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Pauvreté évangélique et Instituts Séculiers

Michel Dortel-Claudot, s.j.

N°1972-3 Mai 1972

| P. 138-148 |

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Lors du récent Congrès Mondial des Instituts Séculiers (Rome, Septembre 1970), on a pris davantage conscience que le terme Institut Séculier recouvrait des réalités bien différentes. Dans des Instituts, les membres, ou au moins la plus grande partie d’entre eux, partagent une certaine vie commune, c’est-à-dire cohabitent sous le même toit, se retrouvent pour les repas autour de la même table, participent à la même œuvre, école, hôpital, foyer, etc., parfois même versent à une caisse commune leurs salaires et ressources personnelles. D’autres Instituts, plus nombreux semble-t-il, ne connaissent rien de tel. Leurs membres, sinon tout à fait exceptionnellement, vivent séparément, chacun dans son propre appartement ou logement, choisissent librement leur profession, demeurent responsables de leur subsistance quotidienne, conservent leur salaire, gèrent leur budget personnel, assurent leur avenir matériel en mettant de l’argent de côté ou en cotisant à une Caisse de Retraite, comme n’importe quel citoyen.

Les Instituts du premier type sont-ils moins séculiers que les seconds ? Ils s’en défendent, et il ne nous appartient pas de dirimer ici un débat qui, en l’état actuel de la réflexion théologique, doit rester ouvert. Constatons cependant que nous nous trouvons en face de deux situations existentielles bien différentes, et que cela a une certaine répercussion sur la façon de comprendre et pratiquer la pauvreté. Les obligations dans les Instituts avec vie commune ne peuvent pas être les mêmes que dans les Instituts sans vie commune. C’est une question de bon sens.

Notre étude n’envisagera que le cas des Instituts Séculiers du second type, c’est-à-dire sans vie commune. Nous n’entendons par là porter aucun jugement sur les premiers, mais notre expérience de théologien et de canoniste de ces dernières années nous a mis peu en contact avec eux, et nous préférons parler de ce que nous connaissons davantage.

« Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 6,24). Ce commandement du Seigneur s’adresse à tout chrétien. L’argent, le bien-être matériel seraient-ils un mal ? Non, mais ils comportent un danger : absorber le cœur de l’homme, l’enlacer, le retenir prisonnier au point de le détourner de Dieu. Un raisonnable souci du lendemain est légitime. Désirer voir augmenté un salaire insuffisant, mettre de l’argent de côté pour ses enfants, est légitime. Mais quand l’amour de l’argent et la soif du luxe s’emparent du cœur de l’homme au point d’étouffer en lui toute aspiration vers le Royaume de Dieu, toute espérance et toute charité, ils tournent à l’idolâtrie et deviennent une faute grave. La richesse n’est pas un mal en soi, mais la séduction qu’elle exerce, au-delà d’une certaine limite, peut devenir un mal. Puisque les biens de ce monde cachent un tel danger, avoir le cœur libre par rapport à eux est un devoir pour tout chrétien. Comprise dans ce sens, la pauvreté évangélique s’impose donc à tous les membres du Peuple de Dieu : « Tous les fidèles du Christ – écrit Vatican II – sont invités et obligés à poursuivre la sainteté et la perfection de leur état. Qu’ils veillent tous à régler comme il faut leurs affections pour que l’usage des choses du monde et un attachement aux richesses contraire à l’esprit de pauvreté évangélique, ne les détournent pas de poursuivre la perfection de la charité [1]. »

Les membres des Instituts Séculiers demeurent des laïcs. La chose est affirmée par les documents de l’Église. Elle a été démontrée souvent, et point n’est besoin de le refaire ici une fois de plus... La forme de pauvreté d’un Institut Séculier ne peut donc être que celle à laquelle est appelé tout chrétien.

C’est pourquoi, les Statuts et Constitutions des Instituts Séculiers insistent d’abord sur cette liberté intérieure exigée de tous, dont on vient de parler. Citons quelques textes :

A l’appel du Seigneur, ayant découvert le trésor caché dont parle l’Évangile, ils veulent se dépouiller de plus en plus de l’attachement aux diverses richesses et à eux-mêmes afin d’être libres et disponibles.

Les membres de l’Institut s’engagent par vœu à vivre la pauvreté évangélique, avec un esprit de détachement sans réserve de tous leurs biens. Situés en plein monde, ils s’y comportent comme des pèlerins en marche. Ils estiment les valeurs terrestres comme des dons de Dieu, mais en usent avant tout pour servir les hommes et leur révéler l’amour de Dieu.

Fidèles à leur vocation particulière, elles ne font pas un vœu de pauvreté, mais promettent en conscience de tendre en vérité au détachement absolu de tout afin d’user du monde comme n’en usant pas et d’y être les gérantes du Christ, faisant servir tout ce qu’elles ont aux fins de son amour.

Le Christ est venu en pauvre. Il a rendu leur vrai sens aux richesses temporelles, à l’égard desquelles il demeure totalement libre. Nous voulons faire de notre vie un prolongement de la sienne et être des pauvres, selon l’Évangile, qui emploient les biens matériels sans être possédés par eux. Dans l’aisance comme dans la gêne, nous nous efforçons donc de rester libres et joyeux.

C’est pourquoi également les Instituts Séculiers, dont les membres sont en général des travailleurs, intellectuels ou manuels, et des salariés, aiment souligner que le travail et ses exigences, ainsi que les servitudes du monde moderne, constituent le tissu même d’une pauvreté séculière. Citons quelques textes empruntés à des Constitutions.

Travailler pour gagner notre pain, est l’élément le plus fondamental de notre pauvreté séculière. Nous en vivrons loyalement tous les aspects : exigences de la profession, combat pour la justice sociale, insécurité de l’emploi, reconversion, chômage, maladie, retraite... Affrontés à un monde dur, où les intérêts s’opposent, où règne l’anonymat, où l’homme est asservi à la machine et parfois exploité, nous sentirons le poids des conditions d’existence, et ferons l’expérience douloureuse de nos dépendances et de nos limites.

Notre pauvreté est partage de la condition habituelle des hommes : nous vivons de notre travail dans la même insécurité que tous nos frères.

Les membres de l’Institut partagent à plein cœur la condition des travailleurs, avec les exigences et l’insécurité qu’elle comporte. L’exemple de Jésus sur terre et l’appel montant de l’univers entier stimulent leurs efforts pour améliorer la vie du monde et donner au travail sa valeur d’échange fraternel et de collaboration avec le Créateur.

C’est pourquoi enfin les Instituts Séculiers font à leurs membres des recommandations qui pourraient être adressées à n’importe quel laïc. On leur demande de supporter patiemment les difficultés matérielles et les privations, d’accepter leurs faiblesses et leurs limites humaines en esprit de pauvreté :

Si nos ressources sont modestes, nous y verrons un rapprochement avec le Christ et une grande partie de l’humanité. Nous rappelant ce désir souvent exprimé par notre Fondateur : « Si je ne puis rendre mon dernier soupir sur la croix, qu’au moins je meure à l’hôpital comme les plus pauvres », nous accepterons, si les circonstances le veulent, d’être traités comme sont les malades les plus pauvres.

Dans la lumière de la première Béatitude, chacune s’efforce de s’accepter avec ses aptitudes et ses limites. Elle sait que sa pauvreté même lui permet de mieux reconnaître les libéralités divines.

Notre pauvreté doit nous libérer, non seulement de l’attache aux biens matériels, mais aussi à nous-mêmes. Nous acceptons lucidement et sans nous plaindre nos limites, nos faiblesses, sûrs que Dieu agit par cette pauvreté de cœur.

Comme à n’importe quel laïc, on demande aux membres des Instituts Séculiers de se montrer accueillants avec le prochain, de ne pas être avares de leur temps pour le recevoir, L’’écouter. On leur demande de donner aux plus déshérités, de partager généreusement avec les autres, de s’engager dans l’action sociale, syndicale, politique, afin de lutter aux côtés des pauvres contre les injustices de ce monde. Là encore, citons des textes empruntés à des Constitutions :

Si nous avons quelques revenus, nous y verrons une invitation à partager davantage avec les autres et d’abord avec les pauvres. Nous prévoirons dans notre budget, selon nos ressources, une part à donner aux pauvres.

L’argent gagné par notre travail ne sera pas uniquement au service de notre vie personnelle ; nous aurons à cœur de prévoir, selon nos possibilités, une part à donner aux autres, en particulier à notre famille, si elle est dans le besoin.

Le membre de l’Institut établit son budget en vue d’un juste équilibre entre les dépenses personnelles, une participation normale aux besoins des diverses communautés humaines auxquelles il appartient, et le don de son superflu, qui, pour lui, plus encore que pour tout chrétien, est un devoir de justice.

En établissement son budget, elle prévoira une part de dons proportionnelle à son salaire ou à ses revenus. Ces dons seront partagés entre la caisse de solidarité de l’Institut, les œuvres, et les pauvres que chacune choisira d’aider.

Pour obéir au commandement évangélique « donnez aux pauvres ce qui reste », le membre de l’Institut doit se priver de tout son superflu pour le Royaume. Le superflu qu’on est tenu de donner est tout ce qui reste après avoir déduit : les dépenses nécessaires à la propre subsistance, les besoins de l’avenir, les devoirs envers sa famille, une contribution à l’Institut, soit pour ses besoins généraux, soit pour subvenir aux nécessités particulières d’un membre.

Elle met volontiers à la disposition des autres sa personne, son temps, ses possibilités.

Nous reconnaissons nos dons personnels comme reçus de Dieu et les mettons au service de tous, partageant avec eux leurs souffrances et leurs joies.

La pauvreté est à comprendre et à vivre comme une exigence de travailler à la promotion humaine en général et tout spécialement à la promotion de ceux qui en ont un plus grand besoin.

Les biens de la terre sont donnés pour tous ; les retenir pour soi ou ne pas agir pour qu’ils soient mieux répartis est une injustice contraire au plan de Dieu. Notre pauvreté appelle une action de notre part pour promouvoir la justice sociale : nous ne devons pas tolérer qu’un monde se construise au mépris des plus faibles.

L’esprit de pauvreté doit également se traduire en efforts persévérants pour chasser du monde le scandale des inégalités injustes qui privent l’homme de la vie digne à laquelle il a droit et empêchent tant de déshérités de reconnaître le visage de l’Église des pauvres.

Qu’il me soit permis ici d’évoquer un souvenir personnel. Je participais en août 1969 aux travaux du Chapitre d’aggiornamento d’un Institut Séculier, et l’Évêque du diocèse vint rendre visite aux Capitulants alors qu’ils étaient en train de rédiger le Décret sur la Pauvreté. Par courtoisie, ce texte fut donné à lire à Monseigneur. Après en avoir pris connaissance, celui-ci leva vers moi un regard grave et inquiet, et demanda : « Mais alors que font-ils de plus que les autres laïcs ? »

Cette question, tout le monde se la pose à propos des Instituts Séculiers, tellement nous avons été habitués à ne comprendre les états de vie dans l’Église qu’en termes de plus ou de moins. Ainsi, un religieux est quelqu’un qui fait des choses qu’un laïc ne fait pas. Un prêtre est celui qui fait des choses qu’un diacre ne fait pas. De même, pense-t-on, un laïc d’institut Séculier doit être quelqu’un faisant des choses qu’un laïc non-consacré ne fait pas... Et comme on ne parvient pas à voir distinctement ces choses, spécialement en ce qui concerne la pauvreté, on en arrive aisément à la conclusion que la vie séculière consacrée n’a aucune raison d’être !

Rien n’est à quitter extérieurement, mais tout est à transformer intérieurement, nous disent les Statuts récents d’un Institut. Ceci nous semble bien résumer la situation de la vie séculière consacrée par rapport à la vie laïque dite ordinaire.

L’Évangile demande à tout chrétien d’avoir une attitude de liberté intérieure en face des biens matériels, de faire confiance à la Providence du Père quand on est dans le besoin, de donner largement aux autres quand on ne manque de rien. Un membre d’institut Séculier ne cherchera pas à faire autre chose, mais, au nom et en vertu de son engagement de pauvreté, il s’efforcera toujours de le faire à fond.

Le membre d’institut Séculier prononce une promesse ou un vœu de pauvreté, afin de se lier, de s’obliger en conscience à avoir toujours, face aux biens matériels, une attitude évangélique. On peut évidemment avoir cette attitude évangélique sans se lier par un engagement particulier de pauvreté, mais, par vocation, le membre d’institut Séculier a choisi celui-ci pour parvenir à celle-là, y trouvant un certain nombre d’avantages : l’engagement de pauvreté tient son esprit en éveil, stimule sa générosité, attire en permanence son attention sur la nécessité de lutter contre l’instinct de possession, le pousse à être plus attentif aux besoins du prochain. Vécu en profondeur, l’engagement de pauvreté peut être pour le laïc consacré un efficace aiguillon transformant peu à peu son attitude naturelle en face des biens matériels. Rien n’est quitté extérieurement, la vie matérielle du laïc consacré reste une vie laïque, mais tout est transformé intérieurement.

Avoir le cœur libre par rapport aux biens de ce monde est un devoir pour tout chrétien. Le laïc consacré, au nom même de son engagement de pauvreté, veut prendre ce devoir très au sérieux. Il sait qu’il ne peut parler loyalement de cœur libre sans poser des actes qui effectivement libèrent et désencombrent le cœur. Son engagement de pauvreté lui fait donc une obligation de certains renoncements et privations. C’est pourquoi les Instituts Séculiers, tout en rappelant à leurs membres qu’ils doivent avoir une vie pleinement séculière en ce qui concerne l’habillement, le logement, le niveau de vie, la culture, les loisirs, les mettent volontiers en garde contre les besoins factices qui ne seraient que caprices, contre l’esclavage du confort, la course au bien-être matériel, et leur demandent d’adopter le style d’existence de leur milieu mais avec une certaine note de simplicité. Citons quelques textes de Constitutions :

Le mode de vie doit être simple et conforme à la condition sociale de chacun.

Le niveau de vie de chacune ne se distinguera pas de celui de son milieu, mais il est marqué par une note évangélique de simplicité et de détachement.

Appartenant à un milieu donné, nous l’accepterons tel qu’il est, sans fausse honte ni orgueil, et en adopterons le niveau de vie extérieur, avec cependant une note de simplicité qui guidera certains de nos choix et nous fera éviter tout achat inutile.

En ce qui peut paraître normal et ne regarde qu’elles, elles s’interdiront les dépenses inutiles et le gaspillage, préférant ce qui est plus pauvre.

Notre style de vie sera simple et adapté. Simple, pour que toute personne accueillie ou rencontrée, riche ou pauvre, puisse se sentir à l’aise chez nous et avec nous. Simple, pour réserver la plus grande part possible aux autres, en ayant le souci des plus pauvres. Adapté cependant au milieu familial et professionnel, aux exigences de santé et d’équilibre.

En ce qui concerne le vêtement, la nourriture, l’habitation, ils doivent rechercher la simplicité. Ils se conformeront donc, dans une juste mesure, aux conditions de vie des pauvres qui les entourent, sans supporter habituellement des privations excessives qui pourraient nuire à leur santé et à leur action.

Les membres de l’Institut demeurent normalement dans leur condition sociale. Placés dans des situations diverses, ils doivent cependant vivre le même idéal de pauvreté évangélique. Chacun adoptera donc un style de vie sobre, réduisant ses propres exigences à l’essentiel.

Le laïc consacré appartient à une fraternité, et c’est dans un groupe, un Institut, qu’il prononce et vit son engagement de pauvreté. Quel sera donc le rôle, la place de l’Institut et de ses responsables, en matière de pauvreté séculière ?

Comme cela a été précisé au début, nous n’envisageons ici que le cas des Instituts Séculiers ne comportant aucune vie de communauté. Vivre en communauté, c’est partager avec d’autres le même toit et la même table, et se soumettre par le fait même à ce minimum de discipline exigée par toute vie en commun.

Dans la vie religieuse, nous le savons, existe en matière de pauvreté ce qu’on appelle la dépendance. Religieux, je ne dispose pas librement du fruit de mon travail ni des biens de la maison. Je ne peux m’approprier ceux-ci pour mon usage personnel, je ne peux les vendre, les donner, sans permission de mon Supérieur, au contrôle de qui, en outre, je soumets mes comptes, recettes et dépenses.

Or la raison de cette dépendance n’est pas l’obéissance, comme on l’imagine souvent à tort, mais le type de pauvreté propre à la vie religieuse, dont un des traits essentiels est la mise en commun des biens. Pour parvenir à la liberté du cœur par rapport aux biens matériels, imposée à tout fidèle, le religieux choisit par vocation la voie empruntée autrefois par les chrétiens de Jérusalem : « Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun » (Ac 4,32). Il abandonne donc à sa communauté les droits qu’il a sur les fruits de son travail. Mais puisqu’à aucun moment les biens mis en commun ne perdent leur caractère de biens de la communauté, le religieux ne peut en disposer au-delà d’une certaine limite sans permission de cette dernière, exprimée par la voix du supérieur. A l’exemple des chrétiens de Jérusalem, la vie religieuse tente de construire ici-bas des sociétés où règne l’égalité : les membres d’une même communauté doivent être traités de la même façon. Ce souci d’égalité exige que chacun ne reçoive ce dont il a besoin que de la communauté ou avec son accord. C’est pourquoi le religieux ne peut rien acheter, emprunter, recevoir de l’extérieur, sans cet accord que le supérieur, agissant au nom de la communauté, a pour fonction de donner ou de refuser. Dans la vie religieuse, la dépendance et l’usage dépendant des biens n’ont donc pour autre raison d’être que la vie de communauté et la mise en commun des biens.

On trouvait assez couramment, dans les Constitutions d’instituts Séculiers rédigées avant Vatican II, des prescriptions telles que celles-ci : le membre de l’Institut doit soumettre à son responsable un budget et le faire approuver par lui ; il doit lui présenter le compte de ses revenus et dépenses ; il doit lui demander une permission particulière pour engager une dépense dépassant une certaine somme ou accomplir un acte d’administration extraordinaire ; il doit rédiger son testament, en déposer un exemplaire chez son Responsable Général, et ne le modifier qu’avec la permission de celui-ci [2].

Ces prescriptions ne sont pas mauvaises en soi et partent du désir légitime d’imposer aux sujets moins généreux de l’Institut un minimum de contraintes. Mais ne sont-elles pas un maladroit décalque de cette dépendance propre à la vie religieuse, à qui la vie de communauté et la mise en commun des biens donnent seuls tout son sens ? Sont-elles bien à leur place et se justifient-elles là où n’existent ni cette vie de communauté, ni cette mise en commun des biens ? Ne sont-elles pas de ce fait un peu une « pièce rapportée » ? Si donc on estime devoir conserver l’une ou l’autre de ces prescriptions afin que tout membre de l’Institut soit obligé de faire au moins un petit quelque chose en matière de pauvreté, qu’on souligne bien que l’essentiel n’est pas là. Par exemple, si les Constitutions imposent de présenter régulièrement le compte écrit de ses dépenses à son responsable, que cela soit simplement considéré comme un moyen pédagogique en vue de parvenir à une recherche d’une plus authentique pauvreté.

Le rôle des responsables dans un Institut Séculier, on vient de le voir, ne peut être celui des supérieurs dans la vie religieuse. Que sera-t-il alors ? Il pourra varier selon les Instituts, mais devra rester conforme à la vocation séculière.

Le laïc consacré, au moins dans un Institut sans vie de communauté, ni œuvre propre, doit garder en main l’orientation et l’organisation de sa vie. Il s’est cependant engagé à chercher la volonté de Dieu lui parlant au travers de toute son existence, avec son responsable. Celui-ci est là non pour donner des ordres ou imposer son point de vue, mais pour aider fraternellement le membre de l’Institut à trouver cette volonté. Ce principe général vaut pour la pauvreté séculière.

Laïc consacré, je reconnaîtrai donc joyeusement à mon responsable un certain droit de regard sur ma vie matérielle, dans les limites d’une saine discrétion. Je lui donnerai une information suffisante (sans me perdre dans des détails inutiles) sur mes revenus, le montant de mon salaire, mon chiffre d’affaires, mes charges et dépenses, tout ceci non pour solliciter des permissions, mais afin qu’il puisse dialoguer avec moi en connaissance de cause et voir quels sont mes ressources et besoins. Ceci fait, je m’entretiendrai régulièrement avec lui, selon une fréquence qui pourra varier suivant les cas et les circonstances, afin d’examiner comment vivre toujours mieux cette pauvreté évangélique exigée de tout chrétien. Comment me détacher intérieurement de mes biens, si je suis dans l’aisance ? Comment supporter les privations, si je suis dans la gêne ? A quelles dépenses inutiles renoncer ? Quelle part de mon salaire donner régulièrement aux déshérités ? Quelle action entreprendre contre l’injustice ou la misère ? Comment me mettre au service des autres dans un esprit de partage de mes talents, de mon temps ?

Le dernier mot devra normalement m’appartenir. Mon responsable n’est pas là pour substituer sa décision à la mienne : la condition séculière s’y oppose. Mais je ne fuirai pas le dialogue. Je le provoquerai même par mes questions et accepterai de bon cœur de voir mon point de vue critiqué.

Faculté de Théologie
Montée de Fourrière, 4
F- 69 LYON - 5, France

[1Lumen gentium, § 42.

[2On pourrait avoir un aperçu de ces prescriptions en consultant l’étude de Marcel Wijnants, La structure juridique des conseils évangéliques dans les Instituts Séculiers. Thèse de l’Université Grégorienne, Bilzen, 1967, p. 42-56.

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