Une règle de vie
Roger Poelman
N°1973-4 • Juillet 1973
| P. 222-233 |
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Nous avons eu l’occasion de lire plusieurs Actes Capitulaires, Règles de vie et essais ad experimentum dans lesquels la vie religieuse tente d’exprimer son désir de renouveau et de fidélité.
Ces travaux, qui proviennent de Chapitres généraux voulus par l’Église en conséquence de Vatican II, sont importants parce qu’ils révèlent forcément la mentalité d’un Institut et ses chances réelles de développement ou même de survie. Parmi eux, il y a quelques très bonnes réussites qui sont une joie pour tous les chrétiens, un véritable appel à une vie selon l’Évangile. Ces orientations-là ont toute chance de répondre aux légitimes exigences des jeunes attirés par l’appel que Jésus-Christ ne cesse de lancer « à ceux qui peuvent comprendre ».
Parmi ces textes que nous trouvons excellents, nous choisissons d’en présenter un. Il ne s’agit naturellement pas de canoniser une formule, mais de donner simplement un exemple réussi parmi d’autres.
L’intérêt primordial de la Règle de vie dont nous parlons vient d’abord de son homogénéité. Il est pratiquement certain que le Chapitre général qui a composé cette règle a dû surmonter des tensions. Comment en serait-il autrement ? Ce texte a été élaboré en 1970. Parmi les capitulantes il y avait des japonaises, des rwandaises, des américaines du Nord et du Sud, des espagnoles, des françaises, des anglaises, des italiennes et des belges. On devine ce que cela représente de mentalités différentes. Mais l’intérêt en est d’autant plus grand. Si tensions il y a eu, elles ont été remarquablement dépassées en profondeur, car la ligne de la Règle est une.
La seconde qualité de ce texte, c’est qu’il réussit à dire de façon concrète ce que l’esprit évangélique propose. Voyons cela de près. On y sent une expérience vécue : on parle de ce qu’on connaît.
La Règle de vie commence par un principe très clair : « De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, à savoir Jésus-Christ ».
Comme religieuses,
Jésus-Christ Ressuscité nous appelle à répondre à son Amour selon les Béatitudes et les exigences de l’Évangile,
en quittant tout pour Lui,
sans jamais regarder en arrière.
Il y a là un accent d’absolu que tout projet de vie religieuse doit retrouver et que les jeunes aimeront.
Au début de chacun des brefs chapitres de cette Règle, on commence, comme dans le Prologue, par regarder d’abord Jésus-Christ. Ce n’est pas une fois, hâtivement, en passant, mais c’est la vraie démarche fondamentale : « Pour nous, vivre, c’est le Christ », disait saint Paul.
La division du texte est simple :
- une Communauté fraternelle selon l’Évangile ;
- une Communauté de prière ;
- une Communauté en mission d’Église.
1. Une communauté fraternelle selon l’Évangile
Fraternelle ?
Son appel nous rassemble en Communauté pour vivre en disciples avec Lui.
Ce n’est pas le choix que les Sœurs font de leurs compagnes, c’est l’appel du Christ qui fonde la Communauté, la volonté d’être ses disciples. En conséquence :
Unies aux Sœurs que Dieu nous a données, nous nous acceptons différentes car Celui qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous sépare.
Ou encore :
Au-delà des attraits ou des antipathies, chacune veut être parmi ses sœurs le témoin de l’amour sans mesure de Dieu pour elles.
Par-delà les heurts, les incompréhensions ou les blessures inévitables :
la conscience de notre propre fragilité nous fait regarder nos sœurs d’un cœur neuf chaque matin.
Le premier bien évangélique que nous rencontrons dans cette Communauté fraternelle est celui de l’obéissance.
Que dire concernant l’obéissance ? C’est une pierre d’achoppement, mais aussi une pierre de touche, aujourd’hui. Comment comprendre ? Le premier acte est de regarder Jésus-Christ :
Jésus-Christ, tout Fils de Dieu qu’il était... apprit par la souffrance ce que c’est qu’obéir. Il est entré librement et par amour dans le dessein du Père en se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix.
Voilà comment a vécu Jésus-Christ.
À sa suite nous voulons obéir en embrassant de plein cœur la volonté de Dieu afin de continuer la vie et la mission du Christ jusqu’à notre mort, ultime passage en Jésus obéissant.
Mais comment découvrir cette volonté ? Où la trouver, la reconnaître ?
Cette volonté nous est manifestée par la Parole de Dieu écoutée dans l’Église, par notre Règle de vie, par le Pape et les Évêques, nos Supérieures – ici j’interromps le texte pour y ajouter deux mots – (aussi par) les personnes et les événements, dans la vie quotidienne.
Il y a des médiations. Il faut un discernement.
Ensemble, avec les Supérieures, nous cherchons à discerner la volonté de Dieu par l’Esprit Saint, dans la prière, la réflexion, le dialogue, et ensemble nous l’accomplissons.
On entend la répétition du mot « ensemble » : c’est une note qui vient à juste titre du meilleur de la recherche contemporaine sur l’obéissance. Une question surgit tout de suite : quel est le rôle exact de la Supérieure ?
L’obéissance place la Supérieure au service de la Communauté. Au milieu de nous elle représente l’autorité du Christ et nous rappelle les exigences de son amour. Il lui revient d’interpréter et d’authentifier les signes et de parler courageusement. Après la recherche commune et le dialogue, elle doit prendre la décision finale et veiller à son accomplissement...
Ainsi, par la liberté de notre foi et de notre obéissance, toute la Congrégation s’édifie dans l’Amour.
« Parler courageusement ». C’est bien concret ! Un peu de courage dans le service de la foi et de l’amour. Ce qui importe évangéliquement, c’est la décision que prend la Supérieure. C’est cette décision et son acceptation dans la foi qui vont rendre l’obéissance vraie, unie à celle du Christ. Le dialogue sert à chercher la volonté de Dieu, la décision de la Supérieure l’exprime.
Il y a enfin, dans ce domaine de l’obéissance, une note précise sans laquelle elle ne serait plus qu’un raisonnement humain. Tant d’entre nous veulent bien obéir... à condition qu’ils puissent comprendre et approuver toute la portée de la décision des supérieurs. Eh bien, il faut oser dire ceci :
Nous cheminons comme Marie dans l’obscurité de la foi. Si, comme elle, nous nous laissons conduire par l’Esprit, il nous libère peu à peu de la servitude de la loi pour nous conduire à la pleine liberté des enfants de Dieu, nous rendant capables d’obéir au-delà même de notre (propre) lumière.
Comme c’est juste et présenté avec tout le réalisme surnaturel qui vient de la foi : obéir pour devenir libres de cette liberté de consentement qui est celle des enfants de Dieu.
Au-delà de notre propre lumière, même sans comprendre ? La Règle y insiste :
Ayant choisi de tout perdre pour gagner le Christ, nous nous rappelons que l’acte suprême d’obéissance est de se livrer librement à toute mort, même sans comprendre. Par cette docilité du cœur, notre vie devient adoration du Père en esprit et en vérité. Dans le Christ, à la gloire du Père, nous disons notre « oui ».
Voilà toute une vie qui devient adoration. L’Évangile dit-il autre chose ? Notons en passant le rapprochement de ces vues avec celles qui sont exprimées dans la Règle de saint Benoît sur ce même sujet de l’obéissance : l’Abbé représente le Christ ; dialogue filial, même avec les plus jeunes frères ; mais ensuite, obéissance « jusque dans les choses impossibles ».
On passe ensuite à la pauvreté.
La Règle commence par contempler le Christ pauvre, de Bethléem à Nazareth, de Nazareth au Golgotha, un Christ non protégé face aux circonstances de sa condition et de sa vie terrestres. La religieuse-disciple accueille ainsi cette vision :
Nous choisissons aujourd’hui de laisser revivre en nous par son Esprit le Christ pauvre. Le Christ pauvre nous appelle à une continuelle conversion du cœur. Nous voulons vivre désappropriées de toutes choses et de nous-mêmes.
Quel programme ! Il devra prendre toute la vie. Mais en conséquence, « (nous voulons) tout recevoir en action de grâces ». N’est-ce pas au fond l’attitude spirituelle fondamentale qu’exprime le Magnificat de la Vierge Marie ? Ce principe est redit dans un beau paragraphe :
Une grande simplicité et une réelle austérité découlent de cette suite du Christ pauvre. Nous voulons vivre sans exigences personnelles, heureuses d’avoir le plus pauvre et le moins.
Nous affirmons ainsi concrètement que notre espérance et notre appui sont en Dieu seul et non dans les moyens humains. Fondées dans une grande pauvreté, nous voulons nous appuyer sur les pauvres moyens de la foi, les impuissants (et glorieux) moyens de Jésus-Christ.
Une religieuse, comme quiconque, peut avoir ses goûts, ses préférences, mais elle a renoncé à avoir des exigences. Il faut peser ce mot. Il est plein de force. Il est fondamental pour une pauvreté religieuse. Et comment cette pauvreté d’âme va-t-elle s’exprimer plus concrètement dans cette Congrégation missionnaire ?
Pour suivre le Christ, qui allait de village en village annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume, nous nous appliquons à vivre dans le détachement du cœur, toujours prêtes à quitter les lieux et même les personnes les plus chères, pour ne tenir qu’à Jésus-Christ et à son amour.
Le doigt est de nouveau mis sur l’acte le plus concret. S’il en est ainsi, il y aura désappropriation radicale et suite du Christ, devenu notre Tout.
La Béatitude de la pauvreté, vécue (librement) dans la vie religieuse, est, au sein de l’Église et du monde, un signe prophétique de l’espérance. Le Royaume de Dieu est déjà-là.
Suit un petit chapitre sur l’humilité.
Il n’est pas difficile, ici non plus, de commencer par regarder Jésus-Christ. On en tire les conséquences et d’abord celle-ci :
Un cœur pénétré de la lumière de la foi, aimant,... est humble, vrai, devant Dieu et devant les autres... parce que son centre est ailleurs.
Il s’accepte lui-même avec ses difficultés et ses limites, sans se réfugier dans l’illusion ni fuir ce qu’il doit être dans la pensée de Dieu.
Et, conséquence inattendue mais combien réaliste :
Nous accepterons avec simplicité les responsabilités et donc les échecs et les critiques.
Parler des responsabilités dans le chapitre sur l’humilité est une trouvaille.
Nous sommes prêtes à accueillir, dans la douceur et la sérénité, l’injustice et l’humiliation si elles se présentent ; nous y trouverons un moyen de communier à Jésus-Christ et de le suivre sur son chemin à Lui.
Oui, toute l’histoire de la spiritualité chrétienne témoigne d’une pareille communion avec Jésus-Christ.
Enfin, la chasteté.
Dès qu’on a exprimé ce mot, on se dit qu’on ne peut vraiment rien attendre de bien neuf. On a tant écrit sur le sujet ces dernières années. On a parlé physiologie, anthropologie, sexualité, psychologie, que sais-je encore ? Eh bien, dans la Règle de vie, on s’en tient à quelque chose de très simple, mais de fondamental :
Séduites par Jésus-Christ, nous le choisissons chaque jour. Notre être le plus profond et toutes nos puissances d’aimer sont saisies par son amour.
Il s’agit d’un choix quotidien de Jésus-Christ, il s’agit d’amour. Comme c’est positif ! C’était ainsi dans l’Évangile : on se levait, on laissait tout et on suivait Jésus-Christ. Si l’on veut réellement vivre un amour pareil, comment faire ? Il y a une réponse absolue et qui regarde l’entièreté de la vie :
Dès lors, il n’y a plus d’actions, ni de paroles, ni d’instants de notre vie sur lesquels il n’ait droit.
Il est notre Seigneur. Il est une conséquence de la chasteté vue de cette manière : c’est dans ce chapitre qu’on parle de l’amitié. L’aurait-on mentionnée il y a quelques années, si ce n’est pour mettre en garde contre elle et la faire suivre de ce mot qui la classait : amitié « particulière » ? Comme si l’amitié pouvait être autre que particulière !
Voici ce qu’on en dit dans la Règle de vie :
L’amour de préférence (absolue) pour le Christ transfigure nos affections humaines et nos amitiés. Livrées à l’Amour de Jésus, nous sommes libres d’aimer tous ces frères qui croisent notre route, car le Seigneur détruit toutes les barrières et élargit notre cœur aux dimensions du Sien.
L’amour de préférence pour le Christ étant absolu, tout ce qui suit dans ce sillage est pur et bon.
Un petit chapitre sur la joie termine cette première grande division de la Règle. L’intuition est non seulement heureuse, mais essentielle. Le passage en question est pourtant moins bien réussi, pas assez fondé évangéliquement. La joie est un sujet délicat.
2. Une communauté de prière
C’est la seconde partie de la Règle. Le point de départ ici n’est pas seulement la contemplation du Christ en prière, mais le don du Pater aux disciples et le texte des Actes qui nous dépeint la communauté primitive assidue à la prière et à la louange de Dieu (Ac 2,42-47).
La Congrégation qui a élaboré la Règle de vie que nous présentons est marquée, dès l’origine, par l’adoration de la Sainte Eucharistie. Pour en parler, les Capitulantes ont trouvé des termes qui ne peuvent venir que de l’expérience. Le réalisme de la foi est tel et la théologie concrète si ferme et si équilibrée qu’on pourrait rapprocher ces textes des meilleures pages d’un Charles de Foucauld ou d’un Père Voillaume.
D’abord un rappel de principe :
Nous trouvons dans l’adoration du Corps du Christ l’expression et l’épanouissement de notre esprit.
Puis cette affirmation si juste :
Si nous Le reconnaissons et L’adorons dans le Pain consacré, nous saurons reconnaître et adorer sa Présence dans nos frères ou dans les événements.
La reconnaissance du Seigneur, en effet, est de toute manière un acte de foi. Ce n’est pas simplement un sentiment de solidarité fraternelle. Or l’acte de foi le plus concret dans l’Église porte sur le Corps et le Sang du Christ dans l’Eucharistie. Nous le chantons pour acclamer la consécration : « Il est grand, le mystère de la foi ».
La contemplation prolongée de ce mystère nous engage à nous faire serviteurs de l’unité entre les hommes.
Et la Règle poursuit par ce mot magnifique :
Le Christ adorateur du Père, exposé parmi nous, est Celui qui agit dans l’histoire.
En fait, quand ces religieuses adorent le Corps du Christ, que cherchent-elles ? qu’y trouvent-elles ? N’est-ce pas, comme d’aucuns pourraient le penser, du « sentiment » ? Ne serait-ce pas, pire encore, une sorte de déviation, de gauchissement du mystère de l’Eucharistie ? Jugeons-en par ce texte tout gonflé de la sève qui découle de cette adoration :
Devant Lui, nous nous sentons pressées d’étendre le Royaume. Nous prenons notre part de cette prière d’adoration avec joie, en pure perte de nous-mêmes, mais notre désir est grand de lui amener les autres membres de son peuple pour qu’il les nourrisse, les éclaire, les convertisse, les remplisse de Lui, car nous savons que la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu.
Se retirent-elles du monde, n’ont-elles pas le sens de son service, celles qui n’adorent que pour étendre le Royaume ? Comprennent-elles l’Eucharistie celles qui disent si précisément ce que le Christ y fait : nourrir, éclairer, convertir ?
Oui, saint Irénée proclame dans une de ces formules dont il a le secret : « La gloire de Dieu, c’est la vie de l’homme ; et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ». La vision, dans l’Eucharistie, reconnaît l’Amour de Dieu qui a donné son Fils afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle (Jo 3, 16). L’adoration de ces Sœurs est une adoration qui rejoint en Jésus-livré-pour-le-salut-du-monde l’intention fondamentale de la Mission.
Les autres notations que nous voulons épingler concernent l’oraison.
Tout d’abord, une définition qui, sans doute, peut se classer parmi tant d’autres bonnes approches en vue d’exprimer quelque chose de cet acte dont Jésus a donné si souvent l’exemple dans l’Évangile :
L’oraison est rencontre avec Dieu dans le mystère.
Puis l’affirmation d’un principe :
Nous sommes toutes appelées à cette vie unitive.
Et, suivant la grande tradition de la spiritualité la plus sûre :
Nous y tendons sans cesse à travers les épreuves et les nuits.
Comment s’y prendre pour faire oraison ? Quel en est le commencement ? Quelle en est la première démarche ?
Nous nous rendons présentes à Celui qui est là.
Lui, le Seigneur, est toujours là. N’est-ce pas le sens profond du nom biblique de Dieu révélé à Moïse ? « Je suis celui qui suis là ». Mais nous, nous sommes souvent loin de Lui. La « mise en présence de Dieu » est alors cette prise de conscience, dans le recueillement, de cette proximité actuelle, active, bienveillante, puissante, attentive du Seigneur. Et le texte continue à nous parler d’expérience :
Nous ne venons pas à l’oraison pour y chercher notre consolation, mais pour suivre Jésus-Christ... La Passion de Jésus-Christ nous fortifie. Il faut persévérer courageusement dans la prière sans nous lasser, nous tenant devant Dieu comme la très grande pauvreté devant Celui qui est riche de tous les biens et qui veut les communiquer.
Il n’est pas facile de déceler avec certitude ce qui fait une bonne oraison. Comment savoir si elle est authentique, si nous sommes dans le bon chemin ? Il y a des tests, dit la Règle :
Cette expérience, souvent obscure, sera connue par ses effets : pureté de cœur, paix profonde, don total et joyeux à toute volonté de Dieu devenu notre tout.
L’oraison n’est pas un acte isolé, découpé dans la vie, mais elle exprime en un temps fort toute une mentalité, tout un comportement. Il y a des personnes qui sont toujours « à la fenêtre » de leur âme, qui regardent au dehors, sont sans cesse distraites, superficielles, changeantes. Celles-là ne peuvent pas facilement faire oraison.
Nous savons qu’il faut nous préparer à la prière par l’ascèse et le silence, mais surtout par l’intériorité continuelle de notre vie... De cette fidélité à aimer dépendra toujours la qualité de notre vie d’oraison. Pour que la prière porte du fruit, l’apôtre doit demeurer dans le Christ comme le sarment est uni à la vigne.
Le chapitre suivant traite du renoncement évangélique.
Le renoncement a très mauvaise presse aujourd’hui. On le combat au nom de la psychologie. Il pourrait être du refoulement. Mal compris, mal pratiqué, il pourrait, pire encore, être du masochisme. Et pourtant l’expérience chrétienne dit qu’il peut être source de joie. Tant de jeunes enfants chrétiens, par exemple, l’ont compris ainsi : « sacrifice par amour ». Celui qui ne sait pas se renoncer ne peut être disciple de Jésus-Christ, à fortiori il ne peut le suivre dans la vie religieuse, car il y faut tout laisser pour la joie de Le trouver. L’Évangile entier le proclame. La Règle de vie commence donc, suivant sa ligne propre, par contempler Jésus-Christ.
Jésus-Christ a choisi de sauver les hommes en mourant sur la Croix. Ressuscité, Il continue de vivre dans l’Église ce même mystère de mort et de vie.
Le baptême et la consécration particulière de notre vie religieuse nous engagent à entrer dans la Pâque du Christ tous les jours de notre vie... Nous désirons compléter en notre chair ce qui manque à la Passion du Christ pour son Corps qui est l’Église.
Le renoncement évangélique tourne notre cœur vers Dieu... Il purifie notre nature de tout alliage et permet à la croix rédemptrice d’atteindre notre être le plus profond pour en libérer le dynamisme de l’Esprit. Il est condition de la vraie contemplation, car pour voir Dieu il faut mourir.
On le voit, tout est présenté d’une manière positive. Dans le christianisme, on ne renonce à rien que pour posséder. Il s’agit d’un choix : là où est ton trésor, là est ton cœur.
La matière privilégiée de notre ascèse, nous la trouvons dans la trame quotidienne de notre vie : tous les événements accueillis dans la foi. Il s’agit d’aller à l’encontre de la logique humaine jusqu’à cette folie qui est sagesse selon Dieu.
Et c’est ici que cette Règle audacieuse dans sa simplicité, sans complexes mais avec la foi des petits, ose parler du sacrement du pardon.
Elle le fait d’ailleurs d’une manière profondément théologique et vraie. Dans un premier paragraphe, la Règle dit la démarche personnelle d’une conversion qui doit sans cesse se renouveler, mais en même temps la grâce du sacrement qui vient consacrer cette démarche.
Dans le second paragraphe, le mystère réel du sacrement nous est dit dans une expression théologique précise et évangélique. L’aspect communautaire et ecclésial de chaque confession est heureusement exprimé :
Engagées dans un mouvement de conversion quotidienne par le renoncement évangélique et la révision de vie personnelle et communautaire, nous voulons la consacrer par la pénitence sacramentelle.
L’Esprit nous donne alors le fruit de la croix : un cœur nouveau, capable de porter sur Dieu et sur le monde un regard de plus en plus libre, simple et unifié.
Le sacrement de pénitence est un geste de Jésus Sauveur dont la miséricorde veut aujourd’hui se donner la joie de retrouver un pécheur perdu et, en lui, de faire revenir l’humanité vers le Père. Il fortifie l’Église à travers chacun de ceux qui le reçoivent en les plaçant dans la mort et la résurrection du Christ. Il est réconciliation avec Dieu et avec les frères. Il reconstruit l’unité du monde et maintient le Corps tout entier dans l’harmonie.
Enfin, cette même partie de la Règle se termine par quelques lignes précieuses sur le silence. nous ne sommes pas à la Trappe. Nous sommes dans une Congrégation « active » ou, plus exactement, apostolique. Et on y parle du silence ! Écoutons ce qu’on en pense :
Le silence n’est pas isolement égoïste... car nous rencontrons les hommes au niveau où nous nous laissons rencontrer par Dieu.
Plus le monde qui nous entoure sollicitera notre activité et notre parole, plus il aura besoin de notre silence et de celui de nos maisons.
C’est au milieu du silence que Marie reçoit le Verbe ; elle médite dans son cœur chaque événement pour y trouver Dieu ; dans le silence de tout son être, elle devient écho de la Parole. Comme elle, dépouillées, simplifiées, pauvres de paroles et même de pensées inutiles, nous nous mettons à la disposition de l’Esprit qui veut nous parler au cœur.
3. Communauté en mission d’Église
Une nouvelle grande division lui est consacrée. De nouveau, l’on contemple d’abord Jésus lui-même et la mission qu’exprime toute sa vie. A partir de là, se traduit avec force l’un des traits marquants de cette Congrégation :
Quels que soient notre âge et notre santé, nous sommes toutes apôtres par vocation.
Comme Tune des fins de cet Institut, depuis son origine, est l’éducation, la Règle peut, en s’éclairant par l’intelligence du cœur, bien exprimer ce qu’elle conçoit et ce qu’elle aime :
Annoncer Jésus-Christ, enseigner que tout est à Lui et qu’il veut travailler à faire entrer chacun de nous dans le plan du Père pour prier, agir ou souffrir, telle est la fin de l’éducation chrétienne... Quelle que soit notre activité apostolique, nous nous souviendrons toujours du but poursuivi : la réalisation du dessein de Dieu. Cette perspective stimulera notre élan.
L’union de la Communauté et l’intensité de sa vie religieuse mesurent l’ouverture qui lui est possible.
Nous vivons dans l’action de grâces parce que le Seigneur a voulu nous associer de près à sa mission.
Restons-en là. Quel programme, si l’on veut s’engager pas à pas dans le chemin qu’il trace ! Oui, voilà l’Évangile au concret. Cet appel est celui de la sainteté. C’est une aide et une joie de pouvoir l’exprimer d’une manière aussi dépouillée de littérature, aussi vraie. Chacun peut se reconnaître dans ces propos, tant ils sont fondamentaux. Nous lisions et commentions un jour ces quelques pages en Afrique, devant un petit groupe de religieuses de diverses Congrégations, jeunes et plus âgées, plus « traditionnelles » et plus « progressistes ». Au terme de l’exposé, l’unanimité était extraordinaire, un cri jaillissait : « c’est bien pour cela que nous nous sommes faites religieuses ! »
Ce cri venait du tréfonds du cœur, là où l’Esprit de Jésus ne cesse d’interpeller ceux qui L’ont rencontré, qui L’ont aimé et qui se sont levés pour Le suivre.
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