Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La vie religieuse féminine en Afrique

Fulgence Kalombo, s.j.

N°1973-2 Mars 1973

| P. 79-82 |

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

N.D.L.R. : L’Union Internationale des Supérieures Générales (U.I.S.G., Piazza di Ponte S. Angelo, 28, 00186 - ROMA) a pu rassembler des indications statistiques assez détaillées concernant les Congrégations religieuses actives, fondées en Afrique. En tout, 102 sont inventoriées, 43 en Afrique francophone et 59 en Afrique anglophone. Nous remercions la Mère de Lambilly, secrétaire générale de l’U.I.S.G., qui nous a fourni les renseignements que nous présentons ici. Ils se rapportent pour la plupart à 1969 ou 1970, mais il en est qui remontent à une ou plusieurs années antérieures ; quelques-uns sont de 1971.

Les informations disponibles concernant les Congrégations religieuses féminines fondées en Afrique présentent une série de caractéristiques encourageantes. Celle qui frappe le plus est la forte proportion de novices par rapport aux professes. Les chiffres sont connus pour 33 Congrégations des pays francophones (331 novices pour 2.905 professes) et pour 30 des pays anglophones (445 novices pour 4.461 professes) : il y a en moyenne plus d’une novice pour dix sœurs. Il est donc certain que la vie religieuse se développe.

L’activité des Sœurs semble, par ailleurs, très grande. Elle se diffuse en de multiples points. En Afrique francophone, dans 32 Congrégations, on peut dénombrer 366 maisons pour 2.826 Sœurs professes ; en Afrique anglophone, pour 31 Congrégations, 425 maisons pour 4.574 Sœurs professes. En moyenne, il y a donc 10 maisons pour 94 Sœurs.

Ces observations positives ne peuvent néanmoins voiler la fragilité (en personnel) des Congrégations religieuses africaines. Parmi les 63 noviciats répertoriés, 35 ont moins de 10 novices, 17 en ont de 10 à 19 et seulement 11 en ont plus de 20. Ces petits nombres reflètent d’ailleurs la dimension étroite de la plupart des groupes religieux. Pour les 94 Congrégations où le décompte est possible, 41,5 % ont moins de 50 membres et deux tiers en ont moins de 100.

Nous nous trouvons donc devant un nombre assez élevé de petites Congrégations, presque toutes de droit diocésain. N’y a-t-il pas là un émiettement des forces ? Les Congrégations ne restent-elles pas trop cantonnées à l’échelon diocésain ? Ne faudrait-il pas songer à une juridiction supra-diocésaine et éventuellement à des regroupements ? Rappelons que le droit canon appelle Congrégations « de droit diocésain », celles « qui n’ont pas encore obtenu du Siège Apostolique l’approbation ou au moins le décret de louange » (c. 488, 3°), qui les rend « de droit pontifical » et dès lors plus autonomes à l’égard des Évêques (quoique non exemptes pour autant). Cette façon de parler (« pas encore ») montre bien qu’une Congrégation est toujours en voie vers le statut de droit pontifical (voir aussi c. 492, § 2). Rappelons aussi qu’une Congrégation de droit diocésain, tout en ayant besoin pour cela de l’assentiment des Ordinaires des diocèses concernés, a le droit d’aller s’établir en d’autres diocèses, peut-être fort éloignés. L’Ordinaire du diocèse de départ ne peut refuser cela sans un grave motif (c. 495, § 1). De plus, une Congrégation, tant qu’elle reste de droit diocésain, reste soumise aux Ordinaires locaux, mais « conformément au droit » (c. 492, § 2). Celui-ci favorise une large autonomie des responsables internes, ainsi libérés de ce que les limites des diocèses pourraient avoir de gênant pour la vie religieuse et la disponibilité au service de l’Église universelle.

Les indications générales dont nous disposions ont été proposées à divers milieux africains. De façon moins systématique, une réflexion a également été éveillée par l’examen des diverses activités auxquelles se consacrent les religieuses africaines. Un des interlocuteurs a rédigé la note suivante, où les préoccupations se mêlent à l’espérance. Puissent les appels qu’elle contient évoquer de multiples échos.

Réflexions d’avenir

Le nombre des religieuses en Afrique ne semble pas diminuer. Au contraire, des Congrégations continuent à venir de loin ou à naître sur place. Dans un cas, c’est le cœur missionnaire qui ne cesse de battre ; dans l’autre, c’est le sens de la même Église qui fait comme germer et produire des fruits autochtones.

Mais par ailleurs, certaines Congrégations dites étrangères ont cessé ou sont en passe de cesser, pour toutes sortes de motifs, d’envoyer leurs membres en terre d’Afrique. Quant aux Congrégations autochtones, diocésaines, elles ne sont pas épargnées par les remous que connaissent les autres, dites internationales. C’est que la crise religieuse enregistrée sur d’autres continents se rencontre également dans nos murs africains.

En effet, certaines maisons se ferment, d’autres sont menacées, des professes renoncent à leurs vœux, des novices jeunes et généreuses hésitent quelquefois à faire le pas et abandonnent. De plus, on rencontre des maisons où vivent quelques religieuses, cinq ou six, assez âgées et toutes étrangères à l’Afrique. Et que penser des maisons de formation où il n’y a qu’une, deux ou trois novices, ou même aucune novice ? Que dire alors des communautés mixtes à majorité « étrangère » où les religieuses africaines se sentiraient, à tort ou à raison, embarrassées et peut-être même, l’une ou l’autre fois, comme étouffées ?

Autant de questions qui se posent à l’Afrique religieuse contemporaine. Mais ce n’est pas tout. Du point de vue des œuvres, on remarque qu’elles sont en général de trois espèces seulement. D’abord, celles qui relèvent de l’apostolat paroissial : catéchèse, sessions, homes pour retraites... ; ensuite, celles qu’intéresse l’enseignement primaire et secondaire ; enfin, le groupe le plus abondant inclut les œuvres sociales de charité : soin des malades et des pauvres, asiles, orphelinats, léproseries, maternités, foyers sociaux, mouvements d’Action Catholique, visites des familles, centres de formation pour fiancés et aussi coopération au développement, etc.

L’éventail des œuvres montre combien les religieuses travaillent dans toutes sortes de domaines ; elles s’y donnent corps et âme. Dieu merci ! Elles font même corps avec ces activités. Ces dernières leur sont, en quelque sorte, inséparables.

Mais ici se posent au moins deux questions graves. La première concerne l’urgence et l’actualité des œuvres énumérées ci-dessus. Sont-elles toutes nécessaires ? adaptées ? indispensables ? Quelle allure devraient-elles prendre aujourd’hui ? Ou bien faudrait-il en imaginer d’autres ? La seconde question nous met devant un fait assez propre aux jeunes pays d’Afrique devenus indépendants depuis relativement peu de temps. On constate en effet que de plus en plus, dans bon nombre de pays, l’État voudrait tout contrôler et régenter. Tout passerait dans les mains de l’État. Dans ce cas, que faire des œuvres qui paraissaient réservées à telle Congrégation ou à telle autre ? Est-ce que les religieuses sont suffisamment préparées pour affronter ce monde nouveau plein d’imprévus et sans doute aussi porteur de nouveaux bonheurs ?

Laissons ici la parole à une religieuse africaine aux prises avec ces divers problèmes. Écoutons-la. « Nous ne sommes plus, dit-elle, à l’époque où il suffisait aux religieuses d’avoir fait trois ou quatre ans post-primaires pour tenir la direction d’une école ou diriger un foyer social. Aujourd’hui, la course est aux diplômes. Les religieuses se sentent complexées devant les laïcs qui, petit à petit, occupent les postes qui, jadis, leur étaient réservés. Et pourtant, il n’y a pas de quoi s’inquiéter outre mesure. Il pourrait suffire, par ce dépouillement, de nous sentir appelées à servir partout où l’on aura besoin de nous, plutôt que de réclamer que nous ayons nécessairement des œuvres à nous. Celles-ci constituent-elles toujours pour nous des charges faciles à porter ou à supporter ? Ne nous rendent-elles pas quelquefois moins libres pour d’autres tâches probablement plus urgentes, plus à notre portée et même davantage à notre goût ? »

S’attaquant au nœud de la question, la même religieuse définit la vie de la consacrée et n’hésite pas à parler de l’urgente nécessité de « techniciennes » parmi les religieuses elles-mêmes. « Nous ne sommes pas non plus, ajoute-t-elle, à l’époque où la bonne volonté seule suffisait pour être « bonne religieuse ». La vie religieuse ne consiste pas essentiellement à donner des leçons, ni à soigner les malades, ni à entretenir le « jardin des Sœurs », ni encore à dire toujours « oui », sans discernement, à la Supérieure. La vie religieuse est une valeur à découvrir au sein même de nos attitudes et occupations les plus diverses. Pour grandir, elle exige que nous ayons, parmi nous, des spécialistes averties dans plusieurs domaines. Ces « techniciennes » seront là pour tâter le pouls du monde et permettre une meilleure incarnation humaine et religieuse des valeurs et idéaux chèrement acquis par les hommes et les femmes de notre Mère, la Terre. »

Voilà un programme tout fait : viser à devenir celles qui possèdent l’art de tâter le pouls humain et religieux du monde. Ici, l’on pourrait se demander si l’image actuelle de la religieuse œuvrant en Afrique est suffisamment puissante pour attirer la jeune fille et lui donner un certain goût de cette vie « paradoxale ». On se demanderait également ce qu’il faut pour une formation spirituelle solide à assurer dès les jeunes années de la vie religieuse. Faudrait-il que chaque Congrégation s’organise seule, à l’exclusion des autres ? Ou bien peut-on imaginer une collaboration étroite entre diverses Congrégations de manière à se connaître et à s’entraider plus efficacement ? Ainsi, celles qui ont beaucoup mettront davantage de leurs richesses au service des autres et celles qui ont moins donneront également le peu qu’elles ont, dans un partage fraternel. Car, pour une meilleure politique religieuse à long terme, il paraît juste de penser et de souhaiter que le niveau moyen de formation spirituelle (et profane) soit plus élevé en notre temps de « trouble des évidences » qu’aux époques antérieures. Et il est bon de s’y préparer dès maintenant. Du reste, des résultats encourageants apparaissent d’ores et déjà ici et là, mais pas encore de manière significative partout.

B.P. 1421 – LUBUMBASHI
République du Zaïre

Mots-clés

Dans le même numéro