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Le plus beau chemin

Les « conseils évangéliques » et la réponse du chrétien d’aujourd’hui

Basilea Schlink

N°1972-3 Mai 1972

| P. 168-177 |

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Il peut paraître étonnant que ce soit la Mère fondatrice d’une Communauté religieuse évangélique qui soit amenée à vous parler des « conseils évangéliques » [1] (terme peu courant dans notre Église). Comment sommes-nous arrivées à prendre ce chemin dans le cadre de l’Église Évangélique, à une époque où l’on parlait à peine d’un mouvement œcuménique ?

Cet appel se fit entendre parmi nous dès les années 1945-1946. Notre Communauté des Sœurs de Marie a pris naissance dans des cercles bibliques pour jeunes filles. Près de 150 élèves et étudiantes, en différents groupes, suivaient courageusement leur voie comme membres de l’« Église confessante [2] », et acceptaient ainsi les risques qui les menaçaient, à cause de leur appartenance au cercle biblique, de se voir éventuellement refuser la possibilité de continuer leurs études, etc. Mais une chose leur manquait encore : l’amour personnel pour Jésus, ce Jésus qui peut se révéler à nous comme « le plus beau des enfants des hommes » (ps 45,3).

C’est alors qu’intervint un événement décisif. En septembre 1944, Darmstadt vécut un bombardement aérien. En dix-huit minutes, toute la ville fut détruite. Au cours de cette nuit-là, nos jeunes filles se trouvèrent chacune plus ou moins devant la mort et, par là, devant le tribunal de Dieu. En cette heure si grave, elles entendirent subitement dans leur for intérieur cette terrible sentence que Jésus profère dans les lettres aux Églises : « Les tièdes, je les vomirai de ma bouche » (Ap 3,16). Et elles reconnurent qu’elles étaient tièdes envers Jésus-Christ. Il leur manquait le « feu de l’amour ». Elles vinrent vers nous et chacune confessa personnellement ses péchés. Ce fut le début d’un renouveau de vie et d’amour.

En ce « temps de réveil », où les fleuves de vie du Saint-Esprit coulaient en elles, et où les âmes devenaient vivantes, elles pouvaient pleurer leurs péchés. Elles avaient peut-être déjà vécu cette expérience lors de leur première conversion, mais alors avait suivi une certaine indifférence qui les amena à se laisser vivre. Maintenant, nos assemblées pouvaient durer des heures, la prière et la joie dans l’adoration commune ne tarissaient pas. Elles étaient embrasées par l’amour pour Jésus.

Cependant, cet appel à l’amour pour Jésus qui mène sur le chemin de la pauvreté, de l’obéissance, de la chasteté, dont nous voulons parler, vint à son heure au cours de ce « temps de réveil ». C’était au moment de la Passion, et j’avais à présenter une étude biblique sur le chemin de Jésus, qui est un chemin de souffrances, et sur l’appel qu’il nous adresse. En cette heure, l’Esprit de Dieu descendit puissamment sur nous. C’était comme si Jésus se trouvait au milieu de nous et se présentait devant chacune de nous pour mendier son amour. Nous le voyions là, seul, abandonné, nous demandant : « qui veut me suivre et s’engager sur Mon chemin - un chemin de pauvreté, d’abaissement, de pureté, d’humiliation, le chemin de la croix ? ». En cette heure, Jésus se trouvait parmi nous comme le fiancé. Il suppliait en vérité que des âmes se donnent à Lui pour toute leur vie, pour devenir « Sa fiancée », pour L’accompagner. Sur terre une fiancée ne doit-elle pas partager toute la vie de son fiancé, même si ce chemin passe à travers les difficultés ?

Nous lisons dans l’Écriture Sainte que le Seigneur dit à ses disciples lorsqu’il les appela : « Suivez-moi » (Mt 4,19). Ceci voulait dire : « Venez avec Moi sur Mon chemin ». Pour le dire de façon imagée, ce chemin était revêtu de durs pavés, et ces pavés que Jésus foulait devaient également être foulés par ses disciples. Ces pavés portent des noms précis : « pauvreté », car Jésus était pauvre. « Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ » (Ph 2,5). Et le chemin de Jésus était marqué par l’« obéissance » (Ph 2,8). Jésus prit le chemin de l’« abaissement ».

Les Saintes Écritures nous donnent la preuve que les disciples, à partir du moment où ils eurent engagé leur parole et suivirent Jésus, prirent eux aussi le même chemin que Lui. Quel était donc ce chemin ? Jésus était en route du matin au soir. Il est dit que souvent II ne pouvait prendre Ses repas en paix parce qu’il était pressé par la foule. Les disciples devaient tout partager avec Jésus, et Jésus était si pauvre qu’il vivait des ressources des femmes qui L’accompagnaient. Rien ne lui appartenait. Auparavant, les disciples, même s’ils n’étaient pas riches, avaient leurs revenus. Maintenant, ils étaient engagés dans cette pauvreté, parce qu’ils suivaient le chemin de Jésus.

Il en allait de même pour l’obéissance. Auparavant Pierre était un chef de famille qui prenait ses décisions. Maintenant les disciples dépendaient de Jésus du matin au soir : ils avaient à se conformer à Sa volonté, à ce qu’il disait, à ce qu’il voulait faire à ce moment. Ils ne dépendaient pas seulement de Jésus, mais encore de Judas, qui tenait la bourse : c’est lui, nous le savons, qui décidait des dépenses à faire. Telle est devenue la dépendance des disciples. Pourquoi ? Parce qu’ils suivaient le chemin de Jésus.

Puis vint le moment où, sur ce chemin avec Jésus, ils subirent l’outrage, éprouvèrent les humiliations. Car nous lisons dans les Saintes Écritures que, partout où Jésus se montrait, les pharisiens entraient en scène et répandaient leur venin. Celui-ci pénétrait toujours plus dans le peuple. Il est écrit dans l’évangile de Jean que le peuple dit à Jésus : « Tu es possédé du démon » (Jn 7,20). A la fin, tout le peuple s’écria : « Crucifiez-Le ».

Ainsi les disciples avaient-ils réellement pris le chemin de Jésus après avoir entendu Son appel. Il n’existe pas d’autre chemin si nous voulons être disciples de Jésus-Christ. Nous toutes, dans les couvents et les communautés, nous devons suivre ce chemin avec une attention toute particulière, en témoignage. Mais tout disciple du Christ y est obligé, sinon il n’est pas Son disciple.

Mais la question se pose : comment peut-on comprendre que les disciples, que vous, que nous, donnions notre accord à un tel appel ? Comme on ne cesse de le répéter aujourd’hui, c’est pourtant un chemin sur lequel il est impossible de s’épanouir, de se sentir vivre, mais où il est toujours dit qu’il faut perdre sa vie dans la pauvreté, l’abaissement, l’obéissance...

Les disciples étaient entièrement saisis par le Seigneur lui-même. Ils ne pouvaient faire autrement que de Le suivre. Jésus Lui-même les avait attirés, non les seuls « conseils évangéliques », qui, sans Lui, ne sont que lettre morte. Je crois que c’est cela aussi qui vous est arrivé et nous avons fait la même expérience.

Je vous parlais de ces jours de recueillement qui nous avaient réunis avec nos groupes de jeunes au « temps du réveil » où Jésus nous rencontra avec tout Son amour. Une telle grâce, pensions-nous, n’est presque pas compréhensible. Jésus, le plus beau des enfants des hommes, que tout le ciel contemple avec adoration, qui nous aime comme personne ne peut aimer, ce Jésus m’appelle. Il se tient devant moi, Il me supplie : « Donne-Moi ton amour ». Il nous semblait que tous nos cœurs s’envolaient vers Lui. « Qui d’autre aimerais-je que Toi ? » Nous, les Sœurs de Marie, nous chantons toujours à nouveau ce cantique :

Qui peut nous rendre heureux,
Jésus, comme Toi ?
C’est pourquoi mon cœur Te chante,
Jésus, mon éternelle joie !

En ce temps-là, nous vivions la même expérience que les disciples. En marchant sur les pavés du chemin de Jésus, en prenant, comme vous dites, le chemin des « conseils évangéliques », le chemin de l’obéissance, de l’abaissement et de la pauvreté, les disciples et nous-mêmes avons fait une découverte : ces pavés et les noms qu’ils portent sont en effet quelque peu effrayants, car ils représentent une partie de la Croix, ils nous obligent à sacrifier une part de liberté, une part de richesse, que ce soient des biens spirituels, matériels ou autres. Mais tout cela se transforme, et subitement ces pavés portent un nom diamétralement opposé. Les disciples l’ont vécu, nous l’avons vécu et vous avez certainement fait la même expérience : si on prend ce chemin par amour, avec Jésus, comme Sa fiancée, on a toujours Jésus avec soi, du matin au soir, comme les disciples.

Parce qu’ils étaient toujours auprès de Jésus, ils avaient avec eux et pour eux Celui qui est le Maître du ciel de la terre, qui est tout-puissant, qui possède toute richesse et peut nous donner le nécessaire pour l’âme, le corps et l’esprit. Un exemple : un jour, il n’y avait pas de pain, mais le Seigneur Jésus était avec eux. Il n’eut qu’à prononcer une parole et tout fut là. En sacrifiant leur indépendance, ils se trouvèrent par là même dans la plus grande liberté, parce qu’ils ne dépendaient plus que de Jésus et non des hommes. Car, même si nous disons : « Je ne veux plus obéir », nous ne sommes pas libres pour autant. Étant de faibles créatures, les hommes dépendent toujours en quelque manière les uns des autres ; nous n’y changerons rien aussi longtemps que nous vivrons sur terre. Mais celui qui ne dépend que de Dieu est royalement libre parce qu’il sait que tout homme, même son supérieur, est un instrument de Dieu. Aussi n’obéit-il qu’à Dieu et se donne-t-il à Jésus.

La vie des disciples était ainsi transfigurée dans tous les domaines, parce qu’ils vivaient étroitement unis à Jésus. Telle est aussi l’unique question qui nous est adressée : vivons-nous étroitement unies à Jésus ? Nous aussi, les Sœurs de Marie, nous le voyons sans cesse se tenir devant nous pour nous demander : « Veux-tu encore cheminer avec Moi ? Veux-tu être avec Moi et le rester ? Alors tu posséderas ce qui renferme en soi tout bonheur ; alors tu seras indépendante en face de tout ce que la vie peut t’apporter de pénible ! » Jésus n’a qu’à prononcer une parole et tout se transforme.

Comme je le disais, choisir le chemin des « conseils évangéliques », c’est entrer dans la pauvreté : pauvreté d’honneurs, de droits, d’autonomie et ainsi de suite. Nous demandons toujours à nos Sœurs le jour de la « bénédiction de leurs fiançailles » (leur consécration) : « Êtes-vous prêtes à devenir pauvres avec Jésus ? Pauvres de désir d’être aimées, afin de vous donner à l’amour du seul Jésus, votre fiancé, corps, âme et esprit ? Pauvres de liberté et d’indépendance, pour choisir ainsi le chemin de la totale dépendance envers Jésus et celui de l’obéissance envers les hommes ? Pauvres de droits personnels pour choisir le chemin de l’Agneau qui ne se défend pas, mais supporte l’injustice, bénit et aime ? Pauvres d’honneur personnel, pour choisir le chemin de l’humiliation ? Pauvres en connaissances, savoir et formation, pour choisir le chemin des insensés ? Pauvres en biens terrestres, nourriture, habillement, pour ne pouvoir dire d’aucun bien qu’il vous appartient ? »

Voilà les « conseils évangéliques », voilà le chemin de Jésus. Sur ce chemin, les disciples ont expérimenté qu’ils étaient les plus riches, les plus indépendants, les plus heureux des hommes. Nous aussi, nous l’avons vécu. Nous chantons souvent ce verset :

Les pauvres, les pauvres
Sont toujours récompensés.
Car il y a une chose que le riche ignore :
La félicité !
La félicité que Dieu réserve aux pauvres,
Dans le temps et l’éternité.

Les gens disent souvent : « C’est tout de même curieux ! Les Sœurs de Marie à Darmstadt ont choisi le chemin de la pauvreté, mais la réalité semble bien différente ». Et pourtant cela est juste. Aucune Sœur ne reçoit d’argent de poche, nous ne touchons aucune subvention, ni de l’Église, ni de l’État, ni de la Ville. Notre communauté a commencé à vivre et à construire alors que nous n’avions presque pas d’amis et sans savoir d’où nous viendrait l’argent pour le lendemain, à plus forte raison pour les frais de construction de la maison-mère et de la chapelle. Nous n’avions ni capital, ni réserves. Mais j’y reviens encore une fois : si les gens ne peuvent concilier le chemin de la pauvreté dans lequel nous sommes entrées et la générosité des dons que notre Père Céleste nous fait, je leur dis : « Cela se trouve dans l’Écriture » (cf. Mt 19,29). Nos Sœurs ne peuvent pas l’oublier et sont toujours à nouveau remplies de joie au sujet de notre « pays de Canaan », uniquement acquis par les chemins de la foi, selon les promesses de Dieu, par des moyens miraculeux, par la prière.

Voici quelques faits. Nous étions vraiment très démunies, sans influence ni sur les responsables de la ville, ni sur d’autres services, sans argent, sans relations, sans rien. Avec quoi construire la maison-mère et la chapelle ? Nous possédions une chose, à l’instar des disciples : nous marchions sur le chemin de Jésus, nous étions unies à Lui comme la fiancée qui Le suit par amour. Et que s’est-il passé ? Pendant la crise de Corée, lorsque le fer et les autres matériaux de construction vinrent à manquer et que les entrepreneurs durent s’arrêter de travailler, nous pouvions continuer à nous adresser au Seigneur Jésus. Et cette source ne tarit jamais ! Dieu n’a qu’à dire un mot et tout est là. On nous a offert gratuitement du fer que nous n’avions pas commandé et que nous aurions été incapables de payer, tout simplement parce que Dieu a exaucé nos prières et a touché miraculeusement un cœur.

Je pourrais vous raconter bien d’autres histoires, mais vous les trouverez dans un de nos livres [3]. Laissez-moi enCore vous décrire ceci.

Lors d’une de nos rencontres du soir, je posai cette question à mes filles spirituelles : « Qui d’entre vous veut me suivre ? J’aimerais volontiers prendre ce chemin avec vous, par amour pour le Père Céleste, car ainsi Dieu sera magnifié et le Père recevra l’amour, l’honneur et la confiance des autres, si nous nous engageons sur ce chemin de la foi ». Ce fut une soirée très agitée ; les Sœurs donnèrent leur assentiment, en partie avec crainte, en partie avec grande joie, mais toutes voulaient prendre ce chemin et tenter l’essai. Vous pouvez vous imaginer l’excitation qui régnait, car nous n’avions plus que pour deux ou trois jours de réserves alimentaires, et jamais encore nous n’avions reçu de quoi nourrir un si grand groupe de Sœurs. Parfois quelqu’un apportait une saucisse ou une autre petite chose, mais jamais ce qu’il aurait fallu pour toute une communauté. Effectivement, après quelques jours, nous n’avions plus rien. Ce soir-là, une Sœur demanda : « N’achèterions-nous tout de même pas du sel ? Cela, on ne l’offre jamais ! » Alors nous sommes tombées d’accord : pour le Seigneur, beaucoup ou peu, ceci ou cela, ne font pas de différence s’Il veut nous aider. Voilà pourquoi nous avons décidé « de chercher d’abord le Royaume de Dieu », comme le dit l’Écriture Sainte. Mais il est aussi écrit : « ...tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33). Et qu’est-il arrivé ? Un groupe de visiteurs nous apporta trois immenses paniers remplis de vivres, ce qui ne s’était jamais encore produit. Le soir, au réfectoire, les Sœurs dansaient de joie autour des corbeilles ; l’action de grâces envers un tel Père, qui prenait un tel soin de nous, se prolongeait sans fin. Quelques semaines plus tard, arriva le sel. Un Pasteur nous rendit visite avec un groupe de jeunes. En repartant, ils nous demandèrent : « Pouvons-nous vous laisser les provisions qui nous restent, pour ne pas devoir les rapporter à la maison ? » Entre autres, ils nous laissèrent un gros paquet de sel ! Depuis lors, il nous en est toujours arrivé au bon moment. Nous n’avons jamais acheté ni sel, ni d’autres denrées alimentaires. Pourtant, personne ne pouvait savoir ce dont nous étions à court ! Notre Sœur cuisinière, il est vrai, ne peut jamais non plus fixer d’avance les menus.

Il nous est venu de l’Allemagne de l’Est des ustensiles de ménage, des produits de nettoyage, des poudres pour la lessive, toujours exactement ce qui venait de nous manquer. C’est tellement « bouleversant » que nous avons reconnu la vérité : « Les pauvres sont toujours comblés ». Pourquoi ? Parce qu’ils font route avec Jésus. C’est pour cela que nous n’avons plus aucune crainte devant des périodes de détresse, parce que nous avons expérimenté combien miraculeusement Dieu secourt.

Je voudrais encore ajouter ceci, qui me paraît très important, et que nous avons expérimenté sur ce chemin. Je vous disais il y a un instant : si nous choisissons le chemin de la pauvreté, nous dépendrons de Dieu, parce que nous ne posséderons plus rien, et nous découvrirons ainsi qu’il est Père, un Père aimant, qui pense aux plus petits, qui se préoccupe de tout, qui prend soin du corps, de l’âme et de l’esprit. Mais nous avons aussi vécu autre chose, et c’est un don tout aussi important : « alors nous habiterons à proximité du feu sacré ». Car Dieu est aussi le Saint, Il est l’Amour et il est en même temps la Sainteté. Sur cette voie de la pauvreté et de la dépendance, nous avons toujours appris que les dons de Dieu aux pauvres que nous sommes tarissent immédiatement lorsque survient un obstacle dans nos relations avec Lui. Cela, nous l’avons expérimenté concrètement, jour après jour. Lorsque, par exemple, quelque désaccord s’établissait entre des Sœurs, Dieu ne répondait plus, aucun don ne nous parvenait plus. Ce que je vous dis là, ce ne sont pas des contes de fées, nous l’avons réellement vécu. Un jour, Mère Martyria donnait un cours aux Sœurs. A travers ses paroles, deux Sœurs reconnurent qu’elles avaient eu un désaccord ce matin-là et elles voulurent tout remettre en ordre. Du coup, elles comprirent aussi pourquoi la presse à imprimer s’était arrêtée. Malgré leurs prières, rien n’avait pu la faire fonctionner. Or elles avaient absolument besoin de cette machine et ne pouvaient attendre la venue d’un monteur, car un texte devait être imprimé sans délai. Après leur réconciliation, elles retournèrent à leur machine : celle-ci fonctionnait comme si quelqu’un l’avait réparée entre-temps. Nous avons souvent vécu des situations analogues.

Sur cette voie des « conseils évangéliques », j’accorde la plus grande importance à ce que nous appelons « communautés de lumière » (Lichtgemeinschaften) : nous nous réunissons une fois par semaine et nous nous demandons pardon réciproquement pour tous les torts dont nous nous sommes rendues coupables, nous nous exhortons, nous nous disons tout ce qui, dans nos attitudes, n’a pas été fait dans l’Esprit de Jésus. C’est naturellement toujours très humiliant pour l’une ou l’autre lorsque parfois quatre ou cinq Sœurs lui disent : « Là, tu as dit telle ou telle chose, ou bien, ton attitude a été incorrecte en telle occasion, tu n’as pas été aimable ou serviable, tu as répandu le mauvais esprit. Là, tu as été indifférente, tu t’es retirée... ». Nous parlons également de l’esprit qui règne dans la communauté, de nos manques éventuels d’ardeur ou d’amour, bref de tout ce qui ne paraît pas bien. Nous ne nous quittons jamais sans que toutes se soient réconciliées. Si l’une ou l’autre ne peut pas admettre ce qu’on lui reproche, elle sort et prie jusqu’à ce que le Seigneur le lui révèle. La rencontre se termine toujours dans l’unité et la réconciliation.

Je dis souvent à nos Sœurs : « Nous pouvons renoncer à tout ce qui se nomme œcuménisme et à tous les efforts vers l’œcuménisme si, dans nos propres rangs, nous ne formons pas une unité dans l’amour ». Car alors notre prière n’a aucune valeur, parce qu’une barrière nous sépare immédiatement de Dieu si une barrière me sépare de ma consœur. Dans ce cas, nous nous étonnons peut-être et nous disons : « Nous avons pourtant pris la voie des « conseils évangéliques », nous sommes unies à Jésus, mais nous ne connaissons pas la joie, nos prières ne sont pas exaucées ». En pareil cas, je répète toujours à nos Sœurs : « Tout ceci ne peut tenir à Dieu, parce que Jésus est le même qu’autrefois, lorsqu’il accomplissait les miracles pour Ses disciples. Jésus est encore aujourd’hui Celui qui rend pleinement heureux. Si nous sommes malheureuses, cela provient de ce que nous ne cheminons pas avec Lui, sur Son chemin, qui est avant tout celui de la réconciliation, car il est d’abord le « chemin d’amour ». Si nous suivons la voie des « conseils évangéliques » sans amour pour Jésus, sans amour les uns pour les autres, notre route est sans fondement ; nous n’avons pas de force pour la parcourir, il nous manque le moteur dont tout dépend. »

En résumé, je voudrais dire très clairement ceci, face au monde actuel et devant la désagrégation de toutes les valeurs spirituelles : le chemin de Jésus garde sa valeur, c’est un chemin bienheureux et les « conseils évangéliques », loin d’être l’invention d’une époque (le Moyen Age !), contiennent en eux ce que représente le chemin de Jésus. Qui abandonne cette voie abandonne le chemin de Jésus. Et si aujourd’hui tant de couvents se vident, n’est-ce point parce que Jésus n’est plus aimé ?

Nous vivons le temps de la grande apostasie, prédite par l’Écriture Sainte. On n’a jamais connu une aussi grande défection devant Dieu ; elle se répand dans le monde entier. A cause de cela, rien n’est plus urgent de nos jours que l’amour pour Jésus. Là est la vie ! Cet amour peut naître là où il y a repentir, où nous sommes à nouveau capables de pleurer ; nous l’avons expérimenté au temps du réveil dans nos groupes de jeunes. A cause de ce profond repentir, nos Sœurs sont aussi remplies d’une grande joie et si heureuses qu’en ville les gens leur demandent : « Ma Sœur, pourquoi êtes-vous si heureuse ? » alors elles peuvent répondre : « Parce que je puis aimer Jésus, le plus aimable au ciel et sur la terre ». Cet amour naît du repentir.

L’amour est vie. L’amour est la plus grande des puissances. Déjà l’amour humain est une grande force. Mais l’amour pour Jésus, donné par le Saint-Esprit, la vie divine répandue en nous, est une puissance plus grande que toutes les terreurs et toutes les détresses qui peuvent nous atteindre. Nous avons besoin de cet amour pour Jésus et il me semble que le Seigneur Jésus est sans cesse devant nous pour mendier cet amour et nous prier : « Qui veut m’offrir son cœur ? Qui veut m’accompagner sur Mon chemin ? Je ne le décevrai pas, Je le rendrai heureux, car Je suis l’Amour ! »

Me permettez-vous de terminer par une prière ?
Bien-aimé Seigneur Jésus-Christ,

Nous te remercions parce que Tu es Celui qui nous rend bienheureux, et nous ne pouvons pas comprendre que Toi, le Tout-Puissant, le Seigneur ressuscité, Toi qui as brisé les liens et les puissances, Toi qui es plus grand que tout ce qui existe, Tu aies jeté un regard sur nous, que Tu nous aimes, nous qui sommes pécheurs, que Tu veuilles récompenser notre amour, oui que Tu nous exhortes : « Si vous M’aimez, accomplissez Mes commandements », que Tu nous demandes : « M’aimes-tu ? » Bien-aimé Seigneur Jésus-Christ, comment pourrions-nous ne pas T’aimer, car qui est semblable à Toi ? Personne n’est Ton égal. Ce que Tu répands d’amour, personne ne peut le donner. Ce que Tu offres de bonheur, de gloire, de secours, personne ne peut l’offrir. Ce n’est qu’auprès de Toi que nous le trouvons.

À cause de cela, pardonne-nous notre manque d’amour, notre manque de confiance ; car nous ne croyons pas assez que Tu peux nous rendre heureux, que Tu nous aimes à ce point.

Aide-nous à T’aimer assez pour que nous suivions avec grande joie le chemin des « conseils évangéliques », Ton chemin, Seigneur Jésus, à Tes côtés, unies à Toi, comme Ta fiancée, le plus beau chemin !

Seigneur Jésus-Christ, donne-nous d’aimer ce chemin d’une manière toujours nouvelle, afin que nous puissions, dans l’au-delà, être auprès de Toi, profondément unies à Toi, comme Tu l’as promis en disant que ceux qui T’auront suivi ici-bas et qui auront vaincu seront avec Toi – et cela est indescriptible – avec Toi, assis sur Ton Trône, éternellement auprès de Toi ! AMEN.

EvangElische Marienschwesternschaft
Mutterhaus, Heidelberger Landstrasse 107
D-61 DARMSTADT-EBERSTADT, Allemagne

[1Extraits, légèrement retouchés, de la traduction d’une conférence donnée le 27 mars 1969, en présence de 300 Supérieures et Responsables de Congrégations religieuses, lors d’une Session de l’Académie catholique de Fribourg-en-Brisgau. Nous leur avons conservé leur style oral (On peut se procurer le texte intégral de cette traduction à la Mutterhaus, à Darmstadt). – Fondée en 1947 par Klara Schlink (Mère Basilea) et Erika Madauss (Mère Martyria), la Communauté Évangélique des Sœurs de Marie se propose de rendre gloire à Dieu par l’adoration, de travailler à l’unité chrétienne, de s’adonner à la prédication (surtout sur l’eschatologie), aux retraites, au service diaconal et à l’expiation en faveur d’Israël (N.D.L.R., d’après le L.T.K., vol. 7, 1962, col. 75).

[2« Église confessante » : nom donné à la résistance organisée du Protestantisme allemand contre le coup de force que fut la constitution, le 11 juillet 1933, de l’Église Évangélique Allemande, par les « Chrétiens Allemands », avec l’appui du gouvernement national-socialiste (N.D.L.R., d’après le L.T.K., vol. 2, 1958, col. 138).

[3La brochure Realitäten, dont la traduction française a paru en 1970. S’adresser à la Mutterhaus.

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