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Réflexions sur l’obéissance

Léon Renwart, s.j.

N°1976-1 Janvier 1976

| P. 42-44 |

Le Conseil de Vie consacrée a réfléchi sur l’obéissance religieuse aujourd’hui, principalement sur les points suivants : la consistance humaine qui en est la condition, la « séduction » de Dieu qui en constitue le moteur, les médiations qui lui sont propres et notamment la place et le rôle du Supérieur.

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Lors de sa réunion des 20 et 21 septembre 1975, le Conseil de rédaction de Vie consacrée avait mis au programme de ses échanges les questions actuelles qui se posent à l’obéissance religieuse. Bien sûr, il n’a pas été possible, en si peu de temps, de traiter pareil sujet de façon exhaustive ni d’arriver à des solutions définitives. Néanmoins, quelques aspects intéressants nous sont apparus ; nous vous les livrons, espérant qu’à vous aussi ils apporteront quelque lumière et que vos réactions, toujours bienvenues, nous éclaireront davantage encore.

Le biais par lequel nous avons abordé la discussion fut le suivant : comment concilier, dans la vie religieuse, obéissance et liberté ? Deux dangers sont à éviter : la licence, qui se croit tout permis au nom d’une liberté anarchique, la dépendance (servile) qui fait abdiquer au nom d’une obéissance mal comprise.

Pour qu’il y ait obéissance vraie (et l’on y a fortement insisté), il faut, chez celui qui obéit, une réelle consistance humaine : celle-ci lui permet de poser un acte libre l’ouvrant, en connaissance de cause, à la médiation d’autrui. Si cette consistance doit déjà exister au moment de l’entrée en religion, les responsables ont aussi le grave devoir de veiller à sa maturation tout au long de la formation : le progrès dans la consistance humaine reste une condition du progrès dans l’obéissance (ceci vaut également pour les autres vœux).

Condition de l’obéissance, la maturité humaine n’en est pas le moteur : le dynamisme de l’obéissance religieuse lui vient d’une découverte, faite au départ et sans cesse approfondie : la « séduction » de Dieu qui m’appelle dans cette voie. Il faut avoir découvert le trésor caché dans le champ pour se décider à tout vendre pour l’acquérir. Sans cela, pas de « conversion », pas de « fondation basée sur le roc » : vienne la tempête et tout s’écroulera.

L’appel que Dieu m’adresse en Jésus-Christ, et donc dans l’Église et par elle, passe par des médiations, personnes et événements : c’est le lot de tout chrétien. Mais il est des médiations nécessaires et d’autres sont accidentelles. Encore, ceci se spécifie selon les diverses vocations. Dans ce domaine, ce qui caractérise la vie religieuse, c’est un appel à ne pas faire sa volonté propre, mais à rechercher la réalisation de soi en Dieu à travers des médiations déterminées : le charisme de l’Institut, la Règle qui l’incarne, les Supérieurs qui en sont les garants [1].

En ce qui concerne ceux-ci, diverses réflexions se sont fait jour.

D’un point de vue anthropologique, on a d’abord fait remarquer que tout groupe se sécrète nécessairement une tête [2].

Partant de la vérité, redécouverte dans de nombreux Chapitres, que tous dans la vie religieuse, Supérieurs compris, obéissent à Dieu, nous avons essayé de cerner la réalité du Supérieur, ce que l’un d’entre nous a nommé son « rôle symbolique » : il est celui qui, comme témoin du charisme propre de l’Institut, garantit une route particulière d’Évangile, celui qui (idéalement) incarne le visage de ce corps ; en conséquence, il est celui qui, reconnaissant le charisme propre à chacun de ses frères, discerne avec eux comment il s’intègre au charisme du corps entier ; il est donc celui qui aide son frère à porter, à sa place et au moment précis de la décision, la responsabilité du corps entier [3]. Car l’obéissance communautaire n’est pas d’abord une garantie de discipline domestique : elle est l’acte qui me fait épouser le projet religieux de mon Institut et prendre en charge, là où je suis, l’ensemble du corps (et, à travers lui, l’Église dans sa totalité).

On a constaté que la valorisation de l’obéissance apostolique a entraîné une dévaluation du rôle du Supérieur local au bénéfice du Supérieur majeur, qui donne les obédiences et fixe les grandes lignes du projet apostolique. Mais l’on commence à retrouver la fonction propre du Supérieur local (même là où on l’avait d’abord rejetée pour d’autres motifs). Une raison pratique a été le besoin d’éviter que ne s’imposent les « leaders naturels » ; plus profondément, on a redécouvert qu’il aide chacun à recentrer son projet apostolique, à garder le sens de son appartenance au corps (Institut et Église) ; enfin, aspect non négligeable, il est celui qui peut permettre des initiatives autorisées [4].

On pourrait conclure en disant que l’obéissance religieuse nous est apparue comme l’acceptation libre de devenir moi-même (liberté) par Dieu (qui m’a séduit) à travers la médiation d’autrui (mon Institut, son charisme, sa règle, ses supérieurs). Ce fut le résultat essentiel de nos recherches [5].

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Pistes de réflexion

Pas d’obéissance authentique sans réelle consistance humaine, mais ne serait-il pas tout aussi exact de dire que tout progrès dans l’obéissance vraie ouvre un progrès dans la consistance humaine ?

Nous baignons dans un monde épris d’autonomie, qui questionne toute intervention de l’autorité. Comment assurer sa vérité à l’obéissance religieuse en pareil climat ?

À quelles conditions notre obéissance sera-t-elle perçue comme un témoignage dans un monde où prévaut la « lutte des classes » ? Cela ne suppose-t-il pas et la loyauté qui reconnaît les conflits et la parole évangélique qui permet de les dépasser dans une espérance ?

[1Toutefois, parce que chacun, même dans la vie religieuse, a son propre charisme, l’obéissance sera encore très différente pour chacun. Ceci entraîne deux conséquences : le rôle de discernement qui incombe à tout Supérieur vis-à-vis de chacun ; l’importance, pour ce discernement, de l’ouverture au Supérieur et, dans une certaine mesure, à la communauté.

[2Qu’un groupe fraternel pluraliste (« acéphale ») puisse exister a paru possible à l’un d’entre nous, mais, en ce cas, il ne s’agit pas de la vie religieuse.

[3Dans cette optique, on peut estimer que les autres aspects de l’obéissance (ceux que la vie religieuse partage avec tout groupe organisé) sont secondaires ; on peut aussi (avec plus de vérité, sans doute) dire qu’ils sont repris et transformés de l’intérieur par cette recherche de la volonté de Dieu : celle-ci ne plane pas dans les sphères éthérées, elle s’incarne très concrètement dans le train-train de chaque jour (à condition de donner à chaque détail son importance de détail, ni plus ni moins).

[4Ceci touche le problème de la répartition des responsabilités. On a suggéré qu’il serait éclairant de se demander comment elles sont réparties, en droit et surtout en fait. Si le pouvoir réel de décision est concentré en trop peu de mains, ce qui est fondamental dans l’Institut se fait par-dessus la tête des individus ; or, pour obéir vraiment, il faut se sentir responsable à part entière, à sa place bien sûr. Par rapport aux origines des Instituts, nous sommes plutôt timorés dans ce domaine et nous le payons par un manque de gens capables d’assumer vraiment des responsabilités.

[5L’obéissance « de jugement » ne pouvait manquer de venir sur le tapis. Comment justifier l’acte que pose celui qui obéit alors qu’il reste persuadé que la décision maintenue par son Supérieur (toutes les représentations permises ayant été faites) n’est pas la bonne ? Par un acte de foi, qui accepte cette mort à soi dans l’espérance de la résurrection : Dieu est capable d’insérer dans son plan même les erreurs des Supérieurs et je lui fais confiance.

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