Théologie de la vie religieuse
Bulletin bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1976-1 • Janvier 1976
| P. 45-57 |
Dans la vingtaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer cette année, la première place revient de nouveau au Dizionario degli Istituti di Perfezione ; nous lui joindrons deux autres excellents instruments de travail. Un second groupe réunira les études sur la vie religieuse et la vie monastique. Viendront ensuite les livres qui traitent d’un point déterminé : pauvreté, obéissance, prière. Une quatrième section, enfin, rassemblera quelques ouvrages traitant d’un Institut ou d’un problème particuliers.
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I
En présentant, l’an passé (1975, 100-101), le premier volume du Dizionario degli Istituti di Perfezione, nous avons marqué les principes directeurs de l’ouvrage et ses caractéristiques les plus notables ; nous n’y reviendrons pas. Le tome II [1], qui vient de paraître, reste fidèle à ces orientations. Ordres religieux et Instituts y occupent une grande place, d’autant plus qu’arrivent à la lettre C tous les Chanoines et Chanoinesses, toutes (ou presque) les Sœurs de Charité, les Capucins, les Carmes (chaussés et déchaux), les Carmélites, leurs Tiers Ordres, les Chartreux et Chartreuses, les Cisterciens, les Clarisses, les Clercs réguliers, la Compagnie de Jésus, la Congrégation de la Mission (Lazaristes), pour ne citer que les plus importants (et nous craignons d’en avoir omis). Plusieurs de ces notices comportent des indications sur l’architecture qui caractérise ces Instituts. Parmi les notes canoniques, relevons : le Cardinal protecteur, la maison (casa) religieuse, les classes chez religieux et religieuses, la clôture (dont est aussi étudié l’aspect psychologique et sociologique), la notion de congrégation religieuse, la discipline de la confession, etc. Les articles doctrinaux comportent souvent une section traitant de l’aspect canonique. Il convient de signaler spécialement l’étude des charismes (P. Régamey), un groupe de cinq exposés sur la chasteté (histoire par J. Gribomont, A. Baekelandt et L.-B. Gilson ; doctrine canonique classique par Ch. Lefebvre ; problématique contemporaine par J. Leclercq ; pastorale par B. Häring ; problème psychologique par A. Plé) complétés par une étude du célibat (T. Matura). On peut en rapprocher la note sur la question dite des « religieux mariés » : après avoir présenté le problème et examiné brièvement les précédents historiques que certains pensent trouver à ce genre de vie, V. Macca conclut en montrant l’aspect positif de cette recherche (une estime plus grande pour la profession des conseils évangéliques) mais aussi ses aspects négatifs (on prive la vie religieuse d’un de ses éléments essentiels, le célibat pour le Royaume ; on introduit une confusion regrettable entre les diverses voies selon lesquelles les chrétiens ont à tendre vers la perfection à laquelle ils sont tous appelés). Outre un ensemble de trois exposés sur la communauté (théologie par J.M.R. Tillard, psychologie par H. Hostie, sociologie par S. Burgalassi), mérite encore une mention spéciale l’article « Conseils évangéliques », où le P. Tillard rassemble les idées maîtresses développées dans ses livres et articles et conclut qu’il est difficile d’affirmer sans nuances que la profession des conseils évangélique est, de soi, un genre de vie meilleur, offrant des moyens meilleurs en soi pour atteindre la perfection ; mais, pour celui qui y est appelé, elle l’est certainement.
Tout en félicitant les éditeurs et tous leurs collaborateurs, souhaitons qu’il leur reste possible de maintenir le rythme actuel de parution (ou de l’améliorer peut-être encore, au grand profit des usagers).
La revue a présenté, en 1970, p. 175, et en 1971, p. 189, les deux premiers volumes de l’indispensable instrument de référence que constitue la Bibliographia Internationalis Spiritualitatis [2]. Elle signale, avec référence précise, livres et articles dans la majorité des langues européennes et son champ d’exploration s’accroît sans cesse, comme on peut en juger par la liste des revues dépouillées. Comme nous le disions déjà en 1970, cette bibliographie couvre, avec ses huit sections, un champ beaucoup plus vaste que la vie religieuse au sens strict ; mais qui ne sera intéressé, chez les religieux et religieuses, par la spiritualité biblique, la doctrine spirituelle, la spiritualité liturgique, l’histoire de la spiritualité, pour mentionner seulement les sections principales ? Notons que la part réservée à la vie religieuse proprement dite est importante (de 300 à 400 entrées environ, suivant les années – phénomène intéressant : la sous-section « rénovation » disparaît à partir de 1970 comme rubrique distincte) ; les Instituts Séculiers sont eux aussi présents (de 8 entrées en 1968 à 30 en 1971).
L’une des rançons d’un travail exécuté avec pareil soin est le délai de parution : environ trois ans après la période étudiée. Serait-il possible de le réduire sans nuire à la qualité de l’œuvre ? Peut-être est-ce demander l’impossible. En tout cas, notre reconnaissance va à l’équipe de Pères Carmes qui se charge avec persévérance de ce travail austère, mais combien utile.
Le Guide des sources de l’histoire des congrégations féminines françaises de vie active, de l’Abbé Charles Molette [3], veut être un instrument de travail (et il sera précieux). Il contient deux parties :
- une introduction historique, fruit des recherches entreprises pour repérer, confronter et coordonner les sources ; elle s’efforce de détecter les courants dans lesquels sont nées et se sont développées, du XIIIe au XXe siècle, ces congrégations ; par le fait même, leur spécificité apparaît en meilleure lumière (qui ne voit combien pareil travail peut aider les Instituts à se redéfinir pour aujourd’hui dans la fidélité au charisme originel ou, peut-être, à pressentir quels sont les rapprochements avec d’autres groupes qui ont chance de réussir ?) ;
- une documentation systématique sur 400 congrégations féminines françaises de vie active : situation canonique et légale, effectifs, archives, bibliographie (historiens et historiennes de la vie religieuse et de la civilisation y découvriront une mine de renseignements).
L’ouvrage se termine par quelques annexes non dénuées d’intérêt. On y trouvera des règles et un cadre type pour le classement des archives (document bien utile en un domaine où la bonne volonté ne suffit pas), un exemple de ce que peut réaliser une archiviste (et du fruit spirituel qui en résulte pour sa Congrégation, cf. p. 408, à lire par toutes les archivistes... et leurs Supérieures) et deux textes inédits, bonne illustration des richesses contenues dans les archives et du grave devoir que nous avons d’en assurer la conservation.
II
Des six études rassemblées dans Religieux, un chemin d’Évangile [4], la première est une présentation résumée par le P. Tillard du projet des religieux exposé dans son livre Devant Dieu et pour le monde (cf. Vie consacrée, 1975, 104) et la seconde, « L’exigence de la foi », est parue dans Vie consacrée, 1974, 26-48. Les quatre autres textes abordent avec courage et franchise des problèmes très actuels : la liberté dans la vie religieuse ; les situations nouvelles et les vraies manières d’y répondre ; la nécessité de rester fidèle à une tradition vivante, dans une réinterprétation de la visée fondamentale qui traduise et incarne les valeurs d’aujourd’hui ; les formes et fonctions de l’autorité à une époque où de profonds changements remettent tout en question.
Par ses nombreuses publications de valeur, le P. Tillard est devenu l’un des spécialistes de la vie religieuse ; aussi est-ce avec intérêt qu’on lira et approfondira ses suggestions. Lui-même les présente d’ailleurs comme des pistes de recherche plus que comme des solutions. On lui sera reconnaissant de l’aide qu’il apporte ainsi à ceux qui, dans les divers Instituts, s’efforcent de résoudre les problèmes actuels dans la fidélité à la Tradition et aux appels de l’Esprit.
Sous le titre 23 Institutos Religiosos, hoy [5], sont groupés les monographies qui nous décrivent « la spiritualité et le témoignage » des Instituts suivants : Bénédictins, Chartreux, Hiéronymites, Dominicains, Franciscains, Augustins, Carmes, Trinitaires, Mercédaires, Hospitaliers de Saint-Jean de Dieu, Jésuites, Piaristes, Rédemptoristes, Pères des Sacrés-Coeurs (Picpus), Clercs de Saint-Viateur, Marianistes, Clarétins, Salésiens, Pères du Verbe Divin, Lazaristes, Frères des Écoles Chrétiennes, Frères Maristes des Écoles, Petits Frères de Jésus. Lorsqu’elles existent, les branches féminines sont aussi prises en considération. Ces notices nous présente le fondateur et son charisme, les grandes étapes de l’histoire de l’Institut, sa signification pour aujourd’hui. Elles sont l’œuvre de membres de ces groupes que leurs études, leurs recherches ou leurs fonctions qualifiaient spécialement pour ce travail.
Publier un tel recueil comme mémorial de l’Année Sainte est certainement une idée originale ; mais on doit dire qu’elle est excellente et que sa réalisation est digne d’éloges.
Témoins du Royaume dans un monde déshumanisant [6] publie les exposés de la réunion tenue à Bogota par les religieux d’Amérique en 1974 et un résumé des échanges auxquels ils ont donné lieu. A cette rencontre ont pris part une centaine de religieux et religieuses représentant les quatre conférences d’Amérique : CLAR (Confédération latino-américaine des religieux), CMSM (Conférence des Supérieurs Majeurs masculins des U.S.A.), LCWR (Conférence des Supérieures Majeures féminines des U.S.A.) et CRC (Conférence Religieuse Canadienne). Chaque groupement a présenté de un à trois rapports décrivant la situation de sa contrée, les problèmes qui s’y posent à la vie religieuse et les espoirs qui s’y font jour.
Ce sont des documents intéressants, qui aident à comprendre les situations concrètes auxquelles doit faire face le renouveau de la vie religieuse dans ces pays si divers. On saisit mieux, par exemple, pourquoi les théologies de la libération fleurissent en Amérique latine et pourquoi l’une des résolutions prises par l’Assemblée a été que les évêques des États-Unis consacrent une partie des ressources mises à leur disposition en faveur de l’Amérique latine à éveiller la conscience de leur propre peuple à l’influence déshumanisante des États-Unis en Amérique latine [7].
Pour le lecteur de langue française qui parcourt Le retour au silence [8] après la mort de son auteur, ces pages font à bon droit, croyons-nous, figure de testament spirituel. Le moine authentique que fut Thomas Merton nous y confie ses idées, ses projets, ses « rêves » même, sur le renouveau de la vie monastique. D’un mot, il n’y a d’avenir pour elle que si elle accepte de revenir à l’essentiel, à ce qui définit le moine : « être un homme de Dieu ». Tel est le thème autour duquel s’organisent de façon souple les diverses considérations développées, parfois avec fougue, dans ce livre. Pour revenir à l’essentiel, il ne suffit pas de réorganiser, de mettre à jour des observances auxquelles Merton fait de graves reproches (il faudrait avoir vécu aux U.S.A. pour pouvoir juger si la sclérose des institutions, importées au XIXe siècle, y fut plus marquée qu’ailleurs), il faut retrouver le jaillissement originel (et l’on découvrira avec étonnement combien il répond à un besoin profond de notre époque). Il faut que le cloître développe des personnes solides, équilibrées (le travail manuel a son rôle à jouer ici) ; il faut repenser l’obéissance, qui n’est pas destinée à fournir à l’institution les éléments dociles dont elle a besoin, mais à permettre à chacun d’écouter Dieu dans son cœur et de lui obéir. Parce que le moine doit rester lui-même pour rendre à ses frères le service qu’ils attendent foncièrement de lui, il lui faudra un type spécial d’ouverture au monde (non dans ce qu’il a de superficiel, mais dans les questions vitales qu’il se pose). La formation suppose une éducation adaptée à sa vocation contemplative et prophétique ; ceci s’appliquera aussi à l’ouverture aux philosophies modernes, aux grands courants de pensée actuels, aux mystiques non chrétiennes, aux expériences de renouveau partout où il s’en produit. Dans le chapitre « Œcuménisme et renouveau », on notera que l’auteur envisage favorablement la possibilité que seuls certains moines fassent des vœux définitifs, tandis que d’autres (même non catholiques ou incroyants) pourraient partager sérieusement, mais de façon peut-être temporaire, la vie des moines. Il précise que ceci ne sera utile que dans les communautés bien avancées sur la voie d’une redécouverte de leur identité et du sens profond du christianisme. Certains diront peut-être que Merton verse ici dans l’utopie. Mais celle-ci n’est-elle pas un stimulant précieux pour l’action ? Et l’Esprit qui est à l’œuvre dans l’Église ne nous appelle-t-il point à ce qui est humainement impossible ?
Des moines et des hommes [9] nous présente, dans le cadre d’une dizaine d’interviews recueillies par Edith et Jacques Bertin, les idées et le témoignage de Ghislain Lafont, de l’abbaye de la Pierre-qui-Vire, sur la vie monastique. Tous les grands thèmes y sont abordés : la prière, la nécessité de mourir sans cesse pour sans cesse renaître, l’ascèse monastique et son sens aujourd’hui, l’obéissance du moine dans un monde épris de liberté, le cénobitisme et la manière de le vivre de nos jours, le célibat (une immédiateté de la relation avec Dieu, qui est un appel particulier, non un privilège), l’attitude par rapport aux structures économiques et politiques (avec des considérations sur la pauvreté religieuse). Sur tous ces points, l’auteur se montre à la fois sainement traditionnel et intelligemment ouvert au renouveau, même quand il reconnaît de quel prix il faut le payer. De ce point de vue, on lira avec intérêt les pages qu’il consacre à l’abandon du latin dans la liturgie, dont il apprécie les avantages sans méconnaître ce qu’il y a perdu. Parfois, on sera peut-être plus réservé sur telle ou telle de ses suggestions, par exemple celle d’un système qui assurerait à chaque moine (ou à chaque groupe, si l’on vit de la sorte) une mensualité avec laquelle il aurait « à se débrouiller pour, à la fois, économiser, donner et puis dépenser, voire faire des cadeaux » (p. 220). Ce que l’on aimera en tout cas dans ces pages, c’est leur simplicité, leur densité humaine jointes à un sens spirituel profond. Vraiment, être moine est une belle façon d’être homme, même si ce n’est pas la seule.
Le volume qui inaugure la collection des « Studia silensia », Los consejos evangelicos en la tradicion monastica [10] rassemble les exposés données à la XIVe Semaine d’études monastiques, tenue à l’Abbaye bénédictine de Silos, en 1973, à l’occasion du IXe centenaire de la mort de saint Dominique de Silos. Conformément au thème du congrès, le recueil rassemble surtout des recherches historiques sur la pratique des conseils évangéliques : elles vont d’une étude sur saint Benoît [11] à une présentation de la règle des Petits Frères de Jésus et se prolongent même par une comparaison entre le Zen et les vœux monastiques. Parmi les quelques études doctrinales du volume, signalons celle de J. Beyer, S.J., (en français) sur « Valeurs monastiques et monde d’aujourd’hui ».
III
L’Institut de théologie de la vie religieuse « Claretianum » publie dans La povertà religiosa [12] les exposés donnés aux Journées d’étude sur la pauvreté religieuse qu’il organisa à Rome en mars 1975. Les thèmes, traités par des Clarétins sauf indication contraire, sont nombreux et variés : étude biblique (J. Dupont, O.S.B.), ébauche d’une théologie de la pauvreté selon saint Luc (A. Hornung), réflexions sur la pauvreté individuelle et communautaire (B. Häring, C.ss.R.), la pauvreté dans les textes de la liturgie romaine (M. Augé), formes historiques de la pauvreté religieuse (J. Alvarez Gomez), les mouvements en faveur d’une Église pauvre au XIIe siècle (R. M. Mainka), étude psychologique de l’évolution, à partir de l’enfance, du problème de la possession et du pouvoir (Anna Riva), comparaison entre la pauvreté sociologique et celle des religieux (G. Pastor), pauvreté religieuse et lutte des classes (S. Gonzalez-Silva), nouvelles orientations du Droit Canon (A. Gutiérrez), pauvreté dans les communautés religieuses non catholiques (R. Ravera, S.A.) et chez les moines bouddhistes (J. Lopez-Gay, S.J.). Que les orientations et les conclusions des divers travaux ne concordent pas toujours, les auteurs du recueil nous en avertissent. On leur sera reconnaissant d’avoir mis à notre disposition ce vaste ensemble d’études, qui restent éclairantes même lorsqu’elles n’offrent que des solutions problématiques. Nous accorderions volontiers une place de choix à deux contributions : celle de B. Häring, très concrète et très réaliste, et celle de J. Alvarez Gomez, qui met en lumière que la pauvreté vécue par les religieux est une réalité historique, toujours marquée par les conditions concrètes du monde dans lequel elle s’incarne.
La circulaire sur L’obéissance [13] du Fr. Basile Rueda est un texte remarquable. Le Supérieur Général des Frères Maristes des Écoles y rappelle d’abord ce qui est au cœur de l’obéissance : la passion de faire la volonté de Dieu, de laisser toute la place à cette volonté. Cette attitude, bien sûr, doit être le fait de tout chrétien, qui imite par là le Christ dont la nourriture était de faire la volonté de son Père. Mais, entre lui et nous, il y a cette différence capitale que Jésus savait à tout instant quelle était la volonté de son Père et la voulait avec une parfaite intensité d’amour, tandis que nous, nous ne la connaissons pas et, pécheurs que nous sommes, nous avons peine à la vouloir. Aussi avons-nous besoin d’une médiation d’ordre proprement chrétien pour nous aider à découvrir et à réaliser la volonté de Dieu sur nous. C’est ici qu’une soif plus ardente de la Parole de Dieu peut susciter chez certains le désir d’une médiation plus étroite. Si l’on doit dire que toute vie chrétienne est consacrée, il faut maintenir que la consécration religieuse représente une nuance caractéristique de l’obéissance chrétienne.
Ceci entraîne diverses conséquences. Relevons-en quelques-unes : on ne peut sacraliser n’importe quel genre d’obéissance ni confondre les manières d’obéir propres à chaque Institut d’après son charisme ; l’importance du compte de conscience et d’un dialogue qui soit une vraie ouverture découlent du fait que tous, dans la vie religieuse, cherchent à discerner la volonté de Dieu ; sans prétendre que le médiateur doive être parfait, certaines qualités sont souhaitables chez lui ; il ne faut pas confondre le rôle du Père Spirituel et celui qui revient au Supérieur.
Par manière de complément, l’auteur examine les deux grands ordres de l’obéissance : celui de la sociabilité (que la vie religieuse partage avec tout groupe organisé, et qu’il ne faut donc pas sacraliser indûment) et celui de la grâce (où fonctionne en profondeur le vœu d’obéissance) ; puis il précise la différence entre l’obéissance ascétique (destinée à former au détachement de soi) et l’obéissance pastorale ou professionnelle (où le dialogue pour chercher ensemble la volonté de Dieu a sa place tout indiquée) ; il termine par des réflexions empreintes d’un grand réalisme sur le jeu des autorités subordonnées, l’exercice collégial de l’obéissance et le rôle de la communauté (ses limites et l’indispensable éducation pour que le groupe puisse jouer son rôle, qui ne remplace pas celui du Supérieur).
Puissent ces quelques remarques avoir fait pressentir la valeur de ces pages à la doctrine solide, équilibrée, à la fois traditionnelle et ouverte au renouveau actuel. L’on ne peut que souhaiter une publication en volume [14], qui puisse assurer une plus large diffusion à ce texte de valeur.
Frappé par le fait qu’en certains endroits des religieux de son Institut abandonnent la prière, leur Supérieur Général, le Fr. Basile Rueda, F.M.S., dans une Lettre circulaire intitulée Entretien sur la prière [15], s’efforce d’abord de cerner le problème que pose cette attitude et d’y répondre à partir de diverses approches. On notera particulièrement ce qu’il dit à propos des « trois personnes » qui doivent prier en chacun de nous : le moi individuel (qui parle à Dieu de ces secrets qui ne se disent qu’à lui seul, selon le mot de Claudel), le moi du membre de l’Église (qui, dans la prière liturgique, s’adresse au Seigneur comme Église) et le moi communautaire (qui, dans des formes plus souples, apprendra à exprimer à Dieu la vie de la communauté dans sa réalité la plus concrète). Parmi les conseils que l’auteur donne pour aider à trouver ou à retrouver le sens d’une prière vraie, nous voudrions attirer l’attention sur ceux qui concernent le souple dosage de ces trois types de prière, dont aucune ne peut éliminer ou prétendre remplacer les autres, et les réflexions, pleines de bon sens et de pondération, sur la prière communautaire, ses conditions et la manière de la faire naître et progresser.
IV
Fedeltà e rinnovamento [16] rassemble une série d’études sur les Constitutions salésiennes, à l’occasion de la promulgation, en janvier 1972, de leur nouveau texte. Des deux parties, la première est consacrée aux Constitutions anciennes, examinées, comme le dit la Préface, pour leur intérêt actuel : les Constitutions jusqu’en 1888 (P. Stella), puis de 1888 à 1966 (F. Desramaut) ; trois points importants de celles-ci : le système de « protection » (P. Braido), le premier article, définissant la fin de la Société salésienne (F. Desramaut), le « compte de conscience » ou dialogue avec le Supérieur (P. Brocardo) ; puis vient un extrait des textes laissés par G. Barberis sur l’accueil fait aux Constitutions à l’origine. Le second volet du diptyque est une présentation des nouvelles Constitutions : histoire du texte (J. Aubry) et sa fidélité dans le renouveau (id.), les thèmes théologiques fondamentaux du nouveau document (G. Söll), l’orientation qu’il donne à l’éducation salésienne (J. Schepens). Cette seconde partie s’ouvre par une contribution de J. Beyer, S.J. (le seul non-Salésien parmi les auteurs de ce volume), qui présente le bilan et la prospective de la refonte des Constitutions aujourd’hui. Par la compétence de son auteur et le champ plus vaste que ce panorama englobe, il ne fera qu’accroître l’intérêt d’un ensemble digne de servir de modèle à des recherches analogues dans les autres Instituts.
Je te bâtirai une maison [17] est le témoignage d’un membre de la « Communauté Saint-Benoît », qui groupe une vingtaine de religieux dans trois petites équipes fraternelles implantées dans la banlieue de Paris. Le Frère Benoît nous y parle de sa prière, de sa nécessité, des formes que prend leur oraison, de la vie de sa Fraternité, de ses activités paroissiales, des gens qu’il rencontre, du bonheur enfin de marcher dans la présence du Seigneur.
L’intérêt de cette expérience vient de ce qu’elle s’efforce de redécouvrir, dans la Règle de saint Benoît vécue en petite fraternité, une norme de sagesse pour aujourd’hui. Pour cela, les Frères le reconnaissent, ils ont été obligés d’en rechercher l’esprit. Leur démarche sera certainement éclairante pour d’autres qui se sont, eux aussi, mis en route vers un renouveau en profondeur. Ce n’est pas que, de-ci de-là, l’on n’éprouve quelque réticence à suivre l’auteur dans son généreux enthousiasme. Cela nous a spécialement frappé à propos de la rencontre des femmes. Ce que le Fr. Benoît dit de la femme est certes bien analysé, l’image par laquelle il symbolise le célibat consacré est belle (ouvrir les bras à toute détresse sans jamais les refermer), mais suffit-il de l’exemple de saint François et de sainte Claire et de quelques autres cas pour déclarer sans plus : « L’intimité naît alors. Où est le mal ? » N’est-ce pas oublier un peu facilement le danger, dont témoignent tant d’expériences, de voir cette intimité se transformer en intimité propre au couple (restât-elle purement spirituelle), au détriment du célibat consacré dans ce qu’il a de plus profond ?
Le numéro spécial que la revue Spiritus vient de faire paraître sous le titre « Des Instituts féminins s’interrogent [18] » débute par la présentation du dossier d’une enquête menée parmi les Instituts missionnaires féminins (41 réponses) : on s’y efforce de repérer, dans les changements accomplis de 1968 à 1975, ceux qui peuvent être significatifs pour une évolution ultérieure. Ce document est de nature à susciter la réflexion. Pour aider à la prolonger, la revue nous offre quatre articles. Annie Jaubert présente « Le Nouveau Testament et la femme dans l’Église », contribution dont nous avons fort apprécié la compétence et la modération. B. de la Bouillerie, F.M.M., dans un article aux vues parfois un peu sommaires, se demande si les religieuses sont des femmes libérées. I. Estremara, S.B., décrit brièvement, mais de façon suggestive, la promotion de la femme réalisée en Tunisie. Enfin, un article de M. Rondet, S.J. : « Hommes et femmes, dans le célibat, pour le Royaume » aborde le problème des relations mixtes dans le travail, celui des amitiés électives et celui des communautés mixtes.
La question qu’il examine est l’une de celles qui se posent aux religieux et religieuses que leur apostolat amène à une étroite collaboration. Il est d’autant plus difficile d’y voir clair que nous nous trouvons dans une phase de réaction contre la spiritualité de jadis, à laquelle on peut reprocher, en caricaturant un peu, d’avoir voulu préserver la chasteté des consacrés en desséchant leur cœur.
Qui veut éviter ce durcissement, s’aperçoit nécessairement qu’il aime en homme ou en femme. Comment le faire en toute droiture quand on est consacré ? Peut-on affirmer sans plus que « Dieu ne fait pas nombre avec nos affections humaines » (p. 408) et que donc « en m’engageant dans le célibat à la suite de Jésus, je n’ai pas renoncé à aimer ou à être aimé ; j’ai renoncé à vivre l’amour comme époux ou épouse » (p. 409) ? N’y a-t-il pas une réelle ambiguïté dans les termes employés et, plus encore, dans les contenus que chacun risque de leur donner ? Ne faut-il pas reconnaître que l’amitié entre un homme et une femme risque, qu’on le veuille ou non, de se muer en un amour dont il serait illusoire de penser qu’il n’est pas foncièrement conjugal ? Ne serait-ce pas un signe d’intégration inachevée que de penser pouvoir en rester à son gré à un « amour » que ne serait pas conjugal parce qu’il se refuserait l’intimité complète du couple (et toutes les responsabilités qui en découlent) ?
On le sent, la question que soulève cet article est celle de la nature du célibat consacré. Est-ce que le Dieu fait homme n’y « séduit » pas celui ou celle qu’il appelle d’une manière qui exclut qu’un partenaire de l’autre sexe puisse lui devenir « unique, irremplaçable », indispensable ? Dans cette hypothèse, François de Sales et Jeanne de Chantal, qui surent, par grâce, en rester à une amitié crucifiée chez l’un et l’autre, apparaîtraient comme une exception. La question mérite d’être posée en toute franchise, même s’il n’est pas aisé d’y répondre clairement.
Voici deux ouvrages publiées à l’occasion de l’Année de la Femme ; il est intéressant de les rapprocher.
Dans La condition de la femme dans l’Église [19], Henri Rollet brosse à larges traits une fresque historique : il évoque toutes ces chrétiennes qui, au cours des siècles, dans le monde, dans le cloître, dans les Congrégations religieuses et tout récemment dans l’Action Catholique, ont donné le meilleur d’elles-mêmes à la construction de l’Église « en dépit des pires difficultés théologiques, sociologiques et psychologiques... en dépit de l’opposition et des interdits des clercs » (Avant-Propos). Il termine ces pages encourageantes par le vœu que se généralisent les engagements féminins dans tous les domaines et que l’Église les favorise (« surtout en ne les décourageant pas »).
Ces difficultés que Henri Rollet signale sans y insister font au contraire l’objet même du livre de Jean-Marie Aubert, La femme [20], consacré à l’anti-féminisme et à la part de responsabilité de l’Église dans la fixation, la justification et le maintien de cette attitude. Dans ce but, l’auteur nous invite successivement à contempler l’attitude du Christ envers les femmes, l’ambiguïté des affirmations de saint Paul, tiraillé entre l’annonce de la libération évangélique et sa formation rabbinique, la chrétienté masculine que l’Église a bâtie en Occident, la reprise et l’accentuation de cette primauté de l’homme par la société laïque. Après avoir examiné les raisons théologiques et autres qu’on a données de la supériorité masculine et fait apparaître leur non-valeur, J.-M. Aubert montre que ce sont des structures sociales aujourd’hui en voie de disparition qui sont les grands responsables de cet état de choses : large mortalité infantile imposant de nombreuses maternités, absence de moyens mécaniques obligeant à faire appel à la force musculaire (presque double chez l’homme).
Un dernier chapitre interpelle l’Église, responsable pour une bonne part des justifications « théologiques » de cet antiféminisme. En fait, ces pages sont presque uniquement un plaidoyer pour l’admission des femmes au sacerdoce. J.-M. Aubert s’y révèle un avocat de talent, habile à présenter les arguments sous leur jour le plus favorable. Avouons toutefois qu’il n’a pas entraîné notre conviction, et cela surtout à cause de son argument de base : « ne pas admettre de femmes dans le Collège apostolique (est une attitude) qui n’a été dictée au Christ que par les contraintes culturelles de son temps » (p. 168). En admettant (ce qui n’est peut-être pas si évident) qu’il aurait été impossible au Christ d’admettre des femmes parmi les Apôtres sans franchir le « seuil d’intolérabilité » qui aurait barré la route à son message, comment être sûr que Jésus l’aurait fait si la chose avait été possible ? Il ne suffit pas de rappeler, puisqu’il s’agit de validité sacramentelle, que « l’Église ne s’est guère gênée pour se reconnaître à elle-même le droit de modifier ou déterminer les conditions de validité » (ibid.) en oubliant de signaler qu’elle a toujours, en même temps, eu conscience d’un noyau intangible (même lorsqu’elle a peine à en préciser le contenu). Ramener cette question à un problème de droit divin et donc de principes généraux, c’est oublier qu’il existe aussi des « faits dogmatiques », dont le tout premier est l’Incarnation dans ses déterminations concrètes et contingentes. Nous accorderions volontiers à l’auteur qu’il est vain de chercher, à l’exclusion des femmes du sacerdoce, des raisons apodictiques au niveau des principes, mais comment savoir si nous ne nous trouvons pas devant une manière de faire du Christ qui reste normative pour nous [21] ? Aussi préférons-nous la solution modérée de Mgr Ph. Delhaye, dont nous nous sommes inspiré ici [22]. Un de ses avantages, et non le moindre, est de nous montrer comment faire avancer le problème et aider l’Église à prendre conscience du pouvoir qu’elle a peut-être : nous devons tout faire pour que, dans le domaine où l’accord théorique est déjà acquis, on réalise en pratique, dans le monde et dans l’Église, l’égalité de traitement entre hommes et femmes : l’on est loin de compte, par exemple dans le gouvernement de la vie religieuse, spécialement en ce qui concerne les moniales.
St. Jansbergsteenweg 95
B-3030 HEVERLEE, Belgique
[1] Dizionario degli Istituti di Perfezione, sous la direction de G. Pellicia et G. Rocca. Vol. II : Cambiagio-Conventualesimo. Roma, D.I.P. (Via Domenico Fontana 12), 1975, 29 x 21, XXVI p. et 1726 col., nombr. ill., 14 h.-t.
[2] Bibliographia lnternationalis Spiritualitatis (BIS), a Pontificio Instituto Spiritualitatis O.C.D. edita. Vol. 3-6, 1968-1971. Roma, Ed. del Teresianum, 1971-1974, 23 x 16, XVIII-584, XVI-466, XVI-472 et XX-532 p., 8.500, 9.000, 9.000 et 15.000 lires.
[3] Ch. Molette. Guide des sources de l’histoire des congrégations féminines françaises de vie active. Paris, Éditions de Paris, 1974, 21 x 15, 480 p., 96 FF.
[4] J. M. R. Tillard. Religieux, un chemin d’Évangile. Coll. Tradition et renouveau, 8. Bruxelles, Éd. Lumen Vitae, 1975, 19 x 13, 230 p.
[5] 23 Institutos Religiosos, hoy (espiritualidad y testimonio). Madrid, Ed. E.P.E.S.A., 1974, 542 p.
[6] Témoins du Royaume dans un monde déshumanisant. Coll. Donum Dei, 22. Ottawa, Conférence religieuse canadienne, 1975, 23 x 16, 227 p., $ 4.50.
[7] Il est piquant de relever, ce qui confirme l’urgence de cette requête, que, dans la longue liste d’exemples du néo-colonialisme des U.S.A. donnée à la page 117 par la Présidente de la LCWR, ne figure pas le colonialisme économique. Heureusement, cette lacune a été comblée ailleurs.
[8] Th. Merton. Le retour au silence. La vie contemplative dans le monde actuel. Desclée De Brouwer, 1975, 22 x 14, 236 p., 351 FB.
[9] Gh. Lafont. Des moines et des hommes. Paris, Stock, 1975, 22 x 13, 244 p.
[10] Los Consejos Evangelicos en la Tradición Monastica. Coll. Studia Silensia, 1. Silos, Abadia Santo Domingo de Silos, 1975, 24 x 17, 422 p.
[11] Cette étude, due à la plume d’A. de Vogüé, O.S.B. a été réunie par son auteur à un certain nombre d’autres travaux, publiés dans des conditions qui les rendaient peu accessibles aux moines et moniales de langue française, sous le titre (qui traduit bien le contenu du recueil) Autour de saint Benoît. La Règle en son temps et dans le nôtre. Coll. Vie monastique, 4. Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1975, 21 x 15, 160 p.
[12] La povertà religiosa. Roma, Claretianum, 1975, 22 x 15, 280 p., 3.800 lires.
[13] B. Rueda, f.m.s. L’obéissance. Coll. Circulaires des Supérieurs Généraux de l’Institut des Frères Maristes des Écoles, Vol. 26, n° 1. Rome, Maison Généralice, 1974, 21 x 14, 152 p.
[14] Comme ce fut le cas pour la circulaire sur la vie commune, parue sous le titre Apologie et démythisation de la vie commune (cf. Vie consacrée, 1973, 95).
[15] B. Rueda, f.m.s. Entretien sur la prière. Même coll., Vol. 25, nos 5 et 6. Ibid., 1973, 100 p.
[16] Fedeltà e rinnovamento. Studi sulle Costituzioni salesiane. Coll. Studi di Spiritualità, 1. Roma, L.A.S., 1974, 21 x 15, 296 p.
[17] Frère Benoît. Je te bâtirai une maison. Coll. L’Évangile au XXe siècle. Paris, Éd. du Cerf, 1975, 20 x 14, 104 p.
[18] « Des Instituts féminins s’interrogent ». Revue Spiritus, n° 61. Paris, 40, rue La Fontaine, 1975, 21 x 16, 112 p., 10 FF.
[19] H. Rollet. La condition de la femme dans l’Église. Ces femmes qui ont fait l’Église. Paris, Fayard, 1975, 22 x 14, 344 p.
[20] J.-M. Aubert. La femme. Antiféminisme et christianisme. Paris, Cerf/Desclée, 1975, 22 x 15, 226 p., 290 FB.
[21] Éclairons ceci par un exemple. Le pain et le vin pris par Jésus pour l’Eucharistie sont des aliments ; l’Église pourrait-elle décider d’en consacrer d’autres ? Ce n’est pas une question de principe, mais de fait. Et, à notre avis, l’Église n’a pas encore réellement pris conscience de son pouvoir ou de son absence de pouvoir sur ce point.
[22] « Rétrospective et prospective des ministères féminins dans l’Église », Revue Théologique de Louvain, 3 (1972), 55-75.