Pauvreté politique
Tribune libre
Jean-Marie Hennaux, s.j., Yves Ledure, s.c.j.
N°1973-2 • Mars 1973
| P. 99-120 |
Pour préparer le numéro spécial sur la pauvreté (n° 3 de cette année), nous publions ci-dessous un texte du P. Ledure : c’est une prise de position intéressante, peut-être discutable par certains aspects, sur ce problème. Avec l’accord de l’auteur, nous faisons suivre ces pages de quelques remarques que leur lecture a provoquées de notre part. Puissions-nous avoir fourni de la sorte à nos lecteurs et lectrices l’occasion d’une réflexion qui les aide à mieux percevoir et à mieux vivre leur pauvreté.
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
I. Pour une pauvreté religieuse au service des pauvres
Paradoxalement, l’Église d’Occident n’a jamais tant parlé de pauvreté que depuis le moment où ses membres vivent dans une société sinon encore totalement d’abondance du moins déjà de consommation. Si cette Église proclame bien haut sa volonté d’être pauvre, avec les pauvres, n’est-ce pas, en quelque sorte, pour forcer le destin, pour exorciser ses démons intérieurs ? Car ce désir de renouveau se heurte au bien-être grandissant qui engouffre les individus dans le cycle infernal des nouveaux besoins. La possession des biens de consommation se retourne contre celui qui se croit riche de ces biens, pour éveiller en lui le désir de ceux dont il se voit frustré.
Le religieux participe à la même loi de croissance de nos sociétés industrialisées, il en ressent les mêmes séductions. Il veut pourtant, à la suite du Christ, être pauvre. Mais, il ne sait plus très bien ce que « pauvre » veut dire dans une société qui a besoin de revenus toujours plus élevés pour absorber les objets manufacturés et ainsi accroître son rythme de production. Or si pauvreté reste synonyme de non-possession, le religieux se voit rejeté de cette société de consommation. Lorsque la pauvreté, entre autres, tend à faire du religieux un être marginal, en état de perpétuelle frustration, n’est-il pas urgent de redéfinir la pauvreté évangélique, de lui trouver son milieu vital ? Sa force de témoignage et le bonheur des religieux ont tout à y gagner. En fait, le débat est ouvert depuis un certain temps. En toute simplicité, nous versons à ce dossier notre propre réflexion, qui est essentiellement conçue en fonction des sociétés sur-industrialisées, dites de consommation, et qui s’adresse principalement à la vie religieuse masculine.
La pauvreté chrétienne
Pour Jésus de Nazareth, la pauvreté trace un chemin qui conduit à la béatitude. Une telle affirmation relève du paradoxe, voire de la provocation, car l’expérience quotidienne ne désigne pas la pauvreté comme pourvoyeuse de bonheur. Par ailleurs, la première béatitude évangélique s’oppose radicalement à une constante de l’Ancien Testament, qui voit dans la richesse une bénédiction de Dieu. Comme pour la Grèce d’Homère, la richesse apparaît un titre de noblesse en Israël, et Dieu enrichit ceux qu’il aime. Quelle signification revêt alors la béatitude promise par Jésus aux pauvres ?
En Matthieu 5,3, nous lisons : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux ». Cette parole exalte l’attitude morale, la disposition intérieure du croyant face à la possession comme à la non-possession d’un bien quelconque. Si la richesse brûle les mains de celui qui la possède, le désir ronge le cœur de celui qui la voudrait. Le croyant doit être libre par rapport à ce qu’il possède et suffisamment détaché pour pouvoir maîtriser son désir de posséder ce qu’il n’a pas. Le bonheur, celui qui dépend des conditions de vie, relève souvent de la chance, du hasard (combien de richesses et de pauvretés en sont les enfants !). Or, la béatitude que proclame Jésus n’est pas le comble, l’achèvement, mais bien le contraire de ce bonheur gratuit. La béatitude exprime la volonté de juguler la part de contingence de ce bonheur, de maîtriser les mille coups de la fortune qui distribue, aveuglément, bonheur aussi bien que malheur. C’est le souci de la béatitude qui sanctifie les désirs et non la réalisation des désirs qui engendre la béatitude. La béatitude ne saurait jamais se confondre avec les avoirs de toutes sortes. Au contraire, elle exige une mise à distance, une sorte de politesse hautaine vis-à-vis des richesses.
La première béatitude – la seule en réalité, car elle ramasse la totalité de l’expérience humaine – s’apparente étrangement à la liberté intérieure, à moins qu’elle ne se confonde tout simplement avec elle. La pauvreté bienheureuse est le sol où germeront toutes les libérations, sans pour autant se confondre, à plus forte raison s’épuiser en l’une d’entre elles. Il faut déjà être libre pour remarquer ses chaînes, ses entraves, pour vouloir s’en libérer. Seul celui qui sait qui il est pourra aussi chercher à être autre. Ainsi la béatitude n’est pas engendrée par la pauvreté, mais c’est elle qui conduit à la pauvreté, par désir du Royaume de Dieu. La béatitude signifie la présence de ce Royaume, recherché dans la densité, mais aussi dans l’opacité des réalités terrestres. Recherche qui suppose l’immédiate négation de tout ce qui est atteint. Ce mouvement interne différencie la béatitude du « devenir autre » du bonheur de la certitude immédiate. Car le perpétuel dépassement de soi-même, des agirs mondains accompagne, sinon engendre l’irrésistible métamorphose qui, un jour, aboutira à la divinisation de l’homme. Or, seule la pauvreté de l’homme est « digne » de la divinité. La pauvreté humaine incarne, donne chair au désir de Dieu.
Saint Luc nous propose une autre approche de la béatitude. En 6,20 & 24, il écrit : « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous... Mais malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation ». La parole évangélique se situe ici au niveau des réalisations ; elle propose des mises en œuvre de la béatitude. Jésus juge certaines situations sociales, certains modes de vie en fonction de « sa » béatitude. Il affirme que les pauvres sont dans un rapport favorable à ce Royaume de Dieu qu’il annonce ; ils en sont les privilégiés et les héritiers à tel point qu’il n’hésitera pas à s’identifier à ces pauvres. « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger... » (Mt 25,34 ss).
Nous nous trouvons ici en présence d’un bouleversement radical des rapports sociaux, d’un renversement des situations, qui exprime l’aspect proprement révolutionnaire du message de Jésus. Dans toute société humaine, en effet, ce sont les riches, que ce soit de l’avoir, du savoir, du pouvoir, qui sont les privilégiés. Les pauvres, au mieux, sont spectateurs impuissants ; au pire, ils subissent et pâtissent : jamais ils ne participent à ce jeu tragique qui, pourtant, scelle leur destin. Or Jésus annonce et promet un Royaume à venir qui appartiendra, comme de plein droit pourrait-on dire, aux pauvres, aux laissés-pour-compte de nos sociétés, alors qu’il sera bien difficile à un riche d’y entrer (cf. Mc 10,23-27).
Dans l’Évangile, Jésus prend la défense du pauvre ; il ne fait pas l’éloge de la pauvreté, qui demeure manque et malheur pour l’homme. Subie, elle doit être combattue par tous les moyens. Mais, nous l’avons vu, la béatitude peut vaincre ce mal en le transformant en désir d’une réalité radicalement autre. Aussi faut-il bien comprendre comment et pourquoi Jésus défend le pauvre. Ce n’est pas seulement pour inverser les situations sociales, c’est-à-dire pour enrichir les pauvres qu’il le fait. Car alors nous retomberions dans les méfaits de la richesse si nettement dénoncés. La justice sociale et la répartition des biens feront reculer la misère. Mais l’amélioration des situations matérielles, pour nécessaire qu’elle soit, n’engendre pas la béatitude. L’élévation du niveau de vie doit se conjuguer avec une pauvreté librement acceptée. Une telle pauvreté exprime le désir d’un au-delà humain.
Les béatitudes lucaniennes s’articulent en effet sur une absence, sur un vide. Mais au cœur du manque de nourriture, de joie, de fraternité jaillit un appel, un désir d’un autre monde. Par contre, les malédictions de Luc portent sur des états de plénitude, de rassasiement, qui signifient l’adhérence totale au royaume terrestre. Tout se passe donc comme si au cœur de la pauvreté retentissait un appel, comme si la négativité de la pauvreté, en tant qu’elle est manque, privation, engendrait la phase affirmative d’un autre univers. À l’inverse, la positivité, la plénitude de la richesse se retournent contre son possesseur. En désignant des frontières, des contours solides à l’intérieur desquels le riche se meut très sereinement, la possession sécurise. Elle ferme un univers et y enferme celui qui l’habite. Dieu, en tant qu’autre, différent, étranger, ne parvient pas, ou très difficilement à s’infiltrer dans cet univers dont il met en cause les structures, l’opacité, partant l’existence même. C’est que Dieu n’est pas de l’ordre de la possession, de l’acquisition, mais de la grâce et du désir.
Il s’ensuit que la pauvreté effective, la rupture avec certains avoirs est un préalable du Royaume de Dieu, ou si l’on veut, le signe d’une conversion à Dieu. Jésus lui-même affirme ce mouvement préalable de renoncement lorsque, s’adressant au jeune homme riche, il dira : « Va, vends ce que tu as... puis suis-moi » (Mc 10,21). La toute première et fondamentale réponse à l’appel de Jésus se concrétise, se réalise dans des refus, des renoncements d’avoirs, refus libres, renoncements souvent imposés par la vie [1]. Alors que le célibat évangélique se présente comme une conséquence, une qualification de la conversion chrétienne, la pauvreté évangélique en est le préalable, la première et prenante expression, le « ce-sans-quoi » il n’y a plus de christianisme. A notre avis, l’authenticité de la religion chrétienne, surtout dans une société de consommation, se joue au niveau de cette pauvreté. On ne peut pas entrer joyeusement dans la ronde infernale d’une société de consommation et se dire chrétien, à moins de réduire, de rétrécir le christianisme à une pure intériorité [2]. La béatitude chrétienne ne résultera jamais de la simple satisfaction des besoins, si raffinés soient-ils.
Il en va de même pour une vie religieuse qui se veut pauvre sans l’être effectivement. L’argument d’une pauvreté de dépendance ou d’intention cache une dangereuse ambiguïté. Dans son principe même, elle justifie, tant au niveau des individus que des institutions, toute la gamme des richesses. En ramenant la pauvreté à une question d’obéissance (la dépendance des religieux assurant l’indépendance des supérieurs-économes), n’obéit-on pas à des motivations troublantes qui témoignent de l’irresponsabilité – souvent entretenue – des religieux, comme d’un secret vouloir de puissance des « gérants » de biens religieux ? En matière de pauvreté, la liberté est un leurre, un rêve trompeur si elle ne se dit pas, si elle ne se fait pas dans des refus d’avoir, de pouvoir et de savoir. La pauvreté évangélique comme la liberté intérieure se mesurent à leur force de briser les chaînes, les attaches que tissent les avoirs et les pouvoirs. Goûter aux richesses et ignorer ses enchaînements peut relever de l’inconscience. Mais trop souvent l’inconscience creuse le lit de la mauvaise foi.
Si la pauvreté est la condition de toute conversion chrétienne, elle doit être comprise comme l’expression d’une tension entre l’univers familier de l’homme et le Royaume de Dieu. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16,19) illustre cette tension. La pauvreté évangélique surmonte le non-sens de toute pauvreté, en trouvant son sens, qui est aussi sa récompense, en Jésus-Christ. Celui qui veut être pauvre à la suite de Jésus n’a rien du masochiste résigné, car il sait que la pauvreté en elle-même n’est pas une valeur. Il ne recherche donc pas la pauvreté comme telle, pour elle-même, mais la liberté qui est libération de tout ce qui attache et tache l’homme, pour le grandir, l’agrandir aux dimensions d’une destinée « sur-humaine ». Il en va de la pauvreté évangélique comme de la fenêtre romane. Celle-ci est bien déchirure de la massive et sobre beauté du mur roman. Mais à travers ce « vide » passe la lumière d’un ailleurs, comme si le soleil extérieur avait percé la sombre opacité du mur. Ainsi le désir du Royaume vide nos avoirs, néantise nos possessions. Cette déchirure laisse filtrer une nouvelle lumière sur toutes les réalités humaines. Elle transforme nos harmonies, souvent superficielles, en tensions généreuses qui donnent soif du Dieu vivant.
La pauvreté religieuse
La tension entre sa condition d’homme et son désir de divinisation, le religieux en fait la loi de son agir. Il est consacré au Royaume. La pauvreté avec le célibat et la coresponsabilité dans une œuvre commune seront les expressions signifiantes de cette consécration. Après l’analyse de la pauvreté comme signe et préalable de toute conversion au Royaume, il faut faire porter notre réflexion sur la pauvreté religieuse comme telle.
S’inscrivant à l’intérieur de la problématique chrétienne, la pauvreté religieuse se veut radicalisation de la composante « pauvreté » du message évangélique. Mais le religieux ne vit pas seulement pauvrement, il s’engage à vivre en pauvre comme Jésus de Nazareth. La pauvreté religieuse est autant vie pauvre qu’engagement public à mener un certain style de vie, à témoigner d’un certain radicalisme de l’Évangile. Cette parole donnée, qui est à la racine des vœux de religion, démarque le plus nettement, nous semble-t-il, la pauvreté religieuse de celle de tout chrétien. Car, dans les faits, le religieux ne vit guère plus pauvrement que la majorité de ses frères chrétiens. Au regard de certains qui connaissent la misère, il fait partie de la classe des « privilégiés ». Par ailleurs, il ne connaît guère l’insécurité engendrée par les aléas de la conjoncture économique, puisqu’il ne subit pas l’inhumaine loi du système capitaliste : l’offre et la demande.
Mais la pauvreté sociologique est de l’ordre du provisoire, puisqu’elle n’est pas voulue, recherchée, mais bien imposée par les circonstances. L’homme travaille précisément pour sortir de cet état, pour améliorer sa situation. L’acquisition de la richesse, la participation au bien-être cristallisent des buts à la vie. Le religieux, par contre, en s’engageant à vivre en pauvre, refuse volontairement cette visée. La motivation foncière de son agir n’est ni l’avoir, ni le pouvoir, ni le savoir personnels qui procurent un bonheur certain. Pour le religieux, c’est le souci de la béatitude et non la réalisation des besoins ou désirs qui guident et sélectionnent ses engagements. En ce sens, il réalise la première béatitude de Jésus. La retenue, librement voulue, dans l’acquisition des biens, signifie et exprime la priorité donnée à Dieu et à son Royaume.
Le problème très concret qui se pose aujourd’hui aux religieux est de trouver le critère ou si l’on veut la « mesure » de cette « retenue ». D’aucuns prétendent que le critère est d’ordre financier, ce qui a l’avantage de « couvrir » les situations les plus contradictoires et les plus scandaleuses. On amarre la pauvreté du religieux au niveau de vie moyen. Le standing du religieux doit donc être sensiblement égal à celui du citoyen moyen du pays dans lequel il se trouve, voire du milieu dans lequel il vit. La voiture, pour ne prendre qu’un exemple, qui était encore un luxe, il y a quelques décades, tend à devenir un bien de consommation courant. Son acquisition pose donc de moins en moins de problèmes au religieux, puisqu’elle équipe le citoyen moyen.
Ainsi considérée, la pauvreté devient une notion « flottante » qui se « réévalue » constamment. On enregistre, en effet, dans nos pays industrialisés une croissance régulière du produit économique de l’ordre de 3 à 5 % par an et donc une augmentation correspondante du pouvoir d’achat. « Ces chiffres, écrit Alvin Toffler, traduisent un fait rien moins que révolutionnaire : dans les sociétés avancées, la production totale des biens et des « services » double tous les 15 ans environ, et ce laps de temps ne cesse de rétrécir. Cela veut dire, en termes généraux, que dans l’un de ces pays un enfant qui atteint la puberté est entouré littéralement de deux fois plus d’objets manufacturés nouveaux que ne l’étaient ses parents lorsqu’il vint au monde. Cela veut aussi dire que, lorsque les adolescents d’aujourd’hui auront 30 ans, et peut-être même avant, ce nombre aura à nouveau doublé. Au cours d’une vie de 70 ans, ce processus peut se renouveler jusqu’à 5 fois – ce qui signifie que, les augmentations s’additionnant, la société produit 32 fois plus au moment où un individu atteint la vieillesse qu’à sa naissance [3] ».
Il nous semble évident qu’une croissance d’un tel ordre, même si elle n’épouse pas exactement la courbe prévue, réduit à néant une pauvreté religieuse conçue comme standing de vie du citoyen moyen. Elle ne serait jamais qu’un retard d’une génération sur la classe possédante actuelle. Mais il y a plus grave. Sans parler des pays en voie de développement, on constate que cette croissance ne profite pas également à toutes les classes de la société. Les couches les plus pauvres de la population n’y participent que très faiblement, quand elles n’en sont pas tout simplement absentes. L’écart se creuse entre pauvres et riches. En prenant la croissance moyenne comme critère et mesure de sa pauvreté, le religieux risque de se démarquer des pauvres, de ne plus être un pauvre parmi les pauvres. En s’évadant du monde des pauvres, le religieux ne perd-il pas le dessein évangélique d’une pauvreté qui se ramène alors à une situation sociologique temporaire, à une question d’économie ? Une telle voie nous conduit à une impasse dont on peut relever plus d’un trait dans la situation actuelle de la vie religieuse. Il faut donc écarter une conception de la pauvreté qui la situe soit dans la logique de la pénurie, soit dans la participation modérée à la croissance. Dans les deux cas nous restons dans une problématique de l’avoir où pauvreté et richesse sont relatives l’une à l’autre, comme degrés différents d’une même réalité. Pour nous, la pauvreté religieuse se définit comme partage et solidarité avec les pauvres, avec les plus défavorisés.
Cette nouvelle articulation ne contredit pas ce qui précède en évacuant la dimension « refus » de la pauvreté. Elle veut éviter la perspective dualiste, antinomique qui conçoit la pauvreté religieuse comme « anti-richesse ». Le lieu de compréhension, le point de référence de la pauvreté n’est pas la possession dont elle ne serait que la négation. Or la pauvreté religieuse n’est pas d’abord et premièrement négativité, dépossession, mais service des pauvres, affirmation de relations humaines qui n’obéissent pas aux lois de l’argent, de la richesse. Ici encore le souci de la béatitude précède et commande les modalités du bonheur, qu’elles soient possession ou dépossession. La péricope du jeune homme riche est particulièrement nette à ce sujet : « Une seule chose te manque, répond Jésus : va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel ; puis, viens, suis-moi » (Mc 10,21).
Ce texte souligne la portée communautaire, « socialiste » de la pauvreté : une dépossession au profit des pauvres. Le renoncement évangélique ne se reconnaît pas dans l’image de la fourmi prévoyante qui économise et accumule pour soi-même. Bien au contraire, il est insouciance généreuse, « vertu qui donne », pour reprendre une expression de Nietzsche. Il faut bien reconnaître que la pratique actuelle est assez différente de cette exigence évangélique. Car, pour l’essentiel, la dépossession du religieux alimente et grossit la réserve des communautés, gérée selon les plus secrètes lois du profit.
On comprend bien qu’une communauté religieuse ne puisse vivre au jour le jour. Sa gestion exige un minimum de prévoyance. Mais de là à entrer dans le cycle infernal de l’accumulation de capitaux afin d’être, quoiqu’il arrive, à l’abri de circonstances fâcheuses, il y a une frontière. La franchir reviendrait à dénaturer la pauvreté évangélique. La priorité donnée à Dieu, le fait de jouer sa vie sur un pari bien audacieux seraient alors contrebalancés, remplacés par des préoccupations d’assurer ses arrières, si l’on nous permet cette expression. La seule prévoyance évangélique s’appelle Providence. Elle se fait dans la cogestion, dans la coresponsabilité. La solidarité totale entre frères assure la meilleure garantie pour chaque membre de la communauté. Compter sur son frère qui, lui-même, espère en moi, substitue aux relations humaines pesées en poids d’or et d’argent, des liens de fraternité gratuite : les mœurs mêmes de Dieu. « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mt 6,24).
Ce que Platon disait des responsables de la cité vaut tout autant de ceux qui se veulent responsables du Royaume de Dieu. « Aucun d’eux ne possédera en propre aucun bien, à moins d’absolue nécessité » [4]. Ils recevront en échange des services rendus une rémunération correcte : ni trop, ni trop peu. Et Platon d’ajouter : « assez bien calculée, et pour qu’il n’en reste rien à reporter sur l’autre année, et pour qu’elle ne soit pas insuffisante ». Les responsables vivront en commun à la manière « de soldats qui se sont installés en campement ». Leur richesse sera intérieure, autant dire divine, car elle est don et participation au divin. C’est précisément cette richesse qui rend des hommes aptes à assumer des responsabilités de bien commun, à être au service d’autres, même au détriment de leur propre intérêt immédiat.
De même le renoncement à la richesse qu’inclut la pauvreté religieuse n’est que la condition de la conversion. En d’autres termes, le renoncement dessine l’envers de la réalité essentielle : le service des pauvres. Renoncer à la possession pour le Royaume équivaut à se mettre au service des pauvres ; car l’amour de Dieu s’exprime et se vérifie dans l’amour fraternel. Le soin du pauvre est le détour obligé qui conduit le religieux à Dieu. L’aspect « renoncement » dans la pauvreté religieuse n’est donc pas premier. La priorité ne porte pas sur le détachement des biens, sur l’usage modéré des richesses ; elle consiste à aller aux pauvres, à se mettre à leur service. La pauvreté religieuse ne doit donc pas obéir aux lois de l’ascèse personnelle. C’est l’aide que réclame le pauvre qui doit être la mesure de la pauvreté religieuse. Celle-ci se module et se conçoit en fonction de la situation des pauvres et non en fonction de la disposition intérieure du religieux.
Lorsque nous parlons de service des pauvres, nous entendons l’aide apportée à leur condition sociale ou psychologique, l’amélioration matérielle et culturelle d’une situation malheureuse. A notre sens, le religieux, pour accomplir sa tâche, sa fonction de pauvreté, doit s’engager dans la condition de travailleur, qu’il soit manuel ou intellectuel peu importe. Il met son engagement professionnel, le fruit qu’il en retire à la disposition des plus défavorisés. Il travaille pour d’autres qui lui sont étrangers quant au sang ou à la sympathie spontanée. La pauvreté n’obéit plus aux catégories de la privation, du désengagement ; elle suppose au contraire une richesse, une compétence dont le religieux ne profite pas égoïstement pour lui ni même pour sa communauté, mais qu’il offre gracieusement aux moins favorisés que lui par l’avoir, par le pouvoir, par le savoir [5]. Ce que le célibat exprime, quant à l’ouverture à tous et au refus du partenaire exclusif, pour l’affectivité, la pauvreté le dit au niveau de l’engagement professionnel, de l’œuvre créatrice à réaliser.
Elle exigera donc en certains cas et la richesse et le pouvoir et le savoir, pour être en mesure d’aider les pauvres. On voit ainsi que la pauvreté est d’abord un concept « opératoire » pour les pauvres et non un terme « ascétique » qui cultive la perfection individuelle du religieux. Le trait fondamental de la pauvreté religieuse commande au disciple de Jésus de se mettre à la disposition des pauvres. L’efficacité de ce service exigera toujours une grande « richesse », surtout personnelle, intérieure [6]. Elle imposera de subordonner ses goûts personnels, notamment dans le choix des engagements, aux besoins réels et solidaires des pauvres.
Très banalement, la pauvreté religieuse devrait retrouver son visage traditionnel, celui notamment que lui a façonné le monachisme. Cassien déjà explique que la pauvreté a deux pôles. D’une part, le travail qui assure au moine sa subsistance et par ailleurs le refus de disposer personnellement du fruit de son travail [7]. Mais pour ne pas tomber dans les déviations de la capitalisation des biens, tant au niveau individuel que communautaire, il importe de fixer une troisième dimension à cette pauvreté : faire participer les pauvres aux fruits de son labeur.
Une telle approche de la pauvreté prescrit de dissocier plus énergiquement sacerdoce et vie religieuse. Ce qui doit être remis en cause, ce n’est pas tant le fait que les religieux soient, pour un grand nombre notamment dans certaines congrégations, prêtres. Mais que leur sacerdoce se coule dans la structure hiérarchique de l’Église. S’il est vrai que la vie religieuse n’est pas une fonction hiérarchique, mais un mode de vie chrétienne, on ne voit pas pourquoi dans le concret de la vie et des engagements, la priorité serait donnée au sacerdoce ministériel, ni pourquoi le ministère sacerdotal se substituerait au service des pauvres, à la diaconie apostolique. Trop de religieux, parfois des congrégations religieuses entières vivent sur le mode d’associations sacerdotales où la dimension religieuse se ramène à un ascétisme personnel. La fonction apostolique de la consécration religieuse se rétrécit alors au ministère sacerdotal, c’est-à-dire à l’animation spirituelle ou à la fondation de communautés chrétiennes.
Une telle fonction d’Église, pour nécessaire qu’elle soit, ne permet pas de donner à la pauvreté religieuse son caractère spécifique : la solidarité totale avec les pauvres. A notre avis, seule une profession ou la compétence en un domaine engage le religieux aux côtés des pauvres dans la lutte pour améliorer leur condition d’existence. Le religieux devrait être un travailleur à l’instar de ses contemporains. Mais ce travail, dans la mesure où il est mis au service des pauvres, acquiert une signification nouvelle : non plus épanouissement égoïste mais annonce et esquisse d’un univers où cesseront les luttes de classes et les disparités de condition sociale.
Une pauvreté politique
La solidarité avec les pauvres suppose qu’on sache les reconnaître. Or dans nos sociétés industrialisées, pauvreté n’est plus nécessairement synonyme de misère. Certes, on y trouve toujours des pauvres par manque d’argent, surtout si l’on compare leur situation par rapport à celle des privilégiés de ces sociétés. Mais le monde occidental comme tel est une société de croissance qui tend à l’abondance. L’injustice y apparaît quand le produit de croissance est très inégalement réparti en faveur des plus nantis. Le service des pauvres commande donc d’entrer dans la lutte pour imposer une équitable répartition de la croissance économique. Mais l’équité n’est pas mathématique, elle doit être qualitative. Elle exigera un traitement de faveur envers les plus déshérités. La participation équitable passera souvent par une redistribution des biens.
Cette croissance, par ailleurs, devrait être ordonnée aux buts que poursuivent la société et les individus. Or, dans nos régimes industrialisés, l’homme devient esclave des lois de la rentabilité économique. Le pouvoir politique, dont la tâche est de gérer le bien commun, d’en ordonner les objectifs en fonction des légitimes intérêts des citoyens, est trop faible face aux puissances financières internationales. Lorsque l’économique commande au politique, ce n’est plus l’homme avec ses épanouissements et ses bonheurs, mais la rentabilité qui devient la fin même de la société. On tend de plus en plus à faire de l’homme un « minerai exploitable » par l’industrie. Le « modèle » façonne le citoyen idéal de la société de consommation.
La valeur de ce nouveau type d’homme ne se mesure plus à sa puissance créatrice, mais à sa capacité de consommer tout ce que l’industrie lance sur les marchés mondiaux. La richesse n’est plus facteur de libération, mais agent d’asservissement à l’objet. L’augmentation du niveau de vie, bien qu’elle satisfasse des besoins matériels, engendre une frustration constante dans la mesure où elle fouette le désir en accroissant le pouvoir de le réaliser. Tout se passe comme si l’augmentation du pouvoir d’achat allait de pair avec ce que l’on a appelé une « paupérisation psychologique ». « L’ensemble du système industriel, qui devrait être l’instrument au service des hommes, tend à devenir la norme en fonction de laquelle ils adaptent leurs comportements, leurs rapports sociaux, et jusqu’à leur personne [8] ».
Les mécanismes économiques contribuent ainsi à fausser les relations sociales, en les rendant autant sinon plus tributaires de la capacité de consommer que de la valeur intrinsèque de la personne. Le comportement social n’exprime plus exactement la personne, ce qui conduit à des attitudes sociales, plus ou moins imposées par l’environnement, mais réprouvées par la personne. Cette distorsion ira parfois jusqu’à la démission totale de la personne. Celle-ci se laissera alors dicter ses choix, ses comportements, ses réactions et même ses valeurs par des modes et des publicités de tous genres. En se détachant des valeurs choisies par la personne, la relation sociale se croit libre, émancipée, pour tout dire majeure, alors qu’elle n’est que le jouet inconscient d’impératifs économiques. Faute d’éducation et d’information, le pauvre se laisse prendre à ce miroir à alouettes.
La pauvreté religieuse est directement concernée par cet état de choses. Il ne suffit pas de faire participer les pauvres à la croissance, il faut aussi « qualifier » ce mieux-être, en le soumettant aux besoins réels et aux valeurs authentiques de la personne. La fonction de pauvreté qui incombe à la vie religieuse se joue moins au niveau de la possession qu’au plan de la relation [9]. On ne possède plus aujourd’hui pour garder, conserver, mais pour consommer. L’aide aux pauvres portera autant sinon plus sur l’art d’utiliser les biens que sur leur acquisition. Dans nos sociétés avancées, le plus solide et durable avoir s’appelle savoir et pouvoir. L’enjeu ne touche plus la survie, mais la vie : un problème de qualité, une affaire de culture.
Le pauvre selon l’Évangile se met au service des pauvres pour les aider à dominer, à maîtriser les mécanismes sociaux qui les écrasent. Il importe d’assainir la relation sociale en la rendant moins vulnérable aux pressions économiques. Cette indépendance, cette résistance aux multiples pressions supposent une information et une éducation. Plus que jamais les religieux doivent être des éducateurs d’hommes, et d’hommes responsables de leur destinée. Il leur revient, avec d’autres, d’être la conscience de notre temps et les défenseurs des pauvres. Ils le seront en aidant les pauvres à se défendre eux-mêmes, en amenant les masses à se politiser. Non pas qu’il faille nécessairement prendre la tête de croisades politiques mais il importe de faire prendre conscience que la politique, comme science du bien commun, est le fruit et l’effort de tous les citoyens. Se désintéresser de la politique revient à laisser les puissances financières aliéner l’homme. Ce n’est qu’en politisant les pauvres, les masses que le bien commun parviendra à dicter ses lois aux impératifs économiques. La fonction de pauvreté du religieux passe aujourd’hui par la politique, par la conscience politique.
Conclusion
Qu’on ne s’y trompe pas. Notre propos ne vise pas à réduire la pauvreté évangélique à un engagement social ou politique. Elle reste essentiellement – les longs développements de la première partie voulaient le montrer – une démarche en vue du Royaume de Dieu. Le religieux, hier comme aujourd’hui, suit Jésus de Nazareth pour l’imiter. Mais cet idéal s’incarne dans une réalité socio-économique qui commande, en partie du moins, la compréhension de la pauvreté religieuse. Elle provoque une lecture radicale de l’Évangile pour apporter une réponse aux problèmes de l’homme. C’est dire que la vie religieuse se situe au carrefour d’une double interrogation : la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et les problèmes de notre temps. Méconnaître l’un ou l’autre de ces pôles conduit la vie religieuse au fanatisme religieux ou à l’agitation politique. C’est à travers le concret historique des situations humaines, comme la sexualité, le pouvoir politique ou la justice sociale, que jaillit une réponse de vie religieuse.
Or le grand problème qui se pose à nous, occidentaux, est de savoir maîtriser l’abondance des biens de consommation, de donner une finalité à une société dans laquelle le gadget triomphe. Comment rester libre et responsable dans une société économiquement totalitaire ? La pauvreté religieuse, aujourd’hui, ne porte plus tant sur les moyens d’existence, qui sont assurés par une croissance économique régulière, que sur les manières, les modalités de vivre cette abondance, au-delà d’un simple partage équitable. Nous voici confrontés à un problème éthique. Paradoxalement la pauvreté évangélique doit trouver un sens à notre richesse, afin qu’elle ne se transforme pas en univers concentrationnaire, absurde, parce qu’il ne débouche sur aucune transcendance.
De fait, dans la mesure où le couple production-consommation prend un rythme toujours plus rapide, à l’instar d’une toupie folle, tout se passe comme si notre société sombrait inexorablement dans l’absurde. Si la productivité n’a d’autre but que la consommation et si celle-ci commande une productivité toujours plus intense, nous atteignons la quadrature du cercle. Il semble bien que notre société de consommation ne trouvera sa finalité, son sens que si elle s’ouvre à d’autres sociétés. C’est dans le rapport de solidarité avec les pays où règne encore la pauvreté-pénurie que notre société découvrira un but et gardera ses chances de survie. La pauvreté évangélique s’appelle aujourd’hui solidarité avec les pays sous-industrialisés. La vie religieuse « occidentale », qui se débat dans ses problèmes et ses contradictions, devrait y voir une de ses missions essentielles. Cette annonce prophétique la délivrerait de bien des phantasmes névrotiques qui troublent sa conscience malade.
Yves Ledure
Foyer Sainte-Geneviève, Grandbourg
F-91000 EVRY, France
II. Vers une pauvreté « politique » ?
L’article d’Y. Ledure a l’avantage de formuler une position nette et sérieusement réfléchie : la pauvreté religieuse est essentiellement « engagement efficace pour les pauvres » et, plus précisément encore, « pauvreté politique ». De ce fait, il est fécond : il provoque une réflexion nouvelle et fait avancer le problème en suscitant le dialogue.
Nous voudrions entrer dans ce dialogue, avec l’espoir que d’autres lecteurs nous y suivront.
Fondement de la pauvreté religieuse
Pour définir la pauvreté religieuse, Y. Ledure part, avec raison, de Jésus et de l’Évangile. La première béatitude en saint Matthieu nous enseigne, dit-il, que ni la richesse, ni la pauvreté ne peuvent d’elles-mêmes engendrer la béatitude de l’homme. Mais la béatitude, qui est « présence du Royaume de Dieu », « conduit à la pauvreté, par désir de ce même Royaume ». C’est la béatitude qui appauvrit, qui rend libre par rapport à tout le reste. Nous aimerions préciser que « le Royaume » est l’Amour même du Père, révélé en Jésus. Nous sommes tellement comblés, béatifiés, par la révélation de cet amour gratuit en la personne de Jésus, que cet amour devient notre richesse suffisante : nous devenons pauvres. Tel est, nous semble-t-il, le fondement ultime de la pauvreté religieuse. C’est que Dieu, en Christ, est notre Tout.
Cette précision sur « notre Tout » – qui transcende absolument tout état économique possible de notre terre [10] – permet de mieux comprendre que « l’aspect renoncement dans la pauvreté religieuse n’est pas premier ». Ce qui est premier, c’est une plénitude et un bonheur. C’est le trésor trouvé qui fait que l’on vend tout (Mt 13,44).
Y. Ledure n’a pas tort, croyons-nous, quand il refuse qu’« on amarre la pauvreté du religieux au niveau de vie moyen » : « le standing du religieux devrait être sensiblement égal à celui du citoyen moyen du pays dans lequel il se trouve, voire du milieu dans lequel il vit ». Ce n’est pas là, en effet, un critère suffisant. En acceptant et en suivant simplement comme mesure de sa pauvreté (même avec « le retard d’une génération sur la classe possédante actuelle ») la croissance économique moyenne de l’endroit où il se trouve, le religieux n’a plus, pour juger de celle-ci, qu’un critère purement sociologique ; il se dispense donc de juger – d’un jugement authentiquement spirituel et moral, à partir de Dieu et de son Royaume, – et sa pauvreté religieuse et le sens (ou le non-sens) de la croissance économique du pays ou du milieu où il vit. Or, c’est ce qui est devenu aujourd’hui extrêmement nécessaire.
Si nous essayons de juger moralement et spirituellement la vie et la croissance économiques de nos pays, ne serons-nous pas frappés par leur « folie » ? « L’aliénation économique », le « cycle infernal de la société de consommation » sont bien décrits par Y. Ledure. De son côté, un économiste écrit : « N’y a-t-il pas lieu de faire valoir qu’une croissance économique illimitée et aussi rapide que possible n’est pas le bien suprême, dans les pays développés certes, mais même dans les pays sous-développés ? Et si oui, comment porter ce témoignage [11] ? » La même question nous est posée par les déclarations de F. Kunz, prêtre suisse qui vit dans une favelle brésilienne : « La norme, pour les Occidentaux, est la société d’abondance où ils vivent. Nous aider, cela veut dire : nous faire franchir les étapes qui nous permettront de parvenir, nous aussi, à cette « société d’abondance ». Pour eux, il n’y a qu’un seul type de société possible : le leur. Et c’est là qu’est l’erreur [12] ». D’autre part, on nous dit que « les ressources de la planète sont insuffisantes pour étendre à toute l’humanité le standard de vie des pays riches, et (que) la biosphère ne pourrait pas davantage tolérer la pollution engendrée par un tel degré de consommation [13]. »
Le salut de l’humanité ne réside donc pas dans une croissance économique illimitée, mais bien dans la mortification, par amour des autres, des besoins artificiels que la société de consommation ne cesse d’engendrer. Le problème économique du monde d’aujourd’hui n’est pas d’abord un problème de répartition des richesses, mais un problème moral et spirituel de limitation des besoins et de renoncement en vue d’un partage vraiment universel. Ce mouvement nécessaire de mortification volontaire ne peut se réaliser que par des conversions personnelles. Les religieux, en vertu de leur vœu de pauvreté, devraient s’ouvrir les premiers à cette exigence posée par l’économie mondiale d’aujourd’hui. Ceux qui essayeront de discerner spirituellement et moralement la vie et les mouvements économiques de leur temps, seront amenés à « redécouvrir le jeûne » et à commencer en eux-mêmes la mortification de tous les besoins factices [14]. Ils prendront donc beaucoup plus nettement distance par rapport à la croissance économique moyenne que ne le ferait celui qui se contenterait de la suivre avec une génération de retard. Cette croissance n’offre donc pas en elle-même un critère suffisant de la pauvreté religieuse.
Aussi est-ce à bon droit qu’Y. Ledure cherche un autre critère. Il le trouve dans « le service des pauvres ».
Pauvreté religieuse et travail pour les pauvres
Retrouver la connexion entre « pauvreté religieuse » et « les pauvres » nous semble aujourd’hui très important. On n’a pas assez souligné, de ce point de vue, l’originalité de la manière dont Paul VI a parlé de la pauvreté dans son exhortation de 1971 sur le renouveau de la vie religieuse. Il ne le fait pas seulement en référence « aux lois de l’ascèse personnelle », mais surtout et d’abord en fonction de la situation historique des religieux actuellement : « Plus pressante que jamais, vous entendez monter, de leur détresse personnelle et de leur misère collective, la « clameur des pauvres » (...) Dans un monde en plein développement, cette persistance de masses et d’individus misérables est un appel instant à une « conversion des mentalités et des attitudes », tout particulièrement pour vous (...). Comment donc le cri des pauvres retentira-t-il dans vos existences ? (...) Vous le voyez, les besoins du monde actuel, si vous les éprouvez dans le cœur du Christ, rendent plus urgente et plus profonde votre pauvreté [15] ». Comme l’écrit le P. Régamey dans son commentaire : « c’est évidemment en priorité par rapport au drame du monde que doit se situer la pauvreté religieuse [16] ».
Situer ainsi la pauvreté religieuse, c’est la situer tout simplement comme l’Évangile le fait. D’après celui-ci, Dieu veut donner sa Parole (son Fils lui-même) à tous, mais en premier lieu aux pauvres, aux petits, aux méprisés. Dieu veut déclarer son amour par priorité à ceux que « le monde » n’aime pas : « Heureux, vous les pauvres. Le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6,20). C’est pourquoi Jésus, l’Envoyé, va d’abord vers les pauvres, les enfants, les malades, les lépreux, les publicains, les pécheurs, les morts... : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Lc 4,18). « La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » est aussi le signe que le Royaume de Dieu est là et que la mission de Jésus s’accomplit (Lc 7,22).
L’Église, qui continue la mission de Jésus, est donc envoyée par priorité aux pauvres. Et puisque toute vie religieuse participe à la mission de l’Église, cela est vrai aussi pour tous les religieux, même les contemplatifs. Ceux-ci laisseront le cri des pauvres retentir dans leur prière et leur offrande quotidienne ; certains même, comme les Petits Frères et les Petites Sœurs de Jésus, manifesteront de manière plus visible, « en rejoignant les pauvres dans leur condition », la préférence du Seigneur pour eux. Mais Y. Ledure, qu’il faut remercier de nous avoir rappelé le lien nécessaire de notre pauvreté aux pauvres, « s’adresse principalement à la vie religieuse masculine » et active.
Dans cette perspective, il écrit : « À notre sens, le religieux, pour accomplir sa tâche, sa fonction de pauvreté, doit s’engager dans la condition de travailleur, qu’il soit manuel ou intellectuel, peu importe. Il met son engagement professionnel, le fruit qu’il en retire à la disposition des plus défavorisés. Il travaille pour d’autres qui lui sont étrangers quant au sang ou à la sympathie spontanée ». Il nous est donc rappelé que le religieux doit travailler, travailler pour les autres, et en priorité pour les plus pauvres. Mais ce travail, nous dit-on, ne peut être par priorité le travail sacerdotal : « on ne voit pas pourquoi dans le concret de la vie et des engagements, la priorité serait donnée au sacerdoce ministériel, ni pourquoi le ministère sacerdotal se substituerait au service des pauvres, à la diaconie apostolique » ; le ministère sacerdotal « ne permet pas de donner à la pauvreté religieuse son caractère spécifique : la solidarité totale avec les pauvres ».
Nous avouons ne pas voir le bien-fondé de ces affirmations. Il vaut la peine de traiter pour lui-même ce point important.
Pauvreté religieuse et travail sacerdotal
La pauvreté, au service de laquelle il faut se mettre, n’est pas purement « économique », mais aussi, nous dit Y. Ledure, « psychologique » ou « culturelle ». Pourquoi ne serait-elle pas aussi « spirituelle » : faim de Dieu, de sa Parole, faim d’Eucharistie ?
Dans la première partie de l’article précédent, on dit que le principe de libération de la possession ou de la frustration des biens est le désir de la béatitude, le désir de Dieu et le souci du Royaume. De ce fait, la prédication du Royaume, l’entretien du désir de Dieu par la Parole, et l’anticipation du Royaume et de sa béatitude dans la célébration eucharistique, tout cela ne rentre-t-il pas nécessairement dans le « travail » de la pauvreté religieuse telle, précisément, qu’elle se comprend ici ? Si bien que le travail au service des pauvres dont parle Y. Ledure – travail de religieux non-prêtres ou travail non immédiatement sacerdotal de prêtres – ne prend tout son sens et ne peut véritablement aboutir qu’en liaison étroite et organique avec le ministère sacerdotal. Puisque le sens de la pauvreté religieuse est de libérer les hommes de l’esclavage de l’économique, n’est-il pas évident que la « libération » ne pourra être totale qu’à partir de la prédication de la Parole de Dieu et à partir de l’action du Ressuscité dans les sacrements, en particulier dans l’Eucharistie ? Donc le projet de la pauvreté religieuse implique le sacerdoce ecclésial pour devenir une réalisation concrète dans l’histoire.
Puisque le sacerdoce de Jésus est ce qui répond à la pauvreté ultime de l’homme (son besoin de Dieu et de salut) en transmettant la Parole de Dieu et en partageant entre tous le Pain eucharistique, nous ne voyons pas comment on peut dire que « le ministère sacerdotal se substituerait au service des pauvres, à la diaconie apostolique », ni qu’il ne « permet pas de donner à la pauvreté religieuse son caractère spécifique : la solidarité avec les pauvres ». Le ministère sacerdotal est service des pauvres, solidarité avec les pauvres et diaconie apostolique. Il faut seulement que les prêtres n’oublient pas que la Bonne Nouvelle dont ils sont les porteurs est adressée par Dieu en priorité aux pauvres. Mais il n’y a aucune incompatibilité entre service des pauvres (ou pauvreté religieuse) et ministère sacerdotal. Au contraire. Servir les pauvres, n’est-ce pas surtout leur apporter la Bonne Nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu, les accueillir dans l’Église et leur donner le Pain de Vie [17] ?
Une pauvreté politique
« À une époque où tout amour, toute justice doivent de plus en plus s’accomplir selon une dimension socio-politique, la pauvreté, elle aussi, doit atteindre à cette dimension [18] ». La « pauvreté-engagement efficace pour les pauvres » amène forcément une entrée dans « LE » politique. Cette « pauvreté politique » des religieux, Y. Ledure la voit surtout, semble-t-il, comme un rôle d’« information » et d’« éducation » au service des plus défavorisés, et comme une fonction d’éveilleurs de la conscience politique des masses. « Le cri des pauvres, nous dit Paul VI, vous oblige à éveiller les consciences au drame de la misère et aux exigences de justice sociale de l’Évangile et de l’Église [19] ». Et le P. Régamey dans son commentaire : « Le rôle des religieux dans ce drame de la misère du monde est principalement ce qu’on appelle en Amérique du Sud : conscientisation [20] ». C’est ainsi que les religieux peuvent travailler à la libération des pauvres par rapport à l’aliénation économique.
Cependant certaines expressions d’Y. Ledure semblent sous-entendre que la « pauvreté politique » dont il parle implique une entrée dans « LA » politique au sens strict. Il dit par exemple : « Le service des pauvres commande d’entrer dans la lutte pour imposer une équitable répartition de la croissance économique » (C’est nous qui soulignons). Ceci pose la délicate question de la situation de la pauvreté religieuse par rapport à l’activité spécifiquement politique, qu’il faut distinguer de la vie politique des citoyens (religieux y compris) engagés dans une communauté nationale ou internationale définie. L’activité spécifiquement politique comporte en effet la présence militante dans un parti et vise l’exercice du pouvoir nécessaire pour déterminer la poursuite du bien commun de cette communauté.
Une première remarque s’impose ici : si l’on veut baser la pauvreté religieuse politique sur la pauvreté de Jésus, – c’est bien l’intention d’Y. Ledure – il faudrait montrer que la pauvreté de Jésus fut « entrée dans la lutte pour imposer une équitable répartition de la croissance économique » et « effort pour politiser les masses ». Or, cette preuve semble impossible à fournir [21], ce qui est un grand sujet de réflexion. Dans la perspective de l’article que nous lisons, la situation de Jésus face au politique devrait aussi être éclaircie.
L’activité spécifiquement politique nous semble un des domaines propres du laïcat. Parfois des religieux seront obligés à y entrer en suppléance, mais la vie religieuse nous semble, de soi, incompatible avec elle. Le religieux veut témoigner, d’une manière particulièrement significative, du Royaume déjà là. Il doit donc signifier un amour vraiment universel (vœu de chasteté) et une réconciliation, déjà donnée, au-delà de nos divisions en classes ou en partis politiques ; il a, d’autre part, renoncé à toute « puissance » sur les autres : cela rentre, à notre avis, dans l’essence du vœu d’obéissance. Il a par conséquent, nous paraît-il, renoncé à toute « puissance politique » au sens où elle doit s’exercer dans la société civile [22].
Ceci appellerait évidemment des développements plus longs. La vie religieuse court le danger, à partir de ce que nous venons de dire, d’apparaître – et d’être – une démission, une sécurisation et une fuite des responsabilités. Ce danger met d’autant mieux en lumière l’importance de ce que nous rappelle Y. Ledure : notre pauvreté nous consacre au service réel des pauvres. Les religieux ne peuvent signifier véridiquement aux pauvres la béatitude que Dieu leur donne, dès maintenant, que s’ils les servent vraiment et si un bon nombre d’entre eux partagent leur condition de vie.
Il faut, du point de vue politique qui est le nôtre ici, dire encore un mot du sacerdoce ministériel.
« Politiser les masses », au sens le plus profond (donner le goût de la Polis [23] vraiment réelle qu’est le Royaume), n’est-ce pas prêcher, célébrer l’Eucharistie ? Pourquoi donc cette mission essentielle du sacerdoce et de l’Église tout entière ne rentrerait-elle pas dans le « projet politique » de la pauvreté religieuse ?
A-t-on suffisamment réfléchi que la mission ecclésiale est « politique », au grand sens du terme : elle veut inaugurer la Cité de Dieu et établir entre les hommes des relations en Esprit et en Vérité. Le projet politique de la pauvreté religieuse ne peut pas ne pas se situer par rapport au projet politique de l’Église dans son ensemble. Et il ne faut pas oublier que, si la vie religieuse est bien l’anticipation de la « Cité de Dieu », elle ne peut exister qu’appuyée et suscitée par l’Eucharistie et la parole sacerdotale. Finalement, c’est l’Eucharistie, sacrement de l’Église (et donc de l’unité humaine), qui actue sur terre le Royaume anticipé et la « Polis » définitive.
L’Eucharistie a donc aussi une fonction « politique » et elle unit précisément « économique » et « politique » : du fait que le pain et le vin, signes efficaces sous lesquels elle donne à tous, sans distinction de classes, le Corps et le Sang du Christ, sont des biens de ce monde, fruits du travail des hommes, elle inaugure et commande un partage entre tous des biens économiques. Elle montre que, seule, la présence reconnue du Christ peut articuler l’un sur l’autre et finalement résoudre et le problème économique et le problème politique. Et elle éduque le monde à la solution de ces deux problèmes.
Le problème politique est finalement le problème du « bien commun » de l’humanité. Pour s’engager politiquement, il faut d’abord avoir discerné ce bien commun. Or, en rejetant le sacerdoce de la perspective du service des pauvres, on limite en fait la conception de ce bien commun (la dimension spirituelle de celui-ci n’est pas reconnue dans toute son ampleur : Église, Parole de Dieu, Eucharistie). Cela engendre une contradiction. En effet, en limitant le service des pauvres à celui d’une pauvreté matérielle, psychologique ou culturelle (sans parler franchement de pauvreté sacramentaire et spirituelle), on laisse et on situe trop le bien commun au seul niveau économique (seulement timidement élargi). De ce fait, on rend impossible le dépassement radical de l’économique par le politique, dépassement que l’on cherche pourtant avant tout. L’élimination du sacerdoce est ce qui amène en réalité cette contradiction.
Précisément parce qu’on vise un dépassement de l’aliénation économique par le politique, il faut recourir au ministère sacerdotal et hiérarchique. Pas de politique en effet, sans autorité, sans hiérarchie. En dernière analyse, le monde ne pourra « résoudre » le problème politique de la communauté mondiale qu’en tension avec une Église hiérarchique. D’autre part, le projet politique des religieux, s’il veut rester chrétien, ne peut être, finalement, que de « bâtir l’Église » – laquelle, dans le temps, est nécessairement hiérarchique. Si la pauvreté religieuse veut se penser comme engagement politique, elle ne peut le faire sans se situer par rapport à la pauvreté politique de toute l’Église, et en connexion avec la hiérarchie (service) de celle-ci. Sinon, le projet politique des religieux ne pourra que devenir un « prophétisme fou », comme il y en a eu plusieurs au cours de l’histoire, sans avenir, ni sans résultat vraiment durable pour le service des pauvres. Pour pallier à ce danger, l’existence, précisément, de religieux-prêtres (et donc engagés dans la hiérarchie sacerdotale) joue un rôle irremplaçable.
Ces trop longues remarques ne feront que montrer, nous l’espérons, l’intérêt et l’urgence de ce que veut nous dire le Père Ledure.
Jean-Marie Hennaux, s.j.
Rue du Collège St.-Michel, 60
B-1150 BRUXELLES
[1] Dieu se présente toujours comme le négatif de l’expérience humaine et comme la négation de ses expressions. Cette négation est dépassement, genèse du devenir intérieur. Au plan phénoménologique, Dieu naît et grandit dans et par ce devenir.
[2] Depuis l’analyse fameuse de Hegel, on sait comment la pure intériorité conduit à la conscience malheureuse : l’homme incapable de donner « corps », de traduire dans une situation d’existence nouvelle sa certitude intérieure.
[3] Alvin Toffler. Le choc du futur, Denoël, Paris, 1971, p. 37.
[4] Platon. La République, III, 416, trad. L. Robin, La Pléiade.
[5] Notre propos n’est pas sans ambiguïté. La notion de « service » peut recouvrir une conception moderne de l’aumône ou du paternalisme. La dimension politique de la pauvreté que nous esquissons en fin d’article et qui demanderait un long développement, devrait écarter, au niveau du principe, une vision « charitable » de la pauvreté.
[6] Le jugement du religieux et de sa communauté restera le « régulateur » de cette efficacité. Les risques d’erreur et de malfaçon sont évidents. C’est l’enjeu de la liberté qui, malgré ses multiples fourvoiements, n’en demeure pas moins le spécifique de l’homme. Ce qui exige de tout candidat à la vie religieuse une capacité très sûre de discernement.
[7] Cassien : Conférences, 19, 6. S.C. n° 64, p. 43-46.
[8] J.-J. Servan-Schreiber, M. Albert. « Ciel et Terre ». Paris, Denoël, 1970, p. 22.
[9] Notre propos est tributaire d’une certaine approche de la vie religieuse dont la visée fondamentale est le célibat : au nom du Royaume, refuser toute relation amoureuse privilégiée et exclusive pour pouvoir aimer et servir tous les hommes. La nouvelle relation de travail que commande la pauvreté religieuse n’en est qu’une modulation. L’authenticité de cet amour qui se veut universel se vérifie dans un engagement au service des pauvres. La pauvreté est le test, le « scandalon » du célibat religieux.
[10] Cette transcendance du Royaume par rapport à tout système ou toute situation économique (individuelle ou planétaire) est fortement rappelée par B. Ronze, « Évangile et économie », dans Études, février 1972, p. 273-288.
[11] L. Duquesne de la Vinelle, Prologue à une réflexion sur l’esprit de pauvreté, article à paraître dans le prochain numéro de Vie consacrée.
[12] J. Bouchaud, F. Kunz, L’ânesse de Balaam, Éd. Ouvrières, Paris, 1971, p. 65.
[13] Ph. Land, s.j. Vue d’ensemble, p. 44. Cette publication est la première d’une série de brochures que la Commission Pontificale Justice et Paix (Piazza San Calisto, 16, Roma-Trastevere) présente à titre de commentaire sur « La Justice dans le monde », le document des Évêques de 1971.
[14] Cf. Evangelica testificatio, Exhortation apostolique de Paul VI sur le renouveau de la vie religieuse, n. 19 et 22 (Doc. Cath., 1971, p. 652-661). F. Kunz écrit fortement : « Le vrai problème n’est pas, d’abord, celui de la répartition de la richesse, mais celui de l’égale répartition de la faim dans le monde » (op. cit., p. 63).
[15] Evangelica testificatio, n. 17, 18 et 22.
[16] Paul VI donne aux religieux leur charte. Exhortation « Evangelica testificatio » présentée et commentée par P.-R. Régamey, o.p. Coll. Problèmes de vie religieuse, 34, Éd. du Cerf, Paris, 1971, p. 91.
[17] Sur tout ceci, voir Evangelica testificatio, n. 9 et 20.
[18] R. Voillaume, Préface à M.-D. Épagneul. Avoir une âme de pauvre, Éd. S.O.S., Paris, 1972, p. 9.
[19] Evangelica testificatio, n. 18.
[20] Op. cit., p. 92. Cf. aussi P. Arrupe, s.j. Témoigner pour la Justice, p. 62-64. Cette brochure est le numéro 2 de la série publiée par la Commission Justice et Paix (cf. ci-dessus, note 4).
[21] Cf. O. Cullmann. Jésus et les révolutionnaires de son temps. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1970.
[22] En voulant dépasser les ambiguïtés d’une définition de la pauvreté comme « anti-richesse » ou « non-possession », Y. Ledure en arrive à dire que la pauvreté pourra exiger « richesses, pouvoir et savoir, pour être en mesure d’aider les pauvres ». Dans cette même ligne, elle pourra donc exiger aussi « pouvoir politique ». Mais ne sommes-nous pas ainsi au rouet ? Qu’est-ce encore que la pauvreté qui exige richesse et pouvoir et savoir ? La nécessité d’un autre critère que le service « efficace » (quelle efficacité doit-on viser ?) des pauvres n’apparaît-elle pas ici pour définir la pauvreté ? Un critère de référence à Dieu. La pauvreté consiste à mettre son espérance en Dieu pour être efficace, ce qui implique que l’on utilise pour son action des « moyens pauvres ». Du point de vue politique, la « non-violence » semble un de ces moyens pauvres (cf. Evangelica testificatio, n. 17 et le commentaire nuancé du P. Régamey, op. cit., p. 91, qui admet des « exceptions » dans lesquelles « tels ou tels religieux, ou même tels groupes de religieux, peuvent être de proche en proche obligés à une action révolutionnaire violente »).
[23] Polis : mot grec signifiant « cité ». On le retrouve dans politique, politiser, etc.