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L’obéissance dans les nouvelles Constitutions des Instituts religieux de vie active

Michel Dortel-Claudot, s.j.

N°1976-5 Septembre 1976

| P. 285-295 |

Ayant collaboré à la rédaction des nouvelles Constitutions de nombreux Instituts, l’auteur met en lumière les thèmes que celles-ci doivent traiter lorsqu’elles abordent l’obéissance et il illustre son exposé par des extraits des textes capitulaires. On nous y parle du fondement de l’obéissance pour tout chrétien et plus spécialement pour les religieux, de la tonalité que prend l’obéissance selon les Instituts, du rôle du supérieur de communauté, des questions enfin que posent le projet communautaire, le projet et le statut personnels.

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Au terme de la période d’expérimentation qui a débuté avec le Chapitre spécial, chaque Institut devra soumettre à l’approbation définitive de l’Église ses Constitutions rénovées, ou mieux ses nouvelles Constitutions (Ecclesiae Sanctae, n. 8). Les Instituts, qui ont généralement produit d’excellents Décrets capitulaires (appelés parfois Constitutions « ad experimentum ») à l’occasion du Chapitre spécial et du Chapitre suivant, sont souvent désemparés face à la dernière étape : la rédaction de leurs nouvelles Constitutions proprement dites. Nous avons participé à de nombreux Chapitres généraux d’instituts de type très divers, et la question suivante nous a été souvent posée par les capitulants et les responsables : que devons-nous écrire dans nos nouvelles Constitutions au sujet de l’obéissance ? La même question se pose à propos de tous les aspects de la vie religieuse, mais d’une façon plus aiguë peut-être à propos de l’obéissance.

C’est afin d’apporter des éléments de réponse, partiels et modestes, à cette question souvent posée, que nous avons rédigé cet article. Pour être dans la vérité de notre service personnel d’Église, pour être honnête avec nous-même, nous l’avons fait dans notre langage à nous. Ce langage n’est pas celui de la réflexion théologique technique ; il n’est pas celui de la psychologie ou de la sociologie ; il est celui de la praxis ecclésiale, telle qu’elle se vit notamment dans les Chapitres généraux chargés d’élaborer des Constitutions et des normes de vie. Nous avons surtout visé à être simple, clair, opérationnel.

I. Fondements de l’obéissance

Les Constitutions doivent d’abord poser les fondements théologiques de l’obéissance religieuse. Ils sont communs à toutes les familles, avec des accents différents.

Ce que veut le religieux, c’est obéir toujours davantage à Dieu, imiter de plus près le Christ obéissant au Père. Si Dieu communiquait au religieux sa volonté directement, sans aucun intermédiaire, le chapitre des Constitutions sur l’obéissance serait le plus simple à écrire ; il suffirait de noter : « Écoutez-bien ce que Dieu vous dit, et faites-le ! » La complexité du problème vient de ce que Dieu ne communique jamais sa volonté en direct. Personne ne peut prétendre entendre directement la voix de Dieu. Celui-ci communique toujours sa volonté au moyen d’intermédiaires, de canaux de retransmission. Certains de ces canaux sont les mêmes que ceux utilisés par Dieu pour faire connaître sa volonté à tout chrétien, séculier ou religieux. Certains sont propres à la vie religieuse. D’autres enfin sont plus spécifiques de la vie religieuse adonnée à l’apostolat. Une doctrine de l’obéissance religieuse est donc avant tout une doctrine des moyens utilisés par Dieu pour nous parler et nous faire savoir sa volonté.

A. Canaux communs à tous les chrétiens

Tout chrétien – et le religieux ne fait pas exception – doit d’abord entendre la voix de Dieu lui parlant par le Magistère, écouter la Parole divine dans l’Écriture Sainte lue en Église. Il doit aussi relever à terre les traces de Dieu que sont les circonstances, épier les signes des temps pour voir d’où souffle l’Esprit, se laisser saisir par les événements, extérieurs et intérieurs, qui le déportent contre sa volonté d’un point à un autre : Dieu nous parle aussi à travers eux, pourvu que nous les interprétions correctement (et que notre lecture accepte de se laisser contrôler). Il y a là, pour l’obéissance religieuse, un important champ d’application. Tout religieux est tenu à un titre particulier, celui de son voeu d’obéissance, d’être attentif à ces intermédiaires qui lui manifestent la volonté de Dieu. Le fait d’être soumis à des Supérieurs ne dispense pas le religieux d’une telle attention. Comme des Instituts l’écrivent dans leur Règle :

Cette volonté de Dieu nous est manifestée par sa Parole écoutée dans l’Église, par notre Règle de vie, par le Pape et les Évêques, nos Supérieurs, les personnes et les événements de la vie quotidienne.

Appelées à « entrer dans le dynamisme de la vie filiale de Jésus », notre obéissance nous situe dans une attitude profonde d’accueil et de disponibilité à la volonté du Père, cherchée et reconnue dans la Parole de Dieu lue en Église, les événements, les besoins du monde, la vie des communautés chrétiennes et le projet de la Congrégation ainsi que dans le projet de la communauté.
Dans la mesure où toutes, sœurs et responsables, nous discernons ensemble, à travers tous ces échos de la voix de Dieu, comment réaliser aujourd’hui le charisme de la Congrégation, nous formons véritablement une « communauté d’obéissance ».

Comme la Sainte Famille à Nazareth, nous sommes incarnées dans notre temps ; comme elle, c’est dans la réalité quotidienne que nous rencontrons la volonté de Dieu. Événements intérieurs (limitations personnelles, besoins de notre intelligence, de notre coeur, de notre corps, sentiments de toutes sortes qui peuvent nous habiter, etc.), événements extérieurs (rencontres, situations concrètes, tâches humaines, lois de la vie sociale, etc.) nous incitent sans cesse à trouver la réponse à l’invitation divine qu’ils contiennent.
Inventer cette réponse dans la foi, dans la loyauté de notre conscience, dans la fidélité à ce que nous sommes, dans la liberté de notre recherche de la vérité, c’est faire la volonté du Seigneur.
Devenir profondément nous-mêmes en vivant jusqu’au bout tous les événements, en les laissant déployer en nous leur réalité et en acceptant la remise en question personnelle, l’invitation à changer qu’ils réclament, c’est être fidèle à la volonté de Dieu.
S’engager dans la tâche qui nous est confiée avec toute notre personnalité, notre créativité, notre responsabilité, notre amour de Dieu et des hommes, c’est accomplir la volonté divine.

B. Canaux propres à la vie religieuse

Depuis aussi longtemps que la vie religieuse existe, l’Esprit Saint lui a inspiré de mettre par écrit son projet dans une « Règle », des « Constitutions », et autres textes fondateurs. Approuvées par l’Église, ces Règles, ces Constitutions sont pour le religieux une expression certaine de la volonté divine sur lui, des canaux utilisés par Dieu pour lui transmettre ses appels, lui faire connaître son vouloir.

C. Canaux plus spécifiques de la vie religieuse adonnée à l’apostolat

À certains tournants de l’existence, le religieux de vie apostolique doit se poser la question : « Où diriger mes pas dans la vigne du Seigneur, pour mieux servir, pour que la vendange soit plus abondante ? » Pour répondre à cette question, il doit relever à terre les traces de Dieu, épier les signes des temps, voir où le conduisent certains événements providentiels, mais il doit également écouter Dieu lui parlant par ses Supérieurs majeurs. Il revient, en effet, à ceux-ci de déterminer le lieu et le type de toute mission apostolique personnelle ; ce qui d’ailleurs n’exclut pas la possibilité d’un dialogue sérieux et prolongé entre le religieux et son Supérieur avant que ne soit décidée l’obédience. Bien plus, un tel dialogue est nécessaire. Mais dans l’obédience, il faut bien distinguer deux moments successifs : le temps du dialogue, et ensuite le temps de la décision, donc de l’obéissance. Les Constitutions doivent attirer l’attention sur le fait que le climat de dialogue où se déroulent maintenant et fort heureusement les choses ne prive pas le Supérieur majeur du droit et du devoir de décider en dernier ressort des obédiences à donner.

II. Ligne apostolique et ligne conventuelle

Une fois bien posée la doctrine des moyens utilisés par Dieu pour faire connaître sa volonté au religieux, les Constitutions doivent voir ensuite sur quel aspect insister davantage, compte tenu du charisme propre à l’Institut. La façon de présenter l’obéissance est, en effet, différente suivant que l’on se situe dans une ligne plus « apostolique » OU plus « conventuelle ».

A. Ligne plus apostolique

Dans les Instituts franchement apostoliques, ce qui compte le plus dans l’obéissance, c’est la disponibilité des sujets à aller partout. Comme l’écrit avec vigueur une Congrégation dans ses Constitutions :

Pas de vie apostolique sans disponibilité. L’apôtre est celui qui est envoyé. Il dirige ses pas là où l’envoie le Seigneur. Ne peut prétendre vivre l’obéissance qu’il a vouée celui qui n’est pas prêt à partir là où l’obéissance l’envoie. Obéir, dans la vie religieuse, c’est d’abord accepter la mission que la Congrégation nous confie : quitter, si on nous le demande ; rester, si on nous le dit.

Dans les Instituts apostoliques, les communautés sont rassemblées au nom de la mission, et c’est en vue de celle-ci qu’un sujet est envoyé dans telle maison plutôt que dans telle autre. Dans cette perspective, l’acte d’autorité par excellence du Supérieur majeur est celui qui consiste à confier à un religieux une tâche apostolique à accomplir ou, ce qui revient au même, à reconnaître comme mission-de-l’Institut une responsabilité confiée à ce religieux par une autre instance (autorité diocésaine, administration publique, etc.).

Concrètement, cet envoi-en-mission peut se faire de diverses façons, mais l’obéissance y a toujours sa place :

  • Première façon : Une mission particulière est confiée à un religieux qui a, en outre, à rejoindre une communauté pour y vivre. L’obédience est alors donnée sous cette forme, par exemple : « Frère N., vous aurez telle activité dans telle communauté éducatrice ». L’obéissance consiste à accepter à la fois la tâche confiée et la communauté concernée.
  • Seconde façon : La mission est confiée par le Supérieur majeur à une communautéen tant que telle. L’obédience est alors donnée sous cette forme, par exemple : « Sœur X, Sœur Y et Sœur Z, vous allez fonder une nouvelle communauté à tel endroit pour y assurer un service social de telle nature. Sur place, vous déterminerez, en lien avec tous les organismes et toutes les personnes concernées, les modalités concrètes de ce service, et vous verrez comment répartir la tâche entre vous trois ». L’obéissance consiste à accepter de vivre et travailler ensemble, à trouver la forme de service la meilleure pour répondre à cette mission, à accepter la répartition des tâches décidées soit communautairement, soit par celle qui aura été nommée supérieure du groupe, selon ce qui aura été décidé à l’avance par la Supérieure majeure.

Dans les Instituts franchement apostoliques, ce qui compte c’est l’idée de corps. Et ceci doit être bien souligné par les Constitutions. De cette idée de corps découle, en effet, une certaine image de l’obéissance : elle est ce qui assure et garantit la cohésion de l’ensemble, ainsi que l’unité de chaque communauté et de chaque sujet avec le corps. Comme l’écrit une Congrégation dans ses Constitutions :

Consacrées au Seigneur et envoyées par lui pour révéler son amour par et dans le service des pauvres – mission de la Congrégation – nous avons à faire « nôtre » profondément le projet de la Congrégation, c’est-à-dire la manière dont elle entend aujourd’hui réaliser cette mission, et à en accepter les conséquences. C’est en cela que consiste l’obéissance religieuse. Notre don au Seigneur passe nécessairement, pour nous religieuses, par notre engagement dans la Congrégation. C’est d’elle que nous recevons chacune notre mission qui se trouve ainsi intégrée dans le projet de la Congrégation.
Nous avons à reconnaître dans la foi que le rôle des responsables, au niveau général comme au niveau local, est un service d’obéissance : favoriser la cohérence des missions confiées et les convergences des volontés pour la réalisation de ce projet auquel toutes communient. Rendre compte de sa mission découle de cette communion. Pour cette raison, c’est une exigence normale dans notre vie apostolique.

Cette image de l’obéissance appelle également une certaine façon de comprendre l’efficacité apostolique, qui est à situer au niveau du corps tout entier et non à un niveau individuel. C’est le corps qui est apôtre et chacun par son obéissance coopère à cette fécondité du corps. Comme l’écrivent encore des Constitutions :

Toute activité professionnelle, toute tâche, si elles sont reçues de l’obéissance, tous les aspects de notre vie, s’ils sont vécus dans l’obéissance, sont participation à la mission de la Congrégation et par là même apostoliquement féconds, que cette fécondité soit visible ou demeure le secret de Dieu.

B. Ligne plus conventuelle

Dans les Instituts davantage centrés par tradition spirituelle sur la vie fraternelle, la fraternité, l’obéissance consiste d’abord à accepter la Règle, le projet que la communauté, en accord avec les Supérieurs majeurs, s’est donné, et à les vivre le plus activement possible. La disponibilité, l’acceptation des obédiences, ne sont pas exclus et ne se situent pas en dehors du champ de l’obéissance ; mais ce n’est pas ce qui surgit en premier à la conscience, quand celle-ci s’interroge sur le contenu de son obéissance. Comme le dit une Congrégation dans un texte capitulaire :

Notre voeu d’obéissance nous engage à vivre le projet de la Congrégation particularisé dans celui de chaque communauté.

Que l’obéissance se situe dans une ligne plus apostolique, ou plus conventuelle, les Constitutions devront souligner dans quel esprit de foi et d’amour les sujets auront à obéir :

Que ces sujets, en esprit de foi et d’amour envers la volonté divine, se soumettent humblement à leurs supérieurs, selon la règle et les constitutions, apportant, à l’exécution des ordres et à l’accomplissement des tâches qui leur sont confiées, les forces vives de leur intelligence et de leur volonté, les dons de la nature et de la grâce, conscients de travailler à l’édification du Corps du Christ selon le dessein de Dieu. Ainsi l’obéissance religieuse, loin d’amoindrir la dignité de la personne humaine, la conduit à maturité en faisant croître la liberté des enfants de Dieu (Perfectae Caritatis, n. 14).

III. L’autorité religieuse

Il est préférable de parler de l’autorité et des supérieurs dans le chapitre sur l’ Obéissance, en renvoyant à celui sur le Gouvernement les aspects plus structuraux ou canoniques.

Il sera bon de rappeler que l’autorité est un service qui a pour but de conserver et d’édifier, dans l’unité et la fidélité à sa vocation, la cellule d’Église qu’est la communauté, la Province, l’Institut. L’autorité religieuse n’a pas pour objet direct et premier ce qui concerne la vie administrative ou matérielle d’une maison (bien que ces domaines ne lui échappent pas totalement) mais tout ce qui concerne la fidélité de tous et de chacun à l’esprit et à la mission de l’Institut. Il revient particulièrement aux supérieurs « de réveiller dans les communautés les certitudes de foi qui doivent les régir » (Evang. Test., n. 25). Plus la fidélité à l’esprit et à la mission de l’Institut sont en cause, plus l’autorité a le droit et le devoir d’intervenir au niveau des Provinces, des communautés, des personnes, en respectant évidemment la subsidiarité.

IV. Le Supérieur de communauté

Les Constitutions devront affirmer clairement la nécessité d’un supérieur pour toute communauté, que celle-ci compte beaucoup ou peu de sujets, que l’usage ait été établi de l’appeler « communauté », « fraternité », « équipe », etc. Cette obligation est à comprendre ainsi : il n’est pas indispensable (bien que cela soit très utile dans la grande majorité des cas) que chaque communauté ait un supérieur local, entendu au sens de « sur place » ; mais il est indispensable que chaque communauté ait un supérieur direct. Par supérieur direct, il faut entendre celui qui est à situer : entre le niveau général et les religieux « de la base », là où n’existent ni Provinces, ni Régions ; entre le niveau provincial ou régional et la base, là où existent Provinces ou Régions. Il est en effet permis de faire dépendre plusieurs petites communautés proches, d’un unique supérieur qui sera alors pour chacune d’entre elles leur supérieur direct. Il est fortement contre-indiqué que le Supérieur majeur joue le rôle de supérieur direct par rapport à telle ou telle communauté. Citons de nouvelles Constitutions :

Chaque communauté a une responsable directe. Elle est nommée par la responsable générale après le vote délibératif du Conseil. Cette nomination se fait soit directement, soit après une consultation effectuée auprès des soeurs. Une seule personne peut être responsable directe de plusieurs communautés relativement proches.
Une communauté n’ayant pas de responsable directe sera toujours considérée comme vivant une situation d’exception qui doit être de courte durée. Dans certains cas, la responsable générale peut vouloir une telle situation, afin de respecter le cheminement d’un groupe.

Dans beaucoup d’instituts, l’image et la fonction du supérieur de communauté (qu’il soit local, au sens de « sur place », ou direct) ont subi une forte évolution. Souvent, le supérieur de communauté n’est plus la tête de l’œuvre apostolique dans laquelle la communauté ou ses membres sont engagés : la direction de l’œuvre échappe à la communauté, voire à l’Institut. En outre, le supérieur de communauté n’est plus, surtout dans les communautés à taille réduite, ce maître de maison, ce chef de famille, ce président de la vie domestique qu’il était autrefois. Dans ces Instituts, et ils sont de plus en plus nombreux, les Constitutions devront s’efforcer de dessiner le nouveau profil de la fonction du supérieur de communauté. Sans doute seront-elles amenées à souligner que celui-ci est avant tout au service de la communion fraternelle, qu’il a à créer des liens, à rassembler la communauté, car les forces centrifuges sont toujours à l’action dans une communauté : le supérieur aide la communauté à reprendre constamment conscience de ce qui fait son unité. Il est également « témoin » de cette communauté plus vaste qu’est la Province, l’Institut ; sa présence devrait empêcher le narcissisme, le repliement sur soi, toujours possible, de la communauté locale. Dans l’Église, un groupe local, si fervent et uni soit-il, ne peut jamais être à lui-même son ultime point de référence et c’est pourquoi « les recherches poursuivies en commun doivent, quand il y a lieu, se conclure par les décisions du Supérieur : leur présence reconnue comme telle est indispensable à toute communauté » (Evang. Test., n. 25).

Voici comment des textes capitulaires ont essayé de dessiner ce nouveau profil du supérieur de communauté :

L’autorité religieuse n’a pas pour objet premier ce qui concerne la marche de la maison, mais la fidélité de toutes et de chacune au projet de la Congrégation.
C’est pourquoi la responsable locale doit veiller avant tout à ce que la communauté reste toujours « tendue » vers ce projet, ce qui légitime qu’elle soit parfois amenée à prendre des décisions. En ce sens, elle est témoin de cette communauté plus vaste qu’est la Con grégation.
La responsable locale est au service de la communion fraternelle ; elle est servante de l’unité. Elle veille, spécialement dans les communautés polyvalentes, à ce qu’il y ait une reconnaissance mutuelle de l’engagement professionnel et apostolique de chacune et à ce que toutes trouvent leur place au sein de la communauté.

La responsable locale est animatrice ; elle favorise l’accomplissement des personnes, leur donnant des possibilités d’initiatives. Elle aide chacune à se sentir responsable de la vie communautaire.

La responsable est témoin de la Congrégation. Avec elle, la communauté s’interroge sur la vie religieuse et sur la mission de la Congrégation. Ainsi, les sœurs, ensemble, se remettent dans l’élan de l’obéissance et dans la fidélité à l’esprit de la Congrégation, quelle que soit la diversité des services apostoliques.
La responsable est servante d’unité. Elle crée des liens entre les sœurs en vue de les rassembler et de susciter un témoignage communautaire.
La responsable est animatrice. Dans le respect de chacune de ses sœurs, elle favorise leur expression et leur créativité, afin que, dans une réflexion fraternelle et dans une prière partagée, se bâtisse la vie communautaire. Elle aide, en effet, chaque membre à être responsable de cette vie communautaire.
Pour faire passer cette réalité dans la vie, avec la communauté, la responsable prend des moyens concrets, y met la persévérance voulue, la patience et la discrétion qui viennent d’un respect des personnes, « chacune évolue à son rythme ». Elle accepte qu’il n’y ait pas de réussite immédiate, mais un cheminement.
Dans les moments privilégiés, où toutes peuvent exprimer en communauté leur vie apostolique les unes devant les autres, la responsable est témoin au milieu de ses soeurs. Ensemble, elles rendent grâce de cette vie. Le jour où les difficultés effacent plus ou moins cette visée apostolique, la responsable a mission et grâce pour la rappeler. Elle authentifie le discernement spirituel fait en communauté.

La supérieure est, au même titre que toutes les sœurs, membre de la communauté. Mais elle y exerce un rôle qui la met particulièrement au service de la communauté, pour que celle-ci puisse servir plus entièrement le dessein de Dieu, en communion avec le mystère de Jésus obéissant. C’est un service de miséricorde que d’exercer la vigilance pour susciter et maintenir l’unité d’esprit sans laquelle il ne peut y avoir de communauté authentique.
La supérieure fait route avec ses sœurs. A l’écoute de ce qui se vit dans la communauté, elle essaie de capter cette vie et de lui imprimer l’élan pour qu’elle réponde au désir précis du Seigneur sur elle. Elle respecte ces dons de Dieu que sont la vocation propre et les talents de chacune. Elle est celle qui, dans la prière, la réflexion, le dialogue avec ses sœurs, essaie de déchiffrer le dessein de Dieu sur la communauté et sur chacune et qui s’applique à obéir le plus fidèlement possible à cette volonté.
Malgré l’unité de vue, il peut arriver qu’une décision concernant toute la communauté soit difficile à prendre, chacune envisageant la question sous des aspects différents. Une fois passée la phase d’élaboration, c’est la tâche de la supérieure de prendre la décision, en toute rectitude et devant sa conscience. Toute abdication d’autorité impliquerait de sa part une infidélité à la grâce de la communauté qui doit se construire chaque jour dans l’espérance. Et puisque toutes les sœurs ont contribué au travail de recherche, elles ont aussi leur part de responsabilité dans cette décision. Alors, comme tes sœurs, tu obéis, non parce que telle est la volonté de la supérieure, mais parce que, dans la foi, tu crois que l’Esprit qui est dans la communauté s’exprime par elle.

V. Projet communautaire, personnel, statut personnel

Dans les Chapitres de renouveau, certains termes à propos de la communauté, reviennent souvent : « projet communautaire », « statut personnel », « projet personnel ». Il n’est pas toujours facile de voir ce que les auteurs ont voulu mettre sous ces mots dont le contour est d’autant plus imprécis que ces termes s’emploient couramment dans la vie religieuse d’aujourd’hui, du moins dans certains pays.

A. Projet communautaire. On peut lire ceci dans un texte capitulaire de Religieuses :

Toute communauté essaie, en début d’année, de se donner un projet, c’est-à-dire de définir concrètement, à l’intérieur des normes communes à la Congrégation :

son programme apostolique (compte tenu des appels du milieu, des orientations données à la région et à la Congrégation et des appels personnels des soeurs de la communauté) ; sa vie de prière (rythmes, modalité) ;
sa vie communautaire : type et rythme des réunions, détente, loisirs - partage des tâches, son style de pauvreté (budget, vacances, cadeaux), sa vie de relations (retour en famille, accueil et ouverture aux autres).
Ce projet, qui aura à tenir compte de la composition de la communauté, et sera comme tel susceptible d’être modifié par l’arrivée ou le départ d’une soeur en cours d’année, sera communiqué à la responsable régionale et, par elle, à la responsable générale. Il sera revu de temps en temps.

Ce qui est décrit, correspond assez bien à ce que beaucoup d’instituts mettent actuellement sous le terme « projet communautaire ». Là où l’usage de faire un projet communautaire est établi, les Constitutions insisteront donc sur les points suivants :

  • Le projet communautaire doit être conforme aux Constitutions et à l’esprit de l’Institut.
  • Il sera établi au terme d’une délibération de toute la communauté, et après que chacun de ses membres aura pu donner librement son avis personnel.
  • Le supérieur de communauté doit veiller à ce que le projet soit suffisamment mûri et à ce que tous puissent s’exprimer à son sujet.
  • Il revient au supérieur de communauté de décider en dernier ressort, au moins sur les points importants du projet.
  • Le projet sera communiqué au Supérieur majeur pour être confirmé par lui.
  • La partie du projet communautaire consacrée à l’activité apostolique de la communauté et de ses membres (partie appelée dans certains Institutsprojet apostolique de la communauté) devra être conforme d’une part à la mission confiée à la communauté par les supérieurs compétents, d’autre part aux diverses « obédiences » données à ses membres. Sous le terme de projet apostolique de la communauté, on peut mettre une certaine façon pour la communauté de vivre sa mission, tel ou tel accent à privilégier dans son action apostolique. En tout cas, il ne saurait être question d’opposer le projet que la communauté se donne et la mission qu’elle reçoit de l’obéissance. Le projet apostolique de la communauté n’a de sens que restitué dans la mission de la communauté, et n’a de valeur que par rapport à celle-ci.

B. Statut personnel. Comme le faisait remarquer le Motu Proprio Ecclesiae Sanctae, n. 26 :

Dans les Instituts voués à l’apostolat, le règlement journalier ne peut être souvent identique dans toutes les maisons, ni parfois même pour tous tes membres dans la même maison.

C’est de l’impossibilité, pour les membres d’une même communauté, d’avoir le même régime de vie, de faire la même chose, au même endroit et à la même heure, qu’est née dans beaucoup d’instituts la notion de statut personnel. Le mot est peut-être mal choisi et majore l’importance de la chose. Il veut dire que chaque religieux établit, en conformité aux Constitutions, son emploi du temps quotidien (en ce qui concerne notamment la vie de prière et les exercices spirituels personnels), ses moments de repos, le rythme et la nature de ses détentes, le type de relations à établir avec sa famille ou l’extérieur, etc. Là où existe un projet communautaire approuvé, le statut personnel doit se mouler, s’intégrer dans celui-ci, sauf dispense légitime.

C. Projet personnel. Dans beaucoup d’instituts, le terme projet personnel a été utilisé ces dernières années, par opposition à projet communautaire ou à projet de Congrégation. Comme le mot projet s’est trouvé, du fait de l’usage, accolé à plusieurs adjectifs, le résultat a été parfois une regrettable confusion de vocabulaire.

Si on interroge l’usage, il semble qu’il faille mettre sous le terme projet personnel tout autre chose que sous celui de statut personnel. Par projet personnel, bien des religieux ne désignent rien d’autre que leurs aspirations personnelles profondes, ce qu’ils désireraient, voire rêveraient, faire en matière d’apostolat, ou vivre, en matière notamment de vie fraternelle.

Il ne semble donc pas que le terme « projet personnel », avec tout ce qu’il recouvre actuellement de subjectif, soit à canoniser en l’introduisant dans les Constitutions. Tout au plus, peut-on l’utiliser au pluriel à propos du temps de dialogue qui précède normalement toute obédience, en disant par exemple ceci : « Le religieux exposera ses projets personnels à son Supérieur majeur, avant que celui-ci ne lui fasse des propositions d’obédience ».

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Piste de réflexion

Dans notre Institut, comment voyons-nous concrètement le rôle du supérieur « direct » ?

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