Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Bulletin bibliographique sur l’intelligence de la foi

Jean Delcuve, s.j.

N°1975-6 Novembre 1975

| P. 361-373 |

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Le Christ est au cœur de la foi chrétienne. Il est à la fois le révélateur du Dieu vivant, de son vrai visage, et le chemin qui mène à lui. Toujours la foi au Christ est invitation à la conversion personnelle et communautaire, au témoignage de la parole et de la vie. Cette foi, nous avons à la vivre au milieu du monde en mutation qui est le nôtre, de ses mises en question. Elle réclame de nous lucidité et courage, engagement de la personne et de la vie. Ceux dont elle a transformé la vie nous aident à mieux comprendre sa valeur. Elle se nourrit de prière et d’action.

Les livres que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer concourent, d’une manière ou d’une autre, à cette intelligence de la foi, si nécessaire aujourd’hui. Après avoir présenté Jésus-Christ dans notre monde, de Jacques Guillet, nous commencerons notre recension par les ouvrages qui traitent explicitement de la foi, nous la continuerons par ceux qui, sans en traiter explicitement, ont une relation à elle.

Le nouveau livre de Jacques Guillet, Jésus-Christ dans notre monde [1], fait suite à celui qu’il publia, voici douze ans, sous le titre Jésus-Christ hier et aujourd’hui, mais, tandis que ce dernier centrait notre regard sur Jésus vivant devant son Père, celui-ci nous invite à le regarder vivant dans ce monde.

Trois parties. I. Comportements. L’auteur met en lumière la façon d’être de Jésus avec les gens et les choses. Nous le voyons agir dans notre monde en homme véritable, faisant usage de ses ressources, engagé dans ses combats, exposé à l’hostilité des hommes, s’ouvrant à leur amitié et à leur amour, affrontant la mort et la souffrance, pénétrant avec eux jusqu’au fond de l’angoisse (cf. Introduction). Nous découvrons son attitude face à la politique, aux choses, à l’argent ; nous pénétrons dans le mystère de sa chasteté et de sa vie pénitente.

II. Qui est Jésus ? Cette question que se posaient ses contemporains est toujours la nôtre. Jacques Guillet nous aide à répondre à partir des Évangiles et des Actes, du regard qu’ils portent sur lui. À la clarté de ce regard, nous pouvons contempler le mystère du Verbe fait chair à « trois temps différents » : « 1. Tel qu’il s’est révélé aux disciples après la résurrection de Jésus et tel qu’il subsiste aujourd’hui pour nous ; 2. tel qu’il existait avant l’existence humaine de Jésus ; 3. tel qu’il s’est accompli dans le temps de l’existence humaine de Jésus » (p. 170). Trois temps qui nous fournissent trois visions distinctes et complémentaires de Jésus : elles nous permettent de cerner d’aussi près que possible le mystère de sa personne.

III. Permanence. L’objet principal de ce chapitre est l’élucidation de la signification précise de trois affirmations traditionnelles relatives à Jésus : il est prêtre, prophète, parole de Dieu. Un dernier chapitre, « Disciples de Jésus libre », nous introduit à la source de la liberté de Jésus et nous montre comment l’Évangile accueilli et vécu rend libres ses disciples.

Un livre de grande qualité exégétique et spirituelle qui nous fait progresser dans la connaissance de Jésus, un livre riche en lumière pour nos vies de disciples.

Dans Croire au Christ ?, le Card. Renard [2] précise ainsi son but : « éclairer les chrétiens et les autres qui s’interrogent sur la foi... les aider à mieux saisir ce qu’est la foi pour l’Église » (p. 14 et 16). L’intention qui anime ces pages est un souci pastoral et spirituel.

Après un rapide déblaiement du terrain (« Qu’est-ce que n’est pas la foi ? »), il nous dit, à partir de la profession de foi de Pierre, ce qu’elle est : accueil personnel, convaincu, ecclésial de Jésus, l’œuvre en l’homme d’une révélation divine. Elle est aussi croyance, « fiance » au Christ, confiance dans le Christ, fidélité au Christ à travers les diverses étapes de l’existence, conviction enracinée dans le « cœur », se manifestant par le témoignage de la parole et de la vie. Elle est ouverture à la grâce gratuite du Christ sauveur, vie livrée à lui. Après avoir rappelé les grandes attitudes caractéristiques de la foi au Christ, le Card. Renard traite, en des pages très éclairantes, de la foi à la résurrection du Christ, de la foi et de l’Église, de la foi de la personne et de l’objet de la foi, du mystère et de l’intelligence de la foi. –Un petit livre clair où est dit l’essentiel de ce qui a trait à la foi.

Aider ses lecteurs dans leur découverte du vrai Dieu et son accueil en vérité dans leur vie, tel est le but de J. Thomas dans Croire au vrai Dieu [3]. La foi au vrai Dieu implique toujours, tant pour le croyant que pour le non-croyant, un passage des faux dieux au Dieu vivant, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (cf. p. 10), une conversion. Cette conversion, l’auteur en décrit les caractères permanents : elle est l’œuvre de Dieu intervenant dans une vie sous le signe de la violence, manifestation de Dieu à travers des signes ; elle est grâce, libération, liquidation des faux dieux.

Certes, pour les croyants, « Dieu » n’est pas un inconnu : ils ont été appelés à la foi. Mais l’idée qu’ils se font de lui, l’image qu’ils en ont expriment-elles bien la réalité du Dieu vivant, Père de Jésus-Christ, telle que celui-ci nous l’a manifestée ? Leur vie est-elle toujours une vie de foi, une vie dans la foi, une vie vécue avec Dieu, devant Dieu et en Dieu ? Pour qu’il en soit ainsi, ils ont à se libérer de leurs idoles, à instituer une saine critique de leur environnement culturel, à respecter et sauvegarder les dimensions essentielles de l’homme : le mystère, le sens de la gratuité, l’espérance, à ne pas tricher avec eux-mêmes, les autres, Dieu, à suivre résolument Jésus-Christ, à mener le combat de la foi, bref, à se convertir réellement au Dieu de la révélation de Jésus-Christ.

Et les incroyants ? L’auteur commence par tenter de répondre à la question : y a-t-il vraiment des incroyants ? L’analyse de l’incroyance est difficile, il le reconnaît, mais il semble bien que l’homme ne puisse vivre vraiment sans foi, sans référence à quelque « totalité », à un quelque chose qui, pour lui, devient l’absolu. Les incroyants ont eux aussi leurs idoles, qu’ils se fabriquent. L’accès à la découverte du vrai Dieu réclame d’eux le courage de vivre jusqu’au bout leur condition d’hommes, de ne pas tricher avec eux-mêmes, les autres, la vie, la mort. Ce courage de la vérité fera exploser leurs idoles. L’homme moderne, remarque J. Thomas, n’est pas un homme « majeur » : l’homme majeur est celui qui consent à vivre devant Dieu, avec Dieu et en Dieu.

Un livre de réflexion, qui met en lumière les conditions de la foi au vrai Dieu, tant pour les croyants que pour les incroyants, les conditions aussi d’un témoignage authentique des croyants et des communautés croyantes dans le monde d’aujourd’hui.

Les mutations de la foi chrétienne [4] présentent le texte des conférences prononcées à l’occasion des Journées universitaires de la Pensée chrétienne, tenues à l’Université de Montréal du 25 au 27 octobre 1973, ainsi que les échanges de vues qui ont suivi ces exposés. Groupés sous trois thèmes (La foi aujourd’hui – Les mutations de la foi chrétienne – Notre foi demain), les textes présentés abordent des questions que pose la foi en Jésus-Christ, particulièrement dans notre monde en mutation ; ils tentent aussi d’y répondre. Qu’est-ce que la foi chrétienne ? Comment discerner la vraie foi au Christ de ce qui n’est pas elle ? Quel est son impact réel dans nos vies de croyants d’aujourd’hui ? Quel est son caractère social ? Peut-il y avoir des mutations de la foi chrétienne ? En quel sens oui, en quel sens non ? Pour être intelligible à nos contemporains, la foi ne doit pas aujourd’hui être réinterprétée, formulée dans un nouveau langage ? Quel est le rapport de l’homme au monde, à Dieu, du temps à l’éternité, du Dieu engagé dans l’histoire au Dieu qui transcende l’histoire ? La situation nouvelle n’invite-t-elle pas l’Église à des réformes ? Que sera la foi demain ? Loyalement, les auteurs remarquent que leurs réponses ne sont ni complètes, ni définitives. Elles sont le fruit de leurs recherches actuelles. Il y a du reste des divergences entre eux, ils se font des objections que les réponses données ne satisfont pas toujours.

Pour notre part, nous avons particulièrement apprécié l’exposé de Guy Bourgeault : « Une expérience de cohérence » et ses interventions dans les débats, ainsi que les commentaires de Bertrand Rioux sur l’exposé de Gregory Baum : « Les mutations de la foi chrétienne ». En lisant ces pages, on n’oubliera pas leur caractère de recherche, d’essai : elles doivent susciter une réflexion personnelle, qui conduira tantôt à un assentiment, tantôt à un désaccord.

Dans son Introduction à La foi selon Jean de la Croix [5], Alain Delaye note : « La vision sanjuaniste de l’existence chrétienne repose sur une conviction fondamentale : Dieu veut transformer l’homme et s’unir à lui de telle sorte que cet homme devienne lui-même « Dieu par participation » (La montée du Carmel, II, 5). Cette transformation s’opère de façon progressive sous l’action de Dieu dans l’âme. Son terme est l’union consommée avec Dieu, union d’amour configuratrice, où se respectent les personnes aimantes ». L’auteur se propose d’étudier la pensée de saint Jean de la Croix sur la fonction de la foi à l’intérieur de ce processus de régénération. Après avoir dégagé les deux sens fondamentaux que Jean de la Croix donne au mot foi (vertu de l’intelligence qui la proportionne à connaître Dieu dans l’obscurité – attitude intégrale engageant tout l’homme), il nous montre, textes à l’appui, comment la foi est, pour le Docteur mystique, principe de vie trinitaire : « La première démarche de la foi est une adhésion de tout l’être au Verbe incarné... adhésion qui doit aboutir un jour à une transformation totale en Christ » (p. 25). Mais le mouvement de la foi va plus loin. A partir de son identification au Christ, le croyant est conduit jusqu’à l’union au mouvement de la vie interpersonnelle de la Trinité (cf. p. 25) ; il participe à ses échanges de connaissance et d’amour (cf. p. 33). L’itinéraire spirituel qui conduit à cette union suit successivement la voie du sens et la voie de l’esprit. Alain Delaye nous décrit l’une et l’autre.

Certaines médiations constituent le « lieu spirituel » qui conditionne, rend possible la rencontre et l’union de l’homme à Dieu : ainsi l’Écriture, l’Église, le monde. En référence à de nombreux textes de Jean de la Croix, l’auteur nous expose sa pensée sur la relation entre la foi et ses médiations.

Si originale que soit la pensée de Jean de la Croix, elle s’insère dans un contexte ecclésial, dans une tradition : la tradition mystique et la tradition scolastique. Il est particulièrement redevable à Augustin, Denys, Ruysbroeck, Tauler, Maître Eckart, Jean d’Avila, Osuna, Laredo, Thérèse d’Avila, Thomas d’Aquin. Un dernier chapitre étudie, à la lumière de la doctrine sanjuaniste, la foi dans la vie chrétienne : foi et espérance, foi et charité, foi et œuvres.

Alain Delaye a réussi à nous montrer toute la richesse de la pensée de saint Jean de la Croix sur la foi : elle est principe de vie trinitaire, elle informe toute la vie chrétienne.

Dans Ce que croyait Jeanne Jugan [6], le Card. Garrone nous la montre « pauvre avec les pauvres », « pauvre pour les pauvres ». Elle avait un cœur de pauvre, oublieux de soi, tout tourné vers l’amour de Dieu et des autres, un cœur qui trouvait sa suffisance et son appui en Dieu. « C’est si beau d’être pauvre, disait-elle, de ne rien avoir, de tout attendre de Dieu » (p. 35). Au sein de sa vie de pauvre, se révèle la foi de Jeanne : le Christ et son Évangile sont la lumière de sa vie, elle fait crédit à Dieu, s’en remet à lui, se livre intégralement à lui. Dans ce climat de pauvreté ne cessent de grandir en elle l’abandon, la joie, la petitesse évangélique, une lucidité toute pénétrée d’humilité et de charité. Sa pauvreté, enfin, la met en l’entière disposition de Dieu. Il sera libre d’agir en elle à son gré : c’est le secret de l’efficacité de Jeanne Jugan. C’est, aujourd’hui encore, la condition de l’action de Dieu à travers nous.

G.-M. Oury nous présente Ce que croyait Benoît [7]. Celui-ci a composé sa Règle au VP siècle. Celle-ci continue de guider vers la perfection de l’union à Dieu des milliers d’hommes et de femmes. C’est qu’elle contient des trésors de doctrine d’une valeur permanente. Selon Benoît de Cluse, « la Règle renferme toute la perfection évangélique et apostolique ». Avant de la rédiger, Benoît s’était fait disciple ; il a recueilli les trésors du passé, puis les a assimilés, décantés ; il s’est ensuite permis de perfectionner selon son charisme propre la tradition reçue (cf. p. 137). Dieu le dota pour cela d’un remarquable don de discernement.

La vision de foi de Benoît transparaît à travers les attitudes spirituelles qui sous-tendent sa Règle. Dom Oury les a fort heureusement dégagées pour nous : respect de la parole de Dieu, certitude invincible de son amour, conscience continue de son regard, place centrale du Christ, rôle de la prière et de la vie commune, destinée surnaturelle de l’homme. Par la qualité de sa vision de foi, saint Benoît demeure aujourd’hui encore un des grands maîtres de la vie spirituelle.

La vie selon la foi réclame du courage. Un livre de Marc Joulin, Le courage d’être chrétien [8], nous y aidera. S’il est une attitude particulièrement nécessaire aujourd’hui, c’est bien celle-là : courage de vivre, de durer, de croire, de garder son indépendance, d’être soi-même, d’être chrétien. Aussi bien, « ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de bon sens » (2 Tm 1,7).

Ce qui est d’abord demandé au chrétien, c’est le courage de la vraie foi et des attitudes existentielles qu’elle appelle. Il lui faut pour cela s’interroger sur sa foi, en la confrontant avec sa source évangélique : ma foi est-elle bien la foi voulue par le Christ ? Il lui faut discerner correctement la lumière qu’elle projette sur nos vies : la foi ne fournit pas réponse à tout, elle ne donne pas compétence pour tout. Il lui faut accepter l’humilité de la foi, mais aussi tendre, par la force de l’Esprit, à vivre en authentique disciple du Christ, à garantir la complémentarité de la prière et de l’action, sans oublier de soumettre les slogans à une critique judicieuse. Le chrétien est non seulement un homme qui croit, c’est aussi un homme qui espère. Encore doit-il savoir ce qu’il espère pour sa vie d’ici-bas, ce qu’il attend par-delà la mort. M. Joulin éclaire bien la relation entre les vrais espoirs humains et l’espérance chrétienne, la relation entre la part de Dieu et la nôtre dans le salut qu’il nous offre. La véritable espérance donne du courage... et en demande.

Disciple de Jésus-Christ, le chrétien doit unifier sa vie dans l’amour de Dieu et des hommes. Mais l’amour vrai n’est pas facile. Il réclame sérieux et force, discrétion, engagement, modestie et bonté. La foi en l’Église réclame elle aussi du courage, car l’Église est humaine dans ses membres. D’où la nécessité de s’établir dans une attitude de foi pour saisir en profondeur ce qu’est l’Église et vivre quotidiennement en conformité avec cette foi. Signalons quelques pages éclairantes sur la « consonance » avec l’Église, sur la critique qui est permise. Un dernier chapitre, « Oser la joie », est une invitation, fondée sur la foi, à la joie chrétienne. –Un livre tout imprégné de foi et de bon sens.

Au centre du christianisme, il y a l’Eucharistie. Dans Ceci est mon corps [9], André Manaranche nous aide à creuser l’intelligence de ce mystère d’amour.

Trois parties dans ce livre. I. L’Eucharistie comme sacrement. Les interrogations radicales que notre temps pose à l’Eucharistie ont leur source principale dans l’histoire et le langage. Voilà pourquoi l’auteur commence par examiner le soubassement historique de nos difficultés, puis, par une clarification du langage, il détermine avec précision le sens du mot sacrement dans l’expression : l’Eucharistie est un sacrement. Par suite de nombreuses allusions, la lecture de cette première partie n’est pas aisée. Pour suivre l’auteur, il ne faut pas lésiner sur l’effort, mais la peine qu’on se donnera ne sera pas perdue.

II. « Ceci est mon corps livré pour vous ». Après nous avoir fait entrevoir en quelques pages toute la richesse de l’Eucharistie (elle est « l’articulation du besoin, du désir et de la grâce » – p. 73 –, elle fait se nouer les quatre aspects fondamentaux de l’être : « le vrai, le beau, le bon et l’un » – p. 75 –, elle rassemble « tout le mystère de Jésus : sa vie, sa mort, sa résurrection et son retour » – p. 77), A. Manaranche étudie le sens des paroles : « Ceci est mon corps livré pour vous ». Replacées dans leur contexte, elles signifient un sacrifice, elles impliquent une présence, celle d’un « corps ressuscité », d’une personne intégrale. Il s’agit d’une présence corporelle par mode de signe (cf. p. 100). Pareille présence s’ordonne à la manducation, à un repas (repas qui peut être différé), manducation qui elle-même s’ordonne à la vie trinitaire. La communion est l’introduction au mystère intime de Dieu par celui « en qui habite corporellement la plénitude de la divinité » (Col 2,9). Signalons quelques pages pleines d’intérêt sur les trois grandes formes possibles de relation avec le Christ présent dans l’Eucharistie : relation « nuptiale », relation « politique », relation « économique ». Y sont légitimés le désir de voir l’Hostie, l’adoration eucharistique, « l’amitié eucharistique ».

III. « Faites ceci en mémoire de moi ». L’auteur y développe les implications concrètes de l’Eucharistie. Comprise et vécue en vérité, elle commande, vivifie, transforme l’agir chrétien. Les trois sphères de la vie sociale (la famille, la politique, l’économie) en sont illuminées : à chacun d’imprégner sa vie de ces clartés. A. Manaranche montre fort bien comment l’Eucharistie a quelque chose à voir avec le mariage, le célibat pour l’amour du Royaume, l’Église, la communauté religieuse, la vie politique et la vie économique. – Un livre de doctrine et de vie. Sa lecture exige un effort, mais il en vaut la peine. Bien des questions relatives à l’Eucharistie, à sa place, à son rôle dans le concret de nos vies y trouvent leur réponse.

Le Sage et le Saint [10] sont un extrait du bel ouvrage du P. A.J. Festugière L’enfant d’Agrigente. Ces pages instituent une comparaison entre la mystique païenne (le sage) et la charité chrétienne (le saint), l’ascèse et la contemplation des Grecs et l’imitation de Jésus-Christ propre à ses vrais disciples. Cette comparaison nous permet de mieux saisir l’originalité du christianisme, les traits distinctifs de la perfection chrétienne. Ces pages gardent toute leur actualité, elles sont éclairantes pour l’intelligence et la foi chrétienne.

Humanisme et théologie [11], d’Y. Labbé, est un ouvrage de réflexion théologique sur un préambule à la foi.

Pendant bien longtemps, l’athée ne fut pas autre chose que l’insensé dont parle l’Écriture. Puis, à la suite de l’incroyance qui récusait les figures historiques de la religion, l’athéisme a pris solidement pied dans la culture. Au nom de la raison, enfin consciente d’elle-même, l’homme rejetait l’affirmation de Dieu comme impossible, illusoire, néfaste ou simplement inutile. Pourtant, depuis dix ans, cet humanisme athée s’est vu lui-même mis en question. Était-il finalement autre chose qu’une religion de l’Homme, qu’un simple transfert à l’homme des attributs de Dieu ? Maintenant qu’à son tour le sujet humain est mort, c’est l’antihumanisme qui triomphe, se refusant à n’être qu’une religion dissimulée sous le masque de l’athéisme.

Dans ce livre dense et difficile, requérant une sérieuse formation philosophique et qui, pensons-nous, marquera la pensée catholique de notre décennie, l’auteur parcourt un exigeant itinéraire où se rencontrent les structuralistes, Sartre, Duméry, Bruaire, Heidegger et Levinas. Avec ce dernier, il découvre la véritable éclaircie de l’Être grâce à « l’éclat de l’extériorité dans le visage d’autrui ». Mais, capable de répondre au service par l’agression mortelle, dans un monde que traverse le mal radical, l’autre ne justifie pas le respect absolu qu’il réclame. Aussi, pour pouvoir être réalisé, « l’impératif éthique exige que le sujet soit en relation avec un être absolument juste, le Tout-Autre ». Ayant de la sorte démontré que c’est au sein de l’existence vécue que peut apparaître le lien de l’homme à Dieu, l’auteur achève son ouvrage par des réflexions neuves, mais qui appellent la discussion, sur le préambule de la foi.

Foi et prière sont en relation étroite. Expression de la foi, la prière est aussi nourriture pour la foi. Voici trois livres de qualité sur la prière. Leurs auteurs touchent aux mêmes points centraux, mais chacun d’eux a sa manière propre de cerner le mystère de la prière, d’y introduire, d’aider à pénétrer jusqu’à son « cœur ».

Le Card. Garrone nous invite à Aller jusqu’à Dieu [12]. D’une manière ou d’une autre, tout homme entre en dialogue avec le monde, soi-même, les autres. Menés jusqu’au bout, ces dialogues font pressentir Dieu, amorcent un dialogue avec lui. Mais si, à travers des tâtonnements, l’homme tente d’entrer en dialogue avec Dieu, celui-ci offre lui-même aux hommes la possibilité de dialoguer avec lui dans le Christ. Dans la lumière du Christ, parole du Père, les yeux des hommes s’ouvrent à de nouvelles clartés sur le monde, eux-mêmes, les autres. Ainsi éclairés, ils pénètrent jusque dans l’intimité de Dieu, ils découvrent son dessein d’amour, de miséricorde, de salut pour l’humanité et chacun de nous. C’est toute la révélation divine qu’évoque l’auteur à cet endroit. Une troisième partie de son ouvrage étudie de plus près quelques modalités selon lesquelles le Verbe de Dieu fait homme parle aux hommes : la création, les paroles qu’il a prononcées sur terre, les gestes qu’il a posés, les actes qu’il a accomplis, l’Écriture Sainte, l’Eucharistie et la passion, l’Église. Une dernière partie éclaire l’exercice de la prière, décrit ses cheminements, ses degrés, ses sommets, rappelle opportunément le rôle de l’amitié des Saints dans la prière.

Cet itinéraire de prière que trace le Card. Garrone est en réalité l’itinéraire spirituel suivi par Augustin : ab exterioribus ad interiora, ab interioribus ad superiora – des réalités extérieures (disons : le monde) aux réalités intérieures (son propre esprit, son propre cœur) et de ces réalités intérieures à celles d’en-haut (Dieu et les choses de Dieu). – Pareil itinéraire peut devenir celui de tous.

Dans L’eau vive [13], le but avoué de L. Guillet est d’aider ceux qui prient déjà à progresser dans la prière en répondant à la question : quand je me mets à prier, qu’est-ce que je dois faire ? Dans cette perspective, il les invite à se mettre à l’école de Thérèse d’Avila, à écouter ses enseignements sur la prière, la façon de s’y prendre, les grands bienfaits qu’elle procure. Thérèse distingue deux voies, deux chemins de prière : la méditation et ce qu’elle appelle « un chemin de traverse », qui dispose plus rapidement à l’oraison « surnaturelle » où l’orant devient plus passif sous l’action de Dieu. La Sainte donne de pertinents conseils pour l’une et l’autre voie, mais ses préférences vont au « chemin de traverse ». Elle invite ceux qui suivent la première voie à rejoindre la seconde. A celle-ci est consacré le meilleur de ses enseignements.

Rappelons que, pour Thérèse d’Avila, l’oraison est essentiellement un « parler à Dieu », une écoute de Dieu, une ouverture à Dieu, à son action, à son envahissement. C’est un tratar de amistad (un commerce d’amitié), où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé. C’est un entretien avec Dieu, où nous nous occupons avec lui « aux affaires de l’amour ». Encore ne faut-il jamais perdre de vue le but de l’oraison : une conformation à Jésus et à sa vie sur terre, y compris le mystère de la croix.

« Prier, c’est essentiellement vivre une relation avec Dieu dont la lumière de foi nous découvre le sens et la portée », nous dit Dom Lefebvre dans l’Introduction de son livre Le mystère de la prière [14]. Aussi, dans une première partie, « Le mystère de la foi », nous met-il en présence du Dieu qui s’est manifesté à nous en Jésus-Christ, en présence de son amour. La prière est reconnaissance et accueil de cet amour, réponse à cet amour. C’est toutefois au « mystère de la prière » que l’auteur consacre la plus grande partie de son ouvrage. La prière est vivante communion avec Dieu, elle est un acte de foi en la présence du Seigneur qui nous ouvre à la grâce de cette présence, elle est ouverture à l’amour de Dieu et à son infinie bonté, elle demande de nous simplicité, humilité, confiance, « sachant à quel amour nous sommes confiés et ce que nous pouvons en attendre » (cf. p. 57).

Au long de ces pages pleines d’expérience, G. Lefebvre décrit de façon remarquable les conditions de semblable prière et les attitudes spirituelles qu’elle réclame et développe. Il a le don d’éclairer le centre intime de la prière, vivante relation au Dieu-Amour. Son livre prolonge les enseignements de Simplicité de la prière, il a les mêmes qualités.

Dans Une prière vraie pour aujourd’hui [15], A. Fermet se propose de déblayer le terrain. La prière a son véritable enracinement dans la foi et la vision de Dieu que celle-ci nous donne. Il faut dès lors nous demander : le Dieu que je prie est-il bien le Dieu qui s’est révélé à nous en Jésus-Christ ? Ne portons-nous pas en nous de fausses images de Dieu dont il faut d’abord nous dépouiller pour accéder à une authentique prière ? Une deuxième question aborde le problème des rapports entre prière et action, prière et vie. Poulie résoudre, il s’agit de bien discerner les relations qui existent entre notre dialogue avec Dieu et notre dialogue avec les autres et le monde. La prière de demande fait problème. Et pourtant le Christ l’a pratiquée. Elle confesse la réalité de l’action de Dieu et de notre liberté, encore que tout ce que nous demandons doive l’être en référence au Royaume et qu’il y ait des demandes primordiales, celle, par exemple, du don de l’Esprit (IIIe Partie). Une quatrième partie traite des temps, des lieux, des mots et des formes de la prière. L’auteur termine par une méditation sur la prière de Jésus, lumière pour la nôtre.

L’ensemble est éclairant. Même si çà et là on n’est pas pleinement d’accord avec l’auteur– il est toujours difficile de cerner un mystère –, sa pensée nous force à réfléchir et contribue à la vérité de notre prière aujourd’hui.

L’Immaculée révèle l’Esprit Saint [16] est un livre qui nous fait mieux connaître la Vierge. La vie de l’héroïque Conventuel polonais, le Bienheureux M. Kolbe, fut toute sous-tendue par l’amour du Christ et de sa Mère, en qui il voyait avant tout l’immaculée. C’est sa pensée sur elle que nous livrent ces pages : elles nous présentent, en les replaçant dans leur contexte, des écrits très variés du Bienheureux. J.-F. Villepelée les a regroupés par thèmes : Qui es-tu, Immaculée ? Grâce à l’immaculée ; Missionnaire avec l’immaculée. Les textes présentés sont accompagnés de citations de Vatican II et de papes contemporains, « ce qui donne autorité aux intuitions et à l’enseignement du P. Kolbe » (p. 21). Simplicité et profondeur s’allient en ces entretiens : c’est le cœur du Bienheureux qui s’y laisse deviner ; c’est aussi la mise en lumière de ce que l’immaculée donne de devenir à ceux qui vivent dans son rayonnement. L’Esprit Saint et l’immaculée œuvrent en étroite collaboration.

Terminons cette chronique par la présentation d’ Un itinéraire mystique [17]. Dans les années 1920, deux ouvrages du P. R. Plus, S.J. (Jusqu’aux sommets de l’union divine, Consummata. 1927 – Marie-Antoinette de Geuser. Vie de Consummata. 1928) firent connaître « Consummata ». Ils révélèrent une âme d’une rare qualité, une privilégiée de l’Esprit Saint, que très tôt Dieu avait fascinée. Grâce à ces livres, son désir, lorsqu’elle serait au ciel, d’« attirer les âmes à lui (Dieu) par le détachement total de ce qui n’est pas lui seul, en leur découvrant combien il est tout » commença à se réaliser. Non – empressons-nous de le noter – que l’attirance de Dieu la fermât aux autres. Mais elle décrivait ainsi sa voie, dans une lettre à une Carmélite : « Pour moi, il est meilleur de ne voir que lui, lui seul, en lui, et de le donner à plein, mais sans sortir de lui ; en le laissant diriger la semence où il veut, sans me retourner pour voir où elle tombe ». Il sera toujours vrai que seul le don total de soi à Dieu fait entrer pleinement en communion avec l’amour qu’il porte aux hommes.

Cinquante années ont passé. L’expérience spirituelle de Marie-Antoinette de Geuser garde plus que jamais sa valeur : elle témoigne de l’action personnelle de Dieu dans nos vies, de l’œuvre qu’il accomplit en ceux qui se livrent totalement à son amour. Le livre de M.P. Vachez et É. Rimaud vient à son heure. Il retrace, avec pénétration, l’itinéraire mystique de Marie-Antoinette – elle appartient en effet à la famille des grands mystiques – depuis les premiers appels perçus jusqu’aux sommets de l’union avec la Trinité. Les auteurs s’effacent devant Marie-Antoinette ; c’est avec elle qu’ils nous mettent en contact à travers ses notes intimes, ses lettres (notamment à son oncle et directeur, le Père Anatole de Grandmaison – lettres malheureusement inédites), des témoignages de première main. Nous pouvons ainsi assister à son cheminement spirituel. Très tôt, Marie-Antoinette s’est crue appelée à la vie carmélitaine, mais sa santé fragile et divers événements ont toujours empêché la réalisation de ce désir. C’est dans le cadre de sa famille que l’Esprit allait réaliser son œuvre à travers d’austères purifications intimes, la maladie, les épreuves de famille. Ce qui frappe en Consummata, c’est la sûreté de ses jugements de foi, la justesse de ses attitudes spirituelles fondamentales : humilité, préférence donnée à l’obéissance sur ses propres sentiments, confiance, abandon, abnégation, soif de vérité, recherche sincère de la volonté de Dieu, amour vrai. Marie-Antoinette nous redit l’importance primordiale de l’action personnelle de Dieu dans notre vie, de la livraison sans condition à son amour. – Exprimons en terminant le souhait que soit publiée sa correspondance avec son oncle.

Carrefour de l’Europe 3
B-5180 GODINNE-SUR-MEUSE, Belgique

[1J. Guillet, s.j. Jésus-Christ dans notre monde. Coll. Christus, Essais, 39. Desclée De Brouwer, Bellarmin, 1974, 20 x 13, 272 p., 34 FF.

[2Card. A. Renard. Croire au Christ ? Desclée De Brouwer, 1975, 21 x 12, 100 p.

[3J. Thomas. Croire au vrai Dieu. Paris, Centurion, 1975, 21 x 14, 186 p.

[4Les mutations de la foi chrétienne. Essais. Coll. Foi et liberté. Montréal, Éd. Fides, 19 x 14, 146 p., $ 4.00.

[5A. Delaye. La foi selon Jean de la Croix. Coll. Sentiers pour l’Esprit, 5. Avrillé, Éd. du Carmel, 1975, 23 x 18, 160 p., 32 FF.

[6Card. G.-M. Garrone. Ce que croyait Jeanne Jugan, une vraie pauvre. Tours-Paris, Marne, 1974, 18 x 13, 150 p.

[7G.-M. Oury. Ce que croyait Benoît. Tours-Paris, Marne, 1974, 18 x 13, 166 p.

[8M. Joulin, o.p. Le courage d’être chrétien. Desclée De Brouwer, 1975, 20 x 12, 140 p.

[9A. Manaranche. Ceci est mon corps. Paris, Éd. du Seuil, 1975, 21 x 14, 190 p.

[10A.-J. Festugière. Le Sage et le Saint. Coll. « Foi vivante », 160. Paris, Libr. Plon, 1974, 18 x 11, 100 p.

[11Y. Labbé. Humanisme et théologie. Pour un préambule de la foi. Coll. « Cogitatio fidei », 81. Paris, Éd. du Cerf, 1975, 22 x 14, 378 p. – Cette recension a été assurée par le P. H. Jacobs, s.j., que nous remercions de son obligeance.

[12Card. G.-M. Garrone. Aller jusqu’à Dieu. Paris, Centurion, 1975, 21 x 14, 230 p.

[13L. Guillet. L’eau vive. La prière d’après Thérèse d’Avila. Tours-Paris, Marne, 1974, 18 x 13, 204 p.

[14G. Lefebvre, o.s.b. Le mystère de la prière. Desclée De Brouwer, 1975, 20 x 13, 192 p., 225 FB.

[15A. Fermet. Une prière vraie pour aujourd’hui. Coll. « Foi et langages ». Athis-Mons, Foi et langages, 1972, 30 x 21, 64 p., 6,50 FF.

[16Bx M. Kolbe. L’Immaculée révèle l’Esprit Saint. Entretiens spirituels inédits. Paris, Lethielleux, 1974, 19 x 13, 160 p.

[17M.-P. Vachez et É. Rimaud. Un itinéraire mystique. De Marie-Antoinette de Geuser à Consummata. Coll. « Ad Solem ». Genève, Martingay, 1974, 18 x 14, 408 p.

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