Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La prière œcuménique

Sœur Minke

N°1974-3 Mai 1974

| P. 177-181 |

Nous sommes heureux de publier la communication de Sœur Minke, de la Communauté de Grandchamp, à la session pour les Supérieures générales de Rome, en novembre 1973. Nous la faisons suivre d’un texte sur le rôle de l’Esprit Saint dans la prière et la vie fraternelle, paru dans la lettre annuelle de janvier 1974.

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La prière œcuménique, la prière pour l’unité se trouve dès le début au cœur de la vie de notre communauté et cela a été très clairement l’œuvre du Saint-Esprit.

C’est Lui qui a permis les rencontres de nos premières sœurs (de Mère Geneviève) avec des moniales catholiques et anglicanes. Ces contacts leur ont été d’une grande aide dans leur recherche d’une vie de prière et de la vie communautaire.

Les contacts pendant la guerre avec l’abbé Couturier, et ensuite avec d’autres pionniers du mouvement de l’unité, comme le Père Curtis (Anglican), les professeurs Zander et Evdokimov (orthodoxes) nous ont profondément marquées.

Et bien sûr, le lien avec les frères de Taizé, l’adoption de leur Règle et de leur office, a permis que cette orientation vers l’unité des chrétiens s’incarne dans toutes les expressions de notre vie.

La Règle de Taizé souligne très fortement le rapport entre l’attitude d’être « ferment d’unité » à l’intérieur de sa communauté, et la manière d’être dans l’Église, Corps du Christ, tout en insistant sur l’ouverture à chaque homme « quel que soit son horizon idéologique ou religieux ».

Nous sommes maintenant une cinquantaine de sœurs, issues des différentes églises de la Réforme : réformée, luthérienne, méthodiste et baptiste. Cela nous exerce très concrètement à l’ouverture.

Nous sommes en marche vers l’Église de demain. Si une sœur voulait imposer comme absolu ce qu’elle a appris et vécu dans sa propre Église, bien vite nous serions arrêtées dans notre marche. Nous nous trouverions bloquées par des discussions de principes, des craintes inspirées par le passé, au lieu d’être tendues en avant par l’espérance et ouvertes au « demain de Dieu », disponibles à l’Esprit-Saint.

Notre office et notre spiritualité d’unité nous aident... (Règle de Taizé : « être des hommes qui cherchent à unir en tout »... « la perfection est précisément de supporter les imperfections du prochain et ceci par amour »... « aie la passion de l’unité du Corps du Christ »...)

Quand nous prions tels textes de la liturgie de l’Église catholique, anglicane ou orthodoxe dans nos offices, lorsque nous chantons leurs hymnes aussi bien que celles qui viennent de notre propre tradition, lorsque nous écoutons les homélies des Pères des premiers siècles, de la Réforme ou d’aujourd’hui, notre cœur s’élargit et nous commençons à comprendre l’autre par le dedans.

Que notre cœur se laisse donc transformer, ne craigne pas de devenir vulnérable, ouvert au souffle de l’Esprit. Et le fait d’être peu de chose, comme communauté, exposée, pauvre, peut disposer, si nous le voulons bien, à être des femmes d’ouverture, puisque nous n’avons rien à perdre.

Comment pourrions-nous perdre notre foi, celle que nous avons reçue dans notre Église, si elle est profondément enracinée dans le Christ mort et ressuscité et ne cesse de grandir et de s’approfondir sous l’action de l’Esprit dans la prière fidèle, l’écoute de la Parole, dans l’Eucharistie et l’office et à travers chaque rencontre vécue au nom du Christ ?

L’an dernier, j’étais aussi à Rome, invitée par les Petites Sœurs de Jésus. Ce n’était pas pour y parler, mais pour vivre avec elles et assister à la cérémonie des vœux perpétuels de 40 Petites Sœurs à Saint-Pierre. Cela a été certainement une préparation à notre rencontre d’aujourd’hui, car là, au chœur de Saint-Pierre, j’ai été profondément saisie par toute la diversité, l’universalité de l’Église catholique. D’une part, à travers les Petites Sœurs qui se consacraient au Seigneur, chacune dans sa propre langue – elles avaient été appelées de tant de pays divers et étaient prêtes à partir aux quatre extrémités du monde pour vivre avec les plus pauvres. D’autre part, dans la prière eucharistique, je vivais le lien avec les apôtres, avec les martyrs des premiers siècles dont le sang a fécondé la propagation de l’évangile, et avec tous les pèlerins qui ont prié dans ces lieux – Luther et Bonhœffer compris !

Et ces jours, en vivant avec vous, cela s’est encore approfondi : le monde entier, tout « l’œcumène » n’est-il pas ici présent à travers vous ? Chaque Eucharistie que vous célébrez – que nous célébrons – n’est-elle pas la prière œcuménique par excellence puisque nous la vivons en communion avec tous ceux qui ont vécu dans l’amitié du Christ à travers tous les siècles ? A chaque instant de l’Eucharistie, l’amour du Père à la recherche de tout homme, si éloigné soit-il, nous traverse.

La prière est œcuménique lorsque la prière personnelle ou communautaire se situe à la fois dans la communion des saints, en s’ouvrant à toutes les dimensions de cette réalité, et au cœur de l’humanité, se sensibilisant au cri le plus caché qui monte des profondeurs de la souffrance des hommes.

La prière œcuménique n’est donc pas une catégorie de prière de plus, comme il peut y avoir une prière d’adoration, de repentance, ou d’intercession, et d’autres. Chaque prière, chaque vie de prière est appelée à s’élargir aux dimensions du monde entier aussi bien qu’à s’approfondir dans la communion de tous ceux qui ont vécu dans l’amitié du Christ et de tous ceux qui l’aiment aujourd’hui, tous ceux qui sont « membres de son Corps, qui font partie du peuple de Dieu, qui forment ensemble le temple de l’Esprit Saint » (Newbegin). Chaque prière est appelée à être vraiment œcuménique et l’Eucharistie, où toutes les prières sont récapitulées, est la prière œcuménique par excellence.

Vivre profondément l’Eucharistie dans sa dimension œcuménique, c’est prendre tout simplement conscience que ce moment culminant de toute prière se situe dans la marche de l’Église vers la Parousie, « jusqu’à ce qu’il revienne », en communion avec les fidèles de tous les siècles et avec tous les chrétiens d’aujourd’hui.

Parmi ceux qui adorent le Seigneur nuit et jour, dans cette nuée de témoins (He 12), cette foule immense (Ap 12), il y en a beaucoup qui n’étaient pas de notre Église. Avec eux notre communion est sans obstacle à travers l’Agneau, car pour eux Il est déjà tout en tous. Quelle joie et quelle perspective !

À l’Eucharistie toute notre prière est orientée vers « la gloire de Dieu et le salut du monde » ; nous ressentons douloureusement l’absence de ceux qui ne peuvent croire au Christ – et parmi eux, très particulièrement le peuple de l’ancienne alliance, les Juifs.

Combien plus douloureusement encore ressentons-nous à l’Eucharistie la séparation d’avec ceux qui font partie comme nous du Corps du Christ, du Peuple de Dieu, du Temple de l’Esprit et qui ne peuvent pas encore communier avec nous à la même Table du Seigneur.

Jésus dit : « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un, afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

Plus nous nous ouvrons à la communion des saints du ciel et de la terre et à l’intention de la prière du Christ, plus cette séparation devient lourde à porter, insupportable même. Cette séparation d’avec ceux qui en notre temps sont en marche comme nous, souvent dans la nuit, dans la lutte et le combat pour rester fidèles, pour vivre le Christ et l’Évangile au milieu des hommes qui souffrent et ne peuvent plus croire, cette séparation d’avec ceux qui comme nous intercèdent pour tous les hommes, qui portent comme nous la souffrance du monde au Christ et demandent au Saint-Esprit de ramener les enfants au Père et de renouveler la face de la terre. Oui, cette séparation devient très lourde à porter, jusqu’à s’intérioriser comme une blessure au fond de nous-même, dans notre propre cœur : « Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, pitié pour nous ! »

Et ainsi, cette souffrance même nous unit plus profondément à nos frères dans la repentance. Elle devient « passion pour l’unité » du Corps du Christ en communion avec la passion du Christ et animée par l’espérance ferme de sa Résurrection et de son Retour.

L’année sainte 1975 a été consacrée à la Réconciliation et au Renouveau. Paul VI en a mis la préparation sous l’animation du Saint-Esprit. Sachons donc regarder les signes de l’action du Saint-Esprit partout dans les Églises. Jean XXIII ne l’avait-il pas prédit ? « Dieu nous prépare une nouvelle Pentecôte qui embrasera tout homme du feu de son amour ».

Viens, Père des pauvres, viens Lumière des cœurs, Viens, Esprit généreux et donne-nous l’unité pour que le monde croie que le Père a envoyé son Fils pour le salut de tous les hommes.

« Être ensemble parmi les hommes un signe de la joie et de l’amour fraternel »

La vie communautaire est un laboratoire d’ouvertude et d’amitié inspirées, animées, rendues fécondes par la joie que donne le Saint-Esprit. La joie du pardon, la joie de ceux qui peuvent dire « Abba, Père », la joie des pauvres qui accueillent chaque jour le pain de l’espérance pour leurs frères les plus lointains, les plus malheureux, les plus humbles.

Dans nos contacts fraternels, les endroits durs, rigides, imperméables de notre cœur ne peuvent pas rester inaperçus. Nous sommes souvent tentés de les camoufler, ou de nous justifier de toutes sortes de manières, de nous défendre... car l’admettre est une souffrance.

Prier le Saint-Esprit de « nous donner la joie qui demeure » nous engage à nous ouvrir à sa venue et à offrir, à exposer notre personne à sa lumière à la fois douce et pénétrante.

Le Saint-Esprit nous découvre à nous-mêmes, il nous conduit dans la vérité. C’est extrêmement dur et pourtant bienfaisant, car cela se passe à l’intérieur de l’amour de Dieu le Père. Nous ne sommes pas abandonnés à nous-mêmes, mais visités par le Christ, l’Amour du cœur de notre Père, tels que nous sommes, et il nous offre la guérison.

C’est ainsi que naît en nous la joie, cette joie qui demeure. Elle devient en nous comme une source, la source qui jaillit de la Croix.

Cette joie ne nous sera pas enlevée. Elle se consolidera en nous à travers la croissance du Christ en nous : « Voilà ma joie, dit Jean-Baptiste, elle est maintenant parfaite, qu’il grandisse et que moi je diminue ».

Joie et amour sont un et s’enracinent dans le Christ mort et ressuscité. Cette joie n’écrase pas celui qui souffre, car elle est fruit de l’Esprit, toute délicatesse, tact, accueil. Pour ne pas blesser l’autre, pour ne pas heurter sa sensibilité, elle se fait tout intérieure. Mais, même cachée au fond de nous-mêmes, elle abreuve, elle renouvelle notre amour, notre espérance pour tout homme. Et devenus plus vulnérables encore à ses aspirations les plus profondes, nous invoquons sur lui le nom du Christ.

Communauté de Grandchamp
CH-2015 AREUSE, Suisse

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