Théologie de la vie religieuse
Bulletin bibliographique
Léon Renwart, s.j.
N°1972-2 • Mars 1972
| P. 97-114 |
Dans la quinzaine d’ouvrages que les éditeurs ont eu l’obligeance de nous envoyer en 1971, se dessinent d’eux-mêmes trois groupes : des présentations de documents du Magistère, des études sur la vie religieuse dans son ensemble, des recherches enfin sur sa remise en question aujourd’hui. En plus, nous avons reçu quelques livres consacrés à des problèmes plus particuliers : le célibat, diverses formes de vie consacrée.
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I
L’Exhortation Apostolique Evangelica testificatio, de Paul VI (29 juin 1971), parue au début des grandes vacances de l’hémisphère boréal, doit peut-être à cette circonstance de n’avoir pas immédiatement connu tout le rayonnement qu’elle mérite. C’est grand dommage, et l’on ne peut qu’encourager religieux et religieuses à lire et méditer ces pages où le Pape, en père et pasteur très aimant, exhorte du fond du cœur ses fils et filles très chers dans le Christ à se montrer dignes de l’appel que Dieu leur adresse. Ils seront heureux de pouvoir disposer dans ce but de la présentation commentée [1] que le Père Régamey, O.P., vient d’en faire paraître dans la collection « Problèmes de vie religieuse ». Imprimée en grands caractères, la version française du document est suivie, paragraphe par paragraphe, de notes critiques où l’auteur justifie le choix des mots importants par une minutieuse comparaison entre le texte latin et les versions italienne et française (car il estime, à bon droit ce semble, que l’original du document a dû être rédigé dans l’une de ces deux langues, ou partiellement dans l’une et l’autre). On ne sait ce qu’il faut le plus admirer ici, de la compétence de l’auteur ou de son souci de ne laisser se perdre aucune nuance de la pensée. Vient ensuite un commentaire, plus ou moins développé, du contenu de la section étudiée : ce sont surtout les premiers paragraphes, ceux où le Pape rappelle brièvement la doctrine du Concile, qui font l’objet d’une étude plus poussée. On y retrouve les qualités qui font le mérite de son ouvrage Redécouvrir la vie religieuse, auquel l’auteur se réfère d’ailleurs à plusieurs reprises. On y retrouve aussi les idées chères au P. Régamey et dont nous avons dit la pertinence et la solidité doctrinale (cf. Vie consacrée, 1969, p. 368 et 1971, p. 108). L’on peut se demander toutefois s’il n’en résulte point un léger déplacement d’accent par rapport au texte lui-même : le document que le Pape nous adresse est moins une « charte » qu’une exhortation, très concrète et très réaliste, à vivre en plénitude notre vocation ; mais ne peut-on pas estimer que le Pontife a sagement jugé bon de ne point intervenir, au plan théorique, sur des questions encore ouvertes ? – Ce petit volume, fort maniable, est néanmoins un bon instrument de travail pour l’étude méditée du document pontifical.
Pour les documents antérieurs à cette Exhortation, textes du Concile et décrets d’application, nous possédons désormais, dans l’ouvrage du P. Olphe-Gaillard [2], une présentation thématique, où l’auteur organise autour de ces textes toute la très riche documentation que sa féconde carrière de professeur à l’Institut Catholique de Toulouse, de directeur de la Revue d’Ascétique et de Mystique et de co-directeur du Dictionnaire de Spiritualité lui avaient permis de rassembler. Une vingtaine de thèmes sont ainsi traités dans les quatre parties de l’ouvrage : nos origines (le charisme des fondateurs, l’esprit du renouveau, la signification de la consécration religieuse) ; notre esprit (suivre Jésus, culture biblique, l’oraison, la vie théologale, l’esprit communautaire, liturgique, eucharistique, apostolique) ; nos vœux (conseils et dévotion mariale, chasteté, pauvreté, obéissance) ; notre mission (mission d’Église, mission d’enseignement, éducatrices paroissiales, au service des pauvres et des malades). Avec le P. Jean Beyer, on ne peut que rendre hommage « à une œuvre de science et de sagesse qui vient en son temps » (Préface, p. 5). Des index (références bibliques, auteurs) complètent le volume ; une table analytique eût facilité la consultation de cette mine de renseignements.
II
Vatican II a été, pour l’Église, l’occasion providentielle qui lui a fait prendre meilleure conscience d’elle-même : elle a redécouvert et affirmé devant tous qu’elle est d’abord le Peuple que Dieu se choisit et appelle à vivre visiblement de sa propre vie. Elle a remis en lumière l’appel de tous à la perfection qui est celle même du Père.
C’est pour aider religieux et religieuses à mesurer toutes les conséquences de cette redécouverte que le P. Gambari consacre son volume Ma vie, c’est l’Église [3] à étudier la place que les religieux occupent dans l’Église (1e partie), leur consécration à celle-ci (2e partie), la vocation ecclésiale de la vie religieuse (3e partie) et la vie ecclésiale qui doit en être la conséquence (4e partie). Par manière de conclusion, une 5° partie montre comment mener cette vie à l’exemple et sous la conduite de Marie.
Pour l’auteur, « la vie religieuse,... en tant que consécration totale et sans partage à l’amour du Seigneur, réalisée dans la vie... est la vie même de l’Église. Elle est la réalisation la plus complète de la fin même de l’Église » (p. 51). Décrire la vie religieuse et l’idéal auquel elle appelle ses membres n’est donc pas autre chose que de décrire la vie de l’Église dans son plein épanouissement. L’auteur procède à cette description avec beaucoup de méthode, selon un plan aux structures très apparentes ; il en résulte une grande clarté dans un exposé remarquable aussi par la solidité classique de sa doctrine. La consultation est facilitée par la division en courts paragraphes, groupés en articles, lesquels forment les divers chapitres des cinq parties signalées ci-dessus.
Il nous faut reconnaître toutefois que la thèse centrale du livre nous laisse insatisfait : si tous les chrétiens, chacun dans son genre de vie, sont appelés à la perfection même de Dieu, comment est-il encore possible de tenir qu’un seul état, et qui est le fait d’une minorité, réalise une « consécration totale et sans partage à l’amour du Seigneur » ? Ceci n’est-il pas le propre de la vocation chrétienne, et donc de tous les baptisés ? En faire la caractéristique de la vie religieuse, c’est peut-être d’abord laisser dans l’ombre ce qui est propre à cet appel particulier, c’est surtout courir le risque, nullement illusoire, de dévaluer la vocation chrétienne « commune » et de ne plus proposer aux laïcs la perfection d’amour de Dieu à laquelle ils sont réellement appelés, selon les modalités propres à leur état de vie.
Il reste cependant que, la vocation à la perfection chrétienne étant l’essentiel et pour le religieux et pour le laïc, tout ce que ce livre en dit à bon droit garde sa valeur, pourvu qu’aucun état n’essaie de s’en attribuer le monopole.
Le tome II du Manuale della vita religiosa [4] du même auteur s’intéresse au développement et à la pratique de la vie religieuse. Ses dix-huit chapitres nous conduisent de l’entrée dans l’Institut par la profession religieuse à son couronnement par la fidélité jusque dans la mort, à travers une étude détaillée des trois vœux, de la vie commune, de la vie de prière (dans une communauté de prière, note l’auteur), du témoignage de vie, de l’apostolat, du style de vie et de son cadre, de la communion ecclésiale entre Instituts religieux et avec la Hiérarchie. Sont encore examinés les principes qui animent les structures, le rôle qu’y joue l’autorité, la structuration des Instituts, les organes de gouvernement et de collaboration, la possession et l’administration des biens et, puisqu’il faut bien en parler aussi, la sortie de l’Institut.
Alors que le tome I, consacré à la nature et aux dimensions de la vie religieuse (cf. Vie consacrée, 1971, p. 107), s’intéressait surtout aux principes, le volume présent descend dans les détails (autant qu’il est possible à un manuel qui s’adresse à tous les types de vie consacrée) : ses brefs paragraphes donnent l’état actuel des dispositions sur chaque point ; dans les questions libres, l’auteur met en lumière avantages et inconvénients des solutions proposées et rappelle, avec à-propos, les principes en cause ; ce qui importe souvent plus que la manière de faire elle-même, ce sont les motifs, conscients ou non, qui portent à l’adopter. On se rendra compte de cette sagesse en lisant, par exemple, ce que l’auteur dit du contrôle du courrier (p. 247), de l’habit religieux (p. 250-254), des petites ou grandes communautés (p. 344). Deux Appendices complètent fort bien ce très utile recueil : l’un donne la liste des principaux documents intéressant la vie religieuse depuis le Concile, l’autre signale, avec référence aux sources, les canons du Code qui ont été modifiés, abrogés ou suspendus.
De format beaucoup plus modeste, la plaquette de J. Cambier sur la Théologie de la vie religieuse [5] rassemble les réflexions de l’auteur autour de trois thèmes : la réalité charismatique de la vie religieuse, sa dimension ecclésiale, la vie religieuse comme témoignage pour aujourd’hui. Celle-ci est « une profession publique, reconnue par l’Église et approuvée par celle-ci, de la volonté ferme et irrévocable d’une acceptation plus totale de la vie évangélique » (p. 16 ; nous soulignons). L’auteur note toutefois que cet appel est une grâce, ce qui « écarte la tentation – et les vaines discussions sur la supériorité « personnelle » de la vie religieuse sur celle du chrétien laïc, – de se croire supérieur à d’autres chrétiens non engagés dans le célibat » (p. 35). L’auteur a des formules heureuses, parmi lesquelles nous nous plaisons à relever celle-ci : « certains préfèrent, par sécurisation au fond, se réfugier dans la copie de « ce passé qui a fait ses preuves », oubliant que c’est l’élan créateur du passé qui a fait ses preuves et qu’il faut suivre, non pas les formes elles-mêmes qui ont exprimé alors l’élan du charisme religieux » (p. 74-75).
Si néanmoins l’ensemble de l’exposé apparaît comme assez touffu, ne serait-ce pas, au moins en partie, parce que l’auteur ne nous semble pas avoir réussi à clarifier le rapport entre la vie chrétienne (qui est appel à la perfection, il le note) et la vie religieuse ? Il ne suffit point pour cela, croyons-nous, de tenir que le religieux « ne jouit pas d’une « supervie » chrétienne ou d’une vie chrétienne à part... mais se propose de l’accepter plus radicalement » (p. 9) ; il faudrait plutôt chercher du côté des fonctions complémentaires que religieux et chrétiens dans le monde remplissent dans l’unique Peuple de Dieu [6].
Clôturons cette section en signalant le fascicule spécimen du Dizionario degli Istituti di Perfezione [7] que les Edizione Paoline viennent de nous envoyer : il annonce la parution prochaine, après dix ans de travail, de ce dictionnaire, qui comptera cinq volumes in 4° de texte et un de tables. A en juger par le spécimen, qui reproduit un choix d’articles et d’illustrations, en noir et en couleur, la variété et la tenue des articles, l’abondance et la richesse des illustrations font bien augurer de l’œuvre accomplie. Nous espérons avoir sous peu l’occasion de présenter ces volumes plus en détail lors de leur parution.
III
L’une des caractéristiques de notre époque est certainement qu’elle remet en question, l’un après l’autre, tous les secteurs de la vie ecclésiale. La vie religieuse n’y échappe pas non plus, « grâce à Dieu, nous dit le P. Matura [8], car la contradiction et la critique sont si vigoureuses que seul subsistera ce qui est authentique et fondé sur une foi solide et éclairée ». L’auteur prolonge ici les réflexions de son livre Célibat et communauté (cf. Vie consacrée, 1967, p. 371) et de l’article paru lui aussi sous le titre La vie religieuse au tournant dans la Nouvelle Revue Théologique (1969, p. 834-848). Son but ici est de poursuivre sous un angle plus pratique la réflexion amorcée là.
Abordant le problème de la spécificité de la vie religieuse, il fait d’abord une réflexion, qui pourrait sembler de simple bon sens, mais dont l’oubli fausse souvent les considérations que l’on émet sur ce sujet. Il ne faut pas confondre l’importance de la spécificité pour définir et distinguer et son importance, qui peut être toute secondaire, par rapport au genre dont elle distingue une espèce. Ainsi, selon l’auteur (que nous approuvons), l’essentiel, pour tous, c’est la vocation chrétienne ; ce qui s’y ajoute et nous fait vivre l’appel évangélique selon telle ou telle modalité (comme laïc, comme religieux, comme chargé de ministère) n’est qu’une détermination accidentelle de cet essentiel, commun à tous. Ceci dit (et il ne faudra pas l’oublier dans la suite de notre recherche), en quoi consiste l’originalité de la vie religieuse ? Celle-ci n’est ni une pure fonction de service social ou ecclésiastique, ni une christianisation d’attitudes religieuses universelles (intériorité, ascèse), ni la perfection de la vie chrétienne, ni même la voie du radicalisme évangélique. Car la spécificité de la vocation religieuse « ne peut pas reposer dans ce qui est l’exigence commune de la foi chrétienne comme telle et qui vaut, par conséquent, pour tout homme qui veut la prendre au sérieux » (p. 51). Elle ne peut donc découler que d’un aspect secondaire (malgré sa grandeur) de ce qui est l’essentiel pour tous : être chrétien. Cet aspect, estime à bon droit l’auteur, « c’est le célibat choisi à cause du Christ et devant l’Église, comme état de vie définitif et public » (p. 52), normalement vécu dans une « communauté fortement structurée » (p. 53).
Si nous avons suivi l’auteur jusqu’ici, nous hésiterions cependant déjà à accentuer comme lui la dimension « horizontale » de ce choix : « Le célibat, dont le choix se fait dans la foi (« pour le Seigneur » ; « à cause du Royaume » : donc une motivation « verticale » si l’on veut), a cependant en lui-même un sens humain. Il ne change pas le rapport de l’homme à Dieu, mais celui de l’homme à autrui, et tout d’abord au partenaire éventuel de l’autre sexe, auquel on se refuse en principe. Il crée donc, pour l’homme qui s’y engage, une nouvelle situation, un autre type et un autre réseau possible de relations humaines » (p. 53). Tout ceci est fort vrai, mais n’est-ce point précisément parce que ce célibat est choisi pour le Seigneur qu’il crée cette nouvelle situation (qui n’est pas celle du célibat choisi pour d’autres motifs, si honorables soient-ils) ?
Il nous semble que la même atténuation de la ligne « verticale » apparaît dans l’affirmation, énoncée comme une évidence, que l’engagement religieux « se fait également devant Dieu, non pas que Dieu soit considéré comme un partenaire, mais comme le témoin ou le garant » (p. 95). Si l’engagement religieux est une modalité de l’alliance nouée entre Dieu et son peuple, pourquoi Dieu ne pourrait-il pas, ici comme là, en être le partenaire principal ? Enfin, il nous faut bien ajouter que les pages sur l’obéissance (p. 71-73) nous semblent réduire celle-ci à un rôle purement fonctionnel, ce qui serait passer à côté de l’authentique obéissance religieuse (quelque difficile que soit la présentation de cet aspect essentiel de la vie religieuse).
Si nous avons cru devoir marquer clairement les limites que nous apercevions à ce travail, nous n’en sommes que plus à notre aise pour en recommander la lecture à tous ceux qui cherchent à mieux comprendre la vie religieuse : par sa pondération et la solidité de ses arguments, l’auteur les aidera certainement à progresser dans cette recherche.
« Religieux, religieuses, qu’allez-vous devenir ? Il n’y a pas à choisir entre l’Église et le monde. Il y a seulement à être, au sein du monde et comme membres de ce monde, la présence visible de l’Esprit venu continuer l’œuvre de Jésus-Christ. » Qui ne serait d’accord avec ce message, thème de l’ouvrage que le P. Santaner nous présente [9] : il nous y invite à retrouver l’inspiration originelle de la vie religieuse, symbolisée pour lui par le « retour à Assise » de son Père saint François. Mais pourquoi faut-il que l’enthousiasme avec lequel on ouvre ce volume se change peu à peu en déception ? Et cela, malgré les qualités indéniables de cet ouvrage plein d’excellentes intentions et de remarques pertinentes exprimées dans un style alerte et vivant ?
Serait-ce parce que les critiques d’abus, hélas, bien réels tournent facilement çà et là à la caricature et s’appuient parfois sur une information historique douteuse (par exemple : sur l’origine des grilles, sur les vœux, leur fondement, leur introduction). II serait aisé de faire la part du style oratoire, tout en reconnaissant que l’auteur eût sans doute mieux servi sa cause par plus de modération. Le malaise, tel que nous l’avons ressenti, nous semble avoir une cause plus profonde, excès d’ailleurs d’une qualité. L’auteur nous rappelle à bon droit que la vie religieuse ne peut se maintenir en marge du monde, pour lequel elle veut être signe du Royaume. Mais, à trop mettre en lumière la dimension « horizontale » de notre vie, on risque de rejeter dans l’ombre la dimension « verticale » [10]. Comme le note Jean Guitton : « Le danger de l’époque présente serait que, par un phénomène d’inversion, nous considérions les vérités verticales comme les symboles des vérités horizontales. Alors, gardant l’extérieur de la foi, nous risquerions d’évacuer son essence. Jésus enseigne que l’amour de l’homme pour l’homme dérive de l’amour de l’homme pour Dieu. Eh bien, il peut se faire qu’un jour nous arrivions à faire comme si la vérité ultime était l’amour de l’homme pour l’homme... Alors... l’amour de l’homme pour Dieu devient un symbole imaginaire de l’amour de l’homme pour l’homme [11]. » Donnons immédiatement acte au P. Santaner que son intention n’est nullement d’en venir à pareille extrémité. Son but est bien de nous apprendre à « ne pas manquer les rendez-vous de Dieu ». Mais il nous paraît trop sensibilisé à l’alibi réel que peut être pour certains leur « attachement à Dieu » et trop peu à l’autre alibi, tout aussi réel et peut-être plus dangereux encore à notre époque : penser qu’il suffit de rencontrer nos frères pour avoir rencontré Dieu. Or le religieux est, par vocation, celui qui est chargé de rappeler, en tout amour, le primat de Dieu et la nécessité d’en prendre conscience. En cela, son rôle est complémentaire de celui du laïc, dont la mission est de rappeler à tous que vain est l’amour qui ne s’incarne pas. « Retour à Assise » donc, mais parce que François a rencontré le Christ qui l’envoie vers ses frères.
Le volume édité par le P. Colm O’Grady, M.S.C. [12], se propose de relever le défi lancé aujourd’hui à la vie religieuse. Il réunit neuf communications données à un séminaire sur la vie religieuse organisé à Athlone (Eire), en juillet 1969. On y étudie les origines et le développement de la vie religieuse (N. Kinsella, O.C.S.O.), sa signification théologique aujourd’hui (C. O’Grady, M.S.C.), son fondement biblique (M. McNamara, M.S.C.), l’engagement du religieux missionnaire (E. Hillman, C.S.Sp.), l’avenir des Frères (Br. Éamon), la formation des futurs religieux (S. Fagan, S.M.), la revision des constitutions (idem), la signification de la religieuse enseignante (Sœur M. Antonina, O.P.) et la place de la communauté religieuse dans l’Église locale (C. McGarry, S.J.).
Ne pouvant tout relever, nous voudrions attirer l’attention sur certaines contributions. Le P. O’Grady s’efforce de préciser la signification actuelle de la vie religieuse. Vatican II a remis en lumière l’universalité de l’appel à la perfection, mais aussi l’obligation pour tous de s’intéresser activement au progrès de ce monde. Comment, dès lors, situer la vie religieuse et lui garder un sens ? Certainement plus comme située au sommet d’une hiérarchie d’états rangés selon leur perfection, mais bien comme une manière originale d’être au service de ce monde, à travers les trois vœux et la vie en communauté. De la sorte, la vie religieuse trouvera son meilleur terrain d’expansion et sa pleine signification dans un univers sécularisé : non seulement elle se consacrera au progrès et au développement du monde (les possibilités sont innombrables, même si de le saisir demande plus d’une conversion), mais elle lui rappellera aussi que son avenir transcende toute réalisation d’ici-bas. Il faut certes rappeler aux religieux que leur vocation n’est pas (et n’a jamais été) celle d’un « splendide isolement », mais nous eussions souhaité que l’auteur mette mieux en lumière ce qu’il affirme d’ailleurs : le service typique du monde auquel la vie religieuse est appelée consiste à être le témoin vivant de l’origine transcendante de l’amour qui transforme notre univers et le mène à son épanouissement dernier.
Les deux exposés du P. Fagan sur la formation des candidats et sur la révision des constitutions méritent, eux aussi, une mention spéciale pour leur sain réalisme (qu’on lise, par exemple, ses pertinentes remarques sur ceux qui entrent en religion pour y trouver leur plein « épanouissement » et sur ceux qui demandent que tout soit « significatif »).
Il est un point faible cependant dans ce recueil (comme dans beaucoup d’écrits actuels) : sa présentation de l’obéissance religieuse nous semble trop courte, trop marquée par la réaction à un autoritarisme qui a été réel, et l’est peut-être encore çà et là. Comme les autres vœux, l’obéissance religieuse se situe dans la ligne d’un désintéressement radical inspiré par l’amour de Dieu, ce qui va nettement plus loin que l’obéissance nécessaire à la cohésion et à la bonne marche d’un groupe. Certes l’on doit tenir compte de tous les progrès valables qui se font jour dans les modalités concrètes d’exercice de l’obéissance, et les remarques faites dans ces pages pourront y aider. Il est dommage seulement que ces pages n’aient point continué leur recherche sur la lancée de ce qui y est fort bien dit du célibat et de la pauvreté religieuses.
C’est d’Extrême-Orient que nous vient la question : le monachisme est-il apte à répondre aujourd’hui encore à l’attente du monde ? John Moffit, l’éditeur des actes de la l’encontre des Supérieurs Monastiques d’Extrême-Orient (Bangkok, décembre 1968) [13], note : « A ce que je crois, ce que nous avons appris à Bangkok, a une réelle signification pour les communautés monastiques – et les chrétiens de toute condition – partout dans le monde » (p. XIV). Ne serait-ce point parce que ce message peut se résumer dans ces mots qui furent, sans qu’il l’ait cherché, le testament spirituel de Thomas Merton [14] : « Ce qu’on nous demande de faire aujourd’hui, ce n’est pas tant de parler du Christ que de le laisser vivre en nous de telle sorte que le monde puisse le pressentir à la manière dont il vit en nous » (p. XV) ?
L’on ne peut songer à résumer les travaux des quelque soixante-dix délégués représentant vingt-cinq monastères, la plupart bénédictins. L’ouvrage les présente avec grand soin et fournit en appendice un certain nombre de documents complémentaires, tels le questionnaire préparatoire et un sommaire des réponses qui y furent faites. On ne peut que féliciter l’éditeur pour cette remarquable présentation. La plupart des exposés, cela va de soi, concernent les problèmes que pose au monachisme occidental sa rencontre avec les grandes religions d’Asie et les civilisations de ces contrées (plusieurs de ces exposés avaient été demandés à des spécialistes). La lecture de ces pages est enrichissante même pour ceux qui ne sont pas directement concernés par la situation en Extrême-Orient. Nous voudrions signaler aussi une remarquable causerie de Thomas Merton sur les leçons que moines et chrétiens peuvent tirer du marxisme, l’exposé de dom Jean Leclercq sur les problèmes du monachisme et les conclusions de la conférence : ces dernières sont remarquables par leur équilibre, leur ouverture à toutes les formes valables, pourvu qu’elles respectent et assurent l’essentiel, la consécration totale de nos vies à Dieu et aux hommes (l’authenticité et la sincérité de la première étant la garantie et la mesure de la seconde).
C’est à un dialogue entre un sociologue, un psychologue et un religieux dominicain sur le sort des Ordres religieux [15] que nous sommes maintenant conviés : le P. Jan Kerkhofs, S.J., analyse la situation, qui lui semble appeler des groupes inspirés par l’Évangile et décidés à promouvoir des réalisations pleinement humaines : ainsi, dépassant de nombreux points morts, se mettra-t-on en route. A cette analyse répondent deux prises de position. L’une est du P. Hermann Stenger, C.SS.R., au nom de la psychologie : il marque son accord avec le processus d’évolution en cours et donne des directives pour une action efficace. Dans l’autre, le P. Jan Ernst, O.P., exprime son agrément en dix thèses qui décrivent la crise telle que l’auteur la voit, demandent qu’elle soit ouvertement reconnue et que, faisant fi des discussions théoriques (stériles), on passe résolument aux changements révolutionnaires d’une praxis consciente de ses conditions et de ses présupposés.
Il est toujours utile d’écouter les sociologues et les psychologues dans un domaine où les aspects sociologiques et psychologiques jouent un grand rôle. C’est pourquoi les remarques que font les auteurs de ces trois contributions doivent retenir notre attention, même lorsqu’il nous est pénible de découvrir comment d’autres nous voient. Cela peut nous aider à corriger des défauts réels et l’on doit être reconnaissant à ceux qui nous aident à en prendre conscience.
Mais il est un danger dans l’approche sociologique ou psychologique : en rester à la surface des réalités dont on décrit les manifestations et, faute d’en pénétrer l’esprit, finir par porter sur elles un diagnostic qui est à côté de la question. Nous croyons devoir le dire sans ambages : ces auteurs sont passés à côté de la réalité profonde de la vie religieuse. Qu’on lise, dans la première contribution, ce qu’elle dit (ou plutôt ne dit pas) du célibat consacré, de l’obéissance, de la pauvreté, des engagements temporaires, et l’on comprendra. Nous n’avons aucune objection, bien au contraire, à ce que des chrétiens fervents, animés de l’esprit de l’Évangile, se réunissent sous des formes variées pour réaliser leur idéal ; nous pensons même que ces tentatives pourront avoir d’heureux effets pour la vie religieuse. Mais ce dont ces auteurs sonnent le glas, si l’on ne suit pas leurs conseils, ce n’est pas la vie religieuse, car celle-ci est, en réponse à un appel divin, don de tout soi-même à Jésus-Christ, Homme-Dieu. Et peut-être, en écrivant ces derniers mots, avons-nous touché le fond du problème que pose ce livre : quelle place y occupe Jésus ? Sauf erreur, il n’y est cité que deux fois, aux p. 27 et 41, et les deux fois comme « der Mensch Christus » (l’homme Christ).
En présentant maintenant deux articles de revue [16], nous commençons à réaliser de façon bien modeste un souhait : étendre cette chronique aux articles sur la vie religieuse. Dans le premier, Françoise Vandermeersch constate que la vie religieuse est remise en question par les changements survenus depuis Vatican II et que cela pose aux religieux un problème d’identité. Quel sens garde aujourd’hui leur vocation ? « Plus j’approfondis ma vie religieuse, plus celle-ci se confond avec ma vie chrétienne. Pour moi le baptême est la consécration fondamentale » (p. 730-731). C’est du côté de la vie communautaire qu’il faut chercher, semble-t-il, la nuance propre à la vocation religieuse.
Malgré sa brièveté, cet exposé est intéressant, surtout par ce qu’il apporte de lumière sur cette recherche communautaire dont Boquen est un exemple parmi d’autres. A cause sans doute de cette même brièveté, il nous laisse toutefois insatisfait, surtout à propos des vœux. N’y a-t-il vraiment à relever, à leur sujet, que les critiques, souvent pertinentes, que l’auteur leur adresse ? Et doit-il réellement être considéré comme normal « dans un monde en mutation caractérisé par des mutations successives rapides », que disparaisse l’obligation de vœux perpétuels (pourquoi pas celle du mariage indissoluble) ? La fidélité de Dieu ne serait-elle donc plus capable et désireuse aujourd’hui encore de nous appeler, malgré notre faiblesse, à ce don sans retour ?
La contribution de dom du Roy, O.S.B., Abbé de Maredsous, met bien en lumière que la mise en question porte finalement sur l’engagement religieux en lui-même. Dans un monde « post-chrétien », qui reproche (à bon droit, pense l’auteur) au monachisme d’avoir déjà manqué plusieurs tournants de l’histoire, la vie monastique, restée de type rural et d’organisation familiale, met en danger, si elle ne se transforme pas, l’épanouissement adulte de ses membres. La solution suggérée nous paraît pensée sur le type des Instituts séculiers. Pareille suggestion n’a rien d’absurde ; sans doute sera-t-elle réalisée par telle ou telle nouvelle fondation. Autre chose est de savoir si elle est seule la solution de l’avenir. L’histoire semble plutôt nous orienter vers d’autres vues : dans leur ensemble, les diverses formes de vie religieuse ont jusqu’ici survécu à l’apparition des formes nouvelles, non sans se rajeunir à leur contact. Ne voyons-nous même pas de nos jours un renouveau de l’érémitisme ?
L’auteur a des remarques intéressantes sur ce que devra être la pratique des vœux, la vie de communauté et la prière ; mais sa griffe est parfois un peu rapide pour mettre les ombres au tableau : s’il fallait prendre pour une description d’un état de fait ce qu’il dit de la prière, on devrait y reconnaître une caricature injuste et blessante. Mais telle n’est point, sans doute, l’intention de l’auteur.
IV
Le volumineux recueil Sacerdoce et célibat [17], publié sous la direction et grâce au labeur acharné de Mgr Coppens, nous retiendra surtout pour sa seconde partie. La première rassemble douze études sur le sacerdoce chrétien, depuis ses préparations vétérotestamentaires jusqu’à ses problèmes post-conciliaires : elle intéressera surtout les prêtres. Dans la seconde, consacrée au célibat, plus de la moitié des quinze études traitent leur sujet d’une manière qui concerne tout autant les religieux et religieuses que les prêtres, et plus d’un auteur le relève. Signalons à l’attention de nos lecteurs celles de ces collaborations qui nous ont paru les plus éclairantes pour eux. Viennent d’abord deux études de théologie biblique. L’appel du Seigneur à la virginité fait le point des discussions exégétiques sur Mt 19,12. Dans Saint Paul et le célibat, L. Legrand conclut une analyse très fouillée de 1 Co 7,7-8 par ces mots : « en définitive, c’est l’expérience chrétienne du don de soi au Seigneur qui polarise l’optique paulinienne » (p. 330). L’étude suivante, par H. Crouzel, reprend l’examen du dossier rassemblé récemment par R. Gryson sur le célibat ecclésiastique du premier au septième siècle ; son travail montre que, si des raisons comme l’imminence de la parousie, les idées de continence cultuelle et les principes stoïciens ont joué un rôle réel (sans doute plus marqué, pensons-nous, pour l’introduction du célibat sacerdotal), le facteur essentiel est et reste l’enseignement évangélique et paulinien sur la virginité.
Le P. G. Cruchon, dans Célibat et maturité. L’heure du choix, fait état d’une découverte relativement récente des psychologues, celle du « point de maturation », où l’individu, poussé par un certain développement, biologique et psychique, de tout son être, a le désir de se « fixer » un but à long terme pour son existence au sein de la société (p. 590). C’est à ce moment que peut raisonnablement se placer le choix définitif du célibat consacré, comme du mariage d’ailleurs. Autre apport intéressant de la psychologie, la découverte qu’il existe probablement en nous un « amour fondamental, non sexualisé » (p. 601), qui serait une disposition première. Si ceci est vrai (et l’auteur fournit de bonnes raisons de le croire), « le renoncement à la sexualité conjugale se trouverait ainsi favoriser un amour plus profond, et non pas résiduel, qui est aussi le ciment de l’amour conjugal... » (p. 601). Parmi les conclusions que l’auteur tire de ses analyses, épinglons celle-ci : « On ne voit pas pourquoi ceux qui sont arrivés, normalement, à l’heure du choix dont nous parlons, et qui l’ont donc fait sans contrainte..., seraient dispensés de l’effort que demande la fidélité, tandis que les époux seraient tenus à respecter leurs engagements... » (p. 606).
Dans Socio-psychologie du célibat religieux, J. Folliet étudie les conditions qui rendent moins aisée aujourd’hui la pratique du célibat, mais conclut que ce n’est nullement une raison suffisante pour y renoncer. M. Nédoncelle intitule sa recherche Fidélité et célibat consacré ; il fait ressortir que les vœux de religion et l’engagement au célibat sont des formes éminentes de la fidélité religieuse. Son étude l’amène aussi à montrer que si « il n’y a pas moyen d’achever la fidélité sans une foi religieuse,... il n’y a pas moyen de vivre de la foi sans qu’elle engendre une discipline de vie... (celle-ci) est le corps que le prêtre et le religieux donnent à leur vie spirituelle » (p. 685). Foi et communauté créent un nouveau milieu visible, qui doit se situer entre deux extrêmes : le ghetto d’une part (sans doute surtout le danger d’hier), la dilution dans le milieu ambiant de l’autre (l’une des grandes tentations d’aujourd’hui). Enfin, à ceux qui se demandent s’ils n’auraient pas mieux fait de suivre une autre voie, l’auteur offre cette remarque que nous les invitons à savourer : « La tentation du conditionnel passé est la plus stérile de toutes » (p. 689).
Nous voudrions encore, dans cet ensemble remarquable, donner une place hors pair à la contribution du Dr P. Chauchard sur Célibat et équilibre psychologique. D’entrée de jeu, il marque un point essentiel : « Le célibat n’est pas forcément équilibré et heureux du fait qu’il est consacré par une tâche extérieure : il faut une consécration du célibat lui-même, même si le célibataire est dans la vie profane » (p. 613). Après avoir montré l’ambiguïté du célibat (qui peut être vécu pour de nombreux motifs, conscients et inconscients, parfois les plus importants), il dénonce un autre préjugé : celui qu’il y a des gens équilibrés et d’autres qui ne le sont pas. Or, « s’il y a des modèles d’effort difficile de perfectionnement, il n’y a pas de modèles de perfection » (p. 614). S’il n’y a pas de célibataire équilibré sans effort, il faut donc s’exercer pratiquement à équilibrer son célibat, sa vie durant, et non pas y renoncer. Ceci demande un contrôle des pulsions, mais aboutit à faire, du célibataire équilibré de la sorte, un modèle de relations sociales. Pareille réussite se prépare par toute une éducation, qui, à l’origine, n’est pas différente de la préparation au mariage, car elle est « une préparation à être un adulte équilibré, capable de relations authentiques. L’inaptitude au célibat et les échecs du mariage ont la même origine, une impréparation éducative » (p. 629). Puisse ce verdict, confirmé, hélas, par l’expérience de trop nombreux échecs, en aider certains, à l’heure où la tentation se fait plus lancinante, à réfléchir et à se demander s’ils ne feraient pas mieux d’essayer de se rééquilibrer dans la voie qu’ils ont choisie, dussent-ils pour cela s’intéresser « à sentir consciemment le mouvement de (leurs) orteils » (exercice indispensable à l’équilibre d’un intellectuel, estime l’auteur, p. 632).
Dans la plaquette que le P. Oger, O.P. consacre au Célibat en question [18], cinq chapitres traitent successivement du célibat, de ses motifs, de ses problèmes, de sa place dans l’Église, du célibat et de la chasteté. La présentation est solide et la doctrine classique ; beaucoup seront sans doute intéressés surtout par les premiers chapitres : ceux-ci mettent à la portée du grand public les acquisitions récentes de la psychologie en ce domaine ; quant aux pages consacrées au célibat religieux, nous les eussions souhaitées plus développées et plus approfondies.
Le Cahier publié par la Conférence Religieuse Canadienne sur l’Animation spirituelle de la communauté [19] est introduit par ces mots : « Les démarches d’animation ont ceci de particulier qu’il faut les vivre soi-même pour comprendre réellement leur impact sur la vie » (p. 5). Ceci explique la difficulté que l’on éprouve à rendre compte de cet ouvrage, puisque, par la force des choses, on est amené à parler de la démarche qu’il décrit sans pouvoir s’y insérer.
Le P. G. Cusson, S.J., se demande si l’animation communautaire est un fait nouveau et il répond qu’elle l’est pour une bonne part, car elle répond à « la volonté de se donner des conditions qui favorisent une vie religieuse fraternelle qui soit plus assumée et poussée davantage à la limite de ses possibilités » (p. 11 ; les soulignés sont de l’auteur). Cette présentation du problème est suivie par une série d’études qui en examinent les dimensions psycho-sociale (Cl. Vermette, P.S.S.), théologique (Th. Matura, O.F.M. et Fr. Martin), biblique (L. Laberge, O.M.I.), spirituelle (G. Cusson, S.J. et K.D. O’Rourke, O.P.) et de « leadership »ship » (A. Visscher, S.C.J. et K.D. O’Rourke, O.P.). Un résumé des échanges de vues aux assemblées de 1970 (section masculine) et 1971 (section féminine) et une bibliographie pratique complètent utilement le volume.
Nous avons noté ci-dessus pourquoi il nous semblait difficile de porter un jugement motivé sur une réalité qu’il faudrait vivre pour la comprendre vraiment. Disons simplement que les matériaux ici rassemblés nous ont éclairé un peu mieux sur ce qui se cherche dans les petites communautés, un certain nombre de remarques nous ont paru pertinentes (par exemple, le rappel, aux p. 162-163, de la nécessaire dimension « verticale » dans nos vies), mais nous nous sommes sentis moins à l’aise lorsqu’on nous parlait des nouvelles formes de l’obéissance (tout en goûtant fort la remarque du P. O’Rourke sur l’attention aux personnes requise des supérieurs majeurs, trop souvent « mangés » par les besognes administratives).
Le Supplément que la revue The Way a consacré aux Instituts Séculiers [20] s’efforce d’être une présentation aussi complète et aussi « up to date » que possible de cette forme de vie consacrée (le public de langue anglaise la connaît mal, nous dit-on). Sur les huit contributions, cinq proviennent de membres de ces Instituts, les trois autres sont de jésuites dont la compétence en ces matières est unanimement reconnue : les PP. Beyer, Dortel-Claudot et Martelet (dont l’article Pour une meilleure intelligence des Instituts Séculiers. La question de l’obéissance séculière, a aussi été publié dans Vie consacrée, 1970, p. 321-347). Après une présentation du premier Congrès International de 1970 (A. Oberti), J. Bonadio nous montre l’utilité de la recherche d’une définition et nous propose celle-ci, qu’il commente : un Institut séculier est une communauté qui, suivant le Christ d’une façon absolue et radicale, exprime et vit une sécularité pleinement authentique avec une consécration à l’apostolat. Dans sa contribution, le P. Beyer s’efforce de dégager les normes de la vocation séculière en tant qu’elle se distingue de la vocation religieuse. Le P. Dortel-Claudot explique comment la pauvreté dans les Instituts séculiers, sans être différente de celle à laquelle tous les chrétiens sont appelés, réalise néanmoins une vraie consécration. E. Tresalti nous entretient du problème de la prière dans ces Instituts : elle ne lui paraît différer de celle du laïc ordinaire ni par sa nécessité, ni par son contenu, mais, souvent du moins, par sa fréquence et son intensité. Commentant l’une des résolutions du Congrès, G. Lazzati s’interroge sur le pluralisme dans les Instituts séculiers et ses limites : la clef lui semble résider dans la formule du Motu Proprio Primo feliciter : « Non tantum in saeculo sed veluti ex saeculo » : cet apostolat s’exerce non seulement dans le monde, mais en quelque sorte à partir de lui. Enfin H. Müller nous entretient des Instituts séculiers de prêtres.
Ce bel ensemble aidera certainement à mieux comprendre la spécificité des Instituts séculiers. Dans la Préface, le P. Walsh note qu’ils sont actuellement plus préoccupés de proclamer leur indépendance que de reconnaître leurs ancêtres. Cette pertinente remarque aidera à comprendre que la distinction, fortement soulignée dans ces pages et à bon droit, ne fait pas tort à la similitude profonde qui unit tous les consacrés, et que H. U. von Balthasar a si bien mise en lumière [21].
Un fait s’impose à l’observation : le renouveau actuel de la vie érémitique, non seulement masculine, mais aussi féminine. Ces pages [22] sont le fruit d’une enquête menée depuis plusieurs années auprès d’ermites de diverses nationalités, catholiques, orthodoxes, anglicanes. Le questionnaire, très judicieusement établi, nous fait découvrir l’itinéraire spirituel de ces femmes vivant incognito dans une très grande pauvreté, que ce soit dans les grandes villes, les forêts ou les montagnes. Toutes ont choisi de se fixer au « désert », dans l’absolu de la contemplation et de l’offrande. Leurs témoignages ont une note d’authenticité qui ne trompe pas. Mais, comme le note l’une d’elles, « cette vocation perd toute signification dès que l’attention des hommes se porte sur elle, et non au-delà, sur Dieu » (p. 58). Ces vocations exceptionnelles, dans tous les sens du terme, nous aident à nous dépêtrer de la question, grandiose si l’on veut, mais parfaitement mal posée : « Bref, Jésus, ça sert à quoi ? » ; elles nous attirent à aimer le Seigneur pour lui-même, pour rien, « comme on aime, quoi [23] ! »
La brochure que le Frère Maurice Ratté, Supérieur général des Frères du Sacré-Cœur, a eu l’obligeance de nous communiquer [24] annonce aux membres de son Institut l’introduction dans celui-ci du sacerdoce, selon la permission accordée par le Décret Perfectae caritatis, n. 10. Une première partie marque le sens de cette initiative, une seconde contient des directives pastorales, une troisième fournit des directives pratiques sur l’orientation vers le sacerdoce des Frères qui auront été choisis dans ce but. Nous remercions le Frère Ratté de cette communication : ce document intéressera certainement les autres Instituts où se pose la même question.
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[1] P. R. Régamey, o.p. Paul VI donne aux religieux leur charte. Exhortation « Evangelica Testificatio » présentée et commentée. Coll. « Problèmes de vie religieuse », 34. Paris, Éd. du Cerf, 1971, 20 x 14, 176 p., 17,50 FF.
[2] M. Olphe-Gaillard, s.j. Chrétiens consacrés. Thèmes et documents. Coll. « Vie spirituelle et vie intérieure ». Paris, Lethielleux ; Montréal, Éd. Bellarmin, 1971, 22 x 14, 352 p.
[3] E. Gambari, s.m.m. Ma vie, c’est l’Église. Ecclésiologie de la vie religieuse. Coll. « La religieuse dans la pastorale d’aujourd’hui », 20. Paris, Fleurus, 1970, 20 x 14, 368 p., 24 FF.
[4] E. Gambari. Manuale della vita religiosa alla luce del Vaticano II. 2. Svolgimento e pratica della vita religiosa. Salone, Centro Mariano Monfortano, 1971, 21 x 15, 452 p., 4.000 lires.
[5] J. Cambier. Théologie de la vie religieuse aujourd’hui. Coll. « Études religieuses », 788. Bruxelles, Éd. du Cep, s.d., 19 x 13, 105 p.
[6] Cf. le très bel article du P. É. Pousset, s.j. « Religieux et chrétiens dans le monde. Différence et corrélation », dans ce même numéro, p. 65-96.
[7] Pour tous renseignements, s’adresser aux Edizioni Paoline, Via Domenico Fontana, 12, I-00185 ROMA.
[8] Th. Matura, o.f.m. La vie religieuse au tournant. Coll. « Problèmes de vie religieuse », 33. Paris, Éd. du Cerf, 1971, 20 x 14, 156 p., 15 FF.
[9] M.-A. Santaner. Le retour à Assise. Desclée De Brouwer, 1970, 20 x 13, 214 p.
[10] Pour s’en convaincre, il suffit de comparer ce que le P. Santaner dit des vœux, p. 154-156, avec l’article de J.-M. Hennaux, « Vœu et promesse » (Vie consacrée, 1972, p. 3-33). La différence d’accent saute aux yeux.
[11] Jean Guitton, Ce que je crois, Paris, 1971, p. 58 sv. (le souligné est de l’auteur).
[12] The Challenge to Religious Life today. London, G. Chapman, 1970, 22 x 14, X-244 p., £ 2.50.
[13] A New Charter for Monasticism. Proceedings of the Meeting of the Monastic Superiors in the Far East. Bangkok, December 9 to 16, 1968. Notre Dame, University Press, 1970, 24 x 16, 335 p., $ 12.00.
[14] C’est peu après avoir donné cette réponse, dans la discussion qui suivit son exposé, que le P. Thomas Merton, o.c.s.o., fut rappelé à Dieu. On trouvera le récit de cette mort soudaine (par électrocution, semble-t-il) aux p. 82-84 du volume.
[15] Das Schicksal der Orden - Ende oder Neubeginn. Coll. « Kirche im Gespräch ». Freiburg, Herder, 1971, 20 x 12, X-116 p.
[16] Fr. Vandermeersch. « La vie religieuse en question ». – O. du Roy. « L’avenir de la vie religieuse », dans Esprit, novembre 1971, p. 728-735 et 736-746.
[17] Sacerdoce et célibat. Études historiques et théologiques. Coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium », 28. Gembloux, Duculot ; Louvain, Peeters, 1971, 24 x 16, VIII-752 p., 600 FB.
[18] H.-M. Oger, o.p. Le célibat en question. Coll. « Études Religieuses », 786. Bruxelles, La Pensée Catholique, 1968, 19 x 13, 142 p., 84 FB.
[19] Animation spirituelle de la communauté. Coll. « Donum Dei », 18. Ottawa, Conférence Religieuse Canadienne, 1971, 23 x 15, 190 p., $ 3.80.
[20] The Secular Institute. Coll. « The Way », Supplement 12. London, The Way, 1971, 24 x 15, 100 p.
[21] « Une vie livrée à Dieu. Sens de la vie selon les conseils aujourd’hui », dans Vie consacrée, 1971, p. 5-23.
[22] M. Le Roy Ladurie (Sœur Marie de l’Assomption). Femmes au désert. Témoignages sur la vie érémitique. Paris-Fribourg, Éd. Saint-Paul, 1971, 19 x 12, 128 p., 13,50 FF.
[23] M. Clavel, dans Le Nouvel Observateur, 25 novembre 1968, cité p. 126.
[24] Institut des Frères du Sacré-Cœur. L’introduction du sacerdoce dans l’Institut. 00152 Rome, Maison généralice (Piazza del Sacro Cuore 3), 1971, 21 x 14, 40 p.