Théologie de la vie religieuse
Bulletin bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1974-2 • Mars 1974
| P. 104-116 |
La vingtaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer en 1973 se répartissent assez naturellement en quatre groupes. Nous consacrerons le premier aux ouvrages qui concernent la vie religieuse dans son ensemble. Un second sera réservé à l’étude de points particuliers : la pauvreté y occupera une place de choix. Nous réunirons ensuite les livres traitant de diverses formes de la vie consacrée, réservant une quatrième section à deux précieux instruments de travail.
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I
Les onze chapitres du livre que le P. Van Bavel consacre à La nature profonde de la vie religieuse [1] révèlent à la fois une grande expérience spirituelle, une très large information sur les tendances contemporaines, une théologie solide s’appuyant consciemment sur une saine philosophie, beaucoup de bon sens et, ce qui ne gâche rien, bien au contraire, une profonde modestie.
L’auteur nous invite tout d’abord à ne pas fermer les portes : ni celle qui donne sur le passé, ni celle qui ouvre sur l’avenir. Il nous montre ensuite, en des pages remarquables, qu’une juste appréciation de la vie religieuse suppose une idée exacte de la vocation commune à tous les chrétiens : tous sont appelés à une relation personnelle avec le Père, dans le Fils, par l’Esprit ; ce sont, comme le rappelait Lumen gentium, tous et chacun des chrétiens qui sont invités à la perfection de l’amour et, en conséquence, à la même attitude eschatologique, bien qu’ils aient à la vivre de façon complémentaire ; même les « conseils évangéliques » sont adressés à tous. Si la vie religieuse ne peut donc se réserver aucun monopole, ni celui de l’intimité divine, ni celui de la perfection, ni celui de la dimension eschatologique, ni celui des conseils, que lui reste-t-il de spécifique ? Pour essayer de le découvrir, l’auteur nous fait parcourir l’histoire : l’appel lancé par Jésus n’a pas constitué deux classes de disciples, mais il s’est cependant diversifié selon les cas : les uns furent invités à tout quitter, d’autres non, mais les uns et les autres furent appelés à la même radicale conversion et à l’ascèse que celle-ci suppose. Sur cette notion peu en faveur aujourd’hui, l’auteur a des pages éclairantes : il montre que toute vie humaine, parce qu’elle tend vers un but et doit réaliser quelque chose, inclut nécessairement une ascèse : celle-ci n’est que le côté négatif du choix positif qui lui donne son sens. On ne peut fonder et réussir un foyer qu’en épousant une femme et en renonçant, par le fait même, à toutes les autres.
Suit une description des quatre périodes que l’auteur découvre dans l’histoire de la vie religieuse : monachisme primitif, vie religieuse vécue socialement, puis comme effort de réformer l’Église, enfin comme service de celle-ci ; ceci l’amène à se demander si une cinquième période, encore difficile à caractériser, ne s’est pas ouverte. Continuant sa recherche, il examine les raisons mises en avant aux diverses époques pour justifier la vie religieuse. Le monachisme ancien s’opposait au monde pécheur et à son oubli de Dieu, il s’efforçait d’atteindre à la maîtrise de soi par la méditation et la contemplation et visait à s’approcher d’aussi près que possible de l’état définitif de la vie humaine, qu’il voyait réalisé dans la vie angélique ; la vie monastique, participation à la croix du Christ, avait pour idéal le martyre et on y était très sensible à la précarité des choses d’ici-bas. Au cours des siècles suivants, d’autres motivations furent encore mises en avant : un amour plus grand ou un christianisme plus radical, la comparaison avec l’état de mariage, jugé moins parfait (ce qui entraîna le thème des fiançailles mystiques appliqué surtout à la vie religieuse féminine), la présentation de la vie religieuse comme miroir de l’Église, le rôle de témoin ou de signe de la cité de Dieu. L’auteur n’a pas de peine à montrer que la vie religieuse ne peut s’arroger le monopole d’aucune de ces attitudes, tout ce qu’elles contiennent de valable faisant partie de la vocation propre à tous les chrétiens. Quel est alors le noyau central et en quelque sorte le cœur de la vie religieuse ? Ce n’est pas la vie communautaire : l’existence de l’érémitisme (toujours en honneur en Orient et connaissant en Occident un renouveau significatif) suffit à le montrer. Mais une constante se découvre tout au long de l’histoire de la vie religieuse, sa tendance ascétique. Si elle a connu et connaît parfois encore des formes diverses, un accord remarquable s’est toutefois réalisé, presque dès les débuts, sur trois renoncements, ceux qui font l’objet des trois vœux traditionnels. Ceci amène l’auteur à réexaminer ceux-ci à la lumière des problèmes qui se posent aujourd’hui. Il nous permettra, en toute simplicité, de lui dire que, dans un livre par ailleurs remarquable, ces trois exposés nous ont plutôt laissé sur notre faim. Peut-être est-ce dû avant tout à l’honnêteté avec laquelle sont présentés tous les points de vue, les essais, les tendances : dans un domaine où les recherches sont encore si peu avancées, peut-être un tableau de la situation actuelle ne pouvait-il point dépasser ce stade. S’il en est ainsi, si ce défaut mineur n’est que l’excès d’une qualité, il faut souhaiter que l’auteur poursuive ses recherches, ses réflexions, ses expériences et puisse bientôt nous en communiquer les fruits. Espérons aussi que ce livre remarquable ne tardera pas à être traduit.
Réévaluer les vœux [2] groupe cinq séries de contributions données par le J. Jean Isaac, O.P., à la revue Forma gregis, dont il est le directeur. Signalons simplement les deux premières : elles traitent du « Dessein de la Croix » et du « Destin de la vie religieuse », placée sous le signe de la Croix. Les trois autres nous retiendront davantage, car elles développent une vue renouvelée des vœux et de la vie religieuse. « La pauvreté du grand seigneur » nous propose une attitude de suprême liberté dans l’usage ou l’abstention des biens de ce monde, dont le Créateur nous a faits seigneurs, mais non propriétaires. « Le célibat du frère universel » étudie le sens de la différenciation sexuelle, son rôle dans notre épanouissement et la place que doit occuper, en conséquence, dans notre monde, un célibat consacré. Dans « Vœux de religion et familles spirituelles », c’est d’abord à un bilan de la situation actuelle que l’auteur nous convie, pour nous inviter ensuite à un examen de conscience sur ses causes profondes et sur les remèdes à y apporter ; il conclut par des perspectives d’avenir : il faut, pense le P. Isaac, que l’on reconnaisse l’importance des « familles spirituelles » dans lesquelles s’exprime « la diversité des instincts évangéliques et des services apostoliques... essentielle au Corps du Christ... Ces familles spirituelles admises, il serait à souhaiter que dans chacune il puisse y avoir des personnes ayant des conditions de vie très différentes. Hommes et femmes, gens mariés et célibataires, prêtres et laïcs, tempéraments contemplatifs ou missionnaires, penseurs ou bâtisseurs, âmes d’écoute ou d’action, que tous y soient reçus dans la plus stricte égalité pourvu qu’ils jouissent du même appel, changerait l’avenir » (p. 212).
Ces pages comportent nombre de notations intéressantes, de réflexions pertinentes, de critiques méritées. L’auteur dénonce avec force les demi-réformes qui, depuis Vatican II, s’efforcent seulement de replâtrer des édifices atteints dans leurs fondements : il s’insurge contre les efforts subtils de plus d’un pour conserver à la vie religieuse, sous des termes déguisés, une supériorité sur la vie laïque ; il dénonce avec fougue le manichéisme latent dans une certaine fuite du monde. On ne peut nier que beaucoup de ses reproches aient un fond de vérité, même si son ardeur l’amène à négliger des nuances importantes et à généraliser indûment ses critiques. Cela suffirait-il à expliquer pourquoi nous avons peine à suivre le P. Isaac dans son grandiose projet de réévaluation ? Nous ne le pensons pas. Son exégèse biblique nous a paru, en plus d’un endroit, commandée davantage par ses vues personnelles que par le sens littéral des passages en cause (voir, par exemple, son exégèse de Gn 2,24, comparée à ce qu’en dit l’Évangile – Mc 10,8 et par.). Il n’est pas sûr non plus que la théorie, empruntée à Kierkegaard, qui voit dans le doute et la peur le péché fondamental de l’homme dès l’origine soit la solution définitive du problème posé par le récit de la Genèse.
Plus profondément, il nous semble – nous prions l’auteur de nous excuser si nous le comprenons mal – que la vision qu’il a des rapports de Dieu et du monde pèche par déséquilibre, un déséquilibre symétrique de celui qu’il combat à bon droit dans le mépris manichéen du monde. Ceci l’amène à écrire, par exemple : « Ceux qui sont le plus près du but, ce sont ceux qui élèvent la cité de demain. Ce ne sont pas les « fous » chargés de rappeler au peuple-roi... par leur renoncement à toute propriété, à toute autorité et à toute liberté d’action, les tentations qu’il a de tout accaparer, tout dominer et tout centrer sur soi » (p. 207, note 57). Penser – et c’est au moins ce que suggère le texte – que ce sont les laïcs que « leur fonction met de façon immédiate au contact du monde à venir (fût-ce) par-delà les mystères de douleur et de gloire au sein desquels ils avancent pas à pas », n’est-ce point marginaliser les religieux, ne leur reconnaître qu’un rôle de « contestataires », nécessairement plus ou moins extérieurs ? Mais, ce qui est plus grave, n’est-ce pas sous-estimer l’une des deux composantes nécessaires de notre salut, celle précisément que les religieux sont plus spécialement chargés de vivre et de rappeler aux autres chrétiens ? N’est chrétien que celui qui confesse que le fils de Marie est aussi, dans l’unité d’une seule Personne, le propre Fils de Dieu. Le salut qu’il vient nous apporter, parce qu’il est notre divinisation en Lui, notre adoption filiale, dépasse infiniment la suppression du désordre qu’est le péché (même s’il l’inclut nécessairement). Précisément parce que ce salut nous est offert dans l’incarnation, il respecte et transcende à la fois notre simple nature humaine et l’univers qui est le nôtre. Sous son aspect transcendant, il ne peut être que don de Dieu, sa grâce, disait la théologie classique ; parce qu’il respecte notre nature, il doit s’y incarner avec notre collaboration. À qui voit les choses de la sorte, le rôle du religieux apparaît commandé davantage par le pôle de la transcendance : l’appel qu’il a reçu l’invite à témoigner, par ses renoncements significatifs, que même le bon usage des réalités les meilleures de ce monde ne suffit pas à réaliser le Royaume. Quant au laïc, son rôle de chrétien consiste davantage à témoigner, par son activité, que c’est en s’incarnant en pleine pâte humaine et cosmique que le salut se réalise. Sans qu’aucun des deux ait de monopole ni, par conséquent, de supériorité, chacun met plus en lumière l’une des composantes essentielles de toute vie chrétienne.
Selon un procédé qui lui est cher, le P. Épagneul nous donne dans Parole de Dieu et Pères de l’Église [3] un beau dossier de textes scripturaires et patristiques, qui nous ramènent aux sources de la vie religieuse. Chaque ensemble offert à notre méditation comporte un thème, de nombreuses et courtes citations d’Écriture (qu’on est supposé replonger dans leur contexte) et des extraits plus longs d’œuvres des Pères de l’Église. Ce recueil aidera religieux et religieuses – peut-être surtout ceux et celles que désoriente la constatation qu’aucun texte du Nouveau Testament ne se rapporte exclusivement à eux – à retrouver « l’humus chrétien » dans lequel s’enracine la vie religieuse née « d’une lecture globale de l’Évangile vu sous son angle radical » (P. Tillard, dans la Préface).
L’attention au charisme a connu un renouveau spectaculaire dans l’Église après Vatican II. Comme le note le P. Lemonnier dans ses Réflexions pour une théologie des charismes [4], elle provoqua des réactions en sens divers, de l’enthousiasme à la défiance, surtout dans certains milieux ecclésiastiques, inquiets d’y découvrir une attitude de critique et de contestation à l’égard de l’institution ecclésiale. Ces études, reprises à la Rivista di Vita Spirituale, examinent la nature des charismes, leurs divisions, un charisme-type (la prophétie) et le charisme des familles religieuses. L’auteur conclut en rappelant l’importance primordiale du charisme hiérarchique et le difficile, mais nécessaire équilibre à trouver entre les charismes particuliers (fussent-ils ceux des Ordres religieux) et celui de la hiérarchie, qui a seule mission d’authentifier les appels de l’Esprit et doit donc y rester attentive. A notre époque surtout, ces sages considérations rendront service par la lumière qu’elles apportent.
Pour clore cette section, signalons la parution en italien d’une plaquette du P. J. M. R. Tillard, Religiosi perche ? [5] et une nouvelle édition du Directoire canonique Les Instituts religieux dans l’Église [6].
II
Dans la thèse que la Sœur Aquinata (Mechtild) Bockmann consacre à La pauvreté dans les discussions actuelles à l’intérieur de l’Église [7], on ne sait ce qu’il faut le plus admirer : l’énorme érudition (près de trente pages de bibliographie en diverses langues, de vingt à cinquante références brèves et précises au bas de chaque page), la maîtrise du sujet, que l’auteur domine avec aisance, ou la pondération et la sagesse avec lesquelles elle évite, en ces matières difficiles, aussi bien le conservatisme que l’engouement pour la nouveauté comme telle, sait tenir compte de la diversité des situations et des vocations et réalise néanmoins une œuvre constructive.
Après un aperçu de la discussion sur la pauvreté à Vatican II, l’auteur examine la pauvreté dans l’Ancien Testament, la pauvreté de Jésus, celle de ses disciples et de la communauté primitive ainsi que la façon dont ces textes ont été utilisés au Concile et dans les discussions qui suivirent. Elle procède ensuite de même pour le thème « Église des pauvres et pauvreté de l’Église ». Les diverses sections de cette première partie sont suivies de résumés mettant en lumière ce que les religieux peuvent en tirer pour leur propre pauvreté. À celle-ci est consacrée la seconde partie du livre : on y examine l’évolution de la conception de la pauvreté, le problème de la pauvreté matérielle, l’esprit de pauvreté, la pauvreté comme partage.
Il est impossible de décrire en quelques lignes la richesse de ces pages. Essayons du moins d’en donner un avant-goût. L’auteur propose de concevoir la pauvreté religieuse aujourd’hui comme une suite du Christ dans la mise en commun des biens, la disponibilité et la solidarité avec les pauvres. Une pauvreté ainsi vécue suppose assurément aussi un dépouillement réel, mais celui-ci n’est pas au centre des préoccupations. Si un esprit de détachement qui ne s’incarne pas est une illusion, la pauvreté pour elle-même n’a aucun sens non plus : elles est au service de l’amour, amour de Dieu et du Christ, amour des pauvres qui en est inséparable. Relevons, à propos de ce dernier, cette réflexion très réaliste : « Une manière de mesurer à quel degré un couvent est une « Église des pauvres » serait sans doute d’examiner quelles sont les personnes qui fréquentent la communauté, si ce sont en majorité des pauvres ou des gens des classes supérieures, et comment ils sont reçus » (p. 327). Signalons encore des critiques pertinentes, mais modérées, de la manière de faire l’aumône, trop souvent blessante pour le pauvre qu’elle entretient dans son état, le souhait, plusieurs fois exprimé, que le ministère proprement sacerdotal soit gratuit, la remarque que ce qui est dû en justice (un salaire normal à ceux que nous employons, notamment) ne peut relever de la charité, de courageuses réflexions sur l’abandon des privilèges (les vrais pauvres, eux, n’en ont pas), le souhait que nous cessions, à tous les niveaux (y compris, hélas, les curies générales), de donner un contre-témoignage par des constructions et des dépenses « triomphalistes » (mais l’auteur note que détruire ce qui existe pour « faire pauvre » peut coûter des millions et que les gens autour de nous s’en rendent compte), une préférence marquée pour les communautés à taille réduite (plus capables de s’adapter aux besoins, si divers, des différentes régions du globe lorsque l’autorité supérieure ne se montre pas trop centralisatrice). Terminons cet aperçu, fort incomplet, par cette forte affirmation : « Les religieux doivent prendre conscience qu’ils sont eux aussi co-responsables de la pauvreté des autres » (p. 166). Sauf erreur, c’est un aspect de la co-responsabilité que certains de ses partisans songent moins à mettre en lumière. – Souhaitons enfin que ce maître-livre ne tarde pas à être traduit.
La recherche d’une pauvreté adaptée à notre temps est une question à l’ordre du jour. Pour aider son Ordre à la mener dans l’esprit de son Fondateur, le P. Switek, S.J., a pensé avec raison qu’il importait d’étudier attentivement ce que l’histoire nous apprend de la conception qu’Ignace de Loyola se faisait de la pauvreté, des moyens qu’il a voulu mettre en œuvre pour la réaliser, des démarches, voire peut-être même des tâtonnements qui ont marqué sa recherche. Son travail, Prêcher dans la pauvreté [8], montre fort clairement deux choses. Ignace a eu très nettement devant les yeux, dès les débuts, l’idéal de pauvreté qu’il vise pour lui-même et ses compagnons : une pauvreté pour l’amour du Christ, à son exemple et à celui des apôtres, une pauvreté qui, loin d’être un but ni d’abord un moyen de sanctification personnelle, est essentiellement une pauvreté apostolique : celle-ci unit le Jésuite à son Seigneur, l’enflamme de son zèle pour l’apostolat, surtout auprès des plus pauvres (ses préférés) et le prépare à la pleine disponibilité par le détachement que suppose la pratique loyale de la pauvreté. Mais, et c’est le second point qui ressort de cette étude, sur les manières concrètes de traduire cette pauvreté, Ignace s’est, jusqu’à la fin de sa vie, laissé instruire par l’expérience. Il y a là, estime à bon droit le P. Switek, de quoi justifier que la Compagnie puisse (et doive peut-être) abandonner aujourd’hui telle ou telle solution concrète marquée par les conditions économiques de jadis pour rester fidèle à l’esprit de la pauvreté ignatienne. Il indique quelques points où cet effort pourrait porter : renonciation à la propriété personnelle, problème des aumônes (vivre d’aumônes n’est plus perçu comme un signe de confiance dans la Providence), gratuité des ministères, apostolat par les moyens « pauvres » (ne conviendrait-il pas d’envisager l’abandon à d’autres de la direction des œuvres qui requièrent des moyens « riches » ?), vie commune (elle suppose que tous aient les mêmes « droits » et les mêmes chances d’obtenir ce dont ils ont besoin, quel que soit leur apport financier à la communauté), un genre de vie pauvre dans le respect de la diversité des situations et des apostolats, le service des pauvres, conciliable avec le souci du « bien le plus général », qui nous demandera souvent de savoir leur consacrer un peu de notre précieux temps. – Ce travail solide, clair et précis, fort bien informé, fera époque : on ne pourra plus traiter des problèmes de pauvreté dans la Compagnie (ni dans les Instituts qui partagent sa spiritualité) sans s’y référer.
Le Cahier Attentifs à la clameur des pauvres [9] que la Conférence Religieuse Canadienne vient de publier nous paraît un signe que les Communautés religieuses du Canada, dont beaucoup se sont brusquement retrouvées très riches lorsque leurs institutions (collèges, hôpitaux, etc.) ont été reprises par les pouvoirs publics, prennent une conscience aiguë des problèmes que leur pose « la clameur des pauvres ». Dans un recueil de bonne valeur, nous accorderions volontiers une place de choix à la contribution de Marie-Thérèse Boyer, S.N.J.M. et d’André Beauchamp, prêtre : « S’engager à l’aveuglette ? Critères prudentiels d’une présence aux défavorisés ». Non que nous partagions toutes les options des auteurs, mais leur texte est celui qui fait le plus réfléchir. Il nous faut bien aussi manifester notre regret devant la contribution de Richard Roach, S.J. : « Pauvreté, justice et violence ». Elle nous a paru une critique pesante des numéros 17 et 18 de l’exhortation Evangelica testificatio, dont l’auteur ne nous semble pas avoir compris la portée.
Nos lecteurs de langue italienne seront heureux d’apprendre la parution d’une traduction de l’excellent opuscule du P. Raguin sur Célibat pour notre temps [10].
III
Dans sa thèse de doctorat consacrée à La vie contemplative selon le Magistère récent de l’Église [11], le jeune Carme polonais Jan Bielicki s’est proposé d’étudier, d’un point de vue théologico-spirituel, l’enseignement actuel du Magistère sur cette forme de vie consacrée. Un premier chapitre expose les reproches faits à la vie religieuse et plus spécialement à la vie contemplative et présente en réponse la doctrine de l’Église sur leur valeur et leur actualité. Dans un second chapitre, l’auteur demande à ces mêmes textes de nous éclairer sur les fondements théologiques et spirituels de la vie contemplative et sur ses éléments constitutifs, ceux qui lui sont communs avec les autres formes de vie religieuse et ceux qui lui sont propres (recherche de Dieu seul, prière continue, lectio divina, travail, pénitence, séparation du monde, silence). Un troisième chapitre montre, d’après ces mêmes sources, que la vie contemplative, toute séparée qu’elle soit et doive rester, exerce un réel apostolat, dont les formes nous sont précisées et la mystérieuse fécondité, décrite. L’ouvrage se termine par une étude qui précise la nature, les motifs et les normes d’un sain renouveau de la vie contemplative, si chère au cœur de l’Église. – Ce travail clair et solide aidera certainement les contemplatifs à vivre plus intensément selon la vocation reçue du Seigneur.
Les appels de l’Esprit ont toujours été multiformes. Ils le sont aujourd’hui encore. Nous n’en voulons pour preuve que la brochure qui présente L’Ermitage du Magnificat [12]. C’est en 1957 qu’un groupe de jeunes filles de Lombardie songèrent à s’unir pour réaliser plus facilement l’appel qu’elles ressentaient : pour elles, suivre Jésus dans sa mission, c’est avant tout se tenir auprès de lui, dans une intense prière solitaire. Elles veulent vivre leur vie érémitique « dans l’anonymat des grandes villes », où elles exercent aussi, à la modeste place qui leur revient, le ministère de la parole qui porte Jésus au prochain dans des conversations amicales ; ce sera un travail adapté à leur condition qui assurera leur subsistance ; la vie en groupes de trois ou quatre dans de modestes appartements est conçue à la fois pour favoriser le recueillement de chacune, l’aide mutuelle (le repas du soir est pris en commun) et la pauvreté individuelle et collective (mise en commun de toutes les ressources et distribution aux pauvres, chaque mois, de tout le surplus). Statuts (plus juridiques) et Observations (plus personnelles) aideront tous ceux qui sont attentifs aux signes des temps à mieux saisir la grâce propre à cette intéressante fondation.
Le renouveau de l’érémitisme en Occident déborde largement le monde catholique. Il suffira pour s’en rendre compte de lire la seconde édition de L’appel du désert [13] de P. F. Anson. Sauf erreur, à part une nouvelle préface ajoutant des renseignements supplémentaires sur les développements récents de l’érémitisme dans l’Église anglicane, c’est une reproduction fidèle de la première édition [14]. C’est une histoire, fort bien narrée, de la vie solitaire depuis ses débuts, avec saint Paul Ermite, jusqu’à nos jours. Les détails pittoresques n’y manquent pas ; nous y apprenons, par exemple, que de riches propriétaires anglais des siècles derniers payaient des gens vêtus en ermites pour habiter dans les grottes se trouvant sur leurs terres : cela ajoutait à la couleur locale. Si de pareilles anecdotes font sourire, l’impression d’ensemble qui se dégage du livre est que « la vie érémitique est grande pourvu qu’elle soit grandement vécue » (Richard Rolle, XIVe s.), car elle ne s’explique que par la conviction que l’appel au désert vient de Dieu lui-même.
Fin 1972 et au début de 1973, le P. Koser, Ministre Général des Franciscains, a visité les Provinces O. F. M. de Valence et de Carthagène ; il y a pris la parole en de nombreuses occasions et répondu à de multiples questions. Ces conversations, enregistrées au magnétophone, ont servi de base au livre L’idéal franciscain et sa force d’attraction dans le monde d’aujourd’hui [15]. Le P. Koser développe d’abord ce thème, ce qui l’amène à préciser l’essentiel de la vocation de Frère Mineur, les principes fondamentaux de la formation, le charisme franciscain, la place qu’y occupe la vie contemplative, le rôle du chapitre conventuel et la vie en fraternités (avec le problème, si actuel, des petites fraternités). Puis il traite de la justice en ce monde, de la pauvreté et du service. Trois chapitres regroupent ses allocutions aux moniales franciscaines, aux religieuses Tertiaires et au Tiers Ordre Franciscain. Par leur actualité et le sérieux avec lequel ils sont traités, les sujets abordés par le P. Koser intéresseront un public qui déborde largement le monde franciscain.
Loi religieuse et discernement spirituel dans les Constitutions de la Compagnie de Jésus [16], tel est le titre, fort significatif, que le P. Costa, S.J., a donné à sa thèse de doctorat à l’Institut de Spiritualité de l’Université Grégorienne. Son propos a été en effet d’étudier, avec les ressources de l’histoire, de la philologie et de la réflexion théologique, ce texte capital. Les deux parties de l’ouvrage montrent, l’une, que la Dixième Partie des Constitutions est au centre de l’œuvre, l’autre, que le cœur en est constitué par les trois premiers paragraphes (notre espoir est en Dieu et en Notre-Seigneur, priorité aux moyens qui unissent l’instrument à Dieu, utilité réelle des moyens humains employés pour le seul service de Dieu).
D’une étude très fouillée, mais non exhaustive (l’auteur signale, dans sa conclusion, tout ce que pourrait apporter une comparaison entre le texte des Constitutions et l’autobiographie de saint Ignace), le P. Costa estime pouvoir conclure que saint Ignace est plus le fondateur de la Compagnie que son législateur : ce que lui-même et les premiers compagnons ont mis par écrit, c’est, plus qu’un code de lois dont l’utilité est évidente, la traduction d’un charisme destiné à demeurer vivant. Cette traduction est donc orientée vers la vie et ouverte sur l’évolution que celle-ci entraîne. De là ressort l’importance du discernement spirituel, moyen par excellence de rester fidèle à l’intuition originelle. Ce travail solide, où une pensée pleine de finesse a parfois quelque peine à trouver son expression, intéressera, par son contenu, tous ceux qui se réclament de la spiritualité ignatienne, et de nombreux autres par sa méthode.
Le dernier chapitre général des Frères du Sacré-Cœur (1968-1970) a fait appel de façon expresse au principe de la subsidiarité. La circulaire intitulée Communauté locale, que dis-tu de toi-même ? [17] interpelle chacune des 284 communautés de l’Institut et leur montre que le moment est venu pour chacune d’elles de devenir, jour après jour, une communauté de charité et de prière. Puissent ces excellents conseils en aider beaucoup à ne pas s’arrêter en chemin.
La thèse défendue par E. Mazzoli dans Les Instituts Séculiers entre la consécration et la laïcité [18] est qu’ils se trouvent devant un choix inévitable : ou bien opter pour l’état laïc et renoncer à une consécration spéciale à la pratique des conseils dans une association officiellement reconnue par l’Église, ou bien se reconnaître « consacrés » et cesser de se dire laïcs, même s’ils vivent leur consécration au milieu du monde (modalité secondaire qui les distingue des autres « consacrés » que sont les religieux). Il est impossible de prendre position en quelques lignes sur un problème aussi discuté, ne serait-ce que parce que cela appellerait bien des précisions et des distinctions entre le point de vue canonique et le point de vue théologique. Aussi nous bornons-nous à verser cette pièce au débat.
Rebâtir les ruines [19] est consacré à la reprise, dans l’Angleterre du XIXe siècle, d’une vie religieuse selon les normes que l’on croyait être celles du Moyen Age, dans les anciens monastères que l’on s’efforçait de rebâtir dans leur style original : bures monastiques, larges tonsures, sandales et rosaires aidèrent à créer un climat de piété romantique qui, note l’auteur, aida surtout moines et moniales à ne pas prendre conscience de la révolution industrielle qui transformait le pays. Si la plus célèbre de ces fondations, celle de Caldey, passa presque tout entière au catholicisme en 1913, cela ne marqua nullement la fin de la vie bénédictine dans l’Église Anglicane : celle-ci compte aujourd’hui encore plusieurs communautés florissantes (petit détail digne d’être noté : elles sont mentionnées dans l’Annuaire bénédictin catholique). Mais pratiquement toutes ces communautés ont abandonné le rêve de leurs prédécesseurs, elles ne songent plus à rebâtir les monastères détruits dans un style médiéval ou tridentin, mais s’efforcent, dans une démarche analogue à celle que suggère Perfectae caritatis, de retrouver l’essentiel de leur vie tel qu’il se découvre dans le Nouveau Testament et chez les Pères et de le vivre d’une façon parlante pour notre temps.
IV
Pour situer le remarquable travail que nous donne le P. Ravier dans Les Chroniques saint Ignace de Loyola [20], nous énoncerions volontiers ce paradoxe : personne ne lira ce livre (le typographe et le correcteur auront sans doute été les seuls, avec l’auteur, à le parcourir de bout en bout), mais innombrables seront ceux qui le consulteront avec profit et grande reconnaissance pour l’auteur. On ne pourra plus se passer d’un recours à cette mine de documents si l’on veut parler d’Ignace et des débuts de la Compagnie. Après un bref aperçu de la période 1491-1539, ces pages nous donnent de façon synoptique, année par année et pays par pays, tous les événements qui concernent la vie de l’Ordre naissant. De très nombreux documents d’époque, des cartes et des plans illustrent les faits rapportés. L’ouvrage se termine par un guide alphabétique sommaire pour l’étude de l’époque ignatienne que suivent les profils psychologiques d’Ignace et de ses premiers compagnons. Une présentation remarquable et une typographie impeccable, pour lesquelles la Nouvelle Librairie de France mérite toutes nos félicitations, contribuent à faire de ce précieux instrument de travail un petit chef-d’œuvre.
Le fascicule consacré à la Vie religieuse [21] par R. Facelina et M. Zimmermann se présente comme une bibliographie internationale et pluriconfessionnelle. Compilée par ordinateur, elle couvre la période qui va du début janvier 1972 à fin juin 1973 et comporte trois parties : vie religieuse en général, monachisme et vie contemplative, Congrégations et Instituts séculiers. Elle signale plus de 600 livres ou articles. Le plus grand service que rende ce recueil réside dans sa rapidité de parution : quelques mois seulement après la sortie de presse des ouvrages, on dispose d’une bibliographie remarquablement complète, précieux instrument de travail.
St. Jansbergsteenweg 95
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[1] T. J. Van Bavel. De kern van het religieuze leven. Coll. Doortocht. Tielt-Utrecht, Lannoo, 1973, 20 x 11, 270 p., 198 FB.
[2] J. Isaac, O.P. Réévaluer les vœux. Coll. « Problèmes de vie religieuse », 35. Paris, Éd. du Cerf, 1973, 236 p., 26 FF.
[3] M.-D. Épagneul, F. M. C. Aux sources de la vie religieuse. Parole de Dieu et Pères de l’Église. Paris-Fribourg, Ed. Saint-Paul, 1973, 19 x 13, 272 p., 26 FF.
[4] M. Lemonnier, O.P. Riflessioni per una teologia dei carismi. Roma, Rivista di Vita Spirituale, 1973, 20 x 14, 80 p., 600 lires.
[5] J. M. R. Tillard. Religiosi perchè ? Coll. « Problemi di vita religiosa », 1. Bologna, Ed. Dehoniane, 1973, 21 x 12, 70 p., 400 lires.
[6] Les Instituts religieux dans l’Église (Directoire canonique). Paris, Comité canonique des Religieux, s.d., 23 x 15, 80 p., 9 FF.
[7] Aquinata Bockmann. Die Armut in der innerkirchlichen Diskussion heute. Ein Beitrag zu einem Neuverständnis der Ordensarmut. Coll. « Münsterschwarzacher Studien », 25. Münsterschwarzach, Vier-Türme-Verlag, 1973, 21 x 15, 361 p., 48 DM.
[8] G. Switek. « In Armut predigen ». Untersuchungen zum Armutsgedanken bei Ignatius von Loyola. Coll. « Studien zur Theologie des Geistlichen Lebens », 6. Würzburg, Echter Verlag, 1972, 22 x 14, 308 p.. 42 DM.
[9] Attentifs à la clameur des pauvres. Coll. « Donum Dei », 19. Ottawa, Conférence religieuse canadienne, 1973, 23 x 15, 136 p., $ 2.50.
[10] Y. Raguin, S.J. Celibato per il nostro tempo. Coll. « Problemi di vita religiosa », 3. Bologna, Êd. Dehoniane, 1973, 21 x 12, 96 p.
[11] J. Bielecki, O.C.D. La vita contemplativa nel recente Magistero della Chiesa. Roma, Segretario « Pro orantibus », 1973, 24 x 17, 342 p.
[12] L’Eremo del Magnificat. Perugia, Via dei Filosofi 66, 1972, 23 x 14, 48 p.
[13] P.-E. Anson. The Call of the Desert. London, S.P.C.K., 1973, 22 x 14, 278 p., £ 1.50.
[14] Parue en 1964 (cf. R.C.R. 1964, 270-272) et traduite en français, sous le titre Partir au désert. Vingt siècles d’érémitisme, Coll. « Lumière de la foi », 28, Paris, Cerf, 1967 (cf. Vie consacrée, 1967, 319).
[15] C. Koser, O.F.M. El Franciscanismo y su fuerza de atracción en el mundo de hoy. Valencia, Selecciones de Franciscanismo, 1973, 23 x 17, 294 p., 200 ptas.
[16] M. Costa. Legge religiosa e discernimento spirituale nelle Costituzioni della Compagnia di Gesù. Coll. Storia del Cristianesimo, 4. Brescia, Ed. Paideia, 1973, 23 x 16, 444 p., 6.000 lires.
[17] Communauté locale, que dis-tu de toi-même ? Circulaire n° 6. Rome, Institut des Frères du Sacré-Cœur, 1973, 21 x 14, 32 p.
[18] E. Mazzoli. Gli Istituti Secolari tra consacrazione e laicità. Roma, Rivista di Vita Spirituale, 1973, 20 x 14, 36 p.
[19] P. E. Anson. Building up the Waste Places. The Revival of Monastic Life on Medieval Lines in the Post-Reformation Church of England. Leighton Buzzard, Faith Press, 1973, 26 x 19, 275 p., £ 4.95.
[20] A. Ravier, S.J. Les Chroniques saint Ignace de Loyola. (Paris), Nouvelle Librairie de France, 1973, 24 x 18, 334 p., nombr. ill.
[21] R. Facelina et M. Zimmermann. Religions Life. Vie religieuse. Bibliographie internationale 1972-juin 1973. Coll. RIC Supplément, 8. Strasbourg, Université des Sciences Humaines, 1973, 29 x 21, 42 + 8 p., 15 FF. – Dans la même collection avaient paru précédemment : Mariage et Divorce (1970-1972) – Église et État (1972) – Forces armées et Églises (1970-1972) – Jésus Mouvement (1972) – Évangélisation et Mission (1972) – Libération et salut (1972-juin 1973) – Politique et foi (1972-juin 1973). Chacun : 15 FF.