Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Témoignages

René Moulin

N°1974-4 Juillet 1974

| P. 242-247 |

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I. Pourquoi un Institut Séculier sacerdotal ?

Cette question, des confrères me l’ont souvent posée. J’ai tenté d’y répondre simplement à partir de mon expérience. Les lignes qui suivent n’ont rien d’un exposé systématique ; elles ne sont que le résumé de réflexions partagées en conversation amicale.

Je me suis engagé dans un Institut Séculier sacerdotal tout d’abord parce que j’y ai été appelé. En relisant sa vie à la lumière de la Foi, chacun de nous ne voit-il pas Dieu lui faisant signe à travers des situations, des personnes, des aspirations personnelles ? Jeune prêtre, il y a plus de vingt ans, je voulais que ma vie sacerdotale soit réussie. Un confrère aîné m’a dit alors : « Tu n’y parviendras pas seul ; tu dois choisir un groupe pour te soutenir ». Il m’a parlé de plusieurs associations sacerdotales, et notamment de la Société des Prêtres du Cœur de Jésus [1]. Le premier contact fut un peu pénible. Des pratiques reprises à la vie religieuse traditionnelle choquaient le prêtre séculier que j’étais et que je voulais rester. Mais, une fois dépassé ce que déjà entre jeunes nous considérions un peu comme un folklore, je trouvais dans cette association ce que je cherchais : une famille spirituelle qui m’apportait le souci d’une vie de prière sérieuse et qui me permettait d’engager ma vie en référence à des exigences motivées de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Ces exigences m’apparaissaient comme les portes à ouvrir pour que le Christ puisse agir en moi et à travers moi. La Société – c’était le nom qu’elle portait en vertu de sa parenté historique avec la Société de Jésus – était tributaire de la spiritualité de son époque et, de ce fait, elle n’était pas sans amener une certaine tension entre « vie spirituelle » et « apostolat ». Toutefois, elle nous poussait à rester pleinement séculiers, et cette option portait en elle la possibilité d’une synthèse plus riche qui sera réalisée dans la ligne des orientations proposées par Vatican II.

Après un temps qui ne fut pas exempt d’hésitations et même de distances devant l’engagement à prendre, j’ai répondu de façon claire et explicite à ce qui devenait un appel exigeant au cœur de ma vie de prêtre : j’ai prononcé des vœux. Ils m’apparurent surtout en ce temps-là comme une réponse, en termes de fidélité, au Dieu dont je lisais l’attachement fidèle dans le déroulement de mon existence. Depuis lors, j’ai découvert combien ces engagements me liaient aussi à des frères qui avaient choisi de réaliser leur sacerdoce en prenant le même itinéraire spirituel.

Cet engagement, je l’ai fait sereinement en un temps où on ne contestait pas la valeur d’une option définitive au nom de « la fidélité au moment présent ». Je dois reconnaître que je l’ai parfois remis en cause, qu’il m’a aussi pesé en certaines circonstances, mais, à y regarder après coup, c’était surtout dans les périodes creuses de ma vie. Par contre, je découvre combien il m’a entraîné à un perpétuel renouveau, comme une sève qui recrée sans cesse. Il m’a permis d’entrer avec entrain dans le bouleversement que le Concile suscitait dans l’Église et dans ma vie et mes options de prêtre.

Comment ? C’est surtout, me semble-t-il, en me donnant l’occasion de m’interroger, en m’amenant à me remettre en question avec d’autres. Dès avant le Concile, des révisions de vie, plus ou moins réussies, mais sans cesse reprises dans les réunions de ce qu’on appelait maintenant l’Institut, nous avaient permis de confronter le concret de nos vies avec l’Évangile. Insensiblement, tous les aspects de notre existence étaient remis en question : modalités et qualités de notre prière, exigences de l’engagement missionnaire, motivation et actualisation des vœux.

Ainsi, l’invitation conciliaire au renouveau nous trouvait prêts à faire sauter les aspects encore trop formalistes de nos engagements pour les centrer sur l’exigence missionnaire de notre vie sacerdotale. Ensemble, jeunes et aînés, nous étions amenés à forger par étapes une nouvelle Règle de vie, qui, en nous enlevant la sécurité d’un cadre, nous engageait dans une recherche évangélique adaptée aux questions de notre monde et aux réponses que l’Église voulait lui apporter.

Les titres de cette Règle de vie traduisent bien les orientations prises. Nous nous engagions à « suivre le Christ dans sa mission », afin d’être avec Lui et comme Lui « au milieu des hommes », « se faisant pauvre », recherchant « une prière gratuite », « totalement consacrés au Royaume ».

Nous nous engagions « ensemble », dans un esprit de « communion fraternelle » largement ouvert, réalisant « des rencontres » de prière et de partage, en nous aidant à « une humble fidélité » pour vivre la réponse qu’ensemble nous avons donnée au Seigneur, en essayant d’accentuer dans nos vies certains traits de sa personne et de son message.

Ainsi – et ce n’est pas un jeu de mots – un engagement stable, définitif, m’a amené à changer ; il m’a permis de dépasser mes crises personnelles, mes remises en question subjectives, en me situant pour la vie dans un état d’interpellation évangélique. Lié au Christ, dont l’existence est plus une question qu’une réponse toute faite, engagé à l’égard de frères auxquels j’ai donné le droit de m’interroger, je suis, souvent malgré moi, remis en question par rapport aux orientations et aux exigences de ma vie de chrétien et de prêtre. De plus en plus, l’Institut m’aide à comprendre qu’un engagement définitif ne peut être qu’évolutif, c’est-à-dire réexprimé en fonction d’appels nouveaux.

Bien sûr, cette fraternité, j’aurais pu la trouver dans une équipe de prêtres ou de chrétiens née de l’amitié ou de l’exercice du ministère. Je suis particulièrement heureux de l’avoir vécue dans l’Institut pour différentes raisons. Tout d’abord, quelle que soit ma fonction ou ma résidence, je suis sûr de trouver un groupe qui m’accueille et qui partage les mêmes options fondamentales. Ensuite, dans un groupe où l’on ne se choisit pas, les affrontements sont inévitables ; vécus dans un esprit fraternel, ils deviennent souvent source d’enrichissement et nous préparent à en vivre d’autres dans un climat souvent moins compréhensif. Enfin – et c’est surtout vrai depuis le dernier Chapitre qui a consacré la dimension internationale de l’Institut – je suis amené à partager une recherche évangélique menée au-delà des frontières de mon diocèse, de mon pays. Le Bulletin, les rencontres m’y aident ; ils devraient plus encore m’ouvrir à tous les engagements évangéliques que l’Esprit suscite dans le monde d’aujourd’hui. Déjà, par les situations vécues par nos frères dans d’autres mondes, nous découvrons l’urgence de revoir les exigences de notre engagement de pauvreté.

Abordons enfin une dernière sous-question. Cet engagement entraîne-t-il pour moi une consécration particulière ? La question est souvent discutée de façon un peu théorique entre nous. Restant au plan de mon expérience personnelle, je dirai que Dieu m’a marqué de son choix au Baptême, qu’il m’a consacré d’une certaine manière au service de son Peuple par l’ordination sacerdotale. L’engagement par vœu ne m’a jamais semblé apporter une troisième consécration. Cet engagement n’est pour moi qu’une façon d’orienter définitivement mon ouverture à Dieu et à mes frères. Dieu a frappé à ma porte et continue à le faire. J’ai essayé et j’essaie d’y répondre. Mes vœux sont les moyens de laisser la porte entrouverte, afin que le Christ et son Esprit prennent place en moi et me rendent disponibles pour la tâche qu’ils m’ont confiée dans le Peuple de Dieu.

Un jour, sans doute, des laïcs, engagés ou non dans des ministères, désireront partager notre fraternité séculière. Je souhaite personnellement qu’ils y soient largement accueillis, mais à la condition qu’ils restent eux-mêmes. Gardant leurs options propres, ils pourront, avec leurs frères chargés du ministère presbytéral, mener une recherche évangélique en plein monde. Une recherche menée par ceux qui savent se reconnaître différents et complémentaires ne peut être que plus riche. Le Père de Clorivière l’avait pressenti, lui qui avait voulu qu’un laïc au moins fasse partie de la première équipe.

Presbytère B - 7595 HERQUEGIES, Belgique

II. Une expérience de vie de groupe inter-instituts Séculiers

Nous appartenons à huit Instituts différents. Au départ, nous ne nous connaissions pas, mais nous répondions toutes à une même motivation : approfondir ensemble le sens de notre engagement, tel que nous pouvons le vivre, au jour le jour. Ensemble, venues de huit horizons différents, par-delà le contexte de nos groupes habituels, redécouvrir l’essentiel, tout en nous découvrant les unes les autres.

Dépassant donc d’emblée le but immédiat de nos réunions, à savoir préparer la première rencontre nationale inter-instituts de mars 1973, nous nous lancions dans une démarche « fenêtres ouvertes » menée à la base, que nous poursuivons tout en nous demandant périodiquement : où allons-nous ? est-ce que nous perdons notre temps ?

À la racine de ce besoin d’ouverture supplémentaire, nous trouvons deux certitudes, en apparence contradictoires :

  1. nous sentant toutes d’Église, nous refusons les cloisonnements excessifs, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une mise à part, à de petites chapelles closes qui pourraient faire suspecter la volonté de créer un mystère là où il n’y en a pas ;
  2. bien que, toutes, soudées dans l’Église du Christ, nous désirions rester divisées en petites fraternités, bâties à l’échelle humaine, selon nos affinités, nos aptitudes particulières, nos familles spirituelles.

Deux certitudes profondément inscrites en nous, que nous accueillons l’une et l’autre, mais en y ajoutant le dynamisme d’un chassé-croisé périodique entre Instituts différents, pour la joie de nous connaître, d’échanger et de travailler ensemble à la recherche de l’essentiel, par-delà nos singularités respectives.

Nous nous reconnaissons très proches les unes des autres, au point de nous poser les mêmes questions ; semblables aussi sont nos cheminements. Quant à nos différences, si nous ne les avons pas encore cernées de façon précise, nous croyons qu’elles doivent être d’ordre spirituel et missionnaire ; nous nous sentons proches, proches, mais distinctes comme des noyaux, au sens biologique. Notre fond commun, c’est le Christ, vivant la vie des hommes de son temps. Sur nos éventuelles différences, nous comptons revenir.

Nos moyens de travail : une vie de groupe vécue comme un élargissement, sans contraintes : libre expression et polydirectivité, spontanéité et volonté commune d’intériorisation.

Comme dans nos groupes habituels, mais parfois plus facilement : réflexion du vécu qui nous provoque, partage au ralenti de notre pain quotidien :

  • ce suicide dans mon milieu de travail, avec toutes ses incidences autour de moi ;
  • cette injustice commise au nom de l’Église dans mon école chrétienne et mon attitude d’enseignante à ce propos ;
  • cette famille où tout se désintègre, que je dois aider en respectant des personnes qui ignorent à la fois le respect et les personnes ;
  • la lutte collective dans laquelle j’ai pris rang pour l’émancipation humaine et plus de justice sociale ;
  • le mystère d’abjection que je vis comme l’a vécu le Père de Foucauld, parce que le Christ m’a demandé d’être toute à Lui dans une spiritualité qui m’épanouit. Sans ce don total à Dieu et sans ce guide, humainement, il me serait impossible de tenir ;
  • à la fine pointe de ma vie, là où le Christ « déborde l’Église » (la communauté des croyants), là où le monde refuse Dieu, comment vivre intensément en pleine adhésion au Christ ?

Réfléchissant aux aspirations qui montent en nous et que, d’ailleurs, nous souhaitons mieux connaître, l’important nous paraît être l’intensité et la vérité avec laquelle nous vivons notre vocation.

Comme le dit le Père Voillaume, on ne peut pas toujours dire tout ce que l’on vit, mais on peut tendre à le vivre d’une façon aussi intense que possible. Notre regard se porte essentiellement sur ce que nous sentons avec tout notre être, sur la manière dont nous le vivons. Ainsi sommes-nous amenées à souhaiter une meilleure connaissance de soi et une formation permanente de notre personnalité pour une meilleure relation à l’Autre et aux autres.

Afin de nous éclairer nous-mêmes tout en nous permettant de mieux communiquer avec tous, y compris la Conférence nationale, nous essayons de nous définir. Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Comment nous situer chacune et ensemble dans l’Église ? Quelle est notre identité de croissance et de vie ? Comment nous faire reconnaître telles que nous sommes ?

Certes, nous le savons, les théologiens sont tout prêts à faire ce travail pour nous, prêts à nous donner des étiquettes, à nous ranger dans des catégories savamment pensées, à nous enfermer dans des définitions d’un droit canon où les mots ont un sens si caché que le simple bon sens ne peut s’y retrouver. Nous aimerions les rejoindre, mais ils partent des sommets et nous partons du sol. Ils construisent, et nous, nous repartons tous les jours du degré zéro, quant aux difficultés toujours neuves, et quant au dépouillement de nos moyens, sans structures préfabriquées, riches seulement d’aspirations que nous voulons laisser s’épanouir parce qu’elles viennent de plus loin que nous, et que nous voulons leur permettre d’aller plus loin que nous.

Le fondamental : essayer d’être vraies par rapport au Christ. Ce que nous avons à donner est moins ce que nous avons que ce que nous sommes, et pour cela, nous voudrions mieux connaître nos possibilités d’être et nos limites. Si je suis en porte-à-faux quelque part dans ma vie, je donnerai sans doute malgré tout un peu de vérité et d’authenticité, mais dans une proportion infiniment moindre que si je suis bien d’aplomb. La maturité chrétienne ne doit-elle pas aboutir à une certaine expression de la vérité ?

Nous nous définissons en affirmant notre relation à Dieu, relation d’intimité et d’amour, vécue dans le célibat, primitivement voulu ou secondairement reconnu. Notre moyen d’expression est une vie de relation ; nous exprimons notre foi en vivant une relation directe avec les autres, souvent dans la confusion, dans un agglomérat de tensions ; c’est pour cela que la vie ordinaire a tellement d’importance pour nous.

La vie ne peut pas se laisser comprimer dans une peau trop étroite ; le crabe change de carapace pour grandir ; ainsi modifions-nous nos lois de vie. Pas de vie sans croissance. En accord avec le Père Martelet, nous souhaitons des structures légères, aussi légères que possible afin qu’elles nous aident, sans nous scléroser.

Un groupe parisien inter-Instituts Séculiers

[1Institut Séculier, inspiré du Père de Clorivière, appelé actuellement, en France, « Groupes Évangile et Mission » (G.E.M.). Secrétariat international : 202, Avenue du Maine, F - 76014 Paris.

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