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Mutations, expériences et orientations actuelles dans la vie de prière

Paolo Molinari, s.j.

N°1974-3 Mai 1974

| P. 131-145 |

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Au cours des deux dernières années on a constaté chez les religieux, un peu partout dans le monde, un intérêt renouvelé et très vif pour la prière. Cet intérêt peut être considéré comme plus fort qu’il n’a sans doute jamais été dans les siècles précédents.

Les manifestations de cette préoccupation vitale sont nombreuses. Leur solidité théologique dépend incontestablement de la solidité spirituelle des personnes intéressées. En outre on peut ajouter, semble-t-il, que là où existe un désir authentique de recherche du Seigneur, et un désir largement partagé, la prière même contribue à corriger ce qu’il peut y avoir de défectueux dans la façon de voir et de penser des religieux intéressés.

Je voudrais partager avec vous ce qui paraît être les développements les plus récents de la prière. J’essaierai d’indiquer ce qui paraît être vraiment sain et de présenter en même temps quelques considérations sur des sujets où semble nécessaire une certaine prudence. Finalement je veillerai à mettre en lumière ce qui pourrait être fait pour encourager et soutenir la réponse des religieux à l’action de Dieu.

Partage spirituel

En partant des informations et des constatations dont nous disposons aujourd’hui, je crois que l’on peut dire qu’un des phénomènes les plus apparents et les plus répandus est celui que l’on appelle le « partage spirituel ».

Une conscience plus vive de la dimension communautaire a réveillé le sens de responsabilité qui réclame de chaque membre de la communauté une contribution à la croissance spirituelle des autres. Ce sens de responsabilité communautaire pour favoriser la prière de chacun est loin d’être nouveau, mais il a pris, ces derniers temps, une forme nouvelle. Jadis on estimait généralement que cette responsabilité appartenait au supérieur. Tous étaient sans doute conscients du fait que la communauté devait être une aide dans la recherche du Seigneur, mais on parlait bien peu de partager personnellement avec les autres ses propres inspirations et désirs spirituels. Bien plus, dans beaucoup de Congrégations surtout féminines, on décourageait positivement ces initiatives. On redoutait un certain orgueil spirituel et, peut-être, un manque d’authenticité. En un temps où l’on mettait l’accent dans la vie religieuse sur l’effort personnel de recherche de la perfection (qui n’exclut pas la possibilité d’un semi-pélagianisme inconscient), ces craintes pouvaient être compréhensibles. Aujourd’hui cependant chez les religieux existe une compréhension plus profonde de l’action de Dieu dans les individus comme dans les communautés, ce qui réduit le danger que le partage spirituel puisse favoriser l’orgueil.

Alors que jadis on concevait la relation au Seigneur comme quelque chose d’extrêmement personnel, aujourd’hui on tend de plus en plus à estimer que l’inspiration de chacun peut et doit être partagée par ses frères. En une époque où le monde connaît une crise de foi, ce type de mise en commun peut devenir une aide efficace dans l’effort de réponse au Seigneur, soit à titre individuel, soit en tant que communauté. Évidemment il existe des dangers comme dans toute situation humaine. Le danger le plus sérieux n’est plus sans doute l’orgueil spirituel, mais la possibilité qu’une certaine pression, discrète ou même indiscrète, ne s’exerce sur des personnes plus réservées, en les poussant à échanger leurs expériences spirituelles et leurs pensées. Il s’agirait là d’une injustifiable violation de la vie privée, qui peut cependant être normalement évitée, si l’on crée une atmosphère de liberté spirituelle qui encourage mais n’impose pas ce partage. Lorsque l’on prend les précautions nécessaires, les avantages dépassent largement les risques, parce qu’à travers l’échange spirituel la communauté amorce une union plus intense et atteint un niveau plus profond. C’est l’amour du Christ qui nous a unis que nous devons surtout partager entre nous.

Nous assistons de nos jours à une croissance et à un développement constant de ce partage spirituel. Partout où il se fait avec sérieux, charité et discernement, les communautés ont rapidement passé de la discussion au dialogue, puis à l’échange de réflexions sur l’Écriture et d’autres textes spirituels. Cette attitude porte à la mise en commun des pensées et des aspirations, qui à son tour amène à un authentique partage de prière, dans lequel les membres de la communauté expriment spontanément ce qu’ils ont dans le cœur. Cet échange offre souvent de précieuses indications sur la profondeur spirituelle des membres de la communauté, dont certains resteraient parfois inconnus parce qu’ils hésiteraient à dévoiler quoi que ce soit de leurs rapports avec le Seigneur. Le partage de prière conduit ensuite généralement au besoin intense de partager le silence dans l’écoute et l’adoration de Dieu ; la contemplation se développe alors rapidement.

Ce partage spirituel a souvent porté certaines personnes à redécouvrir le besoin de ce qui leur manquait peut-être : l’esprit de prière, le contact vécu avec le Seigneur. De fait personne ne peut partager ce qu’il ne possède pas. Plus fondamentalement encore ce partage tend à inspirer à ceux qui y prennent part de chercher le Seigneur avec plus d’intensité et d’ardeur.

Là où ce profond esprit de prière s’est développé dans un contexte communautaire, la communauté est devenue apostolique d’une nouvelle manière. En effet un groupe qui est sincèrement ouvert et qui échange ce qu’il a de plus profond constitue un centre d’attraction par le fait même qu’il existe. Il exerce ainsi un apostolat vital. Des religieux d’autres communautés et même d’autres Instituts, des membres du clergé et des laïcs (et il y en a beaucoup qui y sont intéressés), en voyant qu’il existe un groupe de religieux qui ont une foi profonde et prient sincèrement, sont attirés à s’unir à eux et à prendre ainsi part à leur adoration et à leur prière. Évidemment la communauté doit être ouverte et prête à accueillir ces « visiteurs » qui bientôt deviennent des « adorateurs ». Pareille communauté est donc éminemment apostolique, puisqu’elle conduit les hommes à Dieu.

Cette nouvelle forme de prière communautaire porte presque naturellement à une attitude nouvelle devant Dieu et devant le monde. Le partage des désirs et des inspirations, des expériences et des craintes, fait que la prière est plus intimement liée à la réalité de la vie : dans les angoisses et les souffrances des hommes, dans leur misère et dans leurs besoins, on découvre plus facilement la voix de Dieu qui nous appelle à le servir et qui nous invite à continuer la mission d’amour et de bonté que le Christ a exercée sur la terre et qu’il désire que nous continuions.

Tandis que ce partage porte à une attitude d’écoute de Dieu qui nous interpelle, il fait sentir plus impérieusement la nécessité d’intercéder, en union avec le Christ, pour ceux qui en ont besoin. En même temps il rend plus intense le besoin d’union plus intime au Christ et de partage de ses façons de penser, comme il porte à la contemplation du Christ dans ses mystères.

Estime de la liturgie

Le partage spirituel, qui a dans l’Écriture une de ses principales sources, a contribué à estimer plus profondément la liturgie et à y participer plus activement. En parlant de la liturgie, je songe d’abord à la célébration eucharistique, dans laquelle la louange de Dieu trouve son expression la plus haute et atteint son sommet, mais je pense aussi à l’Office auquel on fait généralement allusion lorsqu’on parle de la « prière de l’Église ».

Il est vrai que de bien des côtés il y a eu une réaction négative à l’endroit de l’Office et de la récitation de Laudes et de Vêpres. Alors que l’on opérait une réduction considérable et nécessaire du nombre des « prières de communauté », la prière de l’Église a été souvent trop facilement considérée comme une autre de ces prières vocales de communauté. En conséquence beaucoup se sont mis à la recherche d’autres formes de prière qui semblaient plus attirantes et chargées de plus de signification.

Comme beaucoup l’ont souligné, cette réaction est due en grande partie à une formation scripturaire déficiente et en conséquence à la mésestime des psaumes. En contrepartie, – beaucoup l’ont souligné – là où il y a eu partage spirituel vrai et une connaissance meilleure et plus répandue de la Sainte Écriture, beaucoup de communautés sont arrivées à se rendre compte que la prière de l’Église, avec la souplesse qu’elle comporte, peut devenir le moyen le plus solide et le plus sûr pour introduire graduellement la communauté à une union mutuelle, dans laquelle on partage le Seigneur en profondeur et on se prépare à une participation réelle à l’Eucharistie.

Cette constatation s’est trouvée renforcée par l’expérience de ceux qui, par moindre estime des psaumes, les ont remplacés par un matériel dont la valeur esthétique, sinon doctrinale, peut être discutable. On en est ainsi revenu à la Parole de Dieu et à un intérêt positif croissant pour l’Écriture.

Peu à peu ce contact avec le Seigneur dans sa Parole conduit ceux qui s’en étaient éloignés au désir d’un contact avec le Verbe dans sa présence sacramentelle. Je ne parle pas ici de la célébration de l’Eucharistie, mais de l’amour simple et profond pour le Seigneur qui veut être en permanence présent parmi nous sous les espèces sacramentelles.

La célébration de l’Eucharistie reste évidemment le centre et le sommet de la prière communautaire. Une participation plus large, plus complète et plus signifiante est activement recherchée. Cette participation est certainement enrichie par l’expérience de prière personnelle des membres de la communauté et se complète d’une compénétration plus profonde de la prière et du service vécu : « allez en paix pour aimer et servir le Seigneur ».

Beaucoup de Communautés religieuses mettent un effort notable à préparer la célébration eucharistique. Cela constitue souvent l’occasion d’un partage profond et d’une croissance des individus et de la communauté dans leur amour et leur estime de la vie liturgique de l’Église. De cette façon la préparation devient elle-même une prière qui conduit à une célébration plus intense de l’Eucharistie de la part d’une communauté déjà intimement unie au Christ et à un approfondissement de cette union avec toute l’Église.

Ici cependant nous nous trouvons en face d’un des problèmes les plus douloureux et les plus répandus qui affectent aujourd’hui beaucoup de communautés religieuses. Les différences d’opinion sur ce qui est opportun ou légitime dans ce domaine portent trop souvent à des divisions dans les communautés. Plus encore et plus souvent ces différences divisent les religieux non-prêtres du clergé local et de la hiérarchie locale. Les religieuses en particulier rencontrent souvent des prêtres qui ne veulent pas accepter de célébrer l’Eucharistie d’une façon qui corresponde à leur besoin profond de prière intense ou qui ne sont pas disposés à adopter des changements qui sont cependant encouragés par la hiérarchie locale. Les motifs de ces divisions sont nombreux mais souvent – il faut bien l’admettre – les religieux n’essaient pas assez de dialoguer sereinement et ouvertement avec les personnes concernées. De toute façon l’Église est obligée de tenir compte des besoins authentiques de ceux qui ont mis leur vie à son service. Personne ne pourra le nier.

Le mouvement des maisons de prière

Une autre manifestation importante de ce développement du partage spirituel, soit dans les communautés religieuses, soit au sein de la plus vaste communauté chrétienne, et qui comporte une recherche plus intense de Dieu et des temps de prière, m’amène à vous parler de ce qu’on appelle communément le « Mouvement pour les maisons de prière ».

Comme on le sait, ce mouvement s’est surtout répandu et continue à se répandre de préférence, mais non exclusivement, dans les pays anglophones.

On sait que ce qu’on appelle « Maison de prière » peut être fort nuancé. Le mot n’indique pas nécessairement un édifice permanent. Il s’agit plutôt du fait que l’on donne à des religieux l’occasion de se libérer d’autres responsabilités pour passer un temps relativement long avec le Seigneur. Dans ce but certaines Congrégations ont réservé une ou plusieurs de leurs maisons, souvent fort simples et pauvres, à un petit groupe de personnes qui constituent une cellule plus ou moins permanente, autour de laquelle d’autres membres de la Congrégation peuvent venir se recueillir lorsque leurs engagements apostoliques leur permettent de passer quelque temps de prière dans la tranquillité. Certaines maisons de prière servent à une Province ou à une Congrégation. D’autres sont inter-congrégationnelles. D’autres encore servent aussi bien à des religieux qu’à des prêtres diocésains (à des évêques) et aussi à des laïcs.

Où sont les racines de ce mouvement ? Certains le considèrent comme une réaction à une situation de malaise et donc comme une fuite : même s’il peut être vrai que, pour certaines personnes, le désir de passer un certain temps dans une maison de prière soit une expression camouflée d’insatisfaction à l’égard de l’adaptation, etc., tous ceux qui ont suivi de près ce mouvement, comme aussi les nombreux religieux qui ont partagé et partagent cette expérience, sont d’accord sur le fait qu’il y a en général quelque chose de bien différent et de positif qui pousse tant de personnes à passer quelque temps dans une Maison de prière.

En essayant de décrire brièvement la motivation de ces personnes, on peut dire qu’il s’agit d’un besoin profond de donner priorité à ce qui est l’élément primordial de notre vie de personnes appelées à suivre le Christ et à être au nombre des « siens ». « Maître, où habites-tu ? ». « Venez et voyez ». « Ils allèrent et restèrent avec lui » (cf. Jn 1,38-39). En d’autres termes, il s’agit d’un besoin impérieux de vivre avec Celui qui est notre vie. La réponse à cette invitation intérieure n’a donc pas pour but de trouver une satisfaction personnelle ou une consolation, mais bien de devenir ce que le Christ veut que nous soyons, c’est-à-dire entièrement « siens ».

Il y a en même temps une conscience très vive de ce que le fait « d’être auprès du Seigneur » est apostolique par nature. Et cela non seulement parce que la prière a une influence apostolique, non seulement parce qu’elle rend plus familier au Seigneur, plus uni à lui et donc plus apte à l’apostolat, mais encore parce qu’elle développe grandement l’intelligence de la dimension communautaire de la prière et de la responsabilité de favoriser celle-ci auprès des autres. En effet ceux qui ont éprouvé et éprouvent le besoin d’aller dans une Maison de prière, à part quelques circonstances ou cas exceptionnels, veulent le faire avec d’autres pour mettre en commun tout ce que le Seigneur leur donne et être ainsi une communauté ouverte et priante à laquelle peut s’adresser quiconque cherche le Seigneur, pour y satisfaire une exigence intérieure.

On voit donc comment ce mouvement va de pair avec la tendance générale dont nous avons parlé d’abord en traitant du partage spirituel. Tous deux conduisent à une intensification de la dimension apostolique de la prière et à une estime de l’influence qu’exerce une communauté qui prie sur le monde qui l’entoure.

Ce caractère particulier du mouvement des maisons de prière souligne encore ce qui a été dit plus haut : il ne s’agit pas d’une recherche de Dieu séparée de la vie. Bien plus c’est un impérieux besoin de répondre à l’appel du Christ qui conduit son disciple à s’engager plus à fond envers le monde et la mission qui y est la nôtre. En effet par le fait d’être aux côtés du Christ, de devenir toujours plus les « siens » au niveau de la conscience, on regarde toujours plus le monde avec les yeux du Christ et par conséquent on l’aime avec Lui et comme Lui l’aime. Et personne n’a tant aimé le monde et n’a été si intensément engagé en lui que le Christ.

Ce que j’ai dit sur les maisons de prière me porte à mentionner au moins brièvement un autre phénomène qui a connu une large et rapide diffusion : le mouvement de pentecôte.

Il ne m’appartient pas de m’étendre sur le sujet, ni d’en décrire les éléments positifs, ni de parler des précautions qui s’imposent. Je crois devoir au moins souligner que ce mouvement devrait nous amener à nous poser une question. Il révèle en effet clairement que beaucoup de personnes, spécialement parmi les laïcs et les jeunes, mais aussi parmi les religieux, ont soif de Dieu et de prière. Pourquoi vont-ils chercher la satisfaction de ce désir dans des milieux étrangers aux nôtres ? Cela ne devrait-il pas nous inviter à nous demander si nous n’avons pas sous-évalué la part que la prière devrait avoir dans notre vie personnelle et communautaire ? En mettant un accent exagéré sur l’activité, n’avons-nous pas peut-être omis d’offrir aux autres ce qu’ils attendaient de nous en tant que personnes consacrées à Dieu ?

Cette observation, vue à la lumière de ce qui a été dit sur le partage spirituel et le mouvement des maisons de prière, met en relief un autre facteur évident. Il existe chez les religieux un désir aigu et toujours croissant de prière personnelle.

Prière personnelle

On rencontre partout aujourd’hui chez les religieux une grande soif d’un contact intime et personnel avec le Seigneur. Beaucoup se jettent avec avidité sur tout ce qu’ils croient pouvoir les aider à trouver ce contact avec Dieu. On comprend alors pourquoi il existe une prolifération de livres splendidement illustrés, qui peut-être ont comme but de fournir ce qui servira à la préparation psychologique de la prière, ce que la tradition ignatienne associe à la « composition du lieu ». Il existe en même temps un intérêt notable pour ces exercices physiques et mentaux, propres à l’ascétisme oriental et qui peuvent procurer certains de ces bienfaits attribués jadis à la mortification sur laquelle on insistait tant dans le passé. On rencontre en effet un profond intérêt pour l’ascétisme comme tel, mais généralement conçu en termes sociaux. Plutôt que d’insister sur la mortification personnelle comme telle, l’accent est placé sur la disponibilité totale aux autres, au détriment des plans et des préoccupations personnelles. Consentir volontiers à être interrompu, à voir ses projets personnels bouleversés, à penser toutes choses en relation avec les besoins d’autrui, peut être une forme d’ascétisme extrêmement exigeante et en même temps sainement chrétienne.

Ce retour notable d’intérêt et de désir d’une prière personnelle et fort simple – comme expression du l’apport du religieux avec le Seigneur qui l’a consacré dans son amour et pour sa mission – a surgi en même temps que le mouvement pour le partage spirituel. Il se peut qu’il existe une causalité réciproque entre les deux mouvements. Comme on l’a souligné, la prière partagée ne peut atteindre un niveau supérieur à celui de la prière personnelle de ceux qui y participent. D’autre part la prière partagée stimule et inspire la prière privée. Le rapport franc et ouvert qu’elle crée avec les autres constitue également une sauvegarde contre les illusions d’une spiritualité trop individuelle et isolée. Cela nous oblige à relever que le besoin croissant d’une prière personnelle plus intense est intimement lié au mouvement des maisons de prière.

Une communauté orientée vers la prière est portée à souhaiter une atmosphère de paix et de calme, sinon de silence, à cause de la prise de conscience toujours plus vive de la présence du Seigneur parmi nous. Des communautés de ce type, si elles sont vraiment ouvertes au milieu qui les entourent, peuvent avoir une grande influence sur d’autres personnes qui aspirent à être avec le Seigneur. Elles rayonnent également une saine compénétration de l’union d’amour avec Dieu et d’une complète disponibilité à son service.

Ce désir même d’être avec le Seigneur trouve aussi son expression dans le renouveau d’intérêt suscité par les Exercices spirituels. On a connu une très grande variété d’Exercices spirituels ces dernières années. S’il faut bien dire qu’ils ne sont pas tous d’égale valeur, il faut cependant admettre que l’effort réalisé pour leur organisation témoigne d’une grande vitalité et d’un intérêt manifeste pour un besoin spirituel. Le point le plus significatif semble cependant le fait que l’on abandonne ces formes d’exercices où abondaient les discussions pour rechercher au contraire un type de prière plus contemplative.

En croissance rapide il faut souligner le désir d’Exercices Spirituels dirigés individuellement, dans lesquels le retraitant est en contact tous les jours avec un directeur qualifié. La tâche de ce dernier consiste à encourager et à aider une rencontre tout à fait loyale et totale avec le Seigneur.

L’intérêt croissant pour les Exercices spirituels dirigés soulève le problème, au moins pour les religieuses, du nombre insuffisant de directeurs prêtres compétents. On a essayé en certains endroits de résoudre la difficulté en préparant des sœurs pour cette tâche. D’excellents programmes organisés dans plusieurs parties du monde souhaitent répondre à ce besoin. Les demandes de participation ne cessent d’affluer, alors que le nombre de sessions ne cesse lui aussi de croître.

Ce besoin toujours plus aigu de faire les Exercices spirituels sous une direction personnelle met en lumière un autre aspect décidément positif de cette recherche évidente de Dieu et d’ouverture à son action. Je veux parler de ce besoin toujours plus profond d’une nouvelle conversion du cœur qui à son tour porte à une nouvelle estime du sacrement de la confession, mais envisagé sous des modalités nouvelles et plus profondes de réconciliation avec Dieu et avec nos frères, d’exigence de changement de conduite et de normes de vie, tout aussi bien sur le plan personnel que sur le plan communautaire.

En même temps cette honnête recherche de Dieu et cette ouverture sincère à ses exigences a porté et porte à une nouvelle estime du discernement spirituel et de la nécessité de l’exercer au sein de la communauté, c’est-à-dire avec l’aide de nos frères, pour mettre ensemble avec le maximum d’objectivité tout ce qui peut aider à découvrir les véritables exigences de Dieu, non seulement à propos de la vie personnelle, mais aussi au sujet de la mission que Dieu nous confie.

D’admirables initiatives ont été prises dans ce domaine. Elles ont produit des fruits considérables non seulement en ce qui concerne l’harmonie de la communauté, mais par le besoin aigu qu’elles ont fait naître de découverte et de connaissance de la vraie nature de la vie religieuse apostolique, des caractéristiques de la prière de l’homme d’action, des exigences de la contemplation dans l’action et pour obtenir une synthèse harmonieuse entre la contemplation et l’action. Cette nécessité est ressentie un peu partout, mais spécialement là où on a assisté à une intensification du partage spirituel au sein de la communauté, non seulement religieuse mais aussi locale, et dans une forme de prière insérée dans la réalité de la vie et de la mission.

Points de préoccupation

En abordant la partie négative des développements actuels dans le domaine de la prière, je ne parlerai pas de ces authentiques aberrations – heureusement en régression – comme l’idée que Dieu ne peut absolument être atteint directement, que l’unique possibilité de prière réside dans le contact avec les autres personnes ou que le travail étant prière, on ne devrait pas rester à la chapelle « à parler tout seul à soi-même ».

Sans cependant en arriver à des positions aussi complètement erronées et insoutenables, il existe des points qui réclament une explication.

Il existe une certaine confusion entre prière et réflexion, entre prière et conversation profonde, entre prière et travail apostolique, entre prière et appréciation esthétique de la nature et de la beauté. Dans ce dernier domaine, on ne fait pas toujours la distinction assez délicate entre l’adoration de Dieu dans les créatures et une attitude semi-panthéiste. Dans ses formes extrêmes cela peut amener à une dépersonnalisation de Dieu.

Indépendamment de toute opinion ou tendance théologique, on constate une négligence assez largement répandue dans l’attention à porter à la prière formelle de la communauté. Les motifs en sont nombreux. On peut citer par exemple :

  1. la difficulté de trouver des formes de prière qui soient riches de sens pour tous les membres de nos communautés, qui deviennent de plus en plus pluralistes.
  2. la surcharge des engagements de nombreux religieux. Elle est le résultat des besoins apostoliques croissants.
  3. le fait que certains religieux n’arrivent que progressivement à cette discipline intérieure personnelle qui doit remplacer les structures extérieures du passé.

Même si un nombre plus restreint de religieux participent à des formes de prière communautaire, on doit cependant dire que ceux qui le font ont une solide motivation intérieure. Leur présence n’est pas la réponse à une pression extérieure et n’est pas non plus à attribuer à la crainte de sanctions qui accompagneraient la violation d’une norme universellement acceptée.

Dans le domaine de la prière, comme dans d’autres, certaines incompréhensions, sérieuses et dommageables, peuvent surgir et se développer du fait que les religieux plus jeunes et plus enclins aux changements utilisent souvent des mots nouveaux pour désigner des réalités vraiment antiques et fondamentales.

L’expérience leur a enseigné qu’eux aussi ont certaines nécessités ; et cependant parfois ils ne sont pas disposés à accepter le fait que, en admettant cela, ils sont en train de retourner à certains concepts traditionnels même s’ils ont subi les modifications nécessairement dues aux intuitions nouvelles et aux approfondissements. De leur côté les plus vieux ne réussissent pas à reconnaître le vieux vin dans les outres nouvelles.

Quelques exemples de termes plus ou moins équivalents sont : « l’ouverture à l’Esprit » et « docilité à la volonté de Dieu » ; « autocritique » et « examen de conscience » ; « évaluation communautaire » et « chapitre des coulpes ». Ces exemples pourraient être multipliés ; tous indiquent la nécessité d’une confiance sincère et réciproque, comme également la disponibilité à accepter, avec le discernement nécessaire, ces concepts spirituels dont le sens n’est pas toujours immédiatement évident.

Points à encourager

Les récents développements dans le domaine de la prière montrent des signes nombreux de l’action de Dieu chez les religieux. Elle doit être soutenue. Peut-être le point principal est-il une plus profonde confiance en Dieu même, un abandon plus complet à ses voies et une plus grande liberté pour parler de Lui. Cela amène à une sérénité plus totale, à la vraie liberté des enfants de Dieu, qui désirent répondre à leur Père dans toute la spontanéité de leur amour. En conséquence tout ce qui est superstructure, loin de favoriser la prière, peut en fait faire écran à l’action de Dieu et donc à la croissance dans la prière.

On a assisté ces dernières années à un notable développement de l’éducation scripturaire et théologique, surtout des religieux. Dans les programmes les meilleurs, cette éducation est conçue non seulement comme une formation intellectuelle, mais plutôt comme un complément vital, qui offre une connaissance spirituelle de Dieu et de son activité. Plus cette orientation sera suivie, plus grandes et plus authentiques seront les possibilités d’une croissance spirituelle dans la communauté ; plus s’estomperont aussi les dangers d’une communauté dirigée par des personnes dont la préparation intellectuelle, très solide dans le domaine profane, n’a jamais été complétée par une science et une croissance spirituelle adéquate.

Il existe un désir croissant de partager toute richesse spirituelle et d’utiliser toutes les occasions d’échange. À cause d’une meilleure formation spirituelle et théologique, il existe de plus en plus dans les communautés des personnes disponibles, capables de répondre à ces nécessités spirituelles, compétentes pour donner une direction spirituelle ou diriger les Exercices spirituels.

Il ne fait pas de doute que le désir légitime des religieux de passer de longues périodes de temps en prière doit être encouragé. Les maisons de prière, organisées avec une grande souplesse dans les formes, constituent une réponse à cette nécessité. Là où des finances insuffisantes ou un personnel limité empêchent une Congrégation d’ouvrir une maison de ce genre, on peut toujours chercher des accords et des solutions avec d’autres Congrégations. Des religieuses bien préparées et capables peuvent se déplacer de maison en maison pour apporter leur aide à ceux qui désirent chercher plus intensément le Seigneur, ou simplement pour prier avec eux. Ce service constitue une contribution importante au renouvellement d’une communauté, parce que chaque membre qui approfondit sa prière, exerce, par le fait même, une influence sur les autres.

Enfin une certaine liberté, sainement et raisonnablement comprise, dans la liturgie, en sauvegardant évidemment les normes fondamentales établies par l’Église, devrait être laissée aux maisons religieuses. L’Église se doit d’accorder cette forme d’inspiration si importante et si vitale à ceux surtout qui ont donné leur vie à son service.

Les développements négatifs attirent toujours plus l’attention que les points positifs. Tandis que nous ne pouvons fermer les yeux devant les difficultés réelles qui existent aujourd’hui dans le domaine de la prière, nous devons cependant nous réjouir en face des nombreux signes d’un intérêt renouvelé pour la prière et des orientations très saines qui deviennent toujours de plus en plus clairement perceptibles. Dieu parle aujourd’hui aux religieux, hommes et femmes, comme il l’a fait hier. La réponse libre et généreuse de tant de personnes est un des aspects les plus positifs du renouvellement de la vie religieuse dans l’Église de nos jours.

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