Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Témoignages

Vies Consacrées

N°1974-5 Septembre 1974

| P. 307-312 |

Nous publions ci-dessous quelques témoignages de membres d’Instituts Séculiers qui n’ont pu trouver place dans notre dernier numéro. Ils illustrent la grande diversité de ceux-ci, aussi bien au niveau des orientations pratiques qu’à celui des spiritualités.

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I

Quand je repense à ma vie passée, à ma jeunesse, à ma vie de femme mariée, je dois reconnaître, me semble-t-il, que je m’efforçais déjà alors de « vivre avec le Christ » ; et je ne le gardais pas pour moi seule ! En somme, je faisais déjà alors ce que l’on appelle aujourd’hui, dans les Instituts Séculiers « nouvelle formule », de l’action catholique en profondeur. Mais l’appel entendu par la suite, au lendemain de mon veuvage, fut l’appel à ce que j’ose appeler « un plus » : au don total de moi-même au Seigneur. Je ne savais d’ailleurs pas au début comment je pourrais le réaliser.

Or, dès que j’ai connu l’Institut Séculier Sainte Françoise Romaine (pour les veuves chrétiennes), j’ai expérimenté – et de mieux en mieux avec les années – que ce don total, je pouvais le vivre par les trois vœux de religion, tout en restant dans le monde que mes obligations de mère de famille ne m’auraient du reste pas permis de quitter. Mais, bien plus qu’une action catholique en profondeur, même assortie de la promesse du célibat, les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, vécus à fond, autant qu’il est possible à une vie séculière, à une vie bien laïque, m’ont permis et me permettent toujours de faire à Dieu, de tout moi-même, une oblation que je veux pleine d’amour en union avec celle du Christ à Son Père, dans l’Eucharistie : ce qui m’a toujours attirée et répond le mieux, à mes yeux, à l’appel entendu au lendemain de mon veuvage. Je crois vraiment que seuls, les trois vœux traditionnels de religion pouvaient me permettre de réaliser cela. Et c’est peut-être parce que ces vœux sont la forme la plus parfaite tout à la fois de la vertu de religion et de la charité théologale, et qu’ils donnent, en outre, la possibilité d’un engagement sacré, définitif et irréversible de notre part, qu’ils ont pour moi un tel prix. Je conçois mal qu’une « consécration » véritable, pleine et entière, puisse se faire autrement que par des vœux de religion.

Ceci est donc mon cas. Mais ma situation de responsable dans l’Institut me permet d’assurer que les veuves – assez nombreuses et encore relativement jeunes : 40-50 ans – qui viennent à nous ont le même désir fondamental et les mêmes sentiments ; bien plus, je crois vraiment que si elles ne trouvaient pas cela chez nous, elles ne resteraient pas dans notre Institut ; elles ne s’y seraient peut-être même pas adressées. En somme, bien loin d’avoir peur d’être considérées comme des « religieuses dans le monde », je crois pouvoir dire que nous le souhaitons plutôt et que nous n’avons, en tout cas, aucun complexe à ce sujet, encore que nous sachions fort bien que pour être vraiment « religieuses » au sens canonique du terme, il faille vivre en communauté : ce qui ne saurait pas être notre cas.

En conclusion, je crois pouvoir dire que c’est davantage la vie « contemplative » que l’« action apostolique directe » qui nous attire et que nous tâchons de vivre dans le monde, tout en accomplissant nos tâches temporelles en esprit d’action catholique. C’est sans doute cet « accent » mis sur la prière plus que sur l’action directe qui caractérise notre Institut et qui y attire celles qui viennent à nous.

II

Depuis que je suis toute jeune, j’ai toujours eu l’idée et l’espoir de me donner au Seigneur. Handicapée de naissance, je ne me rendais pas compte que la vie religieuse était difficile à vivre pour des handicapés ou des malades, mais je croyais de tout mon cœur que je pourrais suivre l’appel de Dieu. J’ai eu la chance de connaître un Institut Séculier et, depuis huit ans, j’ai le bonheur d’en faire partie.

Je sais que je dois être « levain dans la pâte » au milieu de mes frères. Mon handicap étant une des voies par lesquelles le Seigneur m’appelle, il doit rayonner la joie pascale qui va vers notre résurrection à tous. Le Seigneur m’a fait comprendre aussi que je dois offrir toutes les souffrances que l’on ne pense pas à unir à sa souffrance à lui et qui sont apparemment perdues.

Ma pauvreté, je la sens fortement, car tous les jours je dois lutter contre moi-même pour être du monde tout en n’en étant plus ; je la sens fortement aussi car, malgré le soutien de l’Institut, tous les jours je suis seule dans un milieu indifférent. Ma pauvreté, c’est cela : accepter de regarder chaque journée qui commence avec un regard neuf, renouveler ma donation et ne pas en voir les fruits.

Ma chasteté est surtout une disponibilité envers Dieu et les outres : permettre à Dieu de transparaître à travers moi pour que mes frères se sentent attirés vers lui, que je le sache ou non.

Mon obéissance, je la trouve dans chaque événement, triste ou joyeux – surtout dans l’acceptation sereine de mon handicap, qui n’est pas toujours facile à porter. Je la vis aussi dans les Constitutions de l’Institut et dans mon appartenance fidèle à l’Église.

III

Voici mon témoignage de séculière consacrée.

Depuis mon enfance, je désirais être infirmière. C’est donc par vocation que j’ai choisi cette profession. Étant issue d’une famille pauvre, je ne pouvais entreprendre des études coûteuses. Je suis entrée comme agent hospitalier à l’Assistance Publique de Paris et j’ai obtenu mon diplôme d’État par la promotion professionnelle.

J’ai travaillé pendant dix-huit ans dans un grand hôpital où, sur le plan professionnel, j’ai eu beaucoup de travail, beaucoup de responsabilités, comme toutes les infirmières d’ailleurs. J’ai eu aussi d’énormes satisfactions par les contacts humains, les techniques modernes, les soins de plus en plus précis. Tout ceci a sans doute contribué, pour une certaine part, à mon épanouissement et à mon équilibre.

Cependant je crois très sincèrement que mon enthousiasme, je le dois à une foi très profonde. Le fait de côtoyer tant de misères physiques et morales m’a fait rechercher de plus en plus le contact intime avec Dieu.

Un jour s’est posé pour moi le problème de faire un choix. Sans quitter le monde ni ma profession, j’ai dit oui à Dieu en allant vers les plus pauvres. C’était la première étape, car je ne savais pas encore comment m’engager plus radicalement.

Ensuite j’ai découvert l’Institut Notre-Dame de Joie et j’ai compris que là était ma véritable vocation.

Apparemment rien n’est changé, sauf que je suis dans mon petit trou de province, au milieu des plus démunis, sans relations mondaines, avec des soucis de toutes sortes. Mon temps est dévoré, mes heures de repos aussi, mais au fond qu’importe, puisque c’est cela être séculière, être le levain dans la pâte. Il y a des jours où je suis abrutie de fatigue ; dans le même moment, mes frères et sœurs de l’I.N.D.J. sont peut-être abrutis de souffrances et dans cette grande union fraternelle, tous ensemble, nous portons au monde le message d’amour du Christ.

Oui, depuis ma consécration, toute ma vie a pris une autre dimension, même si, à certains moments « j’en ai marre » parce que tout être humain est limité et pauvre. Le Christ lui-même, dans son humanité, a crié aussi : « Père, si c’est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ! »

Cependant le monde a été racheté aussi par le monotone quotidien de Nazareth et pas seulement à l’heure difficile – et visible – du calvaire.

C’est donc cela que je m’efforce de refaire chaque jour : refaire Nazareth en redisant mon oui à Dieu là où il me veut, pour qu’il transforme tout en amour.

Déjà, dans l’espérance qu’un jour nous serons nous-mêmes transformés, avec ma famille spirituelle je redis, à la suite de Notre-Dame de la Joie : « Le Seigneur fit pour nous des merveilles ».

IV

C’est difficile pour une malade, consacrée en Institut Séculier, de s’exprimer sur la façon dont elle vit sa consécration. Les malades ont moins de contacts extérieurs et directs que les bien-portants, et l’essentiel demeure à l’intérieur.

J’ai ressenti l’appel de Dieu à une vie consacrée le jour de ma première communion. C’est aussi dès cette année que ma santé devint fragile. Il ne pouvait s’agir pour moi de songer à la vie religieuse.

Je connaissais de nom les Instituts Séculiers, sans savoir au juste ce qu’ils étaient. J’eus la chance, en maison de repos, d’entrer en contact avec l’un d’eux, de fondation récente, et pour lequel l’état de santé n’était pas un obstacle. Sa première responsable le confia à ma prière et m’aida à découvrir son « esprit ». Je réalisai peu à peu qu’il correspondait à mes aspirations. Ma santé précaire, ma vie souffrante m’apparurent comme devant être offertes pour le soutien des membres qui travaillent et luttent en pleine pâte humaine. Je vivais déjà d’ailleurs de l’esprit de l’Institut dans mon état de malade, dans mes rapports avec ma famille et mes amis, dans mon activité à la fraternité des malades.

Je priais dans le calme, laissant l’Amour m’inspirer ce que je devais faire. Au cours d’une retraite à laquelle je pus participer, je dis « oui » à l’invitation du Père. Je voyais les membres de l’Institut si ferventes en leur donation, si fraternelles entre elles. Je fis ma première consécration.

Je revins chez moi, remplie de paix et d’un bonheur secret : j’étais vraiment consacrée dans un groupe authentifié par l’Église pour vivre en profondeur mon baptême. Je me rendais compte que tout était pareil en ma vie, et que pourtant tout était changé. La force de l’engagement pris en Église m’avait envahie.

Comment j’ai essayé de vivre notre consécration ?

Isolée des centres de l’Institut, seule des nôtres en Suisse, c’est à l’Esprit Saint que je me suis confiée. A lui de faire et défaire, de façonner en moi la vraie fille de Dieu que je désire devenir. Les lettres échangées avec ma responsable, la grande affection de mes sœurs exprimée dans leurs messages fraternels, la revue de l’Institut qui m’apporte les nouvelles des unes et des autres avec l’écho des retraites et sessions, ont été mon appui, ma joie. Le Père me donnait de plus en plus le souci de toutes et de chacune. Cette responsabilité a été mon courage dans les hauts et bas de santé, les étapes en hôpital, en sana, dans les difficultés propres à une vie de malade. Le Père m’a fait la grâce de renouveler d’année en année ma consécration avec une pénétration toujours plus grande de l’amour qu’elle exige.

Dans le détail, j’ai essayé de vivre cette consécration à partir de ma vie de femme, de chrétienne, de malade, pour être une « fille de Dieu ». Dès 1966, j’ai dû cesser toute activité professionnelle. Mes journées sont occupées par l’entretien de mon appartement, le repos, les contacts avec ma famille, l’accueil à celui ou celle qui sonne à ma porte, les visites à mes amis de la Fraternité, la vie fraternelle avec mon frère (celui-ci a consacré son célibat au service du monde ouvrier). C’est pour moi une joie immense de pouvoir, en fin de semaine, échanger avec lui. J’adopte ses frères, son milieu, où règne le matérialisme et où dominent les passions. J’essaie d’entrer dans les difficultés de sa vie d’ouvrier. Les jours où je ne peux plus rien qu’être là étendue, sans pouvoir penser ni même prier, je m’unis au Christ en croix. Certitude que, par le rien de mon être, le Père fait tout dans le secret des cœurs. Lorsque le mieux revient, je retourne vers les autres, ces gens de notre quartier, les enfants que j’aime. Je peux écouter la personne qui souffre et a besoin de se confier. Dans ce simple quotidien, j’essaie de penser, d’agir selon l’Évangile, et en fille de Dieu, m’offrant chaque matin pour les gens que je rencontrerai d’une façon ou d’une autre aujourd’hui. Je me ressource dans l’Eucharistie, et près du tabernacle, simplement présente à Lui.

En toutes circonstances de ma vie de malade peuvent s’exercer les conseils évangéliques. Pauvreté intérieure : être incapable de prier, de penser à Dieu, accepter que ma vie soit comptée pour rien, jugée sans utilité pour le monde, accepter de devoir renoncer à tel service que je voudrais rendre, à telle responsabilité qu’on m’offre, à telle réunion où je voudrais être, etc. Je comprends celui qui a écrit : « Il faut souvent plus d’amour pour se restreindre que pour s’étendre ». C’est vrai.

Le célibat consacré en vue du Royaume ? Dieu m’y a invitée depuis toujours, et j’ai toujours vu là le chemin de l’épanouissement total de mon affectivité. Je voulais tout ou rien. J’essaie de vivre ce célibat consacré dans une fidélité toujours plus grande à l’Amour. Pour nous, malades, il y a la tentation du repli sur soi, au début de la maladie du moins. Là encore, grâce d’être consacrée parce que, petit à petit, nous nous dégageons de tout regard égoïste. Les autres, proches et lointains, envahissent toute la place. L’amitié gagne en équilibre et solidité par le célibat consacré. Dans un corps affaibli, les tentations ont plus de prise ; alors, je regarde Marie, Vierge et Mère, la priant de me donner sa transparence.

« Jésus s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix ». Appelée à marcher à sa suite, j’obéis à tout ce que le Père me demande par les événements de chaque jour. Ce sera tantôt une détente offerte, tantôt un nouveau « crac » de mes forces, tantôt quelqu’un qui appelle ou un projet caressé qui tombe à l’eau. Ma vie, comme celle de mes compagnes dans l’Institut, est pleine de ces appels tout simples, que j’entends comme une invitation du Père à un libre acquiescement dans la joie.

Obéissance à nos constitutions : n’ayant pas, comme malade, un horaire régulier de travail, sans tension, j’organise ma vie pour sauvegarder les temps forts de prière : l’office du matin en tout ou en partie ; l’après-midi, un temps de lecture, le chapelet. Puis, c’est le temps de la « visitation » : je vais aux autres chez eux ou chez moi. Dans mes promenades, je contemple l’œuvre du Père. Chez moi, par la radio, je me tiens au courant des nouvelles du monde. En fin d’après-midi, je passe un moment à l’église. Le soir, je prie l’office, unie à toutes mes sœurs.

Ma vie de malade consacrée ne se passe pas sans faiblesses, sans négligences volontaires ou non, sans peur devant la maladie ou la mort. Je sais que la Trinité m’habite et je vis avec elle. Je lui demande de me faire devenir ce que je suis au plus profond, c’est-à-dire ce que Jésus veut être en moi.

Face à mon prochain engagement définitif, je suis consciente de mes faiblesses. À l’école de la souffrance, j’ai appris à être patiente dans mon cheminement spirituel. Je sais que ma formation dans l’Institut durera toute ma vie. Je n’ai qu’un désir : révéler au monde le vrai visage du Père et la joie d’être son enfant.

Seul, le Magnificat peut exprimer ce que je ressens : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ! »

Thérèse

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