Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La simplicité de vie

Pedro Arrupe, s.j.

N°1975-6 Novembre 1975

| P. 321-340 |

Conférence donnée à Gênes, le 29 décembre 1973, aux membres de la Province S.J. de Turin, réunis en une session de trois jours en vue de la Congrégation générale. Nous la publions dans la traduction établie par la Maison Provinciale de Montréal, dans l’espoir que ces réflexions, adressées à des Jésuites à propos de leurs problèmes, puissent aider d’autres religieux à clarifier les leurs. Nous remercions le Père Arrupe de nous y avoir autorisés.

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Pourquoi une question à ce sujet ?

Parmi les questions posées cette année à ceux qui avaient à écrire au Père Général, s’en trouvait une sur la simplicité do notre vie de Jésuites. Certains ont pu s’en étonner. La simplicité de vie, qu’y a-t-il là-dessus de si important ? N’avons-nous pas, pour nous tourmenter, des sujets plus sérieux ? Eh bien, non. Parmi les sujets les plus importants dont nous avons – non à nous tourmenter, mais à arrêter sur eux une sérieuse réflexion – il y a la simplicité de vie.

Pour quelle raison ? Pour cette raison que la simplicité de vie est la mesure de notre esprit de pauvreté, l’application pratique de cet esprit. « Permettez-moi seulement cette réflexion, écrivait saint Ignace à ses Jésuites de Padoue, quiconque aime la pauvreté devrait se réjouir d’être pauvre, d’avoir faim, d’être mal vêtu, de dormir dans un lit dur. Car si l’on aime la pauvreté et que l’on fuit le dénuement, ne suivant la pauvreté que de loin, n’est-ce pas vivre une pauvreté confortable ? C’est sûrement aimer la réputation d’être pauvre plutôt que la réalité de la pauvreté, aimer la pauvreté en paroles et non en actes [1]. » Que peut bien être alors la simplicité de vie sinon le langage où s’exprime la pauvreté ? Le langage de l’exemple, le langage que les gens aujourd’hui comprennent et apprécient beaucoup mieux que les beaux discours et les exhortations. Nous avons donc le devoir d’examiner avec soin nos attitudes et nos normes touchant la pauvreté, ainsi que certains autres aspects de notre vie personnelle.

En plus d’être la mesure de notre pauvreté, la simplicité de vie nous aide à la sauvegarder et à l’accroître. Il n’est pas exceptionnel d’entendre chez nos gens cette plainte : « J’aimerais vivre dans la plus étroite pauvreté ; mais le style de vie de ma communauté m’en empêche ». Comme si vivre pauvre s’opposait au train de la vie de communauté ! Mais en est-il ainsi ? Faudrait-il qu’il en soit ainsi ? La vie de communauté ne devrait-elle pas plutôt inspirer le religieux et l’aider à vivre vraiment son vœu de pauvreté ?

Ainsi, qu’exclut la simplicité de vie ? Elle exclut l’ostentation, la vanité, le souci de l’aisance matérielle. On ne peut sûrement pas qualifier de simple une vie qui a pour caractère l’élégance et la recherche dans le vêtement, les objets personnels, le logement et les moyens de transport. Vie d’abondance serait plus juste. Ni davantage dire d’un religieux qu’il vit modestement s’il ne manque pas de se procurer tout le confort possible dans son ameublement, le chauffage, la climatisation et tout ce qu’on trouve au marché.

Ce qui nous amène à reconnaître que la simplicité propre à notre genre de vie est aujourd’hui exposée non à un mais à deux dangers : car, pour la menacer, il n’y a pas que l’égoïsme que nous avons dans le sang, il y a encore la société de consommation dans laquelle nous sommes plongés ; elle s’offre à nous procurer, de la façon la plus facile, presque tout ce que convoite notre égoïsme. Dans une société marquée par le dénuement, notre égoïsme ne peut ainsi triompher ; nous sommes contraints de vivre simplement. Et donc, les Nôtres qui vivent dans des sociétés d’abondance doivent se rendre parfaitement compte de l’asservissement que produit une société d’abondance et sa technique de publicité envoûtante. Si vraiment nous voulons vivre la vie austère à laquelle nous sommes appelés, nous devons pouvoir répondre ainsi à la propagande : « Combien de choses dont je n’ai pas besoin ! Que de choses que je ne veux point ! ». Modifiant légèrement l’une des quatre libertés du Président Roosevelt, nous devons cultiver la liberté en face des « besoins ».

Cultivons-nous cette liberté ? J’ai l’impression que nos façons de réagir aujourd’hui dans la Compagnie de Jésus s’étalent en un spectre fort étendu, allant de l’héroïsme authentique à des abus regrettables, voire même scandaleux.

Si nous y regardons de plus près, nous trouvons que la simplicité de vie a pour racine, en même temps qu’elle en est une manifestation, une attitude spirituelle fondamentale. Nous pouvons cultiver comme aussi contrecarrer de diverses façons cette attitude dans notre vie personnelle comme dans notre ministère apostolique. Ce n’est pas seulement un problème de pauvreté. Ainsi, dans notre vie personnelle, nous pouvons manquer de simplicité pour plusieurs raisons : par sensualité, par vanité, par un orgueil de classe inavoué.

La sensualité, si vous me permettez ce mot démodé et cependant encore valable, nous rend habiles à éviter absolument tous les inconvénients et à jouir à fond de toutes les occasions de confort qu’offre une société de consommation.

La vanité, un autre vieux mot encore de mise, nous pousse non seulement à nous procurer des choses superflues, mais même, pour les besoins de notre entretien ou de notre ministère, à ne choisir que « ce qu’il y a de mieux sur le marché ». Nous rejoignons ainsi, consciemment ou inconsciemment, la foule de ceux qui sont devenus esclaves de la mode.

Troisièmement, à notre su ou à notre insu, nous sommes tous soumis à l’influence de ce qu’on appelé les passions de groupe : nation, race ou classe sociale, auxquelles nous appartenions avant que Dieu nous appelle à son service. L’ennui vient de ce que nous négligeons de nous en rendre compte pour la raison justement qu’elles sont collectives ; tout notre entourage les justifie sans que nous y regardions ; elles conditionnent ainsi, sans que nous en ayons pleinement conscience, nos attitudes, nos choix, notre mode de vie et même nos ministères.

Notre conscience de classe, si je puis désigner ainsi une attitude que je pense et espère, pour une large part, subconsciente, nous rend souvent méfiants déjà devant ce qui nous ferait passer pour gens d’une classe inférieure, je veux dire, de la classe ouvrière. Cela nous ôte toute volonté d’entreprendre des ministères et des activités qui nous « abaissent » et nous identifient, par notre costume, nos moyens de transport et tout le reste, à une classe inférieure à la nôtre.

Et ainsi nous devons nous poser la question : à quelle classe sociale est-ce que j’appartiens comme Jésuite ? Spontanément, mes réactions sont-elles encore celles de la classe sociale – peut-être une classe dominante, une classe exploiteuse –, à laquelle j’appartenais avant que Dieu m’appelle à la Compagnie de Jésus, mais à laquelle je n’appartiens plus. Mes réactions sont-elles encore spontanément celles-là, même si, intellectuellement et dans l’abstrait, je m’estime libéré de toute mentalité de classe ?

Même les moyens que nous choisissons pour nos ministères apostoliques : media de communication, transports, techniques, équipements, demandons-nous avec soin lesquels d’entre eux vont réellement « à aider les âmes ». Devons-nous avoir pour norme suprême de notre efficacité apostolique l’emploi des moyens techniques les plus variés et les plus à jour, alors que nous savons bien que la complexité même de ces moyens nous empêche d’atteindre nos objectifs ?

N’oublions pas David qui refusa de s’encombrer d’une armure dans son combat contre Goliath et à qui les faits donnèrent raison. Sa vieille fronde et un caillou bien rond lui suffirent. Cela me rappelle un missionnaire qui avait tant à faire pour garder en bon état sa machine à écrire, sa radio, son enregistreur, son frigidaire, sa voiture et tout son matériel qu’il lui restait très peu de temps pour du travail missionnaire.

Un bon moyen de nous remettre devant l’esprit le caractère superflu de nombreuses choses qui nous paraissent aujourd’hui des nécessités est de nous rappeler le temps où nous pouvions très bien nous en passer, pour la simple raison que nous ne pouvions les avoir. Durant la guerre, par exemple, comme peu de choses nous suffisait ! Il le fallait bien. Nous avons aujourd’hui un exemple plus frappant encore. Les peuples arabes ont décidé de réduire leurs exportations de pétrole et, brusquement, nous voilà tous devant une crise de l’énergie. Ce que des motifs supérieurs et plus spirituels ne pouvaient nous décider à abandonner : les grandes vitesses sur les autoroutes, la chaleur de l’été en plein hiver, les spectacles tardifs, les repas de fin de soirée, nous découvrons que nous pouvons nous en passer parce qu’il le faut.

La crise de la pauvreté

Je lisais les rapports officiels qui me furent adressés cette année de toute la Compagnie et j’observais ce qu’ils disent du style de vie d’abondance de certaines communautés : des sources de revenus non déclarées, des comptes privés, des objets personnels coûteux, des voyages pour le plaisir, des attitudes et des usages de propriétaire à propos des salaires. Plus que jamais, je suis convaincu d’une réalité que certains ont mise en doute, à savoir que la Compagnie affronte aujourd’hui un sérieux problème de pauvreté : personnelle, communautaire et institutionnelle.

Ce n’est pas le moment de prouver l’existence du problème ou d’apprécier sa gravité. Permettez-moi toutefois d’avancer quelques réflexions plus positives, sûr que nous estimons tous qu’un problème de pauvreté est toujours capital dans la Compagnie. Les réponses qu’ont données à ma question sur la simplicité de vie les supérieurs et les consulteurs m’ont beaucoup aidé ici, ainsi que les contacts personnels que j’ai eus dans mes voyages et visites.

C’est une vérité, sans doute, que toute congrégation religieuse voit dans la pauvreté une donnée particulièrement importante, du fait qu’elle est un des caractères de la vie religieuse comme telle. Jésuites, nous avons des raisons particulières de juger ainsi à cause de l’insistance que saint Ignace y a mise, à la suite des lumières que le Seigneur lui avait données à ce propos et de l’expérience spirituelle qu’il en avait faite.

La pauvreté : un mystère de foi

La pauvreté est un mystère de l’Évangile et, pour le comprendre, il faut aimer le Christ. Parmi les réponses à mon enquête, des constatations comme celle-ci impressionnent : « Certains simplement ne connaissent pas l’esprit de pauvreté du Christ qui fait de nous de vrais pauvres. Leur façon de vivre la pauvreté ne répond pas à la théologie et n’a pas le Christ pour centre ; ainsi, elle est tout extérieure et matérielle ». Pareille attitude, évidemment, est inacceptable et doit être corrigée avec l’aide de la prière et par un effort pour acquérir le véritable esprit des Exercices et des Constitutions.

Le mystère de la pauvreté a sa source dans le mystère de la « kénose » du Christ, du Christ se vidant de lui-même. C’est un mystère, une réalité que la raison humaine ne peut comprendre entièrement, dont elle peut seulement s’approcher dans la mesure où l’Esprit Saint nous éclaire. Le problème de la pauvreté religieuse n’est ni sociologique ni financier ; il n’est même pas seulement théologique. C’est un problème de foi : un problème d’amour pour le Christ pauvre, pauvre dans la vie d’homme qu’il s’est choisie et pauvre dans la vie de son Corps mystique.

Conséquemment, une double expérience est requise pour arriver à une certaine connaissance du sens de la pauvreté : une expérience de foi, avant tout celle du Christ se dépouillant de lui-même, et aussi l’expérience vécue de la pauvreté réelle. Si l’une ou l’autre de ces expériences fait défaut, on ne peut vraiment savoir ce qu’est la pauvreté religieuse. Si l’expérience spirituelle de la kénose du Christ fait défaut, on peut savoir peut-être ce que sont la pauvreté et la misère humaines, ces maux que nous sommes appelés à combattre en eux-mêmes et dans leurs effets, mais on ne peut saisir la réalité ni le sens de la pauvreté religieuse. Si c’est l’expérience personnelle et vécue de la pauvreté réelle qui fait défaut, on arrivera peut-être à une certaine connaissance de ce que fut, historiquement, la pauvreté du Christ et ses traits caractéristiques, on ne pourra connaître ce qu’est dans le concret la pauvreté des pauvres.

Il nous faut donc, si nous devons connaître la pauvreté religieuse dans toute sa dimension, dans sa totalité, nous efforcer d’atteindre à une connaissance intime, à une epignosis acquise par la prière du Christ pauvre, du Christ pauvre sur la Croix ; cette epignosis nous conduira, en vertu du charisme ignatien, au troisième degré d’humilité qui nous fait choisir la pauvreté avec le Christ de préférence aux richesses. En même temps, nous devons nous efforcer de vivre cette pauvreté que nous avons choisie, et connaître ainsi d’expérience ce que signifie en réalité la pauvreté pour le pauvre dans l’indigence. La foi nous pousse à imiter le Christ pauvre et cette imitation, à son tour, nous engage à la pauvreté concrète. Telle est la spirale ascendante qu’engendre l’action mutuelle de l’expérience de foi et de l’expérience de vie ; c’est fondamentalement la structure de cet ordre de choses. L’action est mutuelle, en effet : la pauvreté vécue nous pousse à l’amour du Christ, lequel nous purifie et nous libère. Comme saint Ignace l’exprime : « Ce n’est pas une petite grâce que la divine Bonté nous accorde lorsqu’elle nous donne l’occasion de goûter concrètement ce que nous devrions toujours désirer si nous devons devenir conformes à notre modèle Jésus-Christ [2]. »

Réactions devant cette problématique

Il est clair que, dans la vie religieuse en général et dans la Compagnie de Jésus en particulier, la pauvreté pose des problèmes de théologie aussi bien que de pratique, auxquels on réagit diversement.

L’une de ces réactions pourrait s’appeler la réaction de défense. Elle cherche à minimiser le problème en avançant des raisons pour justifier des situations actuelles, raisons manifestement fallacieuses, ou, à tout le moins, ambiguës. On invoque les exigences de l’apostolat : si nous voulons un apostolat qui rende, nous devons utiliser les moyens les plus efficaces, entendez les plus coûteux. Si notre apostolat doit donner des résultats, nous devons travailler auprès des classes plus influentes, ce qui veut dire les élites riches. Ou encore, on se réclame du charisme ignatien : le charisme d’Ignace n’est pas celui de Charles de Foucauld. Ou bien, on nous rappelle que la tradition authentique des Jésuites est d’employer tous les moyens qui nous feront arriver au but. Bref, les arguments de tous ordres sont de mise : exégétique, historique, canonique, pour nous persuader de continuer comme nous faisons. On a ainsi « rationalisé » le problème et il est devenu assez ambigu pour que nous acceptions de rester dans le statu quo.

Une autre réaction est le découragement. Depuis combien de temps sommes-nous aux prises avec ce problème ? Depuis des années sans nombre. Avons-nous abouti à une solution acceptable ? Non. À quoi bon, dès lors, discuter encore ? Faisons simplement notre possible et laissons l’avenir régler lui-même ses problèmes.

Vient alors la réaction radicale. On adopte une position extrême que l’on qualifie « d’évangélique » ou de « réaction-témoignage » ; c’est, dit-on, la seule solution acceptable, la seule apostolique. Bien. Mais si ce radicalisme ne tire pas de l’Évangile son inspiration, il conduira ses tenants à des contradictions ou bien, du fait qu’il méconnaît la complexité de la vie et de la société humaine, il aboutira à une frustration complète ou engendrera des fixations qui détruisent l’amour fraternel et s’apparentent beaucoup plus au modèle social de la lutte des classes.

Pour moi, le problème de la pauvreté religieuse et de la simplicité de vie se pose à un niveau beaucoup plus profond qu’à celui où se produisent de telles réactions. La vraie cause du problème est qu’on a perdu le sens du spirituel, qu’on n’a point le sens du Christ. C’est ce que révèlent et la faillite de la pratique de la pauvreté évangélique et les solutions exclusivement socio-économiques et sécularisantes, qui vont parfois jusqu’à justifier la violence pour combattre l’injustice. Il n’y a point de substitut à la kénose du Christ ni dans la philosophie, ni dans l’humanitarisme ou l’analyse marxiste des classes sociales et de leurs conflits. Notre réussite médiocre actuelle en matière de pauvreté religieuse est la suite naturelle et nécessaire de ce peu de vitalité de notre sensibilité spirituelle et de cette insuffisance de notre sens du Christ. Car, si cela manque, notre système de pensée se fausse, nous choisissons les mauvais critères et l’application que nous en faisons à nos vies devient une absurdité dans la lumière de l’Évangile. Si on peut parler de la présence d’une carence, mesurez à quel point cette carence est présente dans le monde... et dans la Compagnie de Jésus !

La pauvreté : fondement de la vie spirituelle

Nous connaissons tous le grand amour qu’avait saint Ignace pour la pauvreté. Il y voyait une des vertus fondamentales de l’apôtre jésuite. Cette vue pénétrante lui était venue des lumières que l’Esprit Saint lui avait accordées en face de l’étendard de la Croix ; sans perdre un moment, il la transposa dans la pratique : nous devons aimer la pauvreté comme une mère et la défendre comme le rempart de la vie religieuse.

Explicitons cette donnée dans les mêmes mots qu’Ignace. Que produit la pauvreté ? Elle dispose l’instrument humain à l’union à Dieu et lui donne la mobilité apostolique. L’union à Dieu est l’œuvre des vertus théologales ; elle se nourrit de la pauvreté évangélique laquelle, tout à la fois, s’appuie sur la foi et augmente la foi, puisque le Christ que connaît la foi est la clef du vrai sens de la pauvreté et que la pauvreté, à son tour, est le témoignage le plus recevable de ce qu’est la foi. En effet, « la foi sans les œuvres est morte [3] ».

La pauvreté signifie le détachement total, au moins comme disposition d’esprit ; elle signifie qu’on retire sa confiance de toutes les créatures pour la remettre totalement, ainsi que notre espérance, en Dieu, dans la certitude de foi que Dieu seul peut nous aider. C’est à cette totale remise de nous-mêmes en la providence de Dieu que la pauvreté nous conduit, en nous dépossédant de toutes choses et en nous libérant ainsi de toute attache. « La contribution la plus certaine et la plus nécessaire que nous pouvons apporter à la réforme de l’Église universelle, disait saint Ignace, est de nous en occuper en étant le moins chargés de choses que nous le pouvons, comme Notre-Seigneur nous l’a montré [4]. » L’expérience de l’insécurité humaine nous amène à nous réfugier dans l’indéfectible sécurité de Dieu.

La pauvreté nous prépare non seulement à professer mais encore à pratiquer la charité, car elle rend capable de donner pour l’amour du prochain non seulement ce qu’on a mais encore ce qu’on est. « Tout pour les autres » devient la règle de vie. Tout, c’est-à-dire : biens, talents, temps, travaux, joies et peines, disant avec saint Paul : « Je suis tout prêt à dépenser ce que j’ai et à me dépenser moi-même tout entier pour vos âmes [5] ».

Nous arrivons ainsi à l’ultime pauvreté, au don de toutes choses, soi-même compris, en imitation de la kénose du Christ. Prenant racine dans l’amour du Père, cette forme de pauvreté constitue le plus haut degré de l’humilité intérieure. Ce dépouillement de soi-même fait expérimenter l’impuissance en présence de ceux qui ont des biens et semblent ainsi posséder la puissance. C’est connaître d’expérience l’humiliation, car être pauvre, c’est être méprisé, être rejeté et traité sans égards.

À ce propos, nous pouvons beaucoup apprendre en considérant ce qu’un missionnaire en pays païen doit être prêt à endurer : se retrouver seul dans une grande ville, sans aucun ami ni connaissance ; sans ressources d’aucune sorte, qu’il s’agisse d’équipement physique ou de l’appui et de la sécurité que donnent de simples relations humaines ; être pauvre jusqu’en son langage, incapable de s’exprimer, de pouvoir dire qui on est, ce que l’on sait, se retrouver toujours en situation inférieure, comme un enfant qui apprend à parler, que l’on écarte avec dédain en toute discussion, qui se rend compte de la pauvre impression qu’il produit toujours et qui en souffre, ainsi que de la pitié, à moins que ce ne soit de l’hostilité, qu’on lui porte ; tout cela ramène un homme, plus que de creuses théories sur la pauvreté, à comprendre ce que signifie réellement la pauvreté au sens radical de la dépossession. Cette expérience n’enlève pas seulement les attaches extérieures, elle rend vraiment humble de cœur, car être pauvre, c’est être humilié et l’humiliation est l’école de l’humilité.

C’est là une des expériences les plus valables que nous pouvons acquérir en vivant en pauvres. Le pauvre n’a point de droits dans une société bâtie sur l’intérêt personnel et le profit. Le pauvre est l’homme sans voix, le dernier sur la liste : méprisé, inconnu, oublié. Pour comprendre la situation du pauvre, il faut la vivre. Sans cette expérience, les théories abstraites et les grandes résolutions donnent peu de choses.

Et maintenant, qu’en est-il de nous ? Nous vivons dans un Occident d’abondance, avec un niveau et un style de vie que l’on juge convenir dans notre milieu ; nous pouvons accorder des faveurs ou obtenir de nos amis qu’ils en accordent. Ne sommes-nous pas dans la condition du bienfaiteur, dans une situation de privilégié et d’homme influent ? Quelle différence dans les pays non-chrétiens ou athées, où l’on ne nous accorde aucune considération ! Plus grave, on voit en nous des gens inutiles ou même dangereux pour la société ; en conséquence, déjà marqués pour la liquidation. Se voir ainsi de trop, à la merci des autres, sans valeur aux yeux des hommes, qu’est-ce sinon faire ses classes dans une école d’humilité de grand style ? C’est l’école où l’Esprit Saint en personne enseigne la leçon la plus haute et la plus difficile de la vie spirituelle : la découverte de la joie dans la pauvreté de la Croix.

Je ne puis vous dire combien profondément m’ont ému les rapports que j’ai reçus au sujet de nos frères qui vivent précisément dans ces conditions. Si jamais Dieu a trouvé, dans notre Compagnie, des instruments parfaitement souples en sa main puissante, c’est sûrement en eux.

Fruits de la pauvreté et de la simplicité de vie

De nombreux avantages résultent du parfait détachement sur lequel reposent la pauvreté religieuse et la simplicité de vie.

Le parfait détachement procure une liberté intérieure sans pareille : la liberté de répondre à l’appel de l’Esprit dès que nous l’entendons : dans nos cœurs, dans la voix du supérieur, dans « les signes des temps ». Cette disponibilité intérieure à tout appel nous donne la mobilité ; elle nous habilite à aller, sans tergiverser, là où nous appellent Dieu, l’obéissance ou le besoin des âmes.

Nous sommes loin du comportement de celui qui « a trouvé sa niche » et s’y est installé parfaitement à l’aise. Il a autour de lui toutes les commodités possibles ; elles lui sont devenues des nécessités ; il cultive des amis puissants, attentifs à ses moindres désirs ; il s’est ainsi créé une sorte de fief, de poste permanent, d’où « les hommes même en nombre, selon la remarque de saint Ignace, ne peuvent le déloger [6] ».

La vraie pauvreté nourrit une spiritualité joyeuse, forte et virile, comme l’avait observé jadis le poète Lucain : « La pauvreté est la mère féconde des humains [7] ». La pauvreté écarte la mollesse, notre tendance naturelle à la flânerie et au dolce farniente. Elle produit la vigueur spirituelle et une extraordinaire endurance dans les travaux apostoliques ; par-dessus tout cela, elle donne, au milieu des travaux, une joie et une allégresse intérieures que l’on a peine à imaginer si l’on n’en a pas fait l’expérience.

Une autre caractéristique de la vie simple et pauvre est l’efficacité apostolique. Car, cela est évident, si quelqu’un est uni à Dieu et s’appuie sur lui seul, il est plus ouvert aux grâces qui rendent fructueux le ministère puisque « ce n’est ni celui qui plante ni celui qui arrose qui comptent, mais Dieu seul qui donne la croissance [8] ». En outre, un pareil style de vie a l’impact d’un témoignage irréfutable, surtout aujourd’hui où la valeur de signe de la pauvreté a surgi de façon si dramatique.

D’où vient que nous ayons à ce point perdu créance comme ministres de l’Évangile ? Cela vient de ce que les gens ne voient plus en nous des pauvres. C’est le témoignage de la pauvreté vécue dans la sincérité qui redonnera créance à notre apostolat et ainsi le rendra plus efficace. Cela peut sembler paradoxal, mais aujourd’hui l’économie dans l’emploi des ressources est devenue, au plan apostolique, plus efficace que l’acquisition de moyens abondants.

On en a la preuve la meilleure à considérer les effets négatifs du manque de vie simple. Si dans une société de progrès économique, d’abondance et de consommation, nous manquons d’esprit de pauvreté et de détachement, qui en est la suite, nous risquons, plus que jamais dans le passé, de devenir des esclaves. Esclaves de mille façons différentes : esclaves de la propagande, de la publicité envoûtante qui est la marque d’une société de consommation ; esclaves de l’âpreté au gain, de la fringale d’acquérir ce qui paraît d’abord objet de luxe et qui finit par être objet de nécessité ; esclaves du snobisme lequel, ouvertement ou en secret, limite notre activité apostolique à une classe sociale privilégiée. Par contre, la pauvreté et la simplicité de vie, en réduisant au minimum nos besoins, nous rendent libres ; elles nous rendent capables de relever n’importe quel défi de l’apostolat.

Réclame-t-on une preuve positive ? Nous l’avons dans ce que j’ai mentionné plus haut : l’importance qu’attachent nos contemporains à la pauvreté volontaire. Car ce qui en découle, c’est que l’on croit en notre apostolat en proportion directe de notre détachement d’esprit et de notre simplicité de vie.

Le choix que nous faisons de nos ministères et le rang que nous donnons à nos priorités apostoliques doivent tenir compte de ce fait. Si nous visons à changer les structures injustes de notre société, nous ne le pouvons effectivement si nous limitons notre action aux classes sociales élevées. Nous devons agir aussi auprès des classes défavorisées, auprès des pauvres. Or les pauvres ne nous écouteront pas s’ils ne nous voient pas partager leur pauvreté. En outre, nous devrions avoir une préférence pour les pauvres comme le fit le Christ. Ils sont tellement le grand nombre ! Ce n’est pas tout : les structures injustes de la société ne changeront que si nous aidons les pauvres à s’aider eux-mêmes. Or nous ne pouvons le leur apprendre que si d’abord ils nous apprennent ce que signifie vraiment la pauvreté.

Respectons la dignité des pauvres, mettons-nous à leur école. Que nous dit saint Ignace ? « Telle est la dignité des pauvres devant Dieu que le Christ s’est estimé envoyé spécialement à eux. Il avait pour eux une telle préférence qu’il a choisi parmi eux ses apôtres. Il vécut avec eux, il vécut comme eux et il constitua ses apôtres juges des douze tribus d’Israël, c’est-à-dire de tous les fidèles. Et qui viendra siéger avec les apôtres sur le banc des juges comme leurs conseilleurs ? Les pauvres. Car telle est leur élévation [9]. »

Nous nous préoccupons beaucoup aujourd’hui de bâtir de nouveaux modèles de vie et de société et d’y rallier les gens. N’oublions pas le vieil adage : Exempla trahunt ou, en traduction libre : « Si vous le faisiez d’abord vous-même... ». Mais, plus encore, retenons que les gens se fient plus aux actes qu’aux paroles et que tous les modèles que nous formons doivent s’appliquer en pratique, indiquer où aller, donner une direction à un monde qui a quasiment perdu tout sens de l’orientation.

Réfléchissez alors au témoignage précieux que peut rendre à l’Évangile un modèle ou un style de vie simple et austère à tous les niveaux : au niveau personnel (le minimum d’objets), au niveau communautaire (économie et pas trop de confort) et au niveau institutionnel (ne s’appuyant pas sur de vastes propriétés, de lourds investissements, des entreprises prestigieuses). Un pareil modèle, s’il est vécu avec sincérité et honnêteté, et non pour dresser une façade hypocrite, donnera sûrement des résultats.

Finalement, la pauvreté et la simplicité de vie, si la charité les anime, nous procurent une réalité de grande valeur : la solidarité. Nous lisons dans les Actes des Apôtres que les premiers chrétiens formaient un groupe de croyants qui, par leur foi commune, « ne faisaient qu’un cœur et qu’une âme. Personne ne réclamait quoi que ce soit de ses biens pour son usage personnel, car ils mettaient en commun tous leurs biens... Ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient et en apportaient le prix aux apôtres ; on le partageait alors entre ceux qui en avaient besoin [10] ». Cette solidarité de la koinonia (de la vie commune), cette participation et ce partage des biens matériels étaient manifestement un fruit de l’amour, un fruit de la participation de tous au même Esprit et tous ceux qui avaient part à cet Esprit s’unifiaient dans ce partage.

Sans doute, tous dans la Compagnie de Jésus reconnaissent cet esprit de solidarité et de partage, mais tous peut-être ne le mettent pas en pratique, du moins avec l’étendue et la plénitude qu’il faudrait. Je ne songe pas tant ici à la solidarité dans la communauté locale, car il est tout à fait évident que nous devons avoir cette solidarité à ce niveau et partager avec la communauté tout ce que nous possédons ou acquérons, sans nous réserver de privilèges qui violeraient l’égalité dans les droits fondamentaux. Je songe plutôt à la solidarité que nous devons avoir avec d’autres membres et d’autres communautés de notre Province ainsi qu’avec les membres et les communautés de toute la Compagnie.

En matière de propriété, chaque maison est juridiquement autonome. Cela est certain mais cela ne peut être un obstacle à la solidarité. Nous devrions, en fait, trouver intolérable qu’il puisse y avoir dans notre Compagnie des communautés « riches » et des communautés « pauvres » ; les unes regorgeant de choses superflues tandis que d’autres (peut-être dans la même ville) manquent du nécessaire pour leur entretien et pour l’exercice approprié de leur apostolat peut-être fort important.

Si on applique comme il convient ce principe de solidarité, il peut transformer radicalement notre style de vie et nos ministères. Si nous nous rendons vraiment solidaires de ceux de nos frères qui vivent dans le dénuement et dont le travail apostolique est paralysé par le manque de ressources, n’aurons-nous point là un stimulant nouveau et un motif apostolique de surcroît pour vivre de façon simple, sobre et frugale ?

N’oublions pas que, si nous vivons dans une maison particulière et appartenons à une Province distincte, notre vraie communauté, en dernière analyse, est le corps entier de la Compagnie. C’est donc selon des normes et des priorités universelles et non locales qu’il conviendrait, même dans les endroits géographiquement les plus éloignés, d’apprécier les besoins de cette communauté dont les dimensions sont mondiales ; ainsi les besoins de chaque individu et de chaque maison ne seraient plus absolus, mais deviendraient, comme il se doit, relatifs.

C’est de cette façon que nous ferons surgir « une véritable union des cœurs » fondée sur l’amour de Dieu notre Seigneur et sur l’union avec « le Bien divin et souverain ». Cela, en retour, nous conduira, comme dit saint Ignace, « à un total mépris de ces biens temporels qui occasionnent un amour de soi désordonné lequel s’oppose plus que tout à l’union et au bien universel [11] ».

Nous devrions aller au-delà et dire que cette solidarité ne peut s’arrêter à la Compagnie. Entendue dans sa plénitude, elle doit s’étendre (toujours selon saint Ignace), « à tout notre prochain, même en accordant une attention spéciale au corps de la Compagnie ». Les deux tiers de l’humanité vivent aujourd’hui dans une condition qui n’a qu’un nom, celui de l’extrême nécessité. En face de ce fait, même ceux qui n’ont aucun engagement religieux particulier se sentent obligés, comme membres de ce « village mondial », de faire quelque chose. Combien plus devons-nous éprouver cette nécessité, nous qui appartenons à une Compagnie vaste comme le monde et qui sommes citoyens du monde ! Comme cette donnée devrait nous atteindre plus profondément encore, avec son appel pressant à épargner et à partager !

Ignace et la pauvreté

Notre Compagnie de Jésus est au service de l’Église. Or quel service nous demande aujourd’hui l’Église ? Quelle attitude devrions-nous avoir devant la société de consommation, son matérialisme, sa poursuite maladive du confort, de la puissance, de la richesse ? Il pourrait être utile, pour répondre à cette question, de nous rappeler comment saint Ignace réagit devant la société de son temps, et puis d’induire comment il réagirait devant la société d’aujourd’hui.

Saint Ignace appartenait à une société engagée dans les affres d’un bouleversement qui avait plongé l’Église dans une crise. Il interpréta les signes des temps dans la lumière que lui donnait l’Esprit et il réagit comme suit. Contre l’humanisme de la Renaissance païenne, il organisa une spiritualité nourrie de l’Évangile. Contre l’abus des cumuls de revenus qui avaient envahi l’Église elle-même et multiplié les prébendes et les bénéfices pour soutenir les prétentions sociales, il apporta sa vision de la pauvreté, la pauvreté du Christ humble. Pour donner corps à cette vision, il esquissa dans les Exercices et développa dans les Constitutions le troisième mode d’humilité qui fait choisir la pauvreté avec le Christ plutôt que la richesse. Il défendit à ses religieux d’accepter, pour les ministères, des honoraires et des compensations et interdit aux maisons professes des revenus fixes. Il appuya sur l’apostolat des Nôtres en faveur des pauvres et des défavorisés, insistant sur le catéchisme aux enfants, le service dans les hôpitaux et les prisons, et sur les pèlerinages qui donneraient au Jésuite l’expérience concrète de la pauvreté et des voyages sans aucune ressource.

Devant cela, on peut se demander comment il réagirait en face de notre monde, ce monde plongé dans la recherche des commodités, de l’efficience, de l’abondance, ce monde de la consommation. Nous brûlons de posséder argent, loisirs, puissance. Nous multiplions nos besoins et baptisons ainsi ce qui sert notre sensualité : l’étalage des dépenses, les caprices de l’égoïsme, les divertissements. Nous perdons notre estime du travail et de sa valeur, et nous l’évitons autant que nous le pouvons. Passer le temps à ne rien faire sera bientôt un idéal et l’organisation des loisirs est devenue un problème.

Eh bien ! dans ce monde, comment pratiquer la pauvreté ? Vivre en « quêtant de porte en porte » n’édifiera personne dans une société qui voit un parasite dans l’homme valide qui refuse un emploi rémunérateur. Le pauvre aujourd’hui vit de ce qu’il gagne, de son salaire. La sécurité sociale pourvoit aux imprévus de l’avenir. D’autre part, la poussée à la consommation s’intensifie ; toutes les formes de divertissements sont à la portée de quasi tout le monde : tourisme, télévision, spectacles, etc.

Il est aisé d’imaginer comment saint Ignace ferait face à la situation. Il appliquerait, évidemment, à ces conditions nouvelles ses principes fondamentaux, car ces principes, inspirés par l’amour du Christ, sont aussi valables aujourd’hui qu’en tout temps. Le Christ demeure le modèle de notre pauvreté apostolique et de notre simplicité de vie : pour nous-mêmes, pour notre communauté, pour nos institutions.

Nous devons retenir cette réalité qu’aider les âmes est une tâche surnaturelle, soumise donc à des normes surnaturelles. L’amour du Christ pauvre doit être ce qui détermine de façon décisive notre activité apostolique. Si cela manque, tout le reste est voué à l’échec.

Dans l’usage que nous faisons des choses, appliquons la mesure du tantum quantum, en prenant soin de ne pas substituer les superfluités aux nécessités. En face de ce qui n’est pas strictement nécessaire mais convenable, nous devrions nous garder des mensonges de la publicité, à savoir qu’il est bon en soi d’accumuler, d’avoir le plus possible de ce qui est utile. « Nous devons nous garder, dit saint Ignace, d’aller substituer le superflu au nécessaire et de confondre ce qui nous plaît avec ce qui nous est bon, de convertir ainsi des mesures de prudence en excuses de nos caprices [12]. »

Voyons les choses en face : il nous est plus difficile d’être pauvres dans une société d’abondance que dans un monde réduit à la pauvreté, plus difficile de vivre simplement et dans l’austérité au milieu de l’abondance qu’au milieu de la disette. Mais quel témoignage nous rendrons à l’Évangile, si nous réussissons, ne fût-ce qu’en partie, pareille entreprise !

À propos de la théologie de la pauvreté, nous devons sûrement nous efforcer de l’élargir et de l’approfondir, non d’une façon abstraite mais incarnée, incarnée dans la réalité, dans la réalité d’aujourd’hui. Nous devons essayer d’entrer dans le mystère de l’Incarnation et de la Croix par l’expérience de la pauvreté réelle, acquise dans l’apostolat auprès des pauvres et des défavorisés. Laissons cette expérience nourrir substantiellement notre réflexion théologique et stimuler notre pratique de la pauvreté religieuse à laquelle nous nous sommes engagés.

C’est un problème aujourd’hui de vivre en pratique la simplicité de vie dont nous avons, Jésuites, pris l’engagement. Nous ne pouvons résoudre ce problème que par une expérience plus profonde, personnelle, inspirée par la foi et par l’amour du Christ pauvre.

Cette expérience est illuminatrice : elle nous rend capables de percevoir, à notre problème, des solutions qui ne se seraient jamais offertes à la seule nature humaine.

Elle est aussi une expérience libératrice : elle nous libère pour que nous accomplissions ce que nous demandent l’amour du Christ et le zèle apostolique. Notre tâche principale est donc d’établir au plus intime de notre être le contact avec l’Esprit qui seul peut nous apprendre ce qu’est la vraie pauvreté et la vraie simplicité.

Cette conversion plus intime à la pauvreté du Christ est à la fois la condition et le premier pas pour réaliser dans nos vies cette vie du Christ que saint Ignace souhaitait pour la Compagnie de Jésus.

Borgo S. Spirito 5
I-00193 ROMA, Italie

[1Monumenta Historica Societatis Iesu. Series prima : Monumenta Ignatiana. Epistolae et Instructiones (cité désormais : Mon. Ign. Ep.), T. I, Madrid. 1903, 577.

[2Mon. Ign. Ep. IV, 1906, 564.

[3Jc 2,17.

[4Mon. Ign. Ep. I, 1903, 355.

[52 Co 12,15.

[6Mon. Ign. Ep. IV, 1906, 679.

[7La guerre civile (La Pharsale), I, v. 165-166.

[81 Co 5,7.

[9Mon. Ign. Ep. I, 1903, 573.

[10Ac 2,44-45.

[11Constitutions de la Compagnie de Jésus, n. 671.

[12Mon. Ign. Ep. XI, 1911, 374.

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