Courrier des lecteurs : Religieuses et autorité masculine
Vies Consacrées
N°1973-1 • Janvier 1973
| P. 57-60 |
D’intéressantes réactions reçues par l’auteur de l’article paru sous ce titre dans Vie Consacrée (1972, p. 257-277) ont donné au Comité de la revue l’idée d’inaugurer un « Courrier des Lecteurs » (cf. l’Éditorial, p. 3 de ce numéro). Nous publions une bonne partie de ces réactions.
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Ces derniers temps, plusieurs auteurs ont traité ce sujet. Cependant pour autant que je le sache, personne jusqu’à présent n’a étudié de si près la législation des Ordres masculins et des divers Instituts féminins pour en relever les différences. Les constatations que vous rassemblez ainsi, sont vraiment frappantes, et votre article marquera sans doute une étape importante dans l’évolution que nous vivons.
Peut-être cela vous intéresse-t-il d’apprendre que les premiers échos que j’ai eu de votre article étaient des « échos masculins », d’un supérieur régulier et d’un supérieur diocésain, qui en avaient été impressionnés. Je crois que les instances masculines seront surtout frappées par la quantité d’exemples concrets de discrimination, que vous rassemblez ici, et qu’on ne peut nier.
La législation actuelle traite la religieuse, et surtout la moniale, encore en mineure. Mais je suis heureuse que vous ayez souligné aussi l’autre aspect de la question, c’est-à-dire l’attitude personnelle des supérieurs religieux et diocésains. Même en appliquant une même loi, on peut le faire de façon tout à fait différente : soit dans une attitude paternaliste, parfois même un peu dictatoriale ; soit dans une attitude de vraie collaboration. Cette différence d’attitude n’est pas si facile à expliquer, mais est parfois très pénible pour nous. Il faut certainement prendre patience et comprendre que nos supérieurs masculins sont tributaires d’une culture dont on ne se libère pas immédiatement, ni une fois pour toutes. Personnellement je pourrais donner des exemples concrets : de supérieurs diocésains et religieux qui tâchent vraiment d’arriver à une collaboration et coresponsabilité vis-à-vis de nous, mais qui, au moment d’une décision importante, retombent dans le paternalisme, se réunissent entre eux, et nous imposent leur décision, sans tenir compte de nos vœux et motivations.
En toute honnêteté, il faut ajouter que les religieuses et moniales elles-mêmes ne sont pas toujours assez adultes, ni assez bien formées, pour assumer déjà pleinement cette coresponsabilité et autonomie. Heureusement de part et d’autre il y a des progrès : l’évolution a commencé et des études comme la vôtre sont un pas important en avant.
C’est sans doute une coïncidence heureuse que, dans le même numéro de Vie Consacrée, l’article « La femme et le Sacerdoce » exprime des positions qui rejoignent votre pensée : p. ex. Rosemary Goldie à la p. 309, et le Père Y. Congar à la p. 313, n. 14.
Puis-je ajouter un mot en tant que cistercienne ? Il est vrai que nous n’avons eu notre premier Chapitre Général qu’en 1971, comme vous le dites à la p. 270. Mais nous avons eu des réunions plénières d’abbesses depuis 1958, et le Chapitre Général des Abbés a fait tout son possible afin de déléguer aux moniales le pouvoir des choses qui les concernent. Dans notre Ordre il y a un désir explicite de collaboration réciproque dans une unité qui respecte l’autonomie et la particularité de chaque branche.
Ces réflexions sont le fruit, non seulement de mes propres expériences, mais aussi de celles de beaucoup d’autres monastères avec lesquels je suis en rapport comme présidente de l’Union des Religieuses Contemplatives de Belgique, que je n’ai d’ailleurs pas mandat de représenter en vous écrivant.
En terminant, je vous redis toute ma reconnaissance pour votre étude si bien documentée. Puisse-t-elle faire le bien que vous en espérez et favoriser une évolution nécessaire : une évolution qui marquera la vie religieuse féminine, et peut-être aussi la vie de l’Église.
Sr. Benedicta Geebelen, o.c.s.o.
Brecht (Belgique)
Il est sûr que c’est en ce sens que va tout le développement qui se produit dans l’Église et la vie religieuse. Il est sûr aussi que la Congrégation pour les Religieux le reconnaît en principe, et même davantage.
Même à la Congrégation pour les Religieux, il y a une tendance pour séparer nos deux branches, ce qui serait assurément fort préjudiciable et contre quoi les moniales protestent très fort.
P. Vincent Hermans, o.c.r., Rome
Procureur Général des Trappistes
Les suggestions que vous faites dans votre article étant acquises, il me semble que le vrai problème sera alors à résoudre : dans un Ordre comme le nôtre où il y a, au même titre, une branche masculine et une branche féminine, comment arriver à la collaboration pleinement libre, de part et d’autre, et même à la complémentarité ? Notre vie religieuse doit être, en effet, la plus audacieuse réponse, au positif, à ce que tant d’exemples négatifs actuels laissent soupçonner sur le sacrifice de la virginité. Je pense que le danger viendra, s’il n’est pas déjà venu (!), que l’autorité, légitimement alertée en raison de déplorables défections, se borne à des « mises en garde » contre les périls... Nos moniales, par exemple, ne veulent à aucun prix d’une indépendance qui aurait pour conséquence la séparation, mais de celle qui leur permettrait d’être elles-mêmes dans une authentique complémentarité avec nous.
P. Étienne Gillard, o.c.r. Supérieur
Orval (Belgique)
Votre article sur les « Religieuses et Autorité masculine » m’a beaucoup intéressée. Mais si vous me permettez, en tant que moniale cistercienne, je voudrais relever plusieurs points que vous y avez soulevés. En réalité, la situation des moniales de chaque Ordre est différente, et celle des cisterciennes est beaucoup plus nuancée que votre article ne laisse croire. Nous faisons un seul Ordre avec les moines cisterciens de la Stricte Observance, et l’Ordre veut garder cette unité si bienfaisante qui fait partie de sa tradition séculaire. Les termes « paternalisme », « discrimination », « tutelle abusive », ne s’appliquent nullement à la relation des cisterciens vis-à-vis de leurs sœurs. Au contraire, nos moines, y compris les supérieurs masculins de l’Ordre, nous aident, tout en encourageant les initiatives des moniales pour ce qui concerne leur vie monastique. Une collaboration – en général non régie par la législation – existe au plan de la formation, de la liturgie, du Droit, et pour à peu près tous les aspects de vie monastique.
Notons aussi que nos aumôniers sont toujours pris parmi des moines de l’Ordre, qui vivent et comprennent notre vie cistercienne. Ceci constitue un avantage qu’on ne peut surestimer.
La situation des moniales cisterciennes a évolué beaucoup depuis quelques années, et leur statut aujourd’hui n’est pas pareil à celui de 1966 (cf. votre article, p. 269-270). Le Chapitre des Abbesses de 1971 n’a pas voulu demander un droit particulier qui fixerait d’autres dispositions pour la clôture que celles de Venite Seorsum. Tout en admettant qu’il puisse exister une évolution dans ce domaine, nous considérons la clôture comme un moyen au service d’un idéal, une aide à la préservation des valeurs monastiques.
Ce même Chapitre des Abbesses a insisté sur l’importance du maintien de l’unité avec la branche masculine de l’Ordre. Perdre ou diminuer cette richesse sera priver l’Église d’un de ses biens.
Sr Michaël Connor, o.c.s.o.
St Romuald (Canada)
Que faut-il penser de nos futures Constitutions que nous avons « travaillées » et formulées à notre convenance sur la demande de la Curie généralice des Franciscains ? Or, ces textes ont été repris par une commission de Pères Franciscains, surtout italiens et espagnols, quelques allemands et 1 français. Le document amalgamé – parce que les Pères veulent que le texte soit le même pour le monde entier – n’est plus du tout conforme à ce que nous avions demandé. Le définiteur de la Curie de l’Ordre, chargé des moniales, est un espagnol. L’on s’est donc basé sur les desiderata des Clarisses espagnoles et italiennes, parce qu’elles sont beaucoup plus nombreuses que les françaises. Comme si nous avions la même façon de vivre et d’interpréter les choses ! Le style même est imbuvable pour nous.
Or, ces nouvelles Constitutions sont rendues à la Sacrée Congrégation pour approbation, sans que les monastères les aient revues et étudiées !
C’est écœurant à force d’être impensable..., parce que c’est nous qui les vivrons, les Constitutions ! Mais c’est comme cela, nous n’y pouvons rien.
Une Clarisse