Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Prologue à une réflexion sur l’esprit de pauvreté

Louis Duquesne de La Vinelle

N°1973-3 Mai 1973

| P. 132-142 |

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Croissance économique et inégalités entre les peuples

Le soussigné, en écrivant ces lignes, a en premier lieu le souci de ne pas dépasser les limites de sa compétence. Comme le dit l’adage : « Que le cordonnier ne s’occupe pas de ce qui est au-dessus de la chaussure ». Il ne s’agit donc pas de donner des conseils à quiconque ni, a fortiori, de trancher dans des questions de spiritualité, mais plus modestement de proposer quelques points de repère et quelques réflexions à la sagacité du lecteur.

L’homme a toujours travaillé dans un but utilitaire. Mais, pendant très longtemps, cet effort utilitaire n’a pas permis au plus grand nombre de sortir de l’indigence, voire de la misère. Sauf une petite minorité de privilégiés, l’humanité vivait en économie de subsistance. Deux enfants sur trois n’atteignaient pas l’âge de l’adolescence ; la durée moyenne de la vie ne dépassait pas 35 ans..., etc.

La grande nouveauté du XXe siècle, et singulièrement des 25 dernières années, est que, dans les pays occidentaux (dans une mesure moindre en Europe orientale et en U.R. S.S.), l’effort utilitaire est devenu à ce point efficace que la grande majorité de la population est sortie de l’indigence pour atteindre à l’aisance. Pour illustrer ce que cela veut dire : il y a des pays où le produit annuel par habitant n’atteint pas l’équivalent de 10.000 frs belges, alors qu’il est en Belgique de l’ordre de 100.000 frs et aux États-Unis de l’ordre de 200.000 frs [1].

Il vaut la peine de noter que l’objectif économique des sociétés occidentales (de la Soviétique aussi) est, jusqu’à présent tout au moins, l’accroissement indéfini de ces niveaux de production et de consommation. Comme les possibilités de croissance sont en proportion des niveaux déjà atteints, l’écart entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres va en s’élargissant. En extrapolant les tendances actuelles, on obtiendrait le résultat schématique suivant : dans 20 ou 25 ans, les États-Unis auraient une production annuelle par habitant de l’ordre de 400.000 frs belges au lieu de 200.000 frs et certains pays sous-développés, une production de l’ordre de 20.000 frs au lieu de 10.000 frs...

Course à la croissance, à la puissance et à l’opulence

Pour éviter de graves contresens dans la discussion des problèmes d’aujourd’hui, il convient de se rendre compte que cette course à la multiplication des biens matériels est actuellement un phénomène universel. Plus aucun pays ne se propose de maintenir le statu quo ni même d’atteindre, à terme plus ou moins long, un équilibre à peu près stable à un niveau défini, et donc limité, de production et de consommation par tête. L’humanité tout entière est saisie par ce qu’Oswald Spengler appelait « l’esprit faustien », c’est-à-dire la croyance que l’homme a devant lui une carrière terrestre illimitée et, en même temps, la volonté d’essayer tout le possible, y compris l’exploration du cosmos.

Les récentes campagnes alarmistes (pas toujours injustifiées) au sujet de la pollution et la publication du rapport du club de Rome (The Limits to Growth – Halte à la croissance) sont peut-être les premiers indices d’un changement de cet état d’esprit, mais il n’atteint encore nullement, ni les masses, qui demeurent avides de niveaux de vie plus élevés, comme le montre l’ampleur des revendications salariales dans les pays les plus opulents – ni les gouvernements, comme le montre – même dans les États les plus développés – le contenu des divers plans toujours très ambitieux.

Comment s’expliquer la persistance de cette sorte de passion de la croissance dans des sociétés qui ont déjà atteint des niveaux de vie remarquablement aisés et sans précédent historique ? Plusieurs hypothèses vraisemblables, susceptibles de contribuer à l’explication du phénomène, viennent immédiatement à l’esprit :

  • Tout d’abord la survivance de réflexes « viscéraux », hérités de longs siècles de pénurie et d’angoisse de manquer du plus strict nécessaire.
  • En second lieu, le fait que tout développement ouvre la voie à des développements nouveaux. La multiplication des diplômés universitaires capables de faire progresser les sciences et les techniques joue un rôle fondamental à cet égard. Que feraient ces gens s’il fallait arrêter la croissance ? On répondra sans doute : travailler à l’amélioration de la qualité de la vie. Mais cela est plus aisé à dire qu’à faire. Outre qu’il faudrait résister à la tentation de réaliser tout ce que le progrès technique rend possible, par exemple les pétroliers géants, les avions supersoniques, les autos en masse, le progrès qualitatif ne se laisse pas toujours aisément dissocier du progrès quantitatif ; c’est ainsi que des logements plus aérés, plus spacieux, mieux chauffés, exigent davantage de matériaux, de voirie, de calories, d’engins électro-ménagers, etc.
  • Un troisième facteur est certainement la rivalité entre États et entre idéologies. L’Union Soviétique a bien souvent proclamé que son objectif était de rejoindre et dépasser les États-Unis. C’est évidemment un défi lancé à ceux-ci de ne se laisser ni rejoindre, ni dépasser. Comme la puissance économique est une des composantes de la puissance tout court, on conçoit qu’il est difficile aussi bien de ne pas lancer le défi que de ne pas le relever.
  • Enfin, il faut sans doute tenir compte de l’avidité des hommes, jamais satisfaits de ce qu’ils ont et insatiables dans leur désir d’avoir plus..., surtout quand ils voient que d’autres ont plus qu’eux.

Quoi qu’il en soit de ces raisons, la course à la croissance est une réalité qui, dans la plupart des cas, accroît les écarts entre les riches et les pauvres, plutôt qu’elle ne les réduit.

On dira quelques mots plus loin du problème de justice qui se trouve ainsi posé. Mais avant de se risquer dans le domaine des jugements de valeur, il est nécessaire d’examiner un peu plus en détail ce monde, dans lequel doit s’insérer l’effort de pauvreté évangélique des religieux.

Tous les régimes sont sujets à l’erreur et peuvent engendrer abus et injustices

En effet, la question des régimes économiques doit être évoquée. C’est une opinion aujourd’hui largement répandue, surtout dans les milieux de gauche, qu’il existe différents régimes économiques qui seraient bons ou mauvais comme tels. Or, cette opinion est presque insoutenable. En soi, il n’est ni bon ni mauvais que les moyens de production fassent l’objet d’une appropriation privée ou collective. De même, il n’est ni bon ni mauvais en soi que les décisions quant à ce qu’il convient de consommer ou de produire, soient privées ou collectives (décentralisées ou centralisées). Pourquoi ? Parce qu’aucun régime imaginable n’est à l’abri ni de l’erreur, ni de l’abus, ni de l’injustice : quel que soit le régime, l’homme est toujours exposé à en faire un mauvais usage. Ainsi, durant la grande crise des années trente, le monde capitaliste a été victime d’énormes erreurs de gestion. Le fameux « grand bond en avant » chinois s’est terminé par une famine qui a, semble-t-il, failli provoquer la chute de Mao Tsé-Toung. Cuba a connu un désastre économique en 1970, de même, la Tchécoslovaquie avant Dubceck et la Hongrie avant Imre Nagy... Ainsi encore les régimes de type plus ou moins capitalistes de l’Occident sont exposés à laisser écraser les faibles, à tolérer des disparités de revenu excessives ou les abus de la publicité ; les régimes étatiques du genre soviétique sont exposés au danger des abus de pouvoir, des trafics d’influence et de l’oppression bureaucratique ; les régimes communautaires le sont au danger d’étouffer l’individu sous le poids d’une pression sociale et idéologique qui le prive de toute autonomie.

Les motivations dans les divers régimes

Ceci amène à considérer brièvement la question des motivations dans les divers régimes économiques. Il ne s’agit plus ici de l’objectif général de l’économie globale, qui est, comme il a été indiqué plus haut, la croissance la plus rapide possible (quel que soit le régime), mais des motivations au niveau des individus et des entreprises, ou de groupes sociaux restreints qui peuvent en tenir lieu, telles les communes populaires chinoises.

Le grand reproche articulé contre les régimes dits capitalistes est que l’activité économique y est dirigée par la recherche du profit. C’est parfaitement exact, encore que certaines mises au point soient nécessaires.

La première est que le profit n’est pas la règle de la seule économie capitaliste, mais de tout régime caractérisé par la décentralisation des décisions au niveau des entreprises et donc par la concurrence. C’est ce que montre l’expérience yougoslave et la tendance à établir, dans plusieurs pays d’Europe orientale, ce qu’on appelle un socialisme de marché.

La seconde mise au point est que le mobile du profit n’empêche pas la poursuite de la satisfaction des besoins comme il est souvent allégué. En effet, l’entreprise soumise aux lois du marché ne peut faire de profit que si elle rencontre une demande qui exprime des besoins. Le grand problème du marketing est justement de prévoir ce que le consommateur préférera. Ceci dit, il reste que l’inconvénient du système est de polariser tout l’effort des dirigeants d’affaires sur la nécessité de « gagner de l’argent » et de les inciter corrélativement à minimiser l’importance des autres intérêts et des autres valeurs humaines engagés dans l’entreprise. De plus, la récompense pécuniaire est loin d’être toujours bien proportionnée au service rendu : André Citroën s’est ruiné, mais Onassis a fait une immense fortune. Ces inconvénients peuvent être atténués par des interventions judicieuses de l’État et une action équilibrante des syndicats, mais ils ne peuvent pas être entièrement supprimés par des aménagements de l’espèce. Il y a à cela deux raisons :

  • Le système repose sur l’emploi méthodique de la récompense matérielle pour stimuler l’effort – un effort de compétition –. Ce principe peut être modéré dans son application, mais non abandonné, sans quoi on ne serait plus dans une économie d’entreprise décentralisée.
  • Le système suppose, pour être efficace, une distribution inégale du pouvoir économique. Or, qui dit pouvoir, dit possibilité d’en user sottement ou maladroitement, ou encore d’en abuser. Notons cependant que ce trait est commun à tous les systèmes imaginables. C’est seulement dans un cas d’école que l’organisation économique se présente de telle façon que chaque individu et chaque entreprise ne dispose que d’une influence infinitésimale sur la marche des affaires ; dans ce cas, le problème du pouvoir ne se pose pas, en ce sens que chacun n’en possédant qu’une parcelle infime, chacun ne peut causer à autrui qu’un tort infime. Soit dit en passant, le péché de l’idéologie libérale a été de professer que l’économie réelle peut être assimilée à ce cas d’école.

Le régime économique soviétique ayant été « réformé » à plusieurs reprises depuis la mort de Staline, il n’est pas très commode de dire au juste où il en est. Cependant, on n’y a jamais renoncé aux récompenses matérielles pour stimuler l’effort de production, du moins dans l’industrie. On en use au contraire largement : il semble que l’éventail des rémunérations aille environ de 1 à 30, ce qui est beaucoup. Mais, par rapport aux économies occidentales, deux différences méritent d’être notées.

  • La première est que les récompenses matérielles ne sont attribuées qu’aux prestations en travail. On ne peut donc s’enrichir par de « bons » placements en titres ou en terrains, ni en créant une entreprise personnelle ou familiale.
  • La seconde est que l’effort, jusqu’à une date récente tout au moins, n’est pas une compétition avec des concurrents dont on dispute le marché, mais une sorte de course pour satisfaire les exigences impératives de l’État.

En dépit de ces deux différences, l’économie soviétique est, elle aussi, fondée sur la recherche par les individus d’un plus grand avantage matériel, quoiqu’il ne soit pas possible d’y « faire une fortune » (sauf pour les écrivains et les artistes s’ils parviennent à avoir du succès, tout en restant dans la ligne du parti).

Peut-être convient-il de noter encore que l’économie soviétique est traditionnellement très centralisée, de sorte qu’on ne peut y prendre ni l’initiative de produire ce qui, quoique paraissant utile ou nécessaire, n’est pas au plan, ni l’initiative de modifier substantiellement la manière de produire ce qui est prescrit. Cette situation, tout autant que la règle du profit en économie capitaliste, peut conduire à compromettre les intérêts matériels et la dignité de l’homme au travail. On peut y remédier, dans une certaine mesure, en accroissant l’autonomie des entreprises, mais si celle-ci est poussée trop loin, la prédominance de la règle du profit se trouvera presque inévitablement rétablie et, avec elle, certains des inconvénients du capitalisme.

L’organisation actuelle (1972) de l’économie chinoise constitue une innovation très intéressante, proche parente à certains égards des kibboutz israéliens. La cellule de base de l’économie n’est pas l’entreprise, mais la commune populaire, entité géographique de quelques dizaines de milliers d’habitants vivant de manière largement autarcique. La différenciation des rémunérations y est réduite à sa plus simple expression. On y compte donc très peu sur les stimulants matériels pour obtenir l’effort de production. Le kibboutz israélien mis à part, c’est sans doute l’organisation sociale la plus égalitaire et la plus désintéressée de l’univers. La maxime communiste « de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins » y est presque littéralement appliquée. A peu près comme dans une abbaye !

Comme l’intérêt matériel ne joue qu’un rôle tout à fait mineur, l’effort ne peut être obtenu que par l’entretien de l’idéalisme collectiviste (un drapeau sur chaque chantier).

Les inconvénients manifestes de ce système, si séduisant du point de vue moral (et qui s’avère efficace au stade actuel du développement de l’économie chinoise), sont au nombre de trois :

  • Comme l’adhésion aux communes populaires n’est pas volontaire, l’entretien de l’idéalisme risque de se muer en conditionnement mental, voire en contrainte sociale pure.
  • Comme les différenciations de rémunération sont très faibles, elles sont de peu d’utilité pour obtenir l’ajustement de l’offre de travail aux besoins dans les différents emplois. En conséquence, ceux-ci doivent, en principe, être assignés d’office aux travailleurs, soit individuellement, soit regroupés en « brigades ». Si l’autorité s’exerce avec humanité, elle peut s’arranger pour tenir compte au mieux des désirs et des aptitudes de chacun, mais la liberté du choix de l’emploi, encore moins celle de l’employeur, ne peut pas être érigée en règle. On voit aisément quel genre d’abus est susceptible de se produire dans un tel contexte.
  • Enfin, dans la mesure où ces petites communautés deviennent réellement autarciques, les techniques de production à grande échelle ne sont pas utilisables. C’est sans doute un inconvénient mineur aux premiers stades du développement, mais le problème se posera à terme. Lorsque les communes populaires sortiront de leur autarcie, comment seront réglés leurs échanges ? Par la concurrence ou de manière planifiée ?

L’esprit de pauvreté vu dans son contexte économico-social

Pour achever d’ouvrir la voie à une réflexion sur la pauvreté religieuse dans le monde moderne, il reste à indiquer quelques directions dans lesquelles cette réflexion pourrait s’orienter. Il est sans doute commode d’envisager d’abord quelques thèmes qui se rapportent aux économies considérées globalement, ensuite quelques thèmes en liaison avec la vie quotidienne à l’intérieur de divers types d’organisation économique.

L’esprit de pauvreté se traduit en attitudes et en conduites qui ne nient pas la valeur des biens matériels, mais les subordonnent aux biens spirituels.

Voici donc un premier sujet de réflexion : n’y a-t-il pas lieu de faire valoir qu’une croissance économique illimitée et aussi rapide que possible n’est pas le bien suprême, dans les pays développés certes, mais même dans les pays sous-développés ? Si oui, comment porter ce témoignage ? On remarquera que la frénésie de la croissance n’est pas l’apanage du seul capitalisme. C’est aujourd’hui le fait de tous les régimes économiques. De ce point de vue, ce n’est donc pas la poursuite du profit qui est en cause.

Deuxième sujet de réflexion : l’inégalité actuelle et prévisible des niveaux de développement est une situation injuste. Ceux qui plaident la cause des pays sous-développés se donnent souvent beaucoup de mal pour prouver que c’est de la faute des pays industrialisés. Cette discussion est sans issue, parce qu’il est impossible de démêler quelle est la part de responsabilité des pays riches dans la pauvreté du tiers monde. En plus, cette discussion est parfaitement oiseuse ; la situation est injuste, même s’il n’y a pas d’actes injustes à son origine. Le bon samaritain n’était pas responsable de la détresse du malheureux dépouillé et rossé par des brigands. Il l’a secouru parce qu’il l’a considéré comme son prochain. Tel est, semble-t-il, l’argument spécifiquement chrétien en faveur de l’aide au tiers monde. La charité doit aller au-delà de la pesée des droits et des responsabilités. Comment rendre ce témoignage ?

Troisième sujet de réflexion : il est aujourd’hui à la mode de mettre le(s) système(s) en question, voire de proclamer que le progrès et la justice passent par leur destruction. N’y a-t-il pas, dans cette guerre aux systèmes imparfaits, une dangereuse illusion puisque aucun système concevable ne peut être infailliblement juste ? N’y a-t-il pas là, en outre, un moyen commode d’échapper à ses responsabilités, c’est-à-dire au difficile devoir d’être juste dans le système et de travailler à son amélioration s’il est améliorable ? Naturellement, cela demande du temps, de l’imagination et du courage, mais le fait d’affronter les difficultés, de payer de sa personne, sans y avoir d’intérêt matériel, ne constitue-t-il pas une « conduite de pauvreté » ?

Ceci est d’application dans tous les régimes imaginables, et par exemple :

  • Si l’on est dans une commune populaire, intérioriser les exigences de désintéressement de ces organisations, accepter des responsabilités non rémunérées, s’opposer aux brimades dont peuvent être l’objet les faibles ou les minoritaires.
  • Si l’on est dans un régime bureaucratique, ne pas « ouvrir son parapluie » chaque fois qu’il y a une responsabilité à prendre, ne pas tremper dans les intrigues, les cabales ou les trafics d’influence pour obtenir de l’avancement ; se donner du mal pour l’amélioration du service, même sans y avoir intérêt, se montrer coopératif et complaisant vis-à-vis des collègues (ne pas monopoliser l’information par exemple) sans rien attendre en retour, être constamment attentif aux intérêts des usagers des services publics (dans l’enseignement spécialement...).
  • Si l’on est chef d’une entreprise capitaliste, s’abstenir de demander ou d’accepter ou de s’octroyer une rémunération personnelle exagérée ; refuser les moyens peu honorables d’augmenter les bénéfices, tels que fraudes sur la qualité des produits, abus de situations monopolistiques, publicité trompeuse ou obsessionnelle ; accepter les demandes raisonnables d’accroissement des rémunérations ; prendre le temps d’écouter les doléances du personnel et de leur expliquer le pourquoi des décisions prises ; aller au-devant des besoins d’amélioration des conditions de travail sans s’occuper du point de savoir quelle est exactement la rentabilité directe ou indirecte de cet effort : en un mot, introduire une composante de générosité et de gratuité dans l’exercice de sa profession.
  • Si l’on est syndicaliste, se préoccuper des intérêts moraux du personnel au moins autant que de ses intérêts matériels ; s’abstenir de promouvoir des revendications de salaires hors de proportion avec ce qui peut être obtenu sans provoquer une inévitable hausse des prix et cela même si le syndicat doit perdre quelques adhérents...
  • Si l’on est consommateur, s’abstenir d’acheter des objets vraiment inutiles et surtout les objets que l’on désire pour l’unique raison que d’autres le possèdent. Ceci va plus loin qu’on ne croirait à première vue, car cette forme d’envie est un des ressorts les plus profonds et les plus puissants de la course à la croissance illimitée...

Aucun régime économique ne peut se passer de vertu

Enfin, qui que l’on soit et où que l’on soit, attribuer plus d’importance à la comparaison de sa propre situation avec celle des moins bien lotis (physiquement, moralement et pécuniairement) qu’avec celle des mieux lotis. Ceci est peut-être une règle d’or. Si elle était généralement observée, la face du monde serait changée du tout au tout. Il faut certes choisir judicieusement les régimes, de manière qu’ils soient adaptés aux traditions, aux possibilités, aux situations historiques concrètes de chaque pays. Il faut aussi les aménager avec soin, pour qu’ils soient, chacun dans leur genre, les moins imparfaits possible. Mais aucun d’eux ne pourrait vraiment humaniser la vie, faire régner la justice, échapper à la tentation de l’abus des biens matériels, si l’on ne peut pas compter sur la vertu des personnes dont l’esprit de pauvreté est un aspect essentiel. Mais, cette condition-là ne peut être réalisée par le réformateur social ; elle constitue la dimension proprement morale et religieuse de la réalité humaine.

Chaussée de Binche 151
B - 7000 MONS, Belgique

[1Le dollar U.S.A. vaut actuellement environ 40 frs belges ; le franc français environ 9 frs belges.

Mots-clés

Dans le même numéro