Bulletin bibliographique sur l’intelligence de la foi
Jean Delcuve, s.j.
N°1973-6 • Novembre 1973
| P. 366-372 |
Bon nombre parmi les ouvrages que nous allons présenter à nos lecteurs envisagent les mêmes problèmes, les mêmes réalités. À cela rien d’étonnant, puisqu’ils ont pour objet la foi. Nous essayerons de préciser la perspective particulière dans laquelle chaque auteur aborde la foi ou traite des « choses de la foi », perspective qui donne à ses écrits leur caractère propre.
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Dans La foi [1], le propos du Cardinal Garrone est de répondre aux deux questions suivantes : qu’est-ce que la foi ? quel est son contenu ? Mais la foi doit se vivre dans « le contexte présent » de l’Église. L’auteur commence par nous présenter celui-ci, avec ses difficultés (« nuages sur la foi »), mais aussi ses signes providentiels non équivoques (« signes divins des temps »). Il répond alors aux deux questions qu’il a dessein d’élucider. Cela fait, il traite de « la vie de la foi », rappelant fort opportunément les conditions d’une foi vivante dans le monde d’aujourd’hui. Deux chapitres terminent l’ouvrage : « Les garanties de la foi », « La part de la foi dans les travaux des hommes ». Voilà un livre qui est un « service de la foi » par le simple rappel de ce qu’elle est, de ce qu’elle éclaire, des conditions requises pour que sa clarté illumine la vie, sans que, pour autant, soit évacué son mystère.
Dans L’essentiel de la foi [2], le dessein de Max Thurian est de rappeler les vérités essentielles de la foi auxquelles devraient pouvoir adhérer les chrétiens des différentes confessions. L’auteur écrit en effet son livre dans une perspective œcuménique, dans le but de présenter à tous les chrétiens les réalités communes de leur foi. On est frappé par l’étendue de celles-ci. Très loyalement, les divergences sont indiquées en note, à la fin du livre. Profondément épris d’unité – n’est-ce pas l’aspiration de tout amour ? –, l’auteur demeure toujours soucieux de vérité. Selon sa juste remarque, « l’unité ne se fera solidement que dans la vérité acceptée d’un commun accord ; mais la vérité ne trouve sa plénitude d’expression que dans la charité qui cherche l’unité » (Introduction). On trouve réellement dans ce livre un exposé simple et éclairant de « l’essentiel de la foi ».
Les choses de la foi [3], de Pierre Talec, est un livre remarquable, un des meilleurs que nous connaissions pour l’intelligence de la foi, de ce qu’elle est, de ce qu’elle nous révèle, des clartés qu’elle projette sur l’existence, comme de la « cohérence » de l’univers auquel elle nous fait accéder. Il apportera, pensons-nous, à ceux qui le liront attentivement un renouvellement de leur vision de foi, un regard neuf sur les problèmes théologiques, spirituels, moraux qu’ils se posent. Ils y découvriront mieux comment Jésus est réellement Lumière pour tous ceux qui l’accueillent, une lumière qui donne tout son sens à nos vies, à nos morts. Entièrement centré sur la personne de Jésus, le livre se divise en deux parties : L’audace de la foi - La cohérence de la foi. La première partie nous montre que Jésus est quelqu’un à reconnaître, à trouver, à accepter : la foi est discernement, recherche, consentement. Quelqu’un de provocant et en même temps d’engageant : la foi est scandale, mais aussi fidélité. Quelqu’un de filial, de spirituel : Dieu est Père, Dieu est Esprit, la foi est confiance, elle est un feu. Né d’une femme, Jésus est Fils de Dieu et homme, quelqu’un dont on ne peut se passer, le Sauveur : la foi est fécondité, elle est un « plus être », elle est accès au salut en Jésus-Christ. La seconde partie nous montre Jésus ressuscité, faisant irruption dans nos vies : la foi « a raison de tout, de la mort et du péché, de l’espace et du temps, de tous les hasards et de toutes les nécessités, du physique et du métaphysique ; elle est l’avenir des hommes » (p. 208). A travers l’Église-Sacrement, c’est Jésus qui nous fait signe. Il est quelqu’un qui fait corps. On trouvera à cet endroit des pages très éclairantes sur la relation du Christ et de l’Église, de l’Église et du monde. Enfin Jésus est quelqu’un à adopter, à aimer, à qui parler : la foi est un choix, elle est expérience et prière. – Au courant des problèmes actuels, Pierre Talec unit étroitement le sens de Jésus-Christ, des valeurs transcendantes, et le sens de l’homme et des valeurs humaines. Un livre à recommander vivement.
En écrivant L’existence chrétienne [4], André Manaranche poursuit une « entreprise de clarification » de mots et de formules du langage chrétien qui semblent clairs au premier abord, mais dont la signification vraie est loin d’être toujours correctement saisie. Ils prêtent, dès lors, à des déviations, or une réelle intelligence de la foi importe souverainement à l’amour en vérité. L’action pastorale de l’auteur lui a permis de constater le danger actuel d’une « dissociation qui voit partir à la dérive l’expérience de Dieu, l’ intelligence de la foi et les décisions de la charité » (p. 21). C’est contre ce danger qu’il veut réagir, car seule importe une existence chrétienne vécue en vérité. Dans cette perspective, il éclaire le véritable sens d’expressions telles que « présence de Dieu », « parole de Dieu », « volonté de Dieu », « amour de Dieu et du prochain », « expérience de Dieu », « communication de sa foi », « vie en Église ».
Mais, pour l’homme, la première condition d’une vie spirituelle authentique est l’acceptation de sa condition corporelle humaine : c’est à l’intérieur de celle-ci que se fait la rencontre de l’homme avec Dieu. Il importe donc au chrétien de connaître, dans une suffisante clarté, cette condition et les grandes lois qui la régissent. En particulier, l’homme est marqué par une psychologie faite de conscient et d’inconscient, par sa relation au monde, par sa solidarité avec les autres dans la communauté humaine. En référence au but qui est le sien – promouvoir une existence chrétienne vécue en vérité et charité –, A. Manaranche nous aide à faire la clarté en ces domaines. Tout son livre est une éducation à un discernement spirituel.
La vie et la foi [5] est bien le titre qui convient à ce livre du Cardinal Renard, tout entier inspiré par le thème de la « cohérence chrétienne ». Il voudrait aider ceux qui ne désirent pas volontairement « tricher », à réaliser, dans les circonstances de ce temps, l’unité entre la foi et la vie. Jésus, en effet, n’a pas « triché ». Qui veut être son disciple doit le suivre sur la route de la vérité, de la sainteté. Ce sont les exigences d’un christianisme de sainteté, « sel de la terre et lumière du monde », que l’auteur nous rappelle en ces pages. Il n’ignore pas les circonstances difficiles dans lesquelles nous vivons : il les évoque, les analyses. Mais ces circonstances mêmes ne font que rendre plus évidente la nécessité d’une réponse personnelle à l’appel à la sainteté qui retentit à travers l’enseignement et la vie de Jésus-Christ. Ce livre nous remet en face des responsabilités de notre conscience chrétienne.
Dans le domaine de la foi comme en beaucoup d’autres, nous rappelle Marc Joulin, il ne suffit pas d’un beau départ, il faut persévérer, Vivre fidèle [6]. Or, actuellement, par suite « d’événements qui nous atteignent en sensibilité vive », on met en doute « la possibilité d’une persévérance pour la vie, que ce soit dans le mariage, le célibat consacré ou le service sacerdotal » (p. 9). Et certains s’interrogent : est-il vraiment possible de « durer » dans la foi ? Telle est l’interrogation à laquelle Marc Joulin veut répondre. Dans la première partie de son ouvrage, il expose les conditions, les grandes lois d’une foi fidèle à travers la vie. Il montre – et fort bien – comment la fidélité chrétienne est « une fidélité à la vie et une fidélité à quelqu’un : le Dieu vivant lui-même, libre et fidèle » (p. 68). Dans la seconde partie, il fait l’application des lois de cette fidélité au mariage, au sacerdoce, à la vie religieuse. Ce livre trace les chemins de la fidélité dans « le temps qui est un don de Dieu ».
C’est de la foi, de « l’identité » de la foi dans le déroulement du temps qu’il est question dans la première partie du livre Le catholicisme, hier, aujourd’hui et demain [7]. Jean Guitton nous montre la continuité, « l’identité » de la foi dans ses développements authentiques, ses explicitations valables à travers les générations successives des vrais croyants. La foi de Vatican II nous met en communion avec la foi des Apôtres et des chrétiens des origines, et nous savons que les catholiques de demain auront la même foi que la nôtre. On trouve dans la seconde partie un remarquable portrait de Jésus (reproduction d’une étude parue dans le Dictionnaire encyclopédique Larousse), des pages très éclairantes sur la Résurrection, la prière, la vérité et l’amour en œcuménisme. L’ouvrage se termine par deux formules modernes du Credo : un texte long, un texte court. J. Guitton a le don d’unir simplicité, clarté et profondeur. Nous recommandons la lecture de son livre, notamment à ceux qui se demandent si la dernière décennie n’a pas vu naître une foi nouvelle.
En composant Une foi exposée [8], P. Jacquemont, J.-P. Jossua et B. Quelque jeu, tous les trois Dominicains, se sont proposé de suggérer, de faire entrevoir ce qu’est la foi à partir de leur expérience de croyants, des cheminements en eux de la foi, des interrogations qu’elle leur suscite, des réponses qu’ils y apportent. Ils ont écrit ce livre à l’intention de leurs amis qui ne partagent pas leur foi, pour tenter de leur faire pressentir « ce qu’est pour eux croire et vivre dans la foi ». Pour se faire mieux comprendre, ils utilisent une langue qui refuse tout emprunt au « langage chiffré » du Credo, au « vocabulaire chrétien courant ». Il ne s’agit donc pas en ce livre (nous en sommes loyalement avertis dès le début) d’une exposition d’un Credo, d’une « confession de foi » chrétienne, mais de la communication d’une expérience commune aux trois auteurs ou propre à chacun d’eux. Ils manifestent un souci constant d’entière sincérité. Leurs confidences laissent entrevoir, nous semble-t-il, quelque chose du mystère de la foi. Mais leur souci de présentation humaine, poétique de la foi n’a-t-il pas eu comme conséquence une minimisation, une réduction des éléments proprement chrétiens de la foi ? Nous le pensons.
Voici maintenant deux livres qui traitent de la relation de la foi à la science, au monde et à la psychanalyse.
La science, le monde et la foi [9] réunit douze articles publiés par Jean Ladrière entre 1954 et 1971 : il les a plus ou moins remaniés et distribués en quatre parties. La première aborde les rapports entre la science et la foi, la deuxième est centrée sur la signification humaine et religieuse de la technique, la troisième traite du problème général des rapports de la foi et du monde, la quatrième concerne plus directement la foi elle-même, la dimension chrétienne de la personne. L’unité de ce volume se trouve « dans une même problématique fondamentale, celle des rapports entre la foi et le monde » (p. 7). Encore que cette unité soit celle d’un « cheminement », d’un passage d’une problématique « d’intégration », « d’harmonisation » de l’expérience de la raison et de celle de la foi à une problématique « d’une rupture progressive avec la perspective d’un humanisme chrétien », d’une « tension » entre la science et la foi (cf. p. 11). L’autonomie de la raison, la consistance du monde, la suffisance des dimensions de l’expérience contemporaine sont mieux reconnues dans leur ordre propre. Par le fait même se pose plus vive la question de la spécificité de la foi, de sa relation au monde. On est ainsi amené à mieux redécouvrir son altérité, sa transcendance, sa gratuité.
Mais la raison et la science ont leurs limites. Nous ne pouvons nous abandonner sans réserve à elles, à ce qu’elles nous proposent, et la foi s’offre à nous comme une réelle invitation divine. Dès lors, un « débat spirituel d’une très vaste ampleur » est engagé. La pleine réconciliation entre la science et la foi relève de l’eschatologie, de l’espérance. Ici-bas chacun doit se laisser interpeller par la Parole de Dieu qui, sans nous enlever du monde, « nous constitue en vérité, en nous dépossédant » (p. 12). Voici un livre que recommandent la probité de l’auteur, l’union en lui d’une recherche technique de qualité et d’une réflexion religieuse en profondeur : c’est une excellente contribution au problème de la relation entre la science, le monde et la foi.
Dans Foi et psychanalyse [10], M. Bellet groupe trois essais. I. La foi à l’épreuve de la psychanalyse avait déjà paru dans les Études en mars 1968. L’auteur y traite des difficultés, des crises que peut rencontrer un croyant qui se fait psychanalyser. Il tente de répondre à la question : « En quoi peut-il non seulement « garder la foi », mais croire au Christ avec plus de vérité ? » (p. 14-15). La psychanalyse peut être pour lui un chemin vers la purification de sa foi, vers une découverte plus juste du sens fondamental de celle-ci. – II. Aide spirituelle et psychanalyse a été publié dans Le Supplément en mai 1972. Quelle aide un croyant peut-il apporter à quelqu’un qui est en psychanalyse ? À travers des exemples concrets, M. Bellet s’efforce de nous aider à discerner les attitudes justes à adopter, car il n’y a pas de règles fixes. – III. Le déplacement de la question est un inédit. L’auteur y reprend, d’une manière plus théorique que dans le premier essai, le problème des rapports entre la foi et la psychanalyse. Il semble que l’on puisse dire que « le rapport décisif est la foi même en tant qu’elle fait et trouve sa signification » (p. 132). – Sans prétendre être arrivé à d’entières certitudes, l’auteur nous dit où il en est actuellement dans la recherche des rapports entre foi et psychanalyse.
La vie dans la foi et la liberté [11] d’Édouard Pousset est un livre de réflexion philosophique, théologique et spirituelle sur les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola. Ceux-ci « proposent une démarche raisonnée : conversion et décision dans le sens d’un agir conforme à la volonté de Dieu » (p. 3). Ils sont en réalité une école de vie « dans la foi et la liberté » : la nôtre et celle de Dieu. Dans la Dialectique des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola, le P. G. Fessard a mis en lumière cette formation à la liberté à laquelle conduisent les Exercices Spirituels. C’est la même lecture des Exercices que le P. Pousset refait à sa manière propre dans ces pages. Suivant de près l’ouvrage du P. Fessard, il en « allège la technique philosophique (et) fait apparaître plus explicitement le contenu théologique et spirituel des analyses » (p. 3). L’intention avouée de l’auteur n’est donc pas d’écrire un commentaire des Exercices, mais d’aider le lecteur à y trouver « une voie pour convertir non seulement ses mœurs et affections déréglées, mais encore son intelligence, et une méthode pour aborder en théologien de la liberté – et qui ne doit l’être à son rang ? – les problèmes humains qui se posent à notre temps » (Introduction). Ces pages d’une grande valeur théologique et spirituelle dessinent le chemin d’une vie « dans la foi et la liberté ».
Voici enfin deux témoins de la foi. Comme la nôtre, la foi des saints est marquée par l’époque où ils vécurent ; leur éducation, leur tempérament. Mais la qualité même de leur foi, de leur expérience de Dieu en fait des témoins valables pour tous les temps.
L. Perouas nous présente fort bien Grignion de Montfort et son époque [12] : « Chez Louis-Marie Grignion, la rencontre avec Dieu s’est faite à travers des obstacles qui nous paraissent presque insurmontables... Malgré cela, il est arrivé à faire, à travers de dures tensions, une expérience virginale de Dieu. C’est que, dans une grande pauvreté de cœur, il a su s’accepter lui-même, avec ses limites, avec ses déficiences, avec aussi le riche dynamisme inscrit dans son tempérament » (p. 208). En cela la manière dont il vécut sa foi intéresse la nôtre.
Dans Ce que croyait Bernadette [13], Mgr Pierre-Marie Théas nous fait découvrir, à partir des paroles de la Sainte, « sa foi profonde, inspiratrice de toute sa vie » (p. 8). Pour elle : « avoir la foi, c’est voir Dieu partout ». La foi de Bernadette peut toujours éclairer la nôtre.
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[1] Card. G.-M. Garrone. La foi. Paris, Le Centurion, 1973, 21 x 14, 238 p.
[2] M. Thurian. L’essentiel de la foi. Amour et vérité se rencontrent. Presses de Taizé, 1972, 18 x 13, 256 p.Id. Même titre. Coll. « Livre de Vie », 117. Presses de Taizé, 1972, 18 x 12, 216 p.
[3] P. Talec. Les choses de la foi. Croire à l’essentiel. Paris, Éd. du Centurion, 1973, 21 x 14, 322 p.
[4] A. Manaranche. L’existence chrétienne. Essai de discernement. Paris, Éd. du Seuil, 1973, 21 x 14, 320 p.
[5] Card. A. Renard. La vie et la foi. Desclée De Brouwer, 1973, 20 x 13, 206 p.
[6] M. Joulin, o.p. Vivre fidèle. Desclée De Brouwer, 1972, 20 x 13, 146 p.
[7] J. Guitton. Le catholicisme, hier, aujourd’hui et demain. Desclée De Brouwer, 1972, 20 x 13, 132 p.
[8] P. Jacquemont, J.-P. Jossua, B. Quelquejeu. Une foi exposée. Paris, Éd. du Cerf, 1972, 24 x 15, 178 p., 19,80 FF.
[9] J. Ladrière. La science, le monde et la foi. Tournai-Paris, Casterman, 1972, 20 x 14, 228 p.
[10] M. Bellet. Foi et psychanalyse. Coll. « Bibliothèque d’études psycho-religieuses ». Desclée De Brouwer, 1973, 22 x 14, 144 p.
[11] É. Pousset, s.j. La vie dans la foi et la liberté. Essai sur les « Exercices Spirituels » de saint Ignace de Loyola. Paris, C.E.R.P. (128, rue Blomet), 1972, 27 x 21, 160 p.
[12] L. Perouas. Ce que croyait Grignion de Montfort et comment il a vécu sa foi. Tours-Paris, Marne, 1973, 18 x 13, 218 p., 14,90 FF.
[13] P.-M. Théas. Ce que croyait Bernadette. Tours-Paris, Marne, 1973, 18 x 13, 198 p., 14,80 FF.