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Note sur « Mouvements charismatiques et vie religieuse »

Michel Rondet, s.j.

N°1974-3 Mai 1974

| P. 160-162 |

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Le but de cette note n’est pas de présenter une étude descriptive et critique des mouvements charismatiques. Des brochures comme celles d’Henri Caffarel et, tout dernièrement, des articles de revues ont essayé de le faire. Sans méconnaître les problèmes que peuvent poser à l’Église l’existence et le développement de ces mouvements, les réserves et les approfondissements qu’appellent certains aspects de leur vie, nous avons voulu évoquer ici très brièvement quelques questions que ces mouvements nous semblent adresser à la vie religieuse comme telle.

Ces questions, nous les regroupons autour de quatre points qui nous paraissent plus significatifs.

1. Au plan de la prière

Des religieux et des religieuses découvrent dans ces groupes une qualité de prière et de vie fondée sur la prière qu’ils paraissent avoir ignorée jusqu’alors ou qu’ils ne trouvent pas dans leur famille religieuse. Le développement de ces groupes, la séduction que leur forme de prière exerce sur des religieux et des religieuses ne dénoncent-ils pas une certaine stérilité spirituelle de nos vies, en particulier l’absence d’intégration de l’affectivité profonde dans notre vie de prière et l’absence d’une vraie théologie spirituelle comme fondement de notre piété ? Certains d’entre nous ne découvrent-ils pas dans ces groupes, aujourd’hui, une réalité spirituelle devenue absente de trop de vies religieuses ?

2. Au plan de la relation prière et communauté

Malgré des efforts faits, bien des communautés religieuses en sont encore restées à la prière en commun sans vivre profondément le lien prière-fraternité. Dans les groupes charismatiques, ce lien est vécu à une profondeur nouvelle. Il s’agit de beaucoup plus que d’ambiance de petits groupes. La communauté (et à travers elle, l’Église) y est redécouverte comme lieu :

  • où la Parole prend sa dimension de Parole de Dieu : là, elle n’est plus une parole parmi d’autres, mais la Parole dans sa transcendance, l’absolu de son impact dans une vie d’homme.
  • où la foi est partagée et se nourrit de la vie théologale de tous, proclamée et célébrée.
  • où l’action de grâces prend sa dimension universelle à travers la prière de tous. La fête devient alors possible, qui est d’abord communion dans l’action de grâces.

N’y a-t-il pas là aussi une question posée à nos communautés, à leur prière, à leurs célébrations (ou à leur absence de célébration) ?

3. Au plan de la vie évangélique

La radicalité des options prises, au plan du partage et de la pauvreté en particulier, nous interpelle aussi. Devant nous des jeunes décident au nom de l’Évangile de tout mettre en commun et le font. D’autres abandonnent des « situations d’avenir » pour pouvoir consacrer plus de temps à la prière, à l’accueil des marginaux et des migrants et se contentent d’une vie pauvre vécue au jour le jour, sans sécurité pour l’avenir. Dire que ceci ne pourra pas durer n’est pas une réponse suffisante, car des jeunes font là une expérience de vie évangélique qui a pour eux aujourd’hui valeur et qu’ils ne retrouvent pas toujours dans nos communautés.

4. Au plan de la vie religieuse elle-même

Les groupes de prière donnent naissance un peu partout à des communautés de vie (Paris, Lyon, Grenoble, Montpellier, etc.). Ces communautés de vie qui regroupent essentiellement de jeunes célibataires, hommes et femmes, quelques foyers, des prêtres, ont bien des caractères qui les rapprochent des communautés religieuses : vie structurée autour de la prière, du partage, de l’hospitalité, dans une pauvreté joyeuse et un témoignage de fraternité ouverte à tous. Les plus anciennes d’entre elles sont en train de réinventer les structures de la vie religieuse : temps de probation préalable à l’entrée définitive dans la communauté, recherche d’un mode d’engagement qui soit à la fois engagement personnel devant Dieu et lien avec une communauté. La plupart de ces communautés sont du reste en relation avec des communautés religieuses, surtout contemplatives, dont elles partagent à l’occasion la prière et auprès de qui elles vont se ressourcer. Des membres de ces communautés se préparent à entrer dans l’une ou l’autre des Congrégations existantes, ils espèrent pouvoir le faire sans être obligés de renoncer à ce qu’ils ont découvert ensemble et ils apporteront avec eux au noviciat une expérience de la vie fraternelle et des exigences actuelles de la vie évangélique qui demanderont à être accueillies. D’autres, tout en suivant au jour le jour la voie où ils se pensent appelés par Dieu, ne cachent pas leur espoir de pouvoir être un jour accueillis en tant que communauté par une famille religieuse existante. « Nous avons besoin de chercher ensemble ce que Dieu attend de nous. Entrer actuellement dans une communauté existante nous empêcherait probablement de le faire, mais nous savons que nous ne pourrons pas durer seuls, aussi espérons-nous qu’il y aura, parmi les familles religieuses actuelles, des communautés assez ouvertes pour reconnaître un jour notre recherche et lui donner le fondement dont elle aura alors besoin. »

Y aura-t-il parmi nous aujourd’hui et demain des communautés qui pourront entendre cet appel ? De façon plus générale, de telles communautés sont-elles pour nous un signe d’avenir ? Sont-elles seulement la traduction au plan religieux d’un phénomène de réaction à certains aspects du monde actuel ou dessinent-elles déjà, maladroitement peut-être, les lignes d’une renaissance de la vie religieuse à partir d’un mouvement plus vaste qui animerait demain de larges couches du peuple chrétien ?

Ces questions sont aujourd’hui posées, nous pourrons diverger sur les réponses à leur donner mais ce qui est né en France depuis deux ans autour des mouvements charismatiques ne nous permet plus, me semble-t-il, de les ignorer ou de les traiter à la légère.

La Baume Sainte-Marie
Chemin de la Blaque, B.P. 32
F- 13606 AIX-EN-PROVENCE, France

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