Chronique d’Ancien Testament
Jean-Louis Ska, s.j.
N°1975-1 • Janvier 1975
| P. 46-58 |
Parmi les livres que les éditeurs ont eu l’obligeance d’envoyer cette année à la revue, présentons tout d’abord ceux qui nous ont paru plus importants.
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La Table pastorale de la Bible [1], de G. Passelecq et F. Poswick, est un ouvrage attendu depuis longtemps. Il s’agit d’une sorte de concordance de toute la Bible en langue française. Plus de 9.000 articles regroupent, chacun sous un mot, les passages qui s’y rapportent. Cette Table permet deux démarches : retrouver un verset dans la Bible à partir des mots qui le composent, ou bien se faire une idée de ce que dit l’Écriture sur un thème particulier. Analytique, la Table mentionne tous les versets où le mot-vedette de l’article est cité littéralement et, analogique, elle renvoie également aux endroits qui sont apparentés au thème, mais qui ne contiennent pas le mot-vedette. Une typographie différente permet de distinguer dans la Table les deux démarches. Dans chaque article, la matière peut être subdivisée suivant les différents sens du mot et, s’il y a lieu, on renvoie à d’autres articles qui traitent d’un sujet similaire. Tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testaments sont répertoriés et la traduction utilisée est celle de la Bible de Maredsous. Mais l’utilisation d’une autre traduction reste possible : on trouvera parfois, aux endroits renseignés, des synonymes ou d’autres expressions. Cette Table est limitée dans son choix, en ce sens qu’elle ne recouvre pas tous les mots employés dans la Bible et qu’elle ne relève pas toutes les citations verbales ou analogiques pour chaque mot-vedette. Le critère du choix répond au but du travail, qui veut servir en priorité au prédicateur et à l’enseignant. Instrument utile, d’un emploi agréable, expliqué de façon limpide. On remercie aussi les éditeurs d’avoir choisi une typographie lisible, malgré la petitesse du caractère. – J.-L. S.
Depuis 1957, l’Introduction à la Bible de Robert et Feuillet s’était largement fait connaître. Vatican II et sa Constitution « Dei Verbum » d’une part, le succès des études bibliques et les progrès de l’archéologie au Proche-Orient d’autre part, ont amené les éditeurs à une nouvelle présentation en quatre tomes, au lieu des deux précédents : herméneutique biblique, Ancien Testament, Nouveau Testament, Théologie biblique ; le second, Introduction critique à l’Ancien Testament [2], est le seul paru jusqu’à présent. Dans les préliminaires, E. Cavaignac †, P. Grelot et J. Briend décrivent le cadre historique des Livres Saints. Ils rappellent l’histoire du Proche-Orient des origines à l’aube du Nouveau Testament et font une large place aux découvertes récentes en ce domaine. Les parties neuves concernent la répartition des peuples en Canaan et ses environs immédiats avant l’arrivée d’Israël (époque des Patriarches), la personne historique de Moïse et l’installation des Hébreux en Canaan. Les auteurs savent faire la part des hypothèses et des données sûres, leur argumentation est simple, ils montrent quel éclairage l’histoire jette sur la Bible. I. H. Cazelles analyse alors la Torah ou Pentateuque. Après avoir présenté les difficultés qu’offre le texte des cinq premiers livres de la Bible, il montre comment la recherche a tenté de les surmonter depuis le Moyen Âge ; les exégètes ont élaboré diverses hypothèses pour expliquer la composition des écrits, hypothèses s’affinant pour mieux répondre aux données du texte, pour tenir compte aussi des conclusions nouvelles de l’archéologie et, pour les catholiques, des directives du Magistère. L’auteur s’attache ensuite aux quatre grandes traditions : le Yahviste, l’Élohiste, le Deutéronome et les écrits sacerdotaux ; il indique pour chacune quels textes on peut lui attribuer, dans quels milieux et à quelles époques ils furent rassemblés, quelle théologie les imprègne, et il montre ensuite comment ces traditions se sont soudées les unes aux autres. II. Les premiers livres prophétiques (Jos, Jg, 1-2 S, 1-2 R) sont présentés par J. Delorme et J. Briend. Ils analysent le contenu de chaque livre et font la part des différentes sources utilisées dans la composition ; c’est sur ce dernier point qu’on enregistre des progrès de la recherche. Ils dégagent ensuite la valeur historique du livre et sa valeur religieuse qui s’inscrit dans une révélation progressive pointant vers le Nouveau Testament. III. A. Gelin † et L. Monloubou étudient ensuite les livres prophétiques postérieurs, c’est-à-dire la littérature prophétique des origines au retour de l’exil, et Th. Chary le prophétisme à l’époque perse. Cette littérature est resituée dans son contexte du Proche-Orient ; de nouveaux éclaircissements sont donnés sur le sujet. La vocation des inspirés bibliques est lavée d’une interprétation trop psychologique ou sociologique. Puis chaque recueil est vu en détail, souvent sous trois chefs : l’auteur, le livre, le message. C’est avec grande clarté que l’on peut voir comment les exégètes sont amenés très souvent à faire le départ entre l’œuvre du personnage historique et les traditions qui le prolongent avant d’être recueillies dans le livre attribué au prophète. IV. Viennent ensuite les Kerûbîm ou Hagiographies. P. Auvray introduit à la richesse du Psautier ; il expose la variété de ses genres littéraires, tente de préciser leur histoire pour déployer toute leur teneur religieuse et doctrinale et termine en donnant quelques notes suggestives sur leur utilisation. Mgr H. Lusseau † s’était chargé de présenter les autres hagiographes, littérature variée comprenant Pr, Jb, Ct, Rt, Lm, Qo, Est, Dn, Esd, Ne, 1-2 Ch. L’exposé est précédé d’un résumé des connaissances actuelles sur la littérature sapientielle en Orient, ce qui permet de préciser l’apport de la Bible. L’auteur s’attache à résoudre, pour plusieurs de ces livres, le problème de leur canonicité et à en déterminer l’usage liturgique. V. Les Livres deutérocanoniques (Ba, To, Jdt, 1-2 M, Sg, Si, etc.) sont présentés par A. Lefèvre t et M. Delcor. L’étude de cette partie moins connue de la Bible a l’avantage de définir son contenu, la manière dont il faut le comprendre grâce à l’étude des genres littéraires, et les enseignements théologiques et moraux qu’on peut en tirer. Ce tome 2 s’achève sur une histoire de la formation de l’Ancien Testament par P. Grelot ; on lui est reconnaissant de la manière dont il éclaire les divers courants qui ont présidé à la naissance et à l’élaboration lente et progressive de cet ensemble que nous nommons Ancien Testament. Précédé d’une bibliographie générale et d’une table des matières, complété par un index des références bibliques et un index analytique des principales données de l’exposé et des principaux noms cités, ce livre, on n’en doute pas, sera salué avec joie par le spécialiste, même s’il pouvait espérer une remise à jour plus complète, notamment pour la bibliographie ; mais il fera aussi le bonheur de tous ceux qui prennent intérêt à l’Écriture. La matière est parfois ardue, mais la clarté des exposés et le souci pédagogique facilitent grandement la compréhension. – J.-L. S.
Dans son œuvre La Gloire et la Croix, H. U. von Balthasar consacre un tome de théologie à L’Ancienne Alliance [3] . Pour éviter l’écueil de nombreuses théologies qui conçoivent Dieu à partir d’idées humaines, il est nécessaire, à l’inverse, de le percevoir dans ce qu’il a d’unique : il ne se rend perceptible que dans la révélation de sa gloire ; celle-ci n’est rien d’autre que l’éclat de sa divinité, le prestige, le poids de sa personne, à la fois charmante et terrifiante. L’ouvrage comporte trois parties. I. « La Gloire de Dieu et l’homme » : trois chapitres décrivent successivement comment Dieu se manifeste dans la Bible au peuple et aux individus, comment il suscite en face de lui une « image » qui tente de refléter sans y atteindre l’éclat de son modèle, et enfin comment se constitue, dans l’offre gracieuse de l’Alliance, le rapport entre Dieu et son image. II. Mais ce projet grandiose est vécu historiquement comme un échec : « L’escalier de l’obéissance » ; au péché d’infidélité du peuple répond la fidélité de Dieu qui envoie ses prophètes. Ils sont appelés à exprimer dans toute leur existence le drame de l’alliance rompue, signifiant à la fois le jugement de Dieu et la misère du peuple condamné. On tend ainsi vers la figure du Serviteur souffrant qui peut renouer l’alliance dans son sacrifice de substitution. Mais ce n’est qu’une figure, qui doit traverser « La longue pénombre » : III. Dans l’impossibilité de répondre concrètement aux exigences de l’Alliance, trois lignes de réflexion tentent de réveiller l’espoir du peuple d’Israël après l’exil : le prophétisme qui porte son regard sur les figures de l’avenir, l’apocalyptique qui lève les yeux vers les mystères d’en-haut et la sagesse dont la vue décèle la présence universelle de la gloire dans le monde. Mais, en fin de compte, l’expérience de la gloire faite par Israël ressemble davantage à l’expérience de son absence. Il faudra attendre le Nouveau Testament pour que deux interdits significatifs de l’Ancienne Alliance soient levés : celui de fabriquer des images de Dieu, dépassé lorsque Dieu nous livre sa figure en son Fils fait homme, et celui de boire le sang, annulé par le sacrifice eucharistique. L’auteur termine en montrant la valeur fondamentale et indispensable de l’Ancien Testament et du peuple d’Israël dans l’histoire du salut. Rien ne pourra nous permettre de passer outre à son enseignement sur la grandeur de Dieu, la place de l’homme dans la création, la valeur irremplaçable de la foi en Dieu ; entre les hommes concrets d’Israël et les « figures » (le roi, le Serviteur, etc.) qu’ils n’incarnent jamais qu’en partie, l’écart n’est point comblé ; la mort demeure elle aussi un problème sans solution satisfaisante ; il faut se tourner vers l’avenir pour attendre un temps où la gloire de Dieu se laisse trouver sans être enfermée et limitée par notre histoire, car on ne peut fuir dans l’intemporalité. Ce court résumé ne pouvait guère livrer autre chose qu’un aperçu de la densité de l’ouvrage qui parvient à dégager des données concrètes fournies par l’étude critique de la Bible les points forts sur lesquels s’appuie la réflexion des écrivains sacrés. Ouvrage de synthèse, qui témoigne d’une connaissance compréhensive de la Bible, œuvre d’un grand théologien, qui éclairera ceux qui cherchent une théologie de l’Ancien Testament. – J.-L. S.
Rares sont les synthèses sur le thème abordé par H. van Oyen : Éthique de l’Ancien Testament [4] . La lourde hypothèque pesant sur le légalisme de l’Ancien Testament par opposition à l’Évangile arrête en effet beaucoup de chercheurs. Aussi l’auteur s’attache-t-il au début de son ouvrage à dissiper quelques fausses conceptions qui planent sur son sujet. L’essentiel de la vie religieuse d’Israël ne s’exprime ni dans l’application rigoureuse d’une série de normes formelles, ni dans une mythologie, ni dans de hautes réflexions sur Dieu, mais dans une foi et une obéissance qui engagent tout l’agir à la suite de Dieu intervenu en sa faveur au cours de son histoire. Ainsi se révèlent les « Fondements théologiques » (I) de l’éthique de l’Ancien Testament. Les codes juridiques et moraux se comprennent à partir de leur insertion dans le cadre littéraire et théologique de l’Alliance entre Dieu et son peuple ; ils précisent les stipulations concrètes de la réponse du peuple à l’élection de Dieu. C’est ainsi que le peuple sanctifiera le Seigneur qui en a fait une communauté. Dieu, de son côté, s’engage à lui être fidèle et c’est en cela que consiste sa justice ; car, pour la Bible, est juste celui qui garde sa fidélité et sa loyauté à la communauté à laquelle il est lié. Le terme de cette vie engagée est l’espérance de la paix ou du salut entrevu comme une vie plénière d’où sont bannies toutes les inquiétudes matérielles et spirituelles. « L’image de l’homme » (II) : la réflexion sur Gn 1-3 montre l’homme comme mandataire de Dieu, le péché comme manquement à cette mission dans le désir d’acquérir seul sa maturité et le châtiment comme une action toujours déclenchée par Dieu, jamais automatique, qui rappelle à l’homme sa vocation. « La Torah » (III), ou les codes de loi de l’Ancien Testament – pages plus techniques – : on lira avec plaisir celles qui traitent du sabbat, institution propre à Israël ayant pour but de montrer que ce peuple tout entier est libre, que personne ne peut être esclave de son travail depuis que Dieu a libéré son peuple de l’oppression égyptienne. « L’Éthique des prophètes » (IV) : avec eux est mise en avant l’exigence éthique de l’Alliance. Devant le jugement de Dieu, le peuple ne peut pas se réfugier dans l’assurance que peut donner la possession de la Loi, un culte envisagé mécaniquement ; l’individu ne peut confondre son appartenance au peuple élu avec un simple lien ethnique. « L’éthique de la Sagesse » (V) est tout entière occupée par le problème de la rétribution. C’est Job qui remet en question le plus radicalement la doctrine des sages affirmant que le juste est récompensé ici-bas ; Job a raison, en ce sens qu’il refuse cette réflexion des sages trop entachée d’automatisme, pour se tourner uniquement vers Dieu ; mais il doit accepter en contrepartie que la justice de Dieu reste hors des prises du raisonnement humain. L’auteur analyse ensuite une série de domaines particuliers de la vie sociale (VI) et politique (VII). L’Ancien Testament se termine sur une question : la mort brise-t-elle la communion avec Dieu ? L’espérance en l’au-delà est l’ultime fruit, non point la racine, de la foi d’Israël. Dans un livre aussi riche, notons cependant quelques points qui ne se hissent pas au niveau de l’ensemble. Aujourd’hui, semble-t-il, les critiques n’accordent plus tous à la « confession de foi » la même priorité sur le culte et les lois ; presque systématiquement, l’auteur relègue le culte au second plan et il ne lui paraît jamais pouvoir être créateur. La conception deutéronomiste de l’Alliance et de l’élection semble privilégiée par rapport aux autres traditions. Un meilleur souci de chronologie, par ailleurs, éviterait de donner l’impression qu’on trouve tels quels, à des âges anciens, des notions comme « imitation de Dieu », « foi » en rapport avec « mérite », « bon penchant » et « mauvais penchant », « conscience », notions qui proviennent du judaïsme ancien ou du Nouveau Testament. Parmi les influences des peuples voisins sur la pensée biblique, le droit hourrite, qui de l’avis de nombreux chercheurs actuels éclaire maintes coutumes patriarcales, n’est pas mentionné. Si les rapports entre les prophètes et le milieu sapientiel est bien mis en lumière, il serait souhaitable de situer leur rapport au culte ; l’auteur insiste trop sur le rôle d’enseignement des prophètes dans le domaine moral et il ne met pas assez en relief la dimension historique de leur message, annonçant le jugement de Dieu dans le cours des événements vécus par le peuple. Ici encore, on ne discerne guère l’évolution du mouvement prophétique, pourtant étendu dans le temps. Dans la littérature sapientielle, l’apport de Qo reste fort dans l’ombre, bien qu’il s’inscrive en faux dans plusieurs domaines de la pensée sapientielle traditionnelle ; enfin, l’Ancien Testament est-il complètement muet en ce qui concerne l’immortalité ? Oui, si comme l’auteur, protestant, on n’inclut pas dans l’Ancien Testament les deutérocanoniques, Sg, en particulier. Quoi qu’il en soit, le grand mérite de ce livre instructif et dense est d’ouvrir des perspectives très neuves et stimulantes ; signalons notamment des vues sur l’universalisme et la portée « missionnaire » de l’éthique d’Israël et les possibilités offertes aux moralistes par les notions de « justice » et de « paix » mises en relief par l’auteur. Ces pages supposent une bonne connaissance des travaux d’exégèse et une assez grande familiarité avec le langage technique des biblistes et des théologiens. – J.-L. S.
L’Anthropologie de l’Ancien Testament, de H. W. Wolff [5], vient à point. Précédée par les nombreuses études de détail dues à des bons exégètes durant les dernières décennies, cette synthèse répond à un réel besoin. L’ouvrage, aisément consultable par les index qui le terminent, répartit la matière en trois parties. I. L’être de l’homme : chacune des notions bibliques concernant la personne est élucidée par un fréquent recours aux textes dont l’auteur veille à ne pas forcer ni émousser le sens ; voici nèfèsh (l’homme dans sa misère), bâsâr (l’homme périssable), rouah (l’homme doté de pouvoir), léb (l’homme doué de raison), puis on parle du corps humain, de ses organes, de sa forme, de ses sens. IL Le temps de l’homme : de la naissance à la mort, de la jeunesse à la vieillesse, le temps que l’on passe à veiller, à œuvrer, à dormir ou à se reposer (c’est l’occasion de parler du sabbat), temps de la maladie et de la guérison, temps qu’anime l’espérance en l’avenir. III. Le monde de l’homme : si l’homme est image de Dieu, son intendant ici-bas (bonnes pages sur Gn 1,26-28), il est appelé à vivre dans le monde avec ses semblables pour louer Dieu ; dans cette partie, on étudie surtout les rapports entre humains, le couple, la famille, l’amitié, les relations entre maîtres et esclaves, entre maîtres et élèves, et enfin le lien de l’individu à la communauté. Le tour d’horizon est étonnamment complet et l’on remercie l’exégète protestant de Heidelberg d’avoir mis cette somme à la portée de tous. – M. G.
C’est avec une pointe d’émotion qu’on parcourt les dernières pages écrites par le P. K. de Vaux, O.P. décédé en septembre 1971 ; elles ne constituent que le début de son deuxième volume sur l’ Histoire ancienne d’Israël [6] qu’il devait continuer jusqu’à la ruine du royaume de Juda ; un troisième volume aurait complété la série en allant de 587 à la conquête d’Alexandre. Pour la période des Juges, le P. de Vaux laissait trois chapitres dactylographiés et, pour les deux chapitres suivants, des notes manuscrites ; le tout a été publié tel quel. Il ne faudrait pas croire que ces pages n’ont d’autre valeur que celle du souvenir : en réalité elles bouleversent une des théories qui a fini par triompher un peu partout chez les historiens de cette période, celle de l’amphictyonie. Partant de l’analogie entre le système des douze tribus d’Israël et certaines ligues de Grèce et d’Italie antiques, dont la plus célèbre est l’amphictyonie de Delphes, M. Noth avait tenté de retrouver en Israël, sous les Juges, les différentes caractéristiques de ce type de confédération : douze (ou six) peuples ou cités s’allient par un serment pour former une ligue religieuse autour d’un sanctuaire central où elles se retrouvent pour des fêtes communes ; un trésor se constitue dans le sanctuaire, il est confié à des administrateurs qui sont en même temps chargés de faire respecter des règles communes aux confédérés ; une action commune peut être entreprise contre les parjures. La critique lucide du P. de Vaux reprend chacun des éléments pour découvrir que toutes les analogies avec Israël sont forcées : on ne trouve aucun équivalent véritable. Que propose-t-il en échange ? Une vue moins systématique et beaucoup plus historique, décrivant l’entrée progressive des tribus en Canaan, la prise de possession du territoire et la lente élaboration de l’unité avec un premier noyau au centre (Israël, contre-distingué de Juda), unité qui résulte de trois facteurs : la parenté ethnique, la foi en un même Dieu et la lutte contre des adversaires communs. Dans ce cadre, les Juges sont des personnages pour la plupart historiques, dont l’activité ne se limitait pas à rendre la justice, mais comprenait un pouvoir de gouvernement (ceci ressort d’une analyse de vocabulaire particulièrement fouillée) ; c’est devant l’imminence d’un danger qu’on recourait à cette institution centrale ; en temps normal, chaque tribu agissait à sa guise. Le dernier chapitre de l’étude contient la description de la vie des tribus : les migrations, les rapports avec Canaan et les luttes contre les étrangers. Œuvre inachevée, mais d’un maître à la prudence admirable, refusant toujours de transformer une hypothèse en système ; historien de la Bible, il travaille avec des outils que d’autres utilisent unilatéralement : l’archéologie et l’histoire du Proche-Orient et, en parallèle, la critique littéraire des textes bibliques ; son souci de la chronologie l’empêche de faire des raccourcis ou de projeter dans le passé des situations plus récentes ; enfin l’étude ouvre plus de portes qu’elle n’en ferme. – J.-L. S.
Parmi toutes les traductions récentes, La Bible, d’A. Chouraqui [7], se distingue tout particulièrement : c’est la première fois, en effet, qu’un Israélien traduit en français tous les Livres Saints, lui dont la langue véhiculaire est l’hébreu moderne, héritier de l’hébreu biblique. L’originalité ressort déjà des titres choisis : Entête, Noms, Il crie, etc., qui rendent littéralement ceux de l’hébreu. Des exemples montreront davantage la nouveauté du travail.
Elohim dit : « La lumière sera. »
et la lumière est.
Elohim voit la lumière : ô, le bien !
Elohim sépare la lumière de la ténèbre.
Elohim crie à la lumière : « Jour. »
À la ténèbre, il crie : « Nuit. »
Et c’est le soir et c’est le matin :
jour unique (Gn 1, 3-5).
Le traducteur fait apparaître, dans la disposition typographique de son texte, des parallélismes insoupçonnés : le mot Elohim (Dieu) revient quatre fois en début de stique et le mot lumière cinq fois au milieu ; un contraste est marqué entre le présent « la lumière est », qui suit immédiatement le futur « la lumière sera » ; l’emploi du verbe « crier », de l’adjectif « unique » pour qualifier le premier jour de la création diffère de ce que nous lisons dans nos Bibles classiques ; deux options se manifestent : A. Chouraqui préfère la plus grande fidélité au texte original, nos Bibles classiques respectent au mieux les impératifs de la langue française. Autre exemple, tiré de la théophanie du Sinaï :
Et c’est le troisième jour, et c’est au matin
et c’est : voix, éclairs, lourde nuée sur la montagne,
et la voix du shophar, très forte.
Tout le peuple, dans le camp, s’angoisse.
Moshé fait sortir du camp le peuple,
à la rencontre de l’Elohim...
Ils se postent au pied de la montagne (Ex 19, 16-17).
Nos versions classiques choisissent la souplesse et la fluidité, tandis qu’A. Chouraqui met en relief les répétitions ; la concision des énumérations, la simple translittération des noms veulent faire éprouver toutes les aspérités de la phrase hébraïque. Certaines expressions feront peut-être difficulté : « Donne-la entre la tente du rendez-vous et entre l’autel » (Ex 30,18) : le verbe hébreu a bien comme premier sens « donner », mais on le traduit généralement par « placer » ; la traduction d’A. Chouraqui est-elle encore intelligible ? Autre exemple : ce qu’on traduit par « lent à la colère » est rendu ici par « long de narines » (Ex 34,6) ; conflit entre la littéralité et le bon goût. Ce ne sont là que des détails et on saura gré longtemps encore à l’auteur de nous avoir transportés aussi loin dans les paysages de la Bible hébraïque, en offrant ce complément au travail de ceux qui l’acclimatent chez nous. Mais il est bon que le lecteur, avant de faire son choix, soit conscient de l’option du traducteur. – J.-L. S.
La traduction de Iyov diffère de celles qu’on vient de présenter par deux aspects. Tout d’abord, A. Chouraqui la fait précéder d’une introduction au livre, dans laquelle il en explique les dimensions et la portée ; très belles pages, bien que l’intervention de Yahvé paraisse comprise plus en profondeur par G. von Rad ou J. Lévêque. Ensuite la traduction semble établie sur des principes un peu différents : le littéralisme est moins abrupt et l’on retrouve quelque chose des Psaumes, du même traducteur [8] . Job est un livre difficile à traduire, car le texte comporte encore beaucoup d’obscurités et d’inconnues ; les choix d’A. Chouraqui sont défendables, mais d’autres le sont parfois tout autant, pour ne pas dire plus. Ainsi, en traduisant le dernier mot de Job par « je me rétracte et me conforte sur la poussière et la cendre », il retient pour le second verbe un sens possible, certes, mais rejeté par la grande majorité des traducteurs et commentateurs modernes. – M. G.
La nouvelle édition mise à jour des Itinéraires bibliques [9] satisfera certainement tous les visiteurs de la Terre Sainte et ceux qui désirent une bonne documentation dans ce domaine. Ce guide comporte une centaine de cartes et de plans ; il regroupe par itinéraires les différents sites bibliques au Liban, en Syrie, en Transjordanie, à Jérusalem, en Galilée, en Samarie, en Judée, etc. Pour chaque site, une description générale, un aperçu historique, les références bibliques à ce site et des indications pour la visite. On trouve en outre des exposés d’intérêt général (chronologie, par exemple), des introductions spéciales à des domaines comme l’art et l’archéologie, des renseignements pratiques pour le voyage, des lexiques. Le volume est très maniable. – J.-L. S.
L’impertinence biblique, d’A. Paul [10], soumet à la critique l’exégèse actuelle et analyse les rapports entre l’acte d’écrire la Bible et celui de la lire. Pages pertinentes sinon neuves pour le fond, impertinentes, au double sens du mot, pour les critiques de tout genre qu’elles contiennent, pages assez absconses à la langue recherchée. – M. G.
Dans La Bible. Première lecture de l’Ancien Testament [11], J.-L. Cunchillos montre tout d’abord qu’on peut distinguer trois approches du texte sacré : on peut le considérer simplement comme une œuvre littéraire, on peut accepter que la foi soit un élément central de l’œuvre, on peut participer soi-même à cette foi. Un chapitre consacré au circuit herméneutique explique le rôle différent de l’Écriture selon qu’on est exégète, théologien ou pasteur, et les liens qui unissent ces trois groupes. Viennent ensuite des analyses d’Ex 1-2 ; 7-10, d’Amos et d’Osée ; on trouvera un exposé simple sur la rédaction du Pentateuque (avec quelques simplifications sur le rôle de Moïse aux origines de la Loi et sur le regroupement des différentes traditions) et sur le mouvement prophétique. Le fait qu’il s’agisse de conférences distinctes explique un certain manque d’unité de l’ensemble, mais ne nuit guère au but de l’ouvrage : rendre accessible à tous l’essentiel de la Bible. – J.-L. S.
Dans A la croisée des Écritures [12], P. Lauzeral ouvre quelques avenues et cherche à montrer par la méditation plus que par l’analyse comment l’Ancien Testament s’oriente entièrement vers le Nouveau et comment celui-ci prend tout son relief quand on l’espère comme les grandes figures d’Israël. Trois étapes, comparées aux différentes heures de la journée : I. La conscience prophétique, vibrante du projet de Dieu et de l’attente de son accomplissement. II. La Loi, rédigée plus tard et souvent sous l’inspiration des prophètes, livre l’expérience d’Israël, sa foi, le sentiment de l’exil et ses plus grandes attentes. III. L’accomplissement toujours enraciné dans le terrain où il se développe. Le tout est écrit dans une langue rocailleuse et contrastée qui ne manque pas d’attraits. Désirant se rapporter directement au texte biblique (p. 15), l’auteur ne tient peut-être pas assez compte des études récentes, mais l’intention était de proposer une lecture spirituelle, une rencontre du Christ ; la réflexion priante y trouve son dû. – J.-L. S.
Dans une nouvelle série de méditations, En toi ils ont espéré [13], R. Pautrel † met le lecteur en compagnie de personnages souvent peu connus de l’Ancien Testament, tels que Jéthro, Balaam ou Rahab, à côté de figures plus familières, comme Moïse, Jérémie et Daniel. Le but est de pénétrer au cœur de leur prière, jaillissant de leur situation concrète et souvent ambiguë, et de montrer comment la Bible explique la réaction d’un Dieu serein et malicieux qui éduque et purifie. On trouve dans ces pages une connaissance sûre des textes, une grande santé spirituelle, respirant la bonne humeur et la confiance. – J.-L. S.
Selon H. W. Wolff, L’enracinement spirituel d’Amos [14] doit se chercher dans la tradition orale provenant de la sagesse des clans de l’ancien Israël. Ainsi s’expliquent certaines formes de ses discours, comme les proverbes numériques des ch. 1-2, de même que certains thèmes de sa prédication, comme celui du droit et de la justice. L’auteur s’oppose ainsi à une interprétation cultuelle et liturgique des prophéties d’Amos, prônée par H. Graf Reventlow et d’autres. Cette importante étude, parue en allemand en 1964, préparait le grand commentaire que l’auteur publia en 1969 ; elle fut bien accueillie, avec quelques nuances. - M. G.
Pour rendre les Psaumes plus assimilables aux chrétiens, Ph. Béguerie, P. Fertin et J. Leclercq optent, dans Nous te prions [15], pour une grande adaptation des textes bibliques, un choix parmi les psaumes, des coupures éventuelles et une traduction assez libre, non pour répondre à la mentalité actuelle, mais parce que le Nouveau Testament rend caducs certains textes de l’Ancien Testament. Ensuite seulement, ils transcrivent dans une langue très pure ces anciennes prières. On trouve, par exemple, à côté de psaumes qui confessent les péchés ou qui exhalent le sentiment de misère et la révolte devant les scandales, un psaume sur la grandeur de Dieu vainqueur de ses ennemis, même si le thème peut heurter la sensibilité d’aujourd’hui (Ps 76). L’ouvrage contient aussi des schémas de prière, des invitatoires, des antiennes, des oraisons et des cantiques de l’Ancien et du Nouveau Testaments (ou inspirés par tel texte). Livre rédigé et imprimé pour aider la prière et la liturgie des chrétiens. – J.-L. S.
La Tradition médite le Psautier chrétien [16] rassemble les interprétations néotestamentaires et patristiques du Psautier. Cette entreprise de Dom C. Jean-Nesmy et de Mère E. de Solms est fort louable, car elle propose à ceux qui étudient et prient les psaumes un instrument de travail de premier choix pour resituer ces prières dans la Tradition et faire l’histoire de leur interprétation. On regrettera cependant certaines lacunes de la présentation qui rendent l’usage incommode : les citations ne sont pas toujours claires ; lorsqu’un Père cite un psaume, le cite-t-il en entier ou en partie ? S’il s’agit d’un commentaire, il est parfois transcrit en toutes lettres, parfois résumé ou même discuté, sans qu’on puisse distinguer ces trois démarches. Recueil très utile, certes, mais à consulter avec prudence. – J.-L. S.
L’édition originale de Ainsi parlait Qohèlèt [17], de J. Steinmann, date de 1955. L’Ecclésiaste serait un professeur de sagesse qui, dans sa vieillesse, laissa publier par un élève l’essentiel de sa doctrine, vers 250 avant J.-C., alors que la Palestine est sous l’influence grecque. Son message est très pessimiste, sans être désespéré. Puisque la seule existence qui nous soit offerte est celle d’ici-bas, il faut essayer de la mettre à profit en suivant la règle de la modération. Cette plainte amère devant le mystère de la mort et d’un Dieu incompréhensible constitue l’appel le plus vibrant de l’Ancien Testament avant la révélation de l’Évangile et de la résurrection de la chair. Ce livre accessible à tous et qui n’a pas trop vieilli fera mieux comprendre le caractère unique de l’Incarnation offerte aux hommes qui l’attendent sans pouvoir la tirer de leur propre fonds. – J.-L. S.
L’Essai biblique sur les fêtes d’Israël [18], de R. Martin-Achard, est une somme accessible à tous. Elle comporte trois chapitres. I. Les fêtes du printemps, à savoir la Pâque et les Semaines. II. Les fêtes d’automne : les Tentes, le Nouvel An et le Jour du Grand Pardon. III. Les fêtes postérieures : la commémoration du 9 Av (les destructions du Temple par Nabuchodonosor et par Titus), la Dédicace du Temple par Judas Maccabée en 164 avant J.-C. et les Purim ou la fête des Sorts (attestée par Esther). Pour chacune de ces fêtes, l’auteur rappelle les témoignages scripturaires et ceux qui nous parviennent des abords de l’ère chrétienne, puis en dégage la signification théologique. Des indications de lectures bibliques aideront à mieux entrer dans le cycle de ces fêtes. Ce nouveau livre de l’exégète protestant de Genève permet un contact plus intime avec la Bible et avec l’itinéraire liturgique annuel qu’elle propose. – M. G.
[1] G. Passelecq et F. Poswick. Table pastorale de la Bible. Index analytique et analogique. Paris, Lethielleux, 1974, 23 x 17, XVI-1214 p., 170 FF.
[2] Introduction critique à l’Ancien Testament. Sous la direction de H. Cazelles. Tournai-Paris, Desclée, 1973, XVI-852 p., 8 h.-t. et 9 cartes, 980 FB.
[3] H. U. von Balthasak. La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la révélation. III. 1. Ancienne Alliance. Coll. Théologie, 82. Paris, Aubier, 1974, 23 x 14, 388 p.
[4] H. van Oyen. Éthique de l’Ancien Testament. Coll. Nouvelle Série Théologique, 29. Genève, Labor et Fides, 1974, 25 x 18, 212 p.
[5] H. W. Wolff. Anthropologie de l’Ancien Testament. Coll. Nouvelle Série Théologique, 31. Genève, Labor et Fides, 1974, 25 x 18, 228 p., 45 FS.
[6] R. de Vaux †. Histoire ancienne d’Israël. II. La période des Juges. Coll. Études Bibliques. Paris, Gabalda, 1973, 24 x 16, 160 p.
[7] A. Chouraqui. La Bible. Entête. Noms. Il crie... Au désert. Paroles. Yehoshou’a - Juges. Iyov. 7 vols, Desclée De Brouwer, 1974, 22 x 14, 198, 170, 128, 172, 162, 213 et 123 p.
[8] Cf. Vie Consacrée, 43 (1971), 52 s.
[9] D. Auscher, Ph. Béguerie, J. Tournus. Itinéraires bibliques. Guide de Terre Sainte. Paris, Éd. du Cerf, Marne, 1974, 18 x 11, 375 p., 13 cartes.
[10] A. Paul. L’impertinence biblique. De la signification historique d’un christianisme contemporain. Coll. Théorème. Tournai-Paris, Desclée, 1974, 18 x 13, 124 p., 160 FB.
[11] J.-L. Cunchillos. La Bible. Première lecture de l’Ancien Testament. I. Coll. « Le point théologique », 11. Paris, Beauchesne, 1974, 22 x 14, 158 p.
[12] P. Lauzeral. À la croisée des Écritures. Paris, Le Centurion, 1974, 18 x 13, 246 p.
[13] R. Pautrel, s.j. En Toi ils ont espéré. La prière dans les récits de l’Ancien Testament (2). Supplément à Vie chrétienne. Paris, Vie chrétienne, 1974, 21 x 16, 80 p., 5 FF.
[14] H. W. Wolff. L’enracinement spirituel d’Amos. Genève, Labor et Fides, 1974, 19 x 13, 126 p., 16,80 FS.
[15] Nous te prions. 96 psaumes. Invitatoires. Hymnes. Antiennes. Oraisons. Paris, Éd. du Cerf, 1974, 20 x 11, 280 p.
[16] La Tradition médite le Psautier chrétien. Psaumes 1 à 71. Paris, Éd. Téqui, 1973, 23 x 14, 380 p. Cf. Vie consacrée, 46 (1974), 51.
[17] J. Steinmann. Ainsi parlait Qohèlèt. Coll. Lire la Bible, 38. Paris, Éd. du Cerf, 1973, 18 x 14, 138 p.
[18] R. Martin-Achard. Essai biblique sur les fêtes d’Israël. Genève, Labor et Fides, 1974, 21 x 15, 166 p.