps ait atteint sa stature parfaite, sa plénitude de grâce et de gloire.

Et pour le dire plus concrètement, laissons parler ici quelques-unes de nos sœurs partageant leur prise de conscience après la session :

J’ai approfondi cette vérité que c’est le charisme qui a conduit les sœurs à la Société. J’ai pu approfondir le mystère du lien vital, c’est-à-dire du même don de l’Esprit qui unit les sœurs à travers le monde et j’ai l’impression qu’on m’a montré la source d’où jaillit l’unité.
Cette session a été pour moi une expérience plus profonde de l’Esprit qui est en moi, qui agit en moi, elle m’a donné une forte confiance envers cet Esprit qui me fait avancer de façon dynamique comme notre fondatrice.
Pour donner à l’Institut une mission spéciale dans le monde et dans l’Église le Saint-Esprit travaille de diverses façons dans les sœurs et ainsi il projette de la lumière sur notre charisme à partir d’angles divers. Ainsi notre réponse confère plus de richesse au charisme de l’Institut. Je me suis mise moi-même dedans, j’ai fait l’expérience de cette manière de vivre et de la responsabilité qui m’interpelle.
Ces paroles qu’il nous disait déjà, le Saint-Esprit maintenant nous les a fait comprendre de façon nouvelle : ensemble nous avons fait l’expérience du dynamisme du charisme de l’Institut.

Un itinéraire

Après cette mise en route, nous pouvions maintenant aborder l’étude plus spécifique du charisme de notre institut.

Je dois tout d’abord en dire quelques mots ici pour ne pas généraliser une expérience, mais essayer de la partager en laissant approcher, entrevoir la source dont elle a jailli, source faisant toujours pousser branches et fruits nouveaux.

Il n’est pas difficile de reconnaître que le « Purgatoire » (car c’est de cela dont il s’agissait pour nous) est un terme tout à fait anachronique aujourd’hui. Terme évoquant certes une réalité spirituelle, mais d’une manière « chosifiante », unilatérale et négative, telle qu’il ne peut plus avoir d’impact sur la conscience contemporaine et provoque même un instinctif rejet.

Mais si, cependant, derrière l’ambiguïté de ce terme, nous reconnaissons le mystère du purgatoire comme le mystère même de l’amour du Père appelant en son Fils Jésus tous les hommes ses fils, les purifiant, les sanctifiant, les régénérant dans leur mort même et les ressuscitant jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’un en eux dans l’Esprit d’Amour, la perspective devient alors tout autre. Merveilleuse perspective dans laquelle nous avons toujours à pénétrer par une contemplation de foi, et dans laquelle ce que nous faisons pendant notre vie entière peut devenir collaboration à l’œuvre du Père pour tous nos frères, en ce monde et en l’autre : œuvre de consécration filiale au feu de l’Esprit d’amour.

En cette moitié du XIXe siècle où notre Institut fut fondé par Eugénie Smet, appelée Mère Marie de la Providence, elle s’était écriée un jour : « Je voudrais d’une main vider le purgatoire et de l’autre le remplir des âmes arrachées à l’enfer ». Et voici l’intense désir que je perçois en l’entendant : avec tous les hommes, des profondeurs de leur péché, plonger au feu purifiant et transformant de l’amour (et ainsi « remplir le purgatoire ») et renaître en Jésus fils bien-aimés dans la gloire du Père et la communion des frères (et ainsi « vider le purgatoire... au paradis »).

Cet horizon ne se découvre pas tout à coup. Je ne le propose pas au début de la session. Je ne l’explicite brièvement ici que pour faire comprendre le sens des démarches que nous allons décrire et qui ont justement pour but de nous conduire au seuil de cette vision renouvelée, de ce don de Dieu à accueillir. Elle monte peu à peu au cœur de chacune de telle manière qu’elle puisse jaillir sur ses lèvres en action de grâces, en témoignage de l’amour reçu et en message d’espérance pour nos frères.

Je propose donc trois étapes à parcourir, au rythme propre à chaque groupe, trois étapes de notre devenir d’homme appelé au devenir filial (l’on pourrait bien sûr en prévoir d’autres) :

1. Naître de l’Esprit – 2. Devenir fils dans le Fils – 3. Aller au Père.

Chaque étape est introduite par une mise au point anthropologique et théologique, simple et nette, afin que toutes puissent s’y retrouver ensemble sur la même longueur d’onde. Les présupposés, implicites dans bien des esprits, les ignorances, les points de vue étroits ou faussés risqueraient en effet d’entraver la démarche que nous avons à faire.

Ensuite je propose qu’en petits groupes l’on exerce ce charisme que l’on a reconnu en soi. Il s’agira de lire un texte d’Écriture dans la lumière que nous portons, la sensibilité spirituelle que nous éprouvons et que trop souvent nous ignorons, et de partager ce que nous y avons vu de notre charisme. Les groupes mettent ensuite en commun leurs découvertes et de tous ces fragments jaillit une image neuve aux yeux de chacune, image qui nous permet de contempler ce que nous avons reçu, d’accueillir le don de Dieu.

Pour la première étape « naître de l’Esprit », nous prenons l’histoire de Nicodème (Jn 3). Pour la deuxième étape « devenir fils dans le Fils » (ce qui suppose une libération du péché et des forces du mal), nous regardons la vocation de Moïse (Ex 3 sq) ou celle d’Isaïe (Is 6) ou encore la parabole dite de « l’enfant prodigue ». Pour la troisième étape « aller vers le Père », je propose une relecture de quelques paroles de notre fondatrice, écho de l’Évangile, afin que ce langage du XIXe siècle nous ouvre à la Parole vivante qu’est Jésus-Christ aujourd’hui pour nous. Parfois encore, je choisis d’autres textes au moment même, selon le déroulement de la session.

Après le partage de l’Écriture, je montre les implications théologiques et spirituelles contenues dans ce que nous venons de dire, relevant la cohérence et la profondeur de la vision de foi que nous avons découverte.

Puis chacune exprime ses attentes, ses questions, et c’est le temps du fraternel dialogue, donnant l’occasion de s’éclairer mutuellement.

Et tout ceci nous mène à louer le Seigneur, à lui rendre grâces, à lui demander pardon, à lui faire confiance. La prière jaillit spontanément ici ou là et nous veillons à lui ouvrir de larges espaces selon le planning adopté pour la session.

Deux moyens supplémentaires se sont encore avérés très aidants :

Un court syllabus remis à chacune contenant les précisions théologiques et les principales citations de l’Écriture dont je viens de parler.
De grands panneaux en couleur schématiques et symboliques permettant une saisie intuitive directe de ce qui a été montré. Il faut d’abord que naisse la vision de foi, ensuite et ensuite seulement, j’affiche les panneaux qui viennent alors préciser cette vision sous un autre mode (affichés avant, ils risqueraient de dispenser de la compréhension spirituelle et y feraient probablement obstacle).
La polycopie petit format de chaque panneau est donnée aux sœurs qui le colorient selon les symboles adoptés et le complètent de leurs notes.

Un point source

À la fin de ce parcours nous faisons halte et, en petits groupes ou personnellement, préparons les derniers partages.

Pour aider à ce qu’ils soient vrais et non au seul niveau des idées ou des impressions, je demande ce qui a davantage frappé chacune : « Quelles sont la ou les lumières principales que vous avez trouvées ? », « Qu’avez-vous préféré ? »

Après cette mise en piste, ayant préparé sérieusement et par écrit son intervention, chacune essaie très simplement de dire comment elle, aujourd’hui, voit et peut exprimer notre charisme. C’est un très grand moment où l’Esprit souffle dans nos balbutiements et où monte de nos cœurs une parole neuve. De là se perçoit, se dégage une convergence que nous soulignons, une note originale propre généralement à chaque groupe régional, en consonance avec les autres groupes.

En rétrospective l’on comprend qu’il ait fallu du temps pour en arriver là, le temps nécessaire à toute maturation, et l’on vient à regretter de n’avoir pu en donner davantage !

Mais c’est un nouveau chemin qui s’ouvre désormais devant nous et pour lequel maintenant, mais seulement maintenant, l’on pourra faire quelques projets, dans la mouvance de l’Esprit. À chaque communauté de discerner concrètement, pratiquement ce qu’elle fera maintenant pour vivre ce charisme.

Et voici comment un groupe, engagé dans des professions séculières, discerne sa tâche essentielle :

Nous ne pouvons pas nous contenter de répéter cette belle formule « aider les hommes à atteindre la fin à laquelle ils sont destinés, c’est-à-dire le face à face avec Dieu », sans pouvoir expliciter ce que cela signifie et engage.
Nous ne pouvons pas nous contenter de répéter cette belle formule à la promotion humaine, sociale, culturelle et même spirituelle de ceux qui sont mis sur notre route, ce qui devrait être le but de tout baptisé, mais nous avons un message à délivrer, un message de vie éternelle qui concerne chaque personne, une espérance de vie à communiquer.
Mais ce message nous ne pourrons le délivrer dans sa force originelle et sa pureté que si nous l’avons creusé ensemble, mûri ensemble avec l’aide de l’Esprit pour qu’il puisse jaillir en nos vies.
Dans un monde en mutation profonde et rapide, tendu dans sa course scientifique et technique, ce message du sens de la vie et de la mort et de notre propre mort, du devenir humain dans l’au-delà, de l’intercommunion du monde des vivants et des morts et de la solidarité qu’il commande est peut-être la tâche essentielle qui nous est demandée aujourd’hui.

Tâche essentielle qui s’accomplit par toutes nos tâches quotidiennes. Nous avons à en discerner les modalités – et c’est le travail qui s’impose à la fin de la session – à la poursuivre sans cesse et à en vérifier la réalisation parmi les ambiguïtés et difficultés des situations où nous vivons.

Après les sessions du Japon et pour en évaluer l’impact, la provinciale avait envoyé à toutes les communautés le questionnaire suivant :

Grâce à cette session, qu’est-ce que vous avez approfondi ? qu’est-ce qui est devenu pour vous force de vie ? qu’est-ce que vous voulez transmettre à vos sœurs et à d’autres ?

Et peut-être quelques témoignages des sœurs parleront-ils mieux que la systématisation faite en ces pages et y apporteront-ils un vivant complément.

J’ai pu comprendre que la spécificité de notre vocation a une base biblique. J’ai vu où est située la vocation de l’institut dans l’œuvre du salut : c’est pour moi une confirmation.
Le Purgatoire est le lieu où vit l’Esprit d’amour de Dieu, j’ai vu cela avec un cœur nouveau et j’en ai été convaincue.

« Des profondeurs du Purgatoire aux extrémités de la terre » cette parole que j’ai entendue si souvent, je l’ai comprise sur une base toute nouvelle. Aller aux profondeurs du Purgatoire, c’est aller au plus profond du cœur de Jésus, de là jaillit le dynamisme qui s’étend jusqu’aux extrémités de la terre. Quand j’ai compris ainsi le don spécifique de notre vocation, j’ai été certaine des grâces qui nous sont données avec la vocation : la contemplation au plus profond du Cœur du Christ, l’activité auprès des hommes – la contemplation dans l’action. Je dois vivre d’abord la vraie union avec mes sœurs dans la charité et, ce cercle, l’élargir grandement aux dimensions de l’Église, du monde, sur la base de l’amour de Dieu et des hommes. J’ai pensé que c’est cela vivre notre charisme dans la vie d’aujourd’hui.

Dans une conférence aux Supérieurs majeurs donnée à Rome le 21 février 1974, le Père Régamey O.P. parlait ainsi : « Comment celles de ces familles religieuses qui sont demeurées fidèles à ce qu’on appelle, depuis le Concile, leur charisme, auront-elles chance de devenir charismatiques authentiquement, et avec quelle intensité et plénitude ? »

Le Dieu qui nous a appelés à son alliance en Jésus-Christ est fidèle. Il nous a donné l’Esprit Saint qui opère en nous toute sanctification avec les dons et les charismes particuliers dont il lui a plu de combler son Église. Reconnaître notre charisme et l’exprimer à nouveau est certes un premier pas, signe de notre bonne volonté docile aux motions de l’Esprit. Mais redeviendrons-nous, selon le mot du Père Régamey, « charismatiques de ce charisme », c’est-à-dire lui laisserons-nous déployer en nous et pour les autres toute sa puissance d’amour, de transformation, de vie ?

La seule manière de répondre à cette question est sans doute de nous tourner encore une fois vers l’Esprit Saint et de nous livrer à lui pour qu’il le fasse lui-même en nous.

116, rue du Cherche-Midi F-75006 PARIS, France

Mots-clés

Dans le même numéro