Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Théologie de la vie religieuse

Bulletin bibliographique

Léon Renwart, s.j.

N°1975-2 Mars 1975

| P. 100-117 |

Dans la trentaine de volumes que nous devons à l’obligeance des éditeurs, une place de choix revient au Dizionario degli Istituti di Perfezione. Une seconde section présentera cinq ouvrages traitant de la vie religieuse dans son ensemble. Puis nous verrons des recherches à objectif plus restreint : l’attitude devant le monde, l’évangélisation, la fidélité, la pauvreté, la vie en communauté. Une quatrième section groupera les publications relatives au monachisme en Orient et en Occident. Nous terminerons par quatre livres consacrés l’un aux Jésuites, l’autre aux Frères des Écoles Chrétiennes, le troisième aux Fraternités des Petits Frères de l’Évangile, le dernier (last, but not least) aux Communautés selon l’Évangile de Madeleine Delbrêl.

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I

Attendu depuis plusieurs années, le Dizionario degli Istituti di Perfezione [1] vient de paraître : il se caractérise par sa vision théologique de la vie religieuse, son souci d’information historique, le recours à la psychologie et à la sociologie, de nombreuses entrées consacrées à la structure interne de la vie religieuse et à son évolution au cours des temps, des notices sur les fondateurs et les réformateurs des instituts, une large place accordée au monachisme oriental, l’intérêt pour le renouveau de la vie religieuse dans l’anglicanisme et le protestantisme ainsi que pour les réalisations œcuméniques, des articles consacrés au phénomène monastique dans les autres religions.

Le premier des six volumes actuellement prévus (le sixième devant contenir de multiples index) est une bonne illustration de cette richesse et de cette ouverture. On y trouve de très nombreuses notices sur les Instituts (les grands Ordres, tels les Augustins et les Bénédictins, y sont traités respectivement en plus de 100 et plus de 60 colonnes), sur les fondateurs (avec le même souci de mettre en lumière le rôle primordial que certains d’entre eux, tels saint Augustin et saint Benoît, jouèrent dans l’histoire de la vie religieuse) ; on y lit aussi des articles doctrinaux sur l’apostolat, l’ascèse, l’autorité, des notes canoniques (ouvertes à la fois sur la situation d’avant le Code et sur les perspectives du nouveau Droit Canon dans la mesure où elles sont connues), par exemple sur l’admission, l’approbation des Instituts. Parmi les notices consacrées à l’Église Orientale, relevons celles qui traitent de l’architecture de ses monastères et de l’ascèse de ses moines. Comme signe de l’ouverture œcuménique, relevons seulement (on ne peut tout dire) que la communauté interconfessionnelle de Bose (Italie) nous est décrite et qu’une cinquantaine de colonnes nous donnent une bonne présentation du bouddhisme.

Nous serions gravement incomplet si nous ne signalions pas la richesse et l’abondance de l’illustration : quatorze hors-texte en couleurs illustrent les articles les plus importants ; chaque fois que la chose a été possible, on reproduit le portrait des fondateurs et fondatrices ; on nous donne aussi des plans ou des photographies des édifices et des lieux principaux. – On ne peut que féliciter tous ceux qui ont collaboré à ce beau travail et leur souhaiter un prompt achèvement d’une œuvre si utile.

II

La rénovation dans l’Esprit [2] est le dernier volet de la trilogie consacrée par le P. Régamey à « redécouvrir la vie religieuse ». Il se propose d’y mettre en lumière la loi du renouveau : la rénovation spirituelle.

L’ouvrage se structure en quatre parties. La première jette un regard sur la vie selon l’Esprit qu’est (ou devrait être) éminemment selon l’auteur la vie religieuse et nous incite à faire prédominer notre « cœur » (au sens profond du terme : la fine pointe de nous-mêmes) sur la raison raisonnante. Dans une deuxième partie, nous sommes invités à « vivre » sans cesse notre mort baptismale au péché pour que s’éveille en nous la vie selon l’Esprit. À cela contribuent simplicité, solitude, silence, ces vertus si peu estimées et moins encore pratiquées aujourd’hui. La troisième partie nous introduit à la construction de l’homme nouveau : il y faut cette conversion profonde, la « metanoia » ; il y faut une initiation (et des gens capables de la donner) ainsi que ces médiations que procurent la régularité religieuse, le sens vrai du symbole, la présence plénière aux gestes que l’on accomplit. Il en résulte cette « stabilité plus ferme dans le genre de vie » que le Concile souhaite pour les religieux.

Dans une quatrième partie, l’auteur met en garde contre l’abus des sciences de l’homme (si utiles lorsqu’on les emploie à leur rang) ; puis il montre combien peu le monde moderne – celui de la science expérimentale et de la technique – accorde à l’esprit la place qui devrait être la sienne. Il explique ensuite l’unité chrétienne de la prière et de l’action ; il en précise le comment et montre le rôle que jouent, dans le respect de la clôture propre à chaque type de vocation, des communautés parvenues à un stade vraiment spirituel.

La conclusion qui couronne cette trilogie rappelle brièvement les caractères essentiels de toute vie religieuse, ceux qui orientent les expériences bénéfiques et interdisent les autres. – Cet exposé ferme, inspiré des meilleures sources de la Tradition, est souvent un austère rappel des exigences de notre vocation ; il se termine néanmoins sur une vision d’espérance.

Choix et discernements de la vie religieuse [3] rassemble les exposés et les échanges de vues de deux sessions ; ils avaient paru dans Forma Gregis en 1970 et 1972. Le premier ensemble traite des choix devant lesquels se trouve la vie religieuse dans un monde sécularisé. Une brève mais utile introduction précise la nature et l’ambiguïté de ce fait de civilisation et son impact sur le chrétien. Un premier chapitre traite de notre présence spirituelle au monde de ce temps, devenue prophétiquement nécessaire, car le scandale aujourd’hui est que le levain ne soit plus en pleine pâte. Les religieux auront en conséquence à repenser en termes nouveaux leur présence au monde : ils devront emprunter le chemin de Nazareth (incarnation au cœur même de l’existence humaine), mais aussi celui de Jérusalem (contestation constructive du monde au nom d’un style de vie chrétienne qui soit significative). Il faut lire ces pages 25-37 et y joindre les réflexions des pages 134-135 sur la pauvreté et la manière de la vivre jadis « sous la forme de l’aumône, à une époque où l’aumône était un statut économique » (idée à creuser) et aujourd’hui, dans un contexte salarial. Autre idée à creuser : « Ce qui me paraît fondamental dans l’obéissance, c’est (qu’elle soit) engagement dans la béatitude du serviteur » (p. 92), l’essentiel étant d’entrer vraiment dans l’œuvre du groupe, non de n’agir qu’avec permission.

La seconde session était consacrée à la formation au discernement spirituel, personnel et communautaire. Cela suppose que l’on vive selon l’Esprit et que l’on apprenne à discerner selon lui : ce n’est pas une technique, c’est « une lente éducation qui unifie la personne dans une perspective, dans une échelle de valeurs » (p. 111), autour des deux pôles de ressourcement que sont la Parole de Dieu (« un long regard sur la vie de Jésus pour pouvoir porter sur toutes choses un regard évangélique » - p. 112) et la fidélité au réel, pour y discerner les besoins profonds du monde dans lequel nous vivons. Appliquant ceci au discernement en Église et en communauté, l’auteur en précise les étapes et les exigences (tels ces deux préalables : un accord de base sur la vocation du groupe et sur sa volonté de chercher ensemble) ; il situe les sciences de l’homme (ce qu’elles peuvent donner, ce qu’elles ne peuvent en aucun cas donner, à savoir la réponse à la question : « Vais-je ou non, avec cette conscience et cette lucidité accrues, construire ma vie selon l’Esprit du Christ ou selon un autre esprit ? », et, en conséquence, la manière prudente de les utiliser).

En conclusion, il esquisse la loi de la croissance spirituelle : celle-ci se réalise dans la vie assumée, dans la liberté qui éprouve et qui choisit, car il n’y a de discernement possible qu’au cœur d’un projet. Dans cette croissance spirituelle, qui va de la perfection désirée à la pauvreté offerte, les crises sont un moment capital : pas de croissance spirituelle sans Pâque vécue, sans mort acceptée avec tout ce qu’elle comporte de douloureux, de dramatique et de risqué.

On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans ces pages : la profondeur de la doctrine spirituelle, sa solidité, son réalisme, le bon sens de l’auteur. Ne serait-ce pas plutôt l’union de ces diverses qualités ? N’en donnons qu’un dernier exemple, la manière dont il situe les religieux dans l’Église, sans déprécier la vie chrétienne laïque ni diminuer les exigences qui s’imposent aux religieux : il invite ceux-ci à apporter leur exemple « humblement, modestement, en complémentarité de l’expérience d’autres baptisés dans le Peuple de Dieu » (p. 52, cf. p. 91).

Devant Dieu et pour le monde [4], tel est le titre significatif que le P. Tillard donne à sa vision du projet des religieux. Pour y voir clair, il importe de nous interroger sur le projet de la vie religieuse et ses bases scripturaires. La preuve a été faite par les exégètes que ni l’épisode du (jeune) homme riche, ni la péricope sur les « eunuques pour le Royaume » ne visent directement et exclusivement la vocation religieuse. Celle-ci n’aurait-elle aucun point d’appui dans l’Évangile ? Si, nous répond l’auteur, car « elle entend rejoindre, en en prenant les moyens, le type de vie radicale réalisé d’abord par le groupe de ceux qui « suivaient Jésus »,... puis par la petite communauté de Jérusalem » (p. 193). Ceci nous vaut un chapitre, riche et plein de réflexions intéressantes, sur la communauté religieuse, lieu de la suite du Christ. Mais cette vie religieuse se situe dans le mystère de l’Église, aussi sommes-nous invités à réfléchir sur les deux pôles de la grâce baptismale pour voir comment la vie religieuse est, pour l’Église, signe prophétique et eschatologique en même temps qu’instrument pour la mission. Ceci se vit sous la « protection vigilante » des pasteurs, remarque qui entraîne un excursus, intéressant autant qu’inattendu, sur l’exemption et son sens théologique.

L’engagement religieux est « voué » : au sens profond, qui est celui de la Tradition, cela ne consiste point en trois vœux distincts et comme séparés, mais c’est, en réponse à un appel, le don total selon une triple modalité qui englobe et signifie la totalité de cette remise de soi. Celle-ci est certes une rupture avec le monde, qui est une manière, différente de celle des laïcs, d’être « pour le monde » et même « avec le monde » sans perdre sa spécificité. Et ceci, note le P. Tillard par manière de conclusion, vaut aussi de la vie contemplative.

Qu’il nous soit permis de soumettre à l’auteur une réflexion suscitée par son travail, dont nous avons admiré l’érudition, la solidité doctrinale et la profonde expérience. Le malaise que l’on ressent devant les recherches d’un fondement scripturaire à la vie religieuse (le trouver dans la communauté de Jérusalem n’y échappe point) ne viendrait-il pas de ce que l’on tente, consciemment ou non, de s’approprier « en exclusivité » une sentence du Seigneur, un épisode du Nouveau Testament ? Ne faudrait-il pas avouer que tous les textes qu’on a mis en avant s’appliquent aussi, mais pas seulement, à la vie religieuse ? Ce serait reconnaître qu’elle est l’une des manières, correspondant à une vocation précise, de vivre et de signifier la richesse incommensurable du Christ, que nul ne peut imiter sous tous ses aspects.

Les fondements évangéliques de la vie religieuse [5] reproduisent les notes du cours professé en 1971-1972 à l’Institut Jesus Magister par le Fr. Michel Sauvage : il prend comme point de départ l’article du P. Tillard sur « Le fondement évangélique de la vie religieuse [6] ». Le Fr. Sauvage, dans une recherche détaillée, met bien en lumière que la doctrine qui oppose les trois « conseils évangéliques » aux « préceptes » a le très grand désavantage de tendre à déprécier la condition chrétienne (il y a danger, dans ce sens, à insister trop sur le radicalisme qui serait propre à la vie religieuse, note-t-il en passant). De plus, la fixation sur les trois vœux qui en est résultée a eu des effets dommageables. Le Fr. Sauvage en relève surtout un : l’introduction, par ce biais, d’une dichotomie entre la vie religieuse « en général » et la fin « particulière » de l’Institut, avec une tendance à reléguer celle-ci à la seconde place.

Ces pages, claires, solides et bien documentées, se recommandent à qui veut étudier les fondements évangéliques de la vie religieuse et l’enjeu des diverses positions que l’on prend en cette matière.

La crise par laquelle passent aujourd’hui Ordres et Congrégations serait-elle le signe qu’ils représentent une forme condamnée à disparaître ? Les auteurs de Travail, amour, politique [7] ne le croient pas, même si le P. Thomas estime que la vie religieuse, pour garder ou retrouver son sens, devra accepter de profonds changements. Pour découvrir la signification dernière de la vie religieuse, l’auteur étudie la triple rencontre qui jalonne toute vie humaine : chacun est affronté à ses limites, il peut tenter de se les masquer en s’accrochant à la richesse sous toutes ses formes ; être nécessairement social, il se trouve en face de la différence irréductible de l’autre (manifeste dans la différenciation sexuelle), au lieu de s’ouvrir à l’amour, il peut se refermer sur lui-même dans l’isolement orgueilleux ou dans l’exploitation d’autrui ; tous ensemble enfin, nous rencontrons le problème de l’avenir qui nous est confié, ce qui est par excellence le domaine du politique. A ces trois niveaux, les vœux de religion droitement vécus – les déviations sont, hélas, possibles – fournissent, nous dit l’auteur, la réponse typiquement chrétienne aux problèmes que nous posent ces réalités, bonnes en soi, mais dont nous avons tendance à mésuser.

Vus dans cette lumière, il est évident que les vœux ont un sens non seulement pour ceux qui les prononcent, mais pour les autres chrétiens et le monde dans son ensemble : « ce qui, dans l’Église, doit être vécu par tous, doit être signifié par quelques-uns » (p. 191).

Le livre se termine par un chapitre sur la prière, où le P. Thomas précise sa spécificité (« Prier, c’est autre chose qu’agir. On ne le dira jamais assez énergiquement. ») et montre sa nécessité dans toute vie chrétienne. Un laïc, P. Griollet, conclut chaque chapitre par une méditation simple et priante.

Ce bref résumé suffit à montrer l’intérêt de ces pages, riches en notations profondes : elles ne peuvent laisser indifférent, suscitent de fructueux examens de conscience (sur la pratique d’une pauvreté réelle, par exemple) et ouvrent la voie à un approfondissement de la vie de foi, fondement de toute vie chrétienne. Pourtant, il nous faut bien reconnaître qu’elles nous laissent une certaine insatisfaction, spécialement celles sur l’obéissance. Serait-ce dû seulement au vocabulaire aussi désacralisé que possible délibérément choisi par l’auteur ? Nous craignons que ce ne soit plus profond. Est-ce seulement dans la mesure où il signifie la rupture, nécessaire pour tout chrétien, avec le monde du péché, que le triple renoncement des voeux est la réponse typiquement chrétienne en face de réalités bonnes dont nous avons tendance à mésuser ? N’est-il pas aussi, et plus profondément, annonce d’un salut de ces mêmes réalités, salut qui les dépasse tout en les portant à leur plénitude humaine ? Nous eussions souhaité que l’auteur accorde plus d’importance à cet aspect, où la complémentarité des vocations chrétiennes (laïcat et vie religieuse) apparaît dans toute sa clarté. Cela aurait valorisé davantage encore ces pages, déjà très riches.

III

Dans Les chrétiens et le monde [8], R. Minnerath se propose de faire la synthèse des recherches sur l’attitude des chrétiens, aux deux premiers siècles, devant cette réalité complexe qu’est le monde. L’étude des divers domaines l’amène à une constatation identique : il n’y a, de la part des fidèles, ni acceptation pure et simple, ni rejet systématique, ni condamnation a priori, ni fuite devant le monde, ni repli en ghetto, mais une attitude critique commandée par leur foi et ce qu’elle leur révèle de la vraie destination assignée à notre monde.

Aussi les chrétiens nomment-ils l’univers « cosmos » (avec les Grecs) ou « cieux et terre » (avec les Juifs), mais ils rejettent le dualisme gnostique et brisent le temps cyclique des mythes grecs. Dans l’Orbis romanns et sa Pax romana, ils voient à la fois une préparation providentielle à la diffusion de l’Évangile et un danger, celui d’absolutiser ces réalisations. Soumission donc à l’autorité (jusqu’au payement joyeux de l’impôt), mais refus, pouvant aller jusqu’au martyre, des gestes idolâtriques qu’elle requiert. Devant l’aspect monolythique du système de culture mis au point par les Grecs, ce n’est que peu à peu qu’on arrivera à en dégager la sagesse providentiellement léguée à l’Église. Le cadre extérieur qui s’offre à lui, le chrétien ne songe pas d’abord à le modifier, mais, par sa morale christocentrique, par l’agapè qui lui fait accomplir la loi mosaïque et dépasser les exigences de la loi naturelle, il lui insuffle un nouveau principe de vie qui entraîne la métamorphose spontanée de ce cadre.

Aussi l’auteur peut-il conclure que la clef du paradoxe chrétien consiste à changer l’esprit tout en acceptant les structures nécessaires : s’il admet celles-ci (y compris l’esclavage), le chrétien refuse néanmoins d’entrer dans la logique du « monde », de ce monde dont la vision est l’antithèse de la volonté salvifique de Dieu.

À cette belle étude, on sera reconnaissant d’avoir aussi clairement mis en lumière que l’attitude « aussi éloignée de l’esprit de résignation passive que de l’esprit de négation absolue et dissolvante » (p. 323) face au monde a été l’attitude chrétienne comme telle durant ces deux premiers siècles. C’est un point à ne pas oublier lorsqu’on étudiera, dans les siècles postérieurs, la « fuite du monde » des religieux et « l’insertion dans le monde » des laïcs : les uns et les autres auront à se rappeler qu’ils restent les héritiers de ces premiers chrétiens et de leur attitude, positive et critique, en face de cette réalité complexe : le monde.

Sous le titre La vie religieuse est-elle aujourd’hui évangélisatrice ? [9] sont rassemblés trois exposés faits dans le cadre de la rencontre des Supérieurs Généraux, près de Rome, en mai 1974. Le Fr. V. Ayel, F.S.C., traite des exigences évangélisatrices dans la vie religieuse en acte ; plutôt qu’à des considérations d’ordre essentiel, il a préféré consacrer son exposé, clair et lucide, aux exigences concrètes de la Sequela Christi : suivre le Christ, c’est être présent au monde pour le servir, réaliser la koinonia (fraternité), continuer l’annonce du vrai Dieu tel que Jésus le fait connaître. Le P. P. Arrupe, S.J., s’interroge sur l’avenir de la vie religieuse et présente les résultats de l’enquête faite sur ce point auprès des Supérieurs généraux, masculins et féminins. On prendra connaissance avec intérêt des points qui leur donnent du souci, mais aussi des raisons d’espérer qu’ils perçoivent. A notre avis, une place de choix doit être faite à la communication de P. G. Cabra, de la Sainte Famille de Nazareth : c’est une analyse pleine de finesse et de réalisme de la situation actuelle de la vie religieuse quant à sa force évangélisatrice (on y trouve notamment, en un dizaine de lignes, l’esquisse d’un remarquable diagnostic sur les petites communautés).

Concernant Les religieux et l’évangélisation, la Conférence Religieuse Canadienne nous offre trois volumes complémentaires [10]. Deux fascicules stencilés sont des documents de travail : le premier reproduit les rapports, pris à la volée, des tables rondes de mars 1974, l’autre fournit un dossier d’une quarantaine de textes. S’ajoute à ces documents le volume de la collection « Donum Dei » qui rassemble les études et témoignages de l’Assemblée générale tenue à Ottawa en mai 1974. L’exposé de L. Boisvert est remarquable : il montre que l’amour gratuit et miséricordieux est évangélisateur et nous invite, avec beaucoup de réalisme, à le pratiquer d’abord dans nos communautés. Ensemble utile sur une question à l’ordre du jour.

Engagement et fidélité en des temps incertains [11] reproduit les sept exposés du Fr. V. Ayel, F.S.C., à la session de Forma Gregis de mars 1974. La première partie nous invite à regarder le monde et l’homme d’aujourd’hui pour nous rendre compte des raisons qui rendent l’engagement psychiquement plus onéreux et font que « la fidélité n’est pas la vertu de notre temps » (Paul VI). Une seconde partie est une réflexion anthropologique à la recherche du sens de l’engagement (propriété constitutive d’une existence spécifiquement humaine) et de la fidélité (qui n’est ni spontanéité pure, ni simple constance formelle). La troisième partie s’efforce d’établir les priorités d’une action chrétienne possible : elle nous rappelle que le premier à s’engager, c’est Dieu, ce que nous faisons n’est qu’un « engagement-réponse » à être fidèle au « Dieu qui vient », fût-ce dans l’inattendu. En conclusion, quelques directives sont données pour la situation présente. Basées sur une saine théologie et une psychologie bien au courant des problèmes et des situations, ces pages sont éclairantes : dans leur modestie et leur fermeté, elles font mieux que donner « la » solution (nécessairement illusoire) à ces problèmes ; elles aident chacun à trouver et à « faire » la vérité, seule manière de répondre à la fidélité de Celui qui a pris l’initiative de nous appeler.

Le travail du Fr. Dominique Samne, F.S.C. « La pauvreté religieuse en contexte de sous-développement. Le Frère des Écoles Chrétiennes en Haute-Volta [12] », mémoire de licence en catéchèse et pastorale présenté à l’Institut Lumen Vitae (Bruxelles), nous a paru fort bien mené. Une première partie dégage les caractéristiques de la pauvreté lasallienne d’après la vie, les écrits et les réalisations du Fondateur ainsi que les documents récents de l’Institut : la pauvreté du Frère est une attitude d’écoute de Dieu qui envoie vers le pauvre pour assurer sa promotion humaine et sa formation chrétienne par l’éducation. Une seconde partie étudie la réalité voltaïque et constate l’inadaptation de l’école traditionnelle aux problèmes à résoudre en ces milieux à très forte prédominance agricole. Comment témoigner, en Haute-Volta, de la valeur évangélique de pauvreté ? En ce pays (et le cas est loin d’être unique), se faire religieux, c’est souvent sortir de la pauvreté-misère de ceux qui vous entourent. Mais y revenir ne serait pas se mettre vraiment au service de ceux qu’il faut au contraire aider et stimuler pour qu’ils sortent de cette condition infra-humaine. Pour être témoignage évangélique, la pauvreté religieuse ne doit donc pas devenir une « vie comme » le pauvre, mais bien une « vie pour le pauvre et avec lui ». Ceci s’applique aussi au difficile problème des rapports avec la famille, souvent plus pauvre que le religieux. L’attitude que nous devons prendre se fonde en dernière analyse sur la reconnaissance, devant Dieu, de notre pauvreté foncière : c’est à pareille profondeur que s’enracine le vœu, il consacre une attitude nécessaire à la vie religieuse. Toutefois l’auteur suggère, pour éviter les ambiguïtés du terme pauvreté en contexte de sous-développement, de faire « vœu de chasteté, obéissance et service ». Il est possible que ceci puisse se comprendre et se vivre d’une manière qui ne change strictement rien aux exigences fondamentales de la vie religieuse (c’est l’avis du Frère), nous avouons toutefois que nous ne le suivrions pas volontiers dans cette dernière suggestion, malgré l’estime que nous avons pour son travail, éclairant et bien mené.

Discernement spirituel et délibération communautaire [13] se présente comme un instrument de travail. Pour un vrai discernement communautaire certains préalables sont indispensables. D’où la nécessité d’étudier séparément trois étapes qui s’imbriquent. Si la communauté n’est pas composée de personnes déjà ouvertes à la pratique du discernement dans leur propre vie, il est vain d’espérer que les réunir suffise à les rendre capables de le réaliser en groupe. Il faut d’abord que chacun s’efforce d’atteindre une vraie liberté intérieure. Deuxième étape : le groupe doit être devenu une communauté de « communion », où chacun a ressenti, par son propre cheminement, le besoin de progresser dans et avec la communauté. Troisième étape : composée de membres ayant appris le discernement dans leur propre vie, la communauté de communion peut, lorsque la décision à prendre relève de ce genre de recherche et mérite ce très gros effort, pratiquer un vrai discernement communautaire. – Par leurs remarques concrètes, fruit de l’expérience, par leur sain réalisme aussi, ces pages aideront ceux qui veulent s’efforcer de discerner la volonté de Dieu sur leur vie et celle de leur groupe, même s’ils n’ont pas encore atteint le stade du discernement communautaire proprement dit.

Les deux recueils de conférences de Mgr Bloom [14] publiées par l’Abbaye Sainte-Gertrude ont un contenu riche et varié. Dans Les relations au sein de la communauté on trouve, bien sûr, de pertinentes réflexions sur les deux solidarités qui s’opposent irrémédiablement (notre solidarité humaine d’êtres de chair et de sang, notre divine solidarité en Jésus-Christ) et sur leurs conséquences pour une authentique communauté chrétienne et religieuse. Mais on nous parlera aussi (et fort bien) d’action et de contemplation et même du péché originel. Vous y découvrirez encore en quelques lignes une remarquable mise au point de la place du moine dans l’Église : pas un super-chrétien, mais un chrétien qui exprime la réalité de l’Église selon une voie particulière répondant à la diversité des vocations et des cheminements de l’Esprit Saint (cf. p. 18). Si vous parcourez L’expérience de la foi, d’intéressantes réflexions sur celle-ci se verront complétées par des excursus sur ce qu’est un vrai « père spirituel », sur la Mère de Dieu, le sacrement de pénitence, l’obéissance religieuse, le problème de la « minorité » dans les réunions communautaires, etc. A qui accepte de mettre en veilleuse son amour pour une logique cartésienne, la richesse de ce cheminement déroutant à première vue se révèle peu à peu.

Ce que Nouveaux ministères et appartenance religieuse [15] veut nous présenter, ce sont surtout les problèmes liés à l’entrée massive des religieux et religieuses du Québec dans la vie professionnelle, avec ses conséquences pour la vie des communautés. Ces textes sont intéressants par les questions qu’ils posent, sinon toujours par les solutions qu’ils donnent ou suggèrent. A les lire on se convaincra qu’il s’agit bien « de la survie même de la vie religieuse » en ce pays ; l’on pourra sans doute en tirer d’utiles leçons pour d’autres contrées où un phénomène analogue en est à ses débuts.

IV

Livre de vie monastique [16] nous présente, en cinquante petits chapitres d’une simplicité admirable, la règle selon laquelle un groupe de moines s’efforce de vivre aujourd’hui l’inspiration de la règle bénédictine. « Être moine » précise qu’il s’agit, en réponse à l’appel du Christ, de mener dans la solitude une vie de prière selon l’Évangile. « Comment vivre en moine » traite de la vie en communauté et des frères ermites, ainsi que du Père (qui, dans le groupe, est au service de tous). Suit une description de l’insertion dans l’Église et le monde de moines qui veulent rester tels. Quatre chapitres traitent ensuite de l’initiation à cette vie et de la persévérance en elle. – Équilibrées et lumineuses, ces pages nous ont frappé surtout par leur robuste santé chrétienne : à une époque où tant d’autres se torturent la cervelle pour tout remettre en question, il est réconfortant de voir des fidèles se mettre tout bonnement à l’œuvre pour vivre l’appel du Christ : dans sa simplicité, ce témoignage est sans doute l’un des grands services que ces moines rendent à l’Église et au monde d’aujourd’hui.

Sentier de vie [17] est une présentation de la richesse de vie contenue dans la Règle de saint Benoît, par un auteur fermement convaincu de son actualité. C’est ce que montrent ces pages, ouvertes certes à l’ aggiomamento nécessaire, mais plus encore centrées sur l’essentiel : « chercher Dieu en toute vérité ». Ne serait-ce point parce qu’on a trop facilement accepté des novices qui n’étaient point « empressés à l’œuvre de Dieu » que tant parmi eux n’ont pas persévéré ? Et les moines qui l’ont fait n’auraient-ils point leur part de responsabilité dans les critiques que l’on adresse aujourd’hui à leur genre de vie ? L’auteur le croit et met le doigt sur la plaie : il s’agit toujours d’un manque d’authenticité. Allant à l’essentiel, ces instructions nous mettent devant les yeux la vraie figure du moine, pour qu’on la vive. On aimera particulièrement les pages sur l’obéissance et celles, corrélatives, sur l’abbé : celui-ci est d’abord un moine, père d’une famille monastique, chef religieux d’une maison de prière et, en quatrième lieu seulement, chef d’une collectivité humaine. Aux premiers aspects, essentiels à sa mission, répond l’obéissance religieuse de ses moines ; au dernier, le plus accidentel par rapport au but de la vie monastique, correspond un rapport de confiance qui donnera sa dimension « humaine » à l’obéissance dans ce domaine. Cette distinction nous a paru aussi éclairante que généralement oubliée : trop de discours sur l’obéissance ne parlent en fait que du bon ordre qui doit régner dans « l’entreprise » humaine qu’est aussi une communauté religieuse. C’est passer à côté de l’essentiel. On sera reconnaissant à dom Braso de nous avoir rappelé cet essentiel, ici et en bien d’autres domaines.

Sous le titre Dieu premier servi [18], qui résume d’un mot le propos de la règle bénédictine, l’Abbé général de Cîteaux nous livre une série de conférences sur cette règle. Il en étudie les différents points : sens de la vie monastique, dont l’Évangile est la règle suprême, place de la purification et des observances, présence à Dieu, surtout dans la prière, obéissance, l’Abbé et ses coadjuteurs, la communauté, le moine et le sacerdoce. Ces exposés seront utiles à ceux et celles qui cherchent une doctrine spirituelle ayant fait ses preuves.

Dans L’échelle de Jacob [19], dom Deseille, très bien informé sur le monachisme tel qu’il se vit en Orient et en Occident, s’efforce de nous présenter une synthèse de leurs traditions à partir de leur racine commune. Le dessein de Dieu est de nous faire participer, dans son Fils incarné, à sa propre vie divine (c’est le thème de la « déification », à juste titre si cher à la spiritualité orientale). Pour que croisse en nous le germe déposé par les sacrements, notre collaboration à la grâce est requise. Pour arriver à la pureté du coeur, porte de la contemplation, la voie offerte par la vie monastique nous fait passer par les trois grands renoncements de l’état religieux (les trois voeux), qu’il ne faut cependant pas isoler des autres observances : solitude, ascèse corporelle, vie de silence et de prière. Tout cet ensemble contribue à en faire un chemin vers la perfection chrétienne.

Ce qui nous a paru le plus enrichissant, au moins pour les Occidentaux que nous sommes, ce sont les renseignements que ces pages nous donnent sur les manières de faire et de penser orientales : sans être des recettes toutes faites, elles peuvent nous aider et nous faire réfléchir.

Regards sur la tradition monastique [20], du même auteur, réunit trois séries de conférences. L’une traite du pluralisme dans la vie monastique, l’autre recherche l’influence des sources orientales sur la Règle de saint Benoît, la troisième s’efforce de dégager l’apport doctrinal et spirituel du monachisme oriental. Dans cet ensemble de valeur, relevons plus particulièrement l’échange de vues qui a suivi le premier entretien : on y admirera la discrétion, la sagesse, le sens de la mesure des réponses de l’auteur. On sera intéressé aussi par la troisième conférence. Le P. Deseille y marque bien le danger qu’il y aurait à « orientaliser » par emprunt de pièces détachées, isolées du principe théologique qui est à la base de la conception orientale : celui de la compénétration, dans le Christ, de ses deux natures : il en résulte une « déification » de la nature humaine (en Jésus d’abord, puis en tous ceux qui entrent en contact vivifiant avec son humanité glorifiée par la foi et les sacrements). Aussi l’ascèse orientale, pour rigoureuse qu’elle soit, ne provient pas (sauf déviations toujours possibles) d’un mépris du corps, mais du désir de le rapprocher dès ici-bas de ce qui sera son état glorieux [21].

L’esprit du monachisme pachômien [22] réunit deux parties : la première est une présentation de l’esprit de ce monachisme par dom Deseille : saint Pachôme fut le premier législateur du cénobitisme et son influence s’est étendue, à travers Cassien qui s’en inspire, jusqu’à la Règle de saint Benoît, charte du monachisme occidental. Ceci montre l’intérêt que présente pour nous l’étude de cette forme de vie « remarquablement équilibrée où l’inspiration charismatique et l’héritage spirituel du désert s’allient heureusement avec une organisation déjà très mûrie » (p. V). Aussi sera-t-on reconnaissant à dom Deseille de nous introduire à cette oeuvre dont les moines de Solesmes nous donnent, dans la seconde partie, la traduction française.

Les rituels orientaux de la profession monastique [23] étudient cinq traditions (byzantine, arménienne, syrienne-occidentale, chaldéenne, copte) et y ajoutent, en annexe, le rituel maronite de l’admission au noviciat d’après la traduction de G. Mahfoud. Parmi les conclusions de cette recherche menée sur les textes, la plus importante est que ces rituels ne privilégient pas, comme nos formules le faisaient jusqu’il y a peu, la dimension d’engagement personnel du moine ou de la moniale par ses voeux, mais mettent en valeur sa consécration liturgique. – Parfois un peu technique, cette recherche représente un apport enrichissant.

Repris pour la plupart de La Vie Spirituelle, les chapitres du livre Les nomades de Dieu [24] exaltent la merveilleuse et austère liberté des hommes et des femmes « fascinés par l’Unique, possédés par l’Unique, déjà assis à la Table du Banquet » (p. 9). Dans une Église qui retombe sans cesse dans la tentation de trop organiser (et les Occidentaux que nous sommes y succombent volontiers), ces pages sont un utile rappel de la liberté qui vient de l’Esprit et du prix qu’il faut payer ce don. Le premier chapitre nous a paru le meilleur.

V

Un corps pour l’Esprit [25] est une présentation génétique des Constitutions de la Compagnie de Jésus. Un premier chapitre compare les Exercices et les Constitutions et nous fait apparaître les secondes comme une institutionalisation réussie (parmi d’autres possibles) du charisme des premiers. « La conversion de la personne n’est pas plus aisée que celle du groupe qui s’organise. L’une et l’autre demandent, dans la force de l’Esprit, de ne pas s’arrêter en chemin » (p. 40). C’est bien ce que révèle le plan des Constitutions : elles sont une tentative pour présenter un cheminement d’incorporation totale, au double sens du mot corps : le candidat doit s’intégrer au corps social qu’il contribue à faire exister, mais il doit aussi et d’un même mouvement apprendre à devenir son propre corps. Aussi les formes de la vie religieuse sont-elles des moyens (et non des moyens indifférenciés, comme si n’importe lequel pouvait mener à n’importe quelle fin). Sans cette claire vue, « il est inopérant de chercher davantage : on replâtrera » (p. 96) au lieu de renouveler dans la fidélité. « Toute la difficulté réside dans cet apprentissage de l’incarnation » (p. 126), application du principe ignatien « monter pour descendre » (p. 94 ; souligné par l’auteur). Malgré les heurts que cela implique nécessairement, on ne se passe jamais de moyens, mais pour servir, ils doivent être acceptés pour ce qu’ils sont : ce qui est bon et indispensable pour l’apprenti peut cesser de l’être pour le compagnon mûri. Ignace en témoigne particulièrement en matière d’obéissance. Cette vertu dans laquelle le Fondateur souhaite que tout jésuite excelle est-elle conçue dans la ligne « ascéticomystique » (« perinde ac cadaver ») ou dans la ligne de la mission ? Le génie d’Ignace, note le P. Bertrand, réside dans la conciliation qu’il propose entre ces deux lignes : c’est dans l’incorporation progressive du candidat qu’on lui présente l’obéissance « aveugle » ; la Partie VII, elle, exprime le noyau de la conception ignatienne : l’« obéissance-besoin ». A un moment où beaucoup estimaient que la papauté ne servait plus à rien, Paul III a vu venir à lui des hommes qui, sincèrement, avaient besoin de lui, des hommes qui incarnaient ainsi leur désir universel : tel fut leur acte de foi original. Ainsi orientée, l’obéissance-préparation reste indispensable pour mener et ramener à l’obéissance-besoin sans laquelle aucune vie de compagnon n’est authentique, car « pour Ignace l’obéissance est d’abord une chance avant d’être une vertu » (p. 151 ; souligné par l’auteur).

Une phrase résume bien la thèse et les arguments des trois dernières parties : « la communauté ne devient corps qu’en osant se donner une tête » (p. 185). La description qu’Ignace en donne fait resplendir « ce sans quoi la Compagnie ne serait qu’une machine humaine bien huilée :... le supérieur, symbole de ce que chacun est, signe efficace (car il y a en lui un pouvoir d’efficacité) pour que chacun soit ce qu’il veut être » (p. 202-203).

On ne peut que remercier l’auteur de ce beau livre de nous avoir si bien montré que « les Constitutions non seulement rencontrent des problèmes brûlants de la vie religieuse d’aujourd’hui, mais les éclairent » (p. 226). Il a, de la sorte, rendu service à ceux et celles dont la spiritualité s’inspire de celle de l’Ordre fondé par Ignace de Loyola et, plus largement, à tous ceux qui en seront aidés à entreprendre un travail analogue pour leur propre Institut.

L’itinéraire évangélique de saint Jean-Baptiste de La Salle et le recours à l’Écriture dans ses « Méditations pour le temps de la retraite » [26], thèse de doctorat du Fr. M. A. Campos-Marino, F.S.C., comporte deux parties : l’itinéraire évangélique du Fondateur tel qu’il ressort de sa vie et des écrits autobiographiques et celui que les Méditations pour le temps de la retraite propose aux Frères. De part et d’autre, on trouve un cheminement attentif à la vie concrète, l’itinéraire évangélique d’un homme qui se situe devant Dieu et le prend pour unique point de référence, et, en conséquence, un itinéraire de participation au mystère du Christ.

Effort intelligent et couronné de succès dans le retour aux sources de l’inspiration lasallienne, le travail du Fr. Campos-Marino s’inscrit aussi dans une recherche plus vaste : celle des fondements évangéliques de la vie religieuse. La conclusion de l’auteur, à laquelle sa thèse apporte de sérieux arguments, est que l’on aurait profit à ne pas s’attarder à chercher des « fondements évangéliques » à la vie religieuse « en général » ; il serait plus profitable de porter son attention sur l’expérience concrète du jaillissement évangélique d’une forme de vie religieuse : on y retrouve l’Évangile en acte et la manière dont l’Esprit en fait percevoir une richesse cachée, en réponse à un besoin du temps. On y découvre la primauté de l’élan, sa nécessaire structuration et la liberté créatrice à l’oeuvre dans cette structuration même. Ceci ouvre d’intéressantes pistes de recherche pour un renouveau des Instituts dans la fidélité au charisme des fondateurs.

Voyants de Dieu dans la cité [27] est composé d’extraits des Lettres aux Fraternités en réponse aux questions concernant leur vie religieuse et leur mission évangélisatrice. L’auteur a pensé, à bon droit, que ces textes pourraient en aider d’autres à résoudre les problèmes analogues auxquels ils ont à faire face. Une première partie rassemble une trentaine de brèves réflexions provoquées par des événements ou des situations particulières. La seconde section est prise d’un exposé sur la vie religieuse telle que la vivent les Petits Frères de l’Évangile, écrit en préparation à leur Chapitre général. La troisième partie, extraite d’un travail plus important (la « Lettre 32 »), s’efforce de donner aux Petits Frères des directives dans la question brûlante des rapports entre Évangile et politique. Le P. Voillaume est conscient qu’il aurait été préférable, en théorie, de laisser mûrir « les problèmes doctrinaux qui se trouvent engagés là, et qui exigent un long approfondissement » (J. Maritain) ; mais il sait aussi que les chrétiens d’aujourd’hui « n’ont pas le temps d’attendre, car ils n’ont que quelques années pour réaliser leur tâche d’homme et de chrétien » (p. 206). – On lira avec intérêt ces pages, où une doctrine spirituelle à la fois neuve et traditionnelle s’allie à un courageux bon sens.

On doit une très grande reconnaissance à ceux qui ont recueilli et choisi, parmi les écrits de Madeleine Delbrêl, les textes de Communautés selon l’Évangile [28], car ils nous introduisent au cœur même de ce qui fut sa vie : une vocation à « rester de « simples » filles de l’Église, qui vivent, dans le monde et à la face du monde, une vie de consacrées à Dieu » (Mgr Veuillot). Vocation paradoxale, car ce dont ont besoin de pareils groupes, « c’est qu’on les garde de ce qui les empêcherait d’être entièrement dans le monde, comme ils ont besoin qu’on veille sur eux pour les garder de ce qui les ferait du, monde » (M. Delbrêl ; souligné par elle). Parce qu’à cette profondeur de l’appel toutes les consécrations se rejoignent, ces pages admirables, toujours denses, parfois abruptes, sont un stimulant pour tous les consacrés. L’on ne lira pas sans intérêt, par exemple, ce que M. Delbrêl dit des ruptures fondamentales requises par l’état de chrétien et de leur place, qui se situe avant les ruptures demandées par telle ou telle forme de vie (sacerdoce, vie religieuse, etc.). On appréciera aussi le réalisme de cette réflexion sur les jeunes : « La première exigence de l’unité d’un groupe vis-à-vis des jeunes, c’est d’écouter les messages dont ils sont les antennes vivantes. Mais, si les jeunes sont des antennes, leur vocation n’est pas forcément – je dirais même jamais, si on veut leur bien – dans l’immédiat, celle de réformateurs » (p. 76). Ce que nous voudrions mettre en exergue de façon toute spéciale, car il est rare de trouver des pages aussi profondes et aussi vraies, c’est ce que M. Delbrêl dit de l’obéissance, dont elle n’hésite pas à écrire : « une obéissance sans mystère est une discipline d’hommes : elle n’est pas le mystère de l’obéissance » (p. 134 : les p. 126-139 sont à lire en entier) et la page qu’elle écrivit en 1957 sur la prière : c’est un petit chef-d’œuvre.

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B-3030 HEVERLEE, Belgique

[1Dizionario degli Istituti di Perfezione, sous la direction de G. Pellicia et G. Rocca. Vol. I : Aa-Camaldoli. I-00185 Roma, D.I.P. (via Domenico Fontana 12), 1974, 29 x 21, XXXIV p. et 1728 col., nombr. ill., 14 h.-t., 38.000 lires.

[2P.-R. Régamey, o.p. La rénovation dans l’Esprit (Redécouvrir la vie religieuse, III). Coll. « Problèmes de vie religieuse », 36, Paris, Éd. du Cerf, 1974, 20 x 14, 296 p., 33 FF. – Voir Vie consacrée, 1969, 368 (T. I) et 1971, 108 (T. II).

[3M. Rondet, s.j. Choix et discernements de la vie religieuse. Coll. « Problèmes de vie religieuse », 37. Paris, Éd. du Cerf, 1974, 20 x 14, 232 p.

[4J. M. R. Tillard, o.p. Devant Dieu et pour le monde. Le projet des religieux. Coll. « Cogitatio fidei », 75. Paris, Éd. du Cerf, 1974, 22 x 13, 460 p.

[5Lasallianum. Bulletin semestriel d’information et de liaison, n° 16. Roma, Communauté des Étudiants (Via Aurelia 476), 1973, 24 x 17, 212 p. – Parmi les numéros encore disponibles de ce bulletin, signalons : N° 2 : M. Sauvage, f.s.c. La vocation de Frère-enseignant (2e éd.), 1965. N° 6 (avec une étude sur « Le charisme du Fondateur »), 1968. – N° 10 : Le célibat consacré, 1968. – N° 15 : I. Mengs Calle. Oración y presencia de Dios según San Juan Bautista de La Salle, 1970. – N° 15 : O. Würth, F.S.C. La pédagogie de Jean-Baptiste de La Salle.

[6Nouvelle Revue Théologique, 91 (1969), 916-955. Cet article est repris en substance dans le livre signalé à la note 4 (chapitre III).

[7J. Thomas, s.j., et P. Griolet. Travail, amour, politique. Coll. « Discernement ». Paris-Tours, Marne, 1974, 22 x 14, 232 p.

[8R. Minnerath. Les chrétiens et le monde (Ier et IIe siècles). Paris, Gabalda, 1973, 24 x 16, XII-352 p.

[9V. Ayel, P. G. Cabra, P. Arrupe. La vie religieuse est-elle aujourd’hui apostolique ? Athis-Mons, Foi et Langages, 1974, 30 x 21, 54 p., 8 FF.

[10Les religieux et l’évangélisation. I. Rapport des « Tables rondes ». II. Documents et témoignages. 2 vols, Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1974, 28 x 21, 50 et 116 p., $ 1.20 et 2.25. – Les religieux et l’évangélisation du monde. Coll. Donum Dei, 21. Ibid., 23 x 15, 155 p., $ 2.75.

[11V. Ayel, f.s.c. Engagement et fidélité en des temps incertains. Athis-Mons, 1974, 21 x 14, 112 p., 12 FF (tirage à part de Forma Gregis, 1974, n° 3).

[12Dans Lasallianum, n° 17 (1973) 79-221 (cf. note 5).

[13A. Ducharme, s.j. Discernement spirituel et délibération communautaire. Coll. Vita evangelica, 7. Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1974, 18 x 11, 194 p., $ 2.50.

[14Mgr A. Bloom. Les relations au sein de la communauté (1971). – L’expérience de la foi (1972). 2 vols, Leuven, Abbaye Sainte-Gertrude, 1974, 27 x 21, 72 et 64 + 33 p.

[15Nouveaux ministères et appartenance religieuse. Coll. Donum Dei, 20 Ottawa, Conférence religieuse canadienne, 1973, 23 x 15, 140 p., $ 2.50.

[16Livre de vie monastique. Nelle éd. Laurac-en-Vivarais (F-07110 Largentière), Monastère La Demeure Notre Père, 1973, 21 x 15, 124 p.

[17G. Braso, o.s.b. Sentier de vie. Coll. « Vie monastique », 2. Bégrolles-en-Mauge, Abbaye de Bellefontaine, 1974, 21 x 15, 198 p.

[18S. Kleiner, s.o.cist. Dieu premier servi. Entretiens spirituels sur la Règle de S. Benoît. Paris, Téqui, 1974, 22 x 15, 370 p.

[19Pl. Deseille, o.c.s.o. L’échelle de Jacob et la vision de Dieu. Spiritualité monastique. Aubazine (F-19190 Beynat), Monastère de la Transfiguration, 1974, 21 x 14, 128 p., 22,30 FF.

[20Pl. Deseille, o.c.s.o. Regards sur la tradition monastique. Coll. Vie monastique, 3. Bégrolles-en-Mauge, Abbaye de Bellefontaine, 1974, 21 x 15, 228 p.

[21Pl. Deseille, o.c.s.o. L’esprit du monachisme pachômien. Coll. « Spiritualité orientale », 2. Ibid., 1974, 21 x 15, 122 p.

[22Ne pourrait-on trouver ici l’amorce d’une réflexion qui resterait fidèle au meilleur de la tradition orientale sans se croire obligée de garder « la supériorité objective de la vie monastique » (p. 14) ? L’état glorieux des corps ressuscités serait-il seulement le fruit de nos privations ?

[23P. Raffin, o.p. Les rituels orientaux de la profession monastique. Même collection, 3. Ibid., 1974, 182-19-XV p.

[24L.-A. Lassus. Les nomades de Dieu. Coll. « L’Évangile au vingtième siècle ». Paris, Éd. du Cerf, 1974, 20 x 13, 124 p.

[25D. Bertrand, s.j. Un corps pour l’Esprit. Essai sur l’expérience communautaire selon les Constitutions de la Compagnie de Jésus. Coll. Christus, Études, 38. Desclée De Brouwer, 1974, 20 x 13, 240 p., 32 FF.

[26M. A. Campos-Marino, f.s.c. L’itinéraire évangélique de saint Jean-Baptiste de la Salle et le recours à l’Écriture dans ses Méditations pour le Temps de la Retraite. Vol. I-II. Coll. Cahiers lasalliens, 45 et 46. Rome, Maison Saint Jean-Baptiste de La Salle, 1974, 23 x 17, XII-392 et 392 p.

[27R. Voillaume. Voyants de Dieu dans la Cité (Lettres aux Fraternités, IV). Coll. « L’Évangile au XXe siècle ». Paris, Éd. du Cerf, 1974, 20 x 14, 256 p., 29 FF.

[28M. Delbrêl. Communautés selon l’Évangile. Paris, Éd. du Seuil, 1973, 21 x 14, 190 p.

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