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Vœu et promesse. Supprimer les vœux temporaires ?

Jean-Marie Hennaux, s.j.

N°1972-1 Janvier 1972

| P. 3-33 |

Les religieux sont amenés, en notre temps, à s’interroger d’une manière plus urgente sur l’essence de leur vie. Dans cette réflexion, la question « qu’est-ce qu’un vœu ? » tient une place importante, sinon la plus importante.

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I. Qu’est-ce qu’un vœu ?

Cette question, l’Instruction Renovationis causam sur la formation, parue en 1969 [1] [2], l’imposa davantage encore à l’attention : outre qu’un des buts principaux de ce document semblait être la pleine restauration du sens des vœux perpétuels et la mise en lumière des conditions d’une formation toute polarisée par cet engagement définitif [3], il obligeait, en donnant la possibilité de substituer une promesse aux vœux temporaires [4], à se demander d’une manière plus précise quelle différence il y a entre un vœu et une promesse.

Nous voudrions essayer, dans ce contexte, de mieux voir ce qu’est le vœu de religion et, par le fait même, ce qui peut le différencier de la promesse.

II. Vœux en général et vœu de religion

Dès qu’on cherche à cerner la distinction entre vœu et promesse, on se trouve d’emblée arrêté par la définition, devenue classique, du vœu : « Le vœu est une promesse faite à Dieu [5] ». Si le vœu est une promesse faite à Dieu, et si la promesse dont il est question dans Renovationis causam peut bien être faite à Dieu [6], quelle différence peut-il encore y avoir entre les deux ?

La confusion tient pourtant, croyons-nous, à une incomplète compréhension de ce qu’est le vœu de religion. Essayons de le montrer.

La première difficulté vient du fait que la définition classique du vœu – que l’on utilise naturellement pour réfléchir au vœu de religion – n’a pas été suffisamment située théologiquement [7].

Lorsque saint Thomas et ceux qui le suivent – y compris, tout près de nous, le Droit canon – définissent le vœu « une promesse faite à Dieu », ils n’envisagent pas uniquement les vœux de religion, mais absolument toutes les sortes de vœux : depuis celui de réciter chaque jour telle ou telle prière jusqu’à celui de faire un pèlerinage si l’on est exaucé ou celui de vivre dans la chasteté parfaite. C’est une définition qui veut s’appliquer à tous.

De ce fait, si l’on n’y prend garde et si l’on se contente d’elle pour assurer sa compréhension du vœu de religion, on risque de ne plus apercevoir la spécificité de celui-ci. Le vœu de religion, comme tous les autres vœux, rentre alors sous l’accolade de la définition abstraite et universelle ; il est, parmi d’autres, une des formes de vœux ou d’engagements vis-à-vis de Dieu.

Or il n’est pas simplement une espèce de vœu ; il est le type même de tout vœu. Il est – si l’on nous permet de reprendre les mots de la logique traditionnelle – l’« analogue premier et principal », à partir duquel tous les autres vœux tirent leur sens et leur intelligibilité. Il n’est pas une forme d’engagement vis-à-vis de Dieu ; il est le type même de ce genre d’engagement, parce qu’il en est la forme parfaite et totale.

Pour saint Thomas, tout vœu, quel qu’il soit, est un acte de la vertu de religion [8], et celle-ci a pour but de tout ordonner au culte et au service de Dieu [9] ; mais, si la plupart des vœux se limitent à un objet déterminé, le vœu de religion, lui, consacre à Dieu la totalité, précisément, de la personne et de la vie [10]. Il réalise donc la perfection du vœu ; il est le vœu par excellence, et c’est lui, en vérité, qui fait comprendre les autres [11].

Le mot « promissio » de la définition classique du vœu risque aussi de nous engager sur une mauvaise voie. Sa signification est essentiellement liée au futur : je promets que je ferai ou donnerai quelque chose. Même s’il m’arrive de dire : « je me promets à toi », cela signifie : « je te promets que je serai à toi ». Le verbe « promettre » a donc toujours un complément d’objet direct, même si ce dernier reste inexprimé : l’action future qui est promise [12]. Cela étant, si l’on réfléchit aux vœux de religion uniquement en termes de « promesse », on ne pourra que les concevoir d’une manière trop objective : « je promets de vivre dans la pauvreté, la chasteté, l’obéissance » (et non : « je me voue à Toi maintenant dans la pauvreté, la chasteté, l’obéissance » ; on sent toute la différence entre les deux formules). Sens, on le voit, plus objectif que subjectif : on promet des choses ou des actions, non soi-même. Et si l’on veut corriger en précisant que c’est soi-même que l’on promet, on n’exprime pas encore alors l’actualité même du don de soi dans le vœu, répondant à l’actualité de l’emprise de Dieu sur celui qui se donne. Ce qui est encore plus dommageable, c’est que ce sens trop « objectif » des vœux conduit presque nécessairement à un sens trop étroitement moral ; ils signifient alors : « je promets d’observer la pauvreté, la chasteté, l’obéissance ».

Il apparaît ainsi que le mot de « promesse » est loin d’être sans danger quand on cherche à comprendre les vœux de religion. Il n’y est pas déplacé – nous le verrons plus loin – mais il faut prendre garde à ses harmoniques.

En fait, beaucoup de présentations des vœux de religion en restent à cette conception « objective », extérieure, étroitement morale, dont nous venons de parler. On a repris la définition de saint Thomas, mais on a négligé l’ensemble de la théologie où elle s’insérait : la théologie de la vertu de « religion », informée par la « charité », et de la « dévotion », qui, pour lui, donnent aux vœux leur dimension mystique [13].

Les vœux de religion ne sont donc pas une promesse faite à Dieu – fût-ce celle de vivre dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance – ; ils sont le don de tout mon être à Lui. Et puisque la totalité de mon existence est déterminée par les trois sphères essentielles auxquelles répondent pauvreté, chasteté et obéissance, je ne pourrai vouer la totalité de mon être qu’en vouant aussi pauvreté, chasteté, obéissance [14]. Je ne promets, je ne voue ces trois choses, que pour me vouer moi-même, me consacrer moi-même, livrer la totalité de mon être à la consécration de Dieu, accepter son emprise sur tout ce que je suis. Avant d’être de l’ordre de l’avoir, ou même de l’ordre de l’agir, la consécration religieuse est de l’ordre de l’être [15]. Elle ne promet pas quelque chose, elle se consacre soi-même. Elle n’est pas que morale ou ascétique, elle est aussi mystique : elle est ontologiquement transformante par une action de l’Esprit. Pour le voir en toute clarté, il nous faut regarder Jésus, le Seigneur.

III. Dans le Christ Jésus, notre Seigneur

En mourant, Jésus dit : « Tout est consommé » (Jn 19,30, avec 28) : dans la mort de Jésus, l’histoire humaine tout entière parvient à sa consommation, à son sommet. Un homme de notre race a été « jusqu’au bout de l’amour » (Jn 13,1) ; il a fait de sa mort un acte parfait d’amour, s’abandonnant sans réserve entre les mains du Père (Lc 23,46) et entre les mains de ses frères pécheurs (Lc 23,33-34). Cet Acte est indépassable : il porte d’un coup l’histoire à son accomplissement, et si celle-ci continue, c’est pour que les hommes entrent dans cet Acte, le fassent leur, acceptant d’être pris en lui, sanctifiés, consacrés par lui, qui les transforme et leur permet d’aller, eux aussi, « jusqu’au bout de l’amour ». L’Acte de mourir de Jésus sur la Croix est l’acte auquel l’humanité entière est suspendue, l’Acte qui la sanctifie et la consacre tout entière dans l’amour.

Cet acte de mourir, Jésus l’a anticipé symboliquement, c’est-à-dire réellement et d’une manière merveilleusement significative pour nous, à la Cène. La veille de sa mort, pour la gloire du Père et la joie de ses frères, Jésus se fait pain des hommes. Il prend le pain qui est son corps ; anticipant sa mort, il prend en main la totalité de son être et de son existence, il se prend lui-même et il se rompt ; « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » : il se rompt lui-même, avant même d’être rompu par nous tous, ses frères pécheurs ; il se partage : consommant sa mort à lui-même, il devient capable de se multiplier comme au-delà de lui-même ; il devient capable de se partager entre tous dans un partage où il est vraiment tout entier à chacun ; il passe au Père dans les autres, et, nous regardant tous, il dit : « Mon Corps, c’est vous ». La Parole par laquelle il se livre est efficace : il est déjà mort, il vit déjà au cœur des siens. La Passion ne fera qu’accomplir ce qu’il a dit ; les hommes seraient d’ailleurs bien incapables de faire mourir celui qui est la Vie, s’il ne voulait lui-même mourir pour eux et par eux, dans l’amour.

Mais, à la Cène, Jésus dit : « Faites ceci en mémoire de moi ». « Ceci » n’est pas simplement le rite à réitérer, c’est l’Acte posé ce soir-là. L’Église est tout entière invitée à entrer dans l’Acte qui la sauve et la consacre : nous sommes sauvés, nous faisons de notre vie un acte d’amour parfait dans la mesure où « nous faisons ceci en mémoire de Lui », dans la mesure où nous nous prenons, où nous nous rompons dans la mort à nous-mêmes et où nous devenons réellement le pain des autres, à la gloire du Père.

L’Acte de mourir de Jésus, son acte parfait d’amour, est re-présenté (rendu présent dans un symbole) à l’humanité, jusqu’à la fin des siècles, dans l’eucharistie. La messe est le moment où cet Acte nous rejoint et où nous le laissons s’emparer de nous, nous consacrer et nous « transsubstantier », pour que nous aussi, nous allions « jusqu’au bout de l’amour ».

Notre consécration par lui, notre passage au Père et dans les autres, notre « transsubstantiation » en amour subsistant ne s’accomplira totalement que dans notre acte de mourir. Avant lui, nous ne parvenons pas pleinement à nous totaliser dans l’amour, nos actes restent dispersés dans le temps et l’espace et nous n’arrivons pas à les unifier dans un acte simple. Dans cet état, nous restons polarisés par le désir d’un acte vraiment totalisant, où nous nous fixerons nous-mêmes, définitivement et pour l’éternité, dans l’Amour de Dieu et des autres : cet acte sera celui de notre mort. Nous n’arrivons pas à l’anticiper parfaitement, mais nous nous préparons à cet acte parfait d’amour, en nous livrant, grâce à l’eucharistie, à l’emprise de l’Acte de Jésus sur toute notre vie.

Tous les chrétiens vivent cela, mais les religieux sont appelés à anticiper (d’une anticipation imparfaite, nous venons de le dire, mais cependant réelle) plus visiblement cette mort bienheureuse, pour la gloire de Jésus, le « Premier-Né », et pour la vie de l’Église, appelée tout entière, à travers la mort de son Bien-Aimé, à vivre eschatologiquement.

Le vœu de religion est l’acte par lequel un chrétien anticipe, dans la joie – parce qu’il en connaît le sens – sa mort pauvre, chaste, obéissante. C’est l’acte par lequel il se livre à l’emprise eucharistique de l’Acte de mourir de Jésus, à l’emprise de son Acte parfait d’amour, pour être lui-même consacré, par cet Acte, dans l’amour du Père et de tous les hommes. C’est l’anticipation réelle (autant qu’il est possible, à l’homo viator que nous restons, de transcender le temps et de le totaliser déjà, en engageant tout notre avenir, à l’avance, dans la fidélité) de l’acte totalisant et définitif de notre mort, où nous conformons toute notre vie à la mort eucharistique de Jésus.

Le vœu de religion est ainsi lié par essence à la consécration eucharistique [16]. Il imite le « vœu » de Jésus à la Cène, par lequel Il anticipa sa mort et se consacra lui-même [17] ; il ne peut être posé que parce que cet Acte de Jésus nous est représenté, tout au long de notre vie, dans le sacrifice eucharistique ; il fait pénétrer dans une vie de « communion » qui exprime, aux yeux de tous, la joie du monde contenue en la mort de Jésus.

Le vœu de religion, l’acte de se vouer, imite ainsi le mieux possible l’acte de mourir lui-même [18] ; il a le même caractère totalisant : il engage toute la personne et toute la vie [19], et le même caractère définitif : il est posé pour l’éternité [20]. Ainsi il unifie et simplifie déjà tout l’être dans l’amour.

Cependant, nous l’avons dit, l’anticipation de la mort ne peut être parfaite : la charité, en nous, se nourrit d’espérance : tout en vivant déjà l’amour définitif, nous attendons encore sa consommation. De ce fait, le vœu de religion inclut toujours une attente, et notre don demeure une promesse de nous livrer dans la mort. Nous retrouvons ainsi, mais en le précisant, l’aspect « promesse » de la définition classique (ainsi que la signification seconde du mot « vœu » : souhait, désir, attente).

IV. Un ou trois vœux ?

Nous avons parlé plusieurs fois du vœu de religion au singulier [21]. Notre réflexion nous a amenés, en effet, à insister davantage sur la simplicité de l’acte de se vouer, plutôt que sur les actions que l’on voue. Cet acte est simple, car il engage envers Dieu la personne dans sa singularité même : le vœu est un acte éminemment personnel, et qui ne se comprend que de personne à Personne. Cet acte simple ne se diffracte en trois vœux que parce que, en engageant la personne dans ce qu’elle a de plus personnel, il engage aussi la totalité de son existence, et que, pour exprimer cette totalité, il faut bien détailler les trois sphères qui définissent la vie humaine, et auxquelles répondent les trois vœux de religion. Selon que l’on insistera sur le caractère personnel ou sur le caractère totalitaire de la consécration religieuse, on insistera sur le caractère unique ou triple du vœu de religion [22].

Nous avons insisté sur l’enracinement des trois vœux dans l’acte simple de se vouer soi-même. Après avoir ainsi montré la priorité de l’être sur l’avoir et sur l’agir, il faut pourtant ajouter que nous nous faisons être. Il y a toute une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur, et si l’extérieur n’est rien sans l’intérieur, l’intérieur également demeure irréel sans l’extérieur. Ce sont nos actes répétés de pauvreté, de chasteté, d’obéissance qui nous font pauvres, chastes, obéissants, qui mortifient et vivifient, progressivement, la totalité de notre existence, pour que nous ne soyons plus, finalement, qu’amour. Il ne faut pas réduire la vie spirituelle à son aspect ascétique, mais il faut se souvenir aussi qu’il n’y a pas de mystique sans ascétisme. Nous y reviendrons plus loin d’ailleurs.

V. Sens ecclésial du vœu public

L’Église est un mystère de réciprocité, où « nos vocations particulières ne se complètent pas dans une sorte de juxtaposition, mais (...) s’appartiennent réciproquement et reçoivent leur sens les unes des autres [23] ». Pauvreté, chasteté, obéissance sont des dimensions constitutives de l’Amour que Dieu donne à l’Église de vivre, et toute l’Église est appelée à entrer dans la réalité béatifiante de la mort pauvre, chaste et obéissante de Jésus. Mais tous les chrétiens ne sont pas appelés à anticiper aussi visiblement cette mort : c’est la vocation des religieux. Cependant, précisément parce que les religieux ne font rien d’autre que de vivre une dimension constitutive de toute l’Église, l’Église se reconnaît – au sens le plus beau et le plus plénier du mot – dans la vie religieuse : elle y reconnaît quelque chose d’elle-même et de son mystère essentiel. Cette reconnaissance mutuelle est, pour la vie religieuse, une confirmation de l’authenticité spirituelle de sa voie [24] et, pour l’Église, la joie, pleine d’espérance, de se voir déjà dans son accomplissement final [25].

Pour que ce mystère de reconnaissance et de réciprocité puisse avoir lieu dans l’Église, il faut que le vœu soit public. Quelqu’un qui aurait fait vœu privé de pauvreté, chasteté, obéissance, ne serait pas « religieux » au sens strict, nous semble-t-il ; il serait un laïc en qui apparaîtrait déjà quelque chose de l’idéal eschatologique de l’Église, mais il ne représenterait pas aussi visiblement, ni publiquement, à l’Église entière, cet idéal.

Le religieux ne fait pas vœu simplement pour lui-même. C’est un acte ecclésial, posé dans l’Église et pour l’Église ; pour les autres et à la demande des autres, qui appellent ce « signe » de ce qu’ils ont à vivre, peut-être dans un état de vie différent.

Le moment où quelqu’un se voue à Dieu pour toujours est aussi le moment où l’Église reconnaît qu’il vit déjà, d’une manière stable, son idéal eschatologique à elle de participation au Mystère de mort et de résurrection de Jésus, et que ce Mystère l’a déjà transformé, « transsubstantié », consacré. On voit par là combien l’acte du vœu n’a rien à voir avec une offrande « volontariste » ; il est plutôt la reconnaissance, par l’Église et par soi, d’un fait, d’une transformation déjà opérée [26].

Cette reconnaissance et ce discernement, l’Église les accomplit, évidemment, surtout à travers l’Ordre, la Congrégation ou la communauté bien déterminés où le religieux est entré, mais de soi, ils sont opérés au nom de toute l’Église [27]. Il faut distinguer le sens ecclésial de tout vœu public (la vocation du religieux prend sens pour et par tous les chrétiens) et l’aspect communautaire de ce même vœu.

Posé dans une communauté religieuse particulière, mon vœu y prend aussi des significations nouvelles. Il implique que je reconnaisse dans le groupe de frères ou de sœurs auquel je m’agrège la réalisation (toujours imparfaite, bien sûr) de l’appel particulier que j’ai moi-même reçu de Dieu, et que ce groupe reconnaisse en moi la réalisation, déjà concrète, de son idéal. Il dit que c’est avec ce groupe déterminé que je veux « signifier » à l’Église ma vie religieuse ; il dit aussi à ce groupe que j’attends d’être aidé par lui à vivre toujours davantage ma consécration et que je m’engage à me laisser aider. C’est avec mes frères que je me voue à Dieu, afin que nous soyons ensemble une communauté de consécration.

VI. Des vœux temporaires ?

Si les vœux de religion consistent simplement à promettre un certain nombre de choses à Dieu, ils peuvent bien être temporaires : je puis promettre de me soumettre à un supérieur, de vivre dans la continence et d’observer la pauvreté pendant un an. Mais si le vœu de religion consiste essentiellement à se vouer soi-même, s’il veut anticiper l’acte de mourir où l’on s’ouvre à l’éternité de Dieu dans un « oui » définitif et irrévocable, alors il ne peut être qu’un engagement pour toujours. Il est vraiment de l’essence du vœu de religion d’être perpétuel.

Mais alors, comment en est-on venu à parler de « vœu temporaire » ? Remarquons d’abord que cette manière de parler n’a fait son apparition qu’au XIXe siècle :

« Le problème de l’engagement temporaire préparant l’engagement définitif ne s’est pas posé avant le XIXe siècle. Jusque-là on ne connaissait dans les Instituts à vœux simples perpétuels qu’un seul engagement, d’emblée définitif, émis après un temps de probation appelé noviciat ne dépassant pas, généralement, deux ans. C’est au cours du XIXe siècle et sous l’effet des mutations de la société que les inconvénients de ce système apparaissent : on constate que la période probatoire, telle qu’elle a été peu à peu réglementée, laisse à désirer du point de vue pédagogique, et quant à sa durée, qui est trop courte, et quant à son mode de vie, qui est trop éloigné de celui auquel les novices sont destinés. La solution qui se fait jour consiste à intercaler entre le noviciat et l’engagement définitif une période de vœux temporaires [28]. »

Mais l’expression de « vœux temporaires » comporte de nombreux inconvénients. Elle ne peut viser que les choses que l’on voue et non l’acte de se vouer soi-même à Dieu, qui ne peut être que perpétuel, nous l’avons vu. Elle induit ainsi à oublier le caractère singulier du vœu de religion. De ce fait aussi, elle amène à ne plus en considérer que le caractère moral, ascétique, voire juridique, au détriment de son caractère mystique et proprement « religieux ». Elle rabaisse ainsi le vœu de religion au niveau des vœux ordinaires et accentue par là le danger d’entendre d’une manière univoque la définition classique du « vœu, promesse faite à Dieu » (cf. plus haut notre § II).

L’institution des vœux temporaires risque aussi d’introduire, dans la « reconnaissance ecclésiale » dont nous avons parlé, une grave distorsion : d’une part, on dit que, du côté de celui qui fait ses vœux temporaires, ceux-ci doivent être cependant considérés comme virtuellement perpétuels et comme inconditionnés, et celui qui les fait a conscience d’être reconnu par l’Église comme posant vraiment un vœu de religion [29] (de soi perpétuel), et d’autre part ce vœu n’est pas ouvertement et publiquement reconnu comme perpétuel et inconditionné : l’Église le déclare officiellement comme pouvant être provisoire. Cette situation fausse risque d’obnubiler complètement le sens profond de la reconnaissance ecclésiale qui a lieu dans le vœu public de religion, ainsi que la conscience claire du rapport existant entre la vie religieuse et l’Église.

Il faut le reconnaître : « un problème de fond se pose ici. Le système des vœux temporaires ne souffre-t-il pas d’une certaine ambiguïté interne ? Introduit pour établir une transition entre le noviciat et la vie définitivement engagée, n’est-il pas une sorte de compromis entre les deux ? On veut à la fois sauvegarder d’une part l’avantage d’une profession, avec ses conséquences, consécration à Dieu, agrégation à l’Institut, et d’autre part prolonger la probation dans l’hypothèse d’une prise de conscience de non-vocation. On engage les novices dans un processus qui débouche normalement sur la profession perpétuelle, tout en se réservant d’y mettre fin en cours de route. N’y a-t-il pas là une situation hybride, qui tient à la fois du définitif et du provisoire, du don sans retour et de l’essai [30] ? »

Il nous semble donc que la notion de « vœu temporaire » a quelque chose de contradictoire [31]. La notion générale de « vœu » (cf. § II) ne répugne pas à être accolée à l’adjectif « temporaire », mais dès qu’il s’agit du vœu de religion, elle ne peut plus le supporter. L’idée de « vœu temporaire » risque de pervertir, ou tout au moins d’affaiblir considérablement, la pleine signification du vœu de religion. Aussi serait-il souhaitable, croyons-nous, qu’on l’abandonne [32]. D’autant que pour la remplacer, la tradition chrétienne [33], la théologie du vœu elle-même [34] et, maintenant, l’Instruction Renovationis causam nous offrent une autre possibilité : celle de la « promesse ».

En voulant ainsi « réserver le nom de vœu », quand il s’agit des vœux de religion, au seul engagement perpétuel, pour « ne plus parler que de promesses dans tous les autres cas [35] », nous dépassons la lettre de Renovationis causam, nous en sommes bien conscients [36] ; cependant, on en arrive là, croyons-nous, si l’on va jusqu’au bout de l’intention de ce document qui veut, ainsi que nous l’avons vu, restaurer la pleine signification de la profession perpétuelle. Il est urgent, en effet, de remettre en lumière le sens profond du vœu de religion [37].

VII. Vœu et promesse

Connaître une chose, ce n’est pas seulement en saisir exactement la nature ou l’essence, c’est aussi en comprendre la genèse et le devenir. Cela est vrai du vœu également.

Nous avons jusqu’ici essayé de mieux apercevoir l’essence du vœu de religion. Cela nous a amené à insister sur son aspect mystique plutôt que moral ou ascétique, sur le fait qu’il concerne l’être de la personne plus encore que son avoir ou son agir. Plutôt que l’acte d’une générosité qui s’offre, avons-nous vu, il est la reconnaissance d’une emprise déjà actuelle de l’Acte de Jésus et d’une transformation déjà opérée par lui ; c’est ainsi qu’il anticipe vraiment et paisiblement l’acte de ressusciter à travers la mort.

Mais ce n’est pas du jour au lendemain que s’effectue cette conversion de la générosité naturelle au consentement plus passif, ou, pour parler encore en termes thomistes, de la magnanimité à l’humilité. Il y faut du temps et, osons le dire, des efforts longs et répétés. On n’accède pas au niveau mystique sans passer par l’ascèse. Et c’est par l’action, répétons-le, que nous nous faisons être : c’est par des actes répétés de pauvreté, chasteté, obéissance, que je finis par être pauvre, chaste, obéissant. Je dois d’abord m’offrir et me consacrer à Dieu dans une générosité totale pour que Dieu puisse me consacrer.

Depuis toujours les auteurs spirituels ont insisté sur la nécessité de ce premier moment de générosité, d’ascèse et d’activité plus intense, pour pouvoir accéder, dans un second temps, à un état d’abandon et de passivité plus grand. Ces deux moments sont constitutifs de tout itinéraire spirituel, et nous les retrouvons aussi dans l’acheminement à la consécration religieuse.

Après avoir insisté sur le second temps, celui du vœu et de la consécration, parce que, seul, il répond pleinement à l’essence de la vie religieuse, il nous faut maintenant, nous plaçant au point de vue du devenir de cet acte et du chemin qui y conduit, insister sur la nécessité du premier.

Tâchons d’abord de définir avec plus de précision ces deux moments ou étapes qui constituent l’histoire de la consécration religieuse :

1) Dans le premier, on s’offre à Dieu avec une générosité totale ; on s’engage dans une communauté éducative où l’on va vivre déjà dans la pauvreté, la chasteté, l’obéissance. Ce faisant, on accepte déjà l’emprise sur sa vie de l’acte de mourir de Jésus, mais on vit cette emprise sur un mode plus actif que passif. On se consacre soi-même, mais on veut se préparer à se laisser de plus en plus consacrer par un Autre. On ne se possède pas encore vraiment, car on n’est pas encore vraiment possédé par Dieu. On ne s’est pas encore vraiment trouvé soi-même, on n’est pas encore vraiment devenu soi-même : on ne peut donc se donner soi-même qu’en donnant ses actes. On ressent surtout la totalité de l’offrande à faire : on promet la pauvreté, la chasteté et l’obéissance, mais sans que cette triple offrande, faite déjà avec une générosité entière, parvienne encore à se simplifier dans l’abandon de soi.

2) Progressivement, par ces actes répétés d’offrande, on devient « souple sous la main de Dieu ». On lui permet de nous transformer. Une conversion s’effectue par une passivité plus grande. Les choses se simplifient. On se trouve en Dieu. L’Acte de Jésus devient la loi de la vie : on y trouve sa souffrance et sa joie. Son « Heure », qui nous esseule, nous comble. Nous sommes étonnés qu’il nous ait ainsi transformés, consacrés, « transsubstantiés ». L’Église aussi en est étonnée, et notre vœu vient célébrer dans l’action de grâce ce que le Seigneur a fait pour nous [38].

Si le « vœu » exprime bien ce second moment de toute vie religieuse, remarquons que la « promesse » exprime tout aussi bien le premier [39].

Dans le premier, on doit encore offrir surtout des choses et des actes pour se donner soi-même ; or – nous l’avons noté – le verbe « promettre » (à la différence du verbe « vouer », qui reçoit facilement pour complément un pronom réfléchi) ne s’emploie guère qu’en ce sens transitif ; son usage avec un pronom réfléchi est rare.

Dans ce premier moment aussi, le don de soi, bien que décidé en principe et offert généreusement, reste encore surtout un objet d’espérance. Nous ne pouvons nous donner réellement si Dieu ne nous « prend ». On attend donc encore l’œuvre transformante du Seigneur et l’on s’y prépare au jour le jour dans l’exercice et l’ascèse. Mais le verbe « promettre », précisément – nous l’avons vu également – contient toujours cette référence à l’avenir : alors que « se vouer » marque l’actualité même du don, le don qui est « promis » n’est pas encore totalement accompli [40]. Et pour cette raison, si l’action de « se vouer » s’accompagne d’une parole, elle appartient cependant essentiellement à l’ordre de l’acte, tandis que la promesse relève davantage de la parole donnée [41].

Ainsi le langage lui-même fait clairement entendre la différence qu’il y a entre « vœu » et « promesse ». Et cette différence sémantique correspond bien aux deux moments spirituels que nous avons distingués dans l’itinéraire de la consécration religieuse. Ce vocabulaire et cette distinction sont aussi en accord profond avec l’Écriture. Comme on le sait, la « promesse » est un vieux thème biblique. Dieu veut tout donner à l’homme, mais l’homme est tellement dépassé par Dieu et le Don est tel que l’homme ne peut le recevoir en un instant ; il ne peut le recevoir qu’avec le temps. Le Don de Dieu détermine ainsi un histoire du salut et, dans un premier temps, le Don ne peut être fait que sous la forme d’une Promesse [42] ; puis, en un second temps, vient l’Accomplissement, la consécration plénière de l’humanité par le Don de Dieu en Jésus-Christ. Cette dialectique des deux Testaments, cette structure de l’histoire du salut se retrouve nécessairement en toute histoire personnelle. A la Promesse de Dieu ne répond d’abord que la promesse de l’homme, puis, la transformation de l’homme s’accomplissant grâce à la promesse, peut venir la consécration plénière, – dans le cas qui nous occupe, le vœu.

Mais la promesse est tout entière polarisée par le vœu ; elle n’en est, en quelque sorte, que le premier moment. C’est pourquoi, si elle ne comporte pas toute la plénitude de transformation du vœu, elle en a pourtant toute la forme [43]. Nous pensons donc qu’on ne peut limiter la promesse à « une promesse à l’Institut ». Elle s’adresse à l’Institut et à Dieu [44]. Ce n’est qu’ainsi que la promesse garde son rapport organique au vœu et reste à celui-ci une initiation réelle.

La limiter à une promesse aux hommes serait, à notre avis, en pervertir dangereusement le sens : on introduirait ainsi une regrettable dichotomie entre la relation à Dieu et la reconnaissance ecclésiale, ce qui serait tout le contraire d’éducatif ; cela ne répondrait pas non plus à la réalité de l’histoire sainte des jeunes religieux et religieuses [45].

La promesse, parce qu’elle conduit à autre chose qu’elle, au vœu, est, par nature, conditionnelle. Cette condition pourrait s’expliciter comme suit : « Si Dieu confirme par un vœu le don que je lui fais de toute ma générosité et si l’Église, à travers ma Congrégation, reconnaît en moi un religieux pour l’éternité ». Elle est aussi, de ce fait, temporaire.

Mais il faut bien comprendre ce caractère temporaire, et ne pas retomber dans les inconvénients des « vœux temporaires ». Sinon, nous aurions seulement changé de mot ou d’étiquette.

Les deux moments spirituels que nous visons par « promesse » et « vœu » ne s’opposent pas exactement l’un à l’autre comme « temporaire » et « perpétuel », au sens où l’une serait faite seulement pour un laps de temps déterminé et l’autre pour la vie. Déjà dans le système des vœux temporaires, on disait, pour respecter ce qui était en fait vécu par ceux qui s’engageaient de la sorte, que le vœu était virtuellement perpétuel. Il est bien évident que faire une promesse pour un ou trois ans n’a pas plus de sens que faire un vœu temporaire pour le même temps. Dans ce cas, nous aurions simplement changé de mot et remplacé le vœu temporaire par une promesse temporaire. Changement qui n’est pas sans signification, puisque, nous l’avons vu, le mot « promesse » est entendu par tous comme signifiant un engagement moins total que le mot « vœu », mais changement qui n’est peut-être pas assez profond. Nous nous demandons vraiment s’il ne faut pas en finir avec ces engagements temporaires, avec ce morcellement de l’itinéraire spirituel des personnes et ce découpage, quand il s’agit du don absolu de soi.

La promesse, comme la profession, ne doit être, nous semble-t-il, posée qu’une fois. Le terme chronologique de son expiration n’a pas à être fixé, car ce terme n’est pas d’abord chronologique, il est spirituel : c’est le « moment » où je pourrai faire vœu, ou bien le moment où je reconnaîtrais, avec l’aide des autres, que je ne suis pas appelé à la vie religieuse.

Ainsi, la promesse est temporaire dans le sens qu’elle conduit à autre chose, mais non pas dans le sens qu’elle est offerte pour un laps de temps déterminé. Non, par elle, on fait le premier pas vers la profession religieuse qui est perpétuelle ; on doit donc déjà avoir l’intention d’être religieux pour la vie. La promesse n’est pas un engagement perpétuel, mais on ne peut la faire sans l’intention du vœu, et donc sans l’intention de se donner un jour réellement pour toujours. À notre sens, d’ailleurs, on ne peut admettre quelqu’un au noviciat, « par lequel commence la vie religieuse [46] », sans cette intention-là, déjà clairement présente. Avant cela, le candidat peut être accueilli dans un « pré-noviciat », il peut même partager quasi en tout la vie d’une communauté religieuse et même y faire une promesse de stabilité pour un temps déterminé, mais cette promesse n’a encore rien à voir avec celle dont nous parlons ici et qui correspond au temps du noviciat.

Celle-ci inclut donc, selon nous, l’intention du vœu perpétuel et ne nous semble pas devoir être répétée [47]. Le découpage des engagements en tranches chronologiques et la répétition qui en découle ne nous paraissent pas profitables à une authentique maturation d’un engagement perpétuel. Il nous semble souvent plus profitable de conseiller à quelqu’un d’attendre plus longtemps avant de faire sa promesse, pour qu’il la fasse alors d’une manière plus consciente, que de lui permettre de la faire tout de suite pour un temps déterminé : cette dernière solution produit une tension spirituelle moins féconde et ne fait pas mûrir dans le sens d’un engagement définitif. De plus, la répétition et la multiplication des engagements nous semblent un signe d’immaturité [48], et ne sont donc pas aptes à obtenir ce que nous cherchons.

La promesse conduit donc au vœu. Mais pour qu’elle puisse conduire vraiment au vœu public, qui est le dernier moment de la consécration religieuse, moment où l’Église « reconnaît » comme religieux, c’est-à-dire comme ressuscité, comme vivant de l’Esprit, quelqu’un qui a organisé sa vie en fonction de la mort d’amour du Christ, il faut qu’elle ait effectivement fait « mourir » celui qui s’est offert. Cela n’est pas possible au moment où la promesse est offerte, mais cela doit avoir lieu. Nous nous demandons si cela pourra se faire sans que, à un moment donné, celui qui a fait promesse ne se voue pas effectivement et pour toujours, dans un vœu privé de pauvreté, chasteté, obéissance. Si ce vœu perpétuel intérieur n’a pas déjà eu lieu et n’est pas effectivement vécu comme tel, l’Église pourra-t-elle jamais reconnaître en nous quelqu’un qui est un religieux ?

Pour plus de facilité, nous n’avons distingué plus haut que deux moments : promesse et vœu. En fait, s’il fallait préciser tous les moments de l’itinéraire, il faudrait peut-être en marquer trois : promesse – vœu privé – vœu public.

Cela a été manifestement un des buts de Renovationis causam de coller plus étroitement à l’itinéraire spirituel des jeunes religieux et religieuses pour déterminer les différentes étapes de la formation. On a reproché cependant au document de rester encore à mi-chemin, de ne pas se contenter de définir ces étapes (pré-noviciat, noviciat, etc.) comme « moments spirituels », mais de vouloir encore fixer des repères « chronologiques ».

Si nous essayons de transposer l’itinéraire spirituel que nous avons reconnu dans des « étapes de formation », à quoi arriverions-nous ? La « promesse », au sens où nous l’avons définie, pourrait marquer l’entrée au noviciat proprement dit. C’est par celui-ci en effet que « débute la vie religieuse ». Quelle que soit la fin particulière de l’Institut, il « a pour but principal d’initier les novices aux exigences essentielles de la vie religieuse, ainsi qu’à la mise en pratique, en vue d’une charité plus parfaite, des conseils évangéliques de chasteté, pauvreté, obéissance, auxquels il devra un jour s’engager par des vœux » (R.C. 13, I). Le temps du noviciat (nous croyons malgré tout, étant donné ce que nous disions plus haut, que, tout en étant très attentif au rythme de chacun et à son itinéraire spirituel personnel, il vaut mieux fixer une « durée normale » pour le noviciat, de sorte que le novice ait un horizon précis vers lequel il doit tendre : les « échéances » peuvent être mûrissantes) s’achèverait normalement par un vœu privé [49]. Celui-ci, à la différence de la promesse, n’est déjà plus conditionnel ni temporaire, mais il n’est pas encore public. C’est avec le vœu public, la « profession », que s’achève la formation (R.C. le dit très clairement : 35, I ; mais il ne faut pas oublier d’autre part que nous devons rester perpétuellement « en formation »... : cf. Perfectae caritatis 19) [50].

Au moment où la promesse porte son fruit et devient vœu, ce vœu, pour autant, ne cesse pas d’être une promesse, car celui qui fait vœu n’est pas au bout de son itinéraire spirituel et il attend toujours l’« heure » où la résurrection ne sera plus « anticipée », mais pleinement actuelle, dans l’éternité. Le vœu de religion peut donc encore s’appeler « promesse faite à Dieu ». Le tout est de ne pas aplatir le sens de cette définition, de ne pas l’entendre d’une manière univoque et de comprendre un peu qu’à chaque étape de l’itinéraire spirituel correspond un engagement qui met en œuvre les relations dialectiques vœu-promesse, relations qui varient entre elles selon l’étape où on se trouve.

Nous avons tâché d’esquisser ces moments et ces relations. Nous ne nous flattons pas d’avoir réussi. Nous espérons seulement avoir suscité la réflexion et l’approfondissement.

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[1AAS, 1969, 103-120 ; texte français dans Vie consacrée, 1969, 113-130. Le P. Benoist d’Azy, m.b., a donné de ce texte (que nous citerons désormais : R.C.) un commentaire détaillé et approfondi dans le Supplément de la Vie spirituelle, 1969, 525-562. De même E. Gambari, L’Aggiornamento de la formation à la vie religieuse, Commentaire de l’Instruction « Renovationis causam », Paris, Apostolat des Éditions, 1970.

[2Exceptionnellement, les notes de cet article ont été groupées à la fin de celui-ci ; nous l’avons fait à cause de la longueur de certaines d’entre elles, avant tout destinées à ceux qui voudraient approfondir la question du point de vue théologique, biblique, canonique.

[3La formation plus progressive préconisée par R.C. a pour but « qu’au moment de prononcer ses vœux perpétuels, le religieux soit parvenu au degré de maturité spirituelle requis » (R.C. 6) ; tout engagement temporaire doit déjà « porter d’une certaine manière sur les exigences des trois conseils évangéliques, afin d’être tout orienté vers l’unique profession perpétuelle, dont il doit être comme l’apprentissage et la préparation » (R.C. 7) ; la formation religieuse « doit trouver son achèvement dans une sérieuse préparation aux vœux perpétuels. Il est en effet souhaitable que cet acte unique et essentiel de la consécration perpétuelle d’un religieux à Dieu soit... » (R.C. 9) ; la formation est « définitivement réalisée à la profession perpétuelle » (R.C. 35, I) ; les principes de R.C. étant mis en pratique, « la profession religieuse unique et perpétuelle prendra ainsi toute sa signification » (R.C. 35, II). Plus précieux encore est peut-être le numéro 2 : « Les questions soulevées par la possibilité, concédée par la présente Instruction aux divers Instituts, de remplacer, s’ils le jugent opportun, les vœux temporaires (cet adjectif est tombé malencontreusement de la traduction française) par des engagements d’un autre ordre, nous font juger opportun de rappeler ici la nature et la valeur propre de la profession religieuse. Cette profession, par laquelle on s’oblige « par des vœux ou d’autres liens assimilés par leur nature même aux vœux » (Lumen Gentium 44), à la pratique des trois conseils évangéliques constitue une consécration totale à Dieu, seul digne d’un don aussi radical de la part d’une personne humaine. Il est plus conforme à la nature d’un tel don de trouver son achèvement et son expression dans la profession perpétuelle, qu’elle soit simple ou solennelle. En effet, « cette consécration sera d’autant plus parfaite que des liens plus fermes et plus stables reproduiront davantage l’image du Christ uni à son Église par un lien indissoluble » (ibid.). La profession religieuse constitue ainsi un acte de religion et une spéciale consécration par laquelle quelqu’un se voue (se devovet : ce verbe – où nous retrouvons la racine du mot « vœu » et qui fait songer à la devotio, dont nous parlerons plus loin – a également disparu de la traduction française) à Dieu. » Le P. J. M. Fisch (« Vœux temporaires ou promesses temporaires ? », Vie consacrée, 1969, 305-307) nous semble résumer d’une manière aussi excellente que brève (305 en bas et 306 en haut) les deux intentions fondamentales de R.C. : valeur de la profession perpétuelle et souci de la progressivité.Nous avons dit qu’un des buts de R.C. était « la pleine restauration du sens des vœux perpétuels ». Or, on vient de le voir dans le dernier texte cité (comme en d’autres), le document parle plus directement de la profession perpétuelle, qui s’effectue, selon Lumen Gentium, « par des vœux ou d’autres liens assimilés par leur nature même aux vœux ». Cependant, il ressort du numéro 3 que R.C. considère les vœux publics et perpétuels comme l’élément vraiment constitutif de l’état religieux et que l’Instruction ne s’adresse directement qu’« aux Instituts religieux proprement dits », c’est-à-dire « dont les membres émettent les trois vœux publics et perpétuels de pauvreté, chasteté et obéissance » (P. Benoist d’Azy, art. cit., 530) ; ce numéro ajoute pourtant que les sociétés de vie commune sans vœux et les instituts séculiers pourront librement s’en inspirer. Cette possibilité constitue sans doute le motif pour lequel le numéro 2, qui est un numéro d’introduction, parle plutôt de « profession » que de « vœu » et cite cette phrase de Lumen Gentium 44, où le Concile n’a pas voulu, lui non plus, exclure de son enseignement les sociétés sans vœux. Il n’en reste pas moins que, pratiquement, étant donné ce numéro 3, c’est aux vœux perpétuels proprement dits qu’il faut songer chaque fois que R.C. parle de « profession perpétuelle ». En voulant, dans les pages qui suivent, restaurer plus nettement et plus précisément la notion elle-même de vœu, nous dépassons certes quelque peu la lettre de l’Instruction, mais nous restons, croyons-nous, dans la ligne de son intention.Posons-lui cependant, dès maintenant, quelques questions : Est-il vrai de dire qu’il est seulement « plus conforme » à la nature de la profession religieuse d’être « perpétuelle » ? Ne faut-il pas oser affirmer que ce caractère perpétuel appartient à l’essence même de la profession ? Le numéro 3 insinue une réponse affirmative à cette dernière question, tandis que le numéro 2 reste hésitant. N’est-il pas dangereux de discuter, comme on le fait, en appliquant aussi bien les concepts de « profession » et de « consécration » à des vœux temporaires qu’à des vœux perpétuels ? Sur ces points, la théologie de l’Instruction reste flottante et n’a pas réfléchi avec précision la différence et les rapports qu’il y a entre les notions de « profession », de « consécration » et de « vœu ».

[4« Le Chapitre général pourra, à une majorité des deux tiers des suffrages, décider de substituer, dans l’Institut, aux vœux temporaires, un engagement d’une autre nature, comme, par exemple, une promesse » (R.C. 34, I ; cf. aussi 2, 6 et 7). On le voit, la « promesse » n’est donnée que comme un exemple possible de cette substitution. Nous essayerons de montrer plus loin que – quelle que soit la multiplicité apparente des engagements différenciés du vœu (serments, promesses, « consécration », etc.) et des possibilités pour cette substitution – il n’y a cependant, au fond, que deux modalités essentielles de la consécration de soi à Dieu dans la ligne de la « vie religieuse » : la promesse et le vœu. C’est pourquoi nous ne retenons ici que la « promesse ».

[5La formule est de saint Thomas : Votum est promissio Deo facta (IIa IIae, 88, 1 et 2), qui s’est efforcé d’ailleurs, dans sa théologie du vœu, de synthétiser les Pères grecs et latins (cf. P. Séjourné, art. « Vœu » du D.T.C., col. 3187-3205). Elle fut reprise dans la suite par tous les théologiens, peut-on dire, avec de légères modifications parfois, et finalement fut adoptée, en 1917, par le Code de Droit canon (c. 1307). Elle se retrouve dans tous les manuels classiques : Cotel, Tanquerey, Creusen, etc.

[6Le n. 34, I parle d’une « promesse faite à l’Institut ». Cependant le n. 7, § 3 parle de cette promesse, que l’on pourra substituer aux vœux temporaires et par laquelle les novices pourront se lier, comme d’un engagement « correspondant davantage au double désir qu’ils ont de se lier à Dieu et à l’Institut et de s’engager à une préparation plus complète à la profession perpétuelle ». Il faut donc en conclure que la promesse est un engagement non seulement vis-à-vis de l’Institut, mais aussi vis-à-vis de Dieu. C’est en ce sens que, à bon droit, le P. A. de Bonhome a interprété R.C. (« Vœux temporaires ou promesse temporaire ? », Vie consacrée, 1969, 239). En effet, si l’on discute sur les deux textes en question, on doit remarquer : 1) que le n. 34, I, s’il ne reprend qu’une partie du n. 7 (« à l’Institut ») et laisse tomber l’autre (« à Dieu »), ne s’oppose cependant en rien à cette dernière affirmation ; il est simplement moins explicite et moins complet ; au contraire, la nécessité d’une certaine unité et d’une certaine ressemblance entre la promesse et la profession perpétuelle qui, elle, évidemment, est un engagement vis-à-vis de Dieu, est immédiatement montrée (n. 35, I) ; par conséquent, absolument rien n’indique qu’on doive se limiter, pour la compréhension de la promesse, à ce n. 34, I ; 2) dans le contexte, qui traite surtout de la communauté du noviciat et de l’entrée dans cette communauté éducative (32, I à 36), on peut comprendre qu’on n’ait parlé de la promesse que comme engagement « dans l’Institut » ; c’est cet aspect communautaire qui est à l’avant-plan dans tout le passage ; 3) enfin – et ceci nous semble décisif – si l’on hésite encore et si l’on se demande (à tort, car les deux textes ne se contredisent nullement ; ils se complètent simplement) lequel des deux textes en question doit être choisi comme interprète de l’autre, il n’y a pas à hésiter : le n. 7 doit être préféré ; il vient en effet dans la première partie du document dont le titre est « Principes et orientations » ; c’est donc là qu’il faut chercher les « principes » qui ont présidé à l’élaboration de l’Instruction et qui indiquent le sens dans lequel elle doit être interprétée ; le n. 34, au contraire, vient dans la troisième partie, intitulée « Normes spéciales », où le style change et se fait beaucoup plus bref : on est ici moins préoccupé de doctrine, et davantage de choses pratiques à mettre en œuvre.Une saine interprétation du texte ne peut donc faire de doute. Malgré cela, à la faveur du n. 34, I, qui, pris isolément, ne donne pas toute la clarté désirable sur le problème qu’on se pose, certains ont interprété la promesse dont parle R.C. comme ne pouvant se faire à Dieu, mais seulement à l’Institut ; ainsi, par exemple, E. Heston, C.S.C., « Vœux temporaires et promesses », dans Vie des communautés religieuses, 1969, 90 (par contre, E. Gambari, op. cit., qui fait lui aussi, comme le P. Heston, partie de la Congrégation des Religieux, dit que la promesse peut être faite à Dieu). Ce manque relatif de clarté du document sur ce point est-il dû à la présence des deux opinions dans la Commission qui l’a rédigé ? Évidemment, un Institut qui adopterait une promesse faite seulement à l’Institut ne serait pas en désaccord, juridiquement parlant, avec l’Instruction. Cette possibilité est laissée. Nous avons seulement voulu montrer que R.C. n’exclut pas non plus (et, au contraire, suggère) la promesse faite à l’Institut et à Dieu. Quoi qu’il en soit et même indépendamment des textes de R.C., nous essayerons de montrer plus loin que la promesse doit se faire en droit, non seulement à l’Institut, mais aussi à Dieu.

[7Puisque cette définition remonte à saint Thomas et que la théologie de ce dernier a été, historiquement, le point de départ de presque toute la réflexion occidentale subséquente sur les vœux, nous nous référerons plusieurs fois à lui, au cours de cette étude. Nous devons peut-être chercher un nouveau langage pour exprimer la vie religieuse, mais la première chose à faire pour cela est sans doute de chercher le sens authentique des expressions que, en attendant, nous sommes encore bien forcés d’employer.

[8IIa IIae, 88.

[9IIa IIae, 81.

[10IIa IIae, 186, 6 et 7.

[11À propos des vœux qu’il rencontrait dans l’Ancien Testament (« consécrations à Dieu de choses, d’actes ou de personnes » : cf. art. « Vœu » du Dictionnaire de la Bible de E. Vigouroux ou du Dictionnaire encyclopédique de la Bible, éd. Brepols, 1960 ; dans le Vocabulaire de Théologie Biblique, 2e éd., voir les références indiquées au mot « consacrer » ; dans le Vocabulaire biblique, publié sous la direction de J. J. von Allmen, consulter l’art. « Serment »), Origène remarquait déjà : « S’offrir soi-même et plaire à Dieu, non par le travail d’autrui, mais par sa propre peine, c’est là le plus parfait des vœux. Qui le fait est imitateur du Christ, qui, après avoir offert à l’homme le ciel et la terre, s’est finalement donné lui-même » (In numeros, hom. XXIV, c. 2-3, P.G. 12, 759 ; dans « Sources chrétiennes » n° 229, Paris, 1951, p. 466-467). Origène voyait ce « plus parfait des vœux » préfiguré dans l’Ancien Testament par le « grand vœu » du naziréat : « celui-là prend au sens spirituel l’offrande du nazir qui prend sa croix pour suivre le Christ » (ibid.).

[12Le sens général du verbe « promettre » indiqué par Robert est celui-ci : « Assurer à quelqu’un qu’on fera ou qu’on donnera quelque chose ». Remarquons-y trois choses : a) le complément d’objet direct : « faire ou donner quelque chose » ; b) le rapport au futur : « qu’on fera » ; c) qu’il s’agit avant tout d’une parole : « assurer ». Robert cite Lafaye, Dict. syn. : « ... promettre est évidemment moins fort que s’engager. En promettant vous faites naître des espérances ; en vous engageant vous donnez un droit ». Ces remarques ne sont pas sans intérêt pour qui réfléchit à la signification de la promesse et du vœu. On peut encore ajouter ceci : à la différence du verbe vouer qui s’emploie fréquemment au sens réfléchi (se vouer à quelqu’un ou à quelque chose), le verbe promettre ne s’emploie guère que transitivement. Comme nous l’avons vu, ce que l’on promet, c’est presque toujours quelque chose, ou bien de faire quelque chose ; il est rare qu’on se promette soi-même. Littré et Robert mentionnent bien la possibilité d’un emploi réfléchi de « promettre », mais avec peu d’exemples. Un sens approchant du sens réfléchi est celui du « mon promis » ou « ma promise » (usage qualifié par Robert de « vieilli » et de « régional ») ; mais il faut se souvenir que le « promis » n’est pas encore T « époux ».

[13Selon saint Thomas, l’âme des trois vœux, comme d’ailleurs de tous les actes de la vertu de religion, c’est la « dévotion » (il rapproche évidemment « devotio », « se devovere » et « votum »). Mais ce mot a, pour lui, une tout autre signification que celle, très édulcorée et affaiblie, qu’il reçoit le plus souvent dans notre langage. Tout d’abord, la « dévotion » est un acte. C’est même l’acte intérieur fondamental. Elle est l’acte par lequel la volonté se rend tout entière à Dieu, son Principe et sa Fin, dans l’amour : « Dévotion, dit-il, vient de « vouer » et l’on appellera « dévots » ceux qui, en quelque sorte, vouent à Dieu leur propre personne en un assujettissement total » (IIa IIae, 82, 1, avec les commentaires du P. Mennessier, O.P., dans l’édition de la Revue des Jeunes, Desclée, Paris, 1932, 247-250).

[14Le P. É. Pousset le montre d’une manière lumineuse dans « L’existence humaine et les trois vœux de religion », Vie consacrée, 1969, 65-94.

[15On trouvera un admirable développement de cette idée dans M. Zundel, « L’Esprit des vœux », La Vie Spirituelle, octobre 1933, 29-35.

[16En reliant ainsi consécration religieuse et consécration eucharistique, nous ne faisons qu’expliciter dans notre langage la théologie de saint Thomas. Celui-ci, on s’en souvient, rattache la consécration des vœux à la vertu de religion, et celle-ci est liée essentiellement au culte (cf. IIa IIae, 81, 82 et, en particulier, 88, art. 5). On comprend mieux, par là, pourquoi les vœux de religion sont ordinairement prononcés au cours de la célébration eucharistique.Ce sens eucharistique de la consécration religieuse n’avait pas échappé au P. Carpentier (cf. Témoins de la Cité de Dieu. Initiation à la vie religieuse, coll. « Museum Lessianum », Desclée De Brouwer, 9e éd., 1966, 68-74). Cf. aussi les n. 47 et 48 de la récente « Exhortation apostolique » de Paul VI aux religieux : Evangelica testificatio.

[17Tous les exégètes, peut-on dire, voient dans la Cène une anticipation volontaire, réalisée par Jésus, de sa Passion et de sa mort : « Ceci est mon corps, donné pour vous ; cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous (Lc 22,19-20). Mais certains (par ex. J. Jeremias) vont plus loin et reconnaissent explicitement une « formule de vœu » (« Je ne mangerai plus la Pâque jusqu’à ce que je meure ») telle que le judaïsme en connaissait, dans le verset introductif de l’institution en Luc : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ; car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse dans le Royaume de Dieu ». S’il en est ainsi, nous trouverions dans la vie de Jésus, en plus de l’anticipation eucharistique de sa mort qui fonde l’anticipation des vœux de religion, la présence d’un vœu au sens strict : notre imitation du Seigneur en recevrait un fondement plus explicite encore. Cette idée du « vœu du Christ » à la dernière Cène est développée et justifiée par M. Thurian, L’Eucharistie, Neuchâtel, 1959, 208 ss. Dans un très bel article sur « Le vœu, sacrifice d’action de grâce » (Verbum Caro) 1963, 443-472 : intéressants développements sur les vœux dans l’Ancienne Alliance, dans les psaumes en particulier, puis dans l’Alliance nouvelle), P. Y. Emery la reprend à son tour.

[18« Le vœu ne rend pas encore l’individu parfait, car nul acte, si ce n’est celui de la mort, ne peut fixer dans l’individu la perfection de toute une vie. Cependant l’acte du vœu est si semblable à celui de la mort, qu’il est en soi le meilleur dont l’individu puisse bénéficier durant sa vie. Il est de tous le plus plein et le plus riche d’avenir » (V. Poucel, L’Amour et la mort, éd. de Gigord, Paris, 1928, 210-221).

[19« La perfection de la vie religieuse requiert, selon saint Grégoire, qu’on donne à Dieu « toute sa vie ». Or l’homme ne peut donner réellement toute sa vie à Dieu. Sa vie est successive et, à aucun moment, n’existe tout entière. L’homme ne peut donc donner toute sa vie à Dieu autrement qu’en s’y déterminant par vœu » (IIa IIae, 186, 6, ad 2).

[20Per votum immobiliter voluntas firmatur in bonum (IIa llae, 88, 6).

[21Nous sommes loin d’être le seul à parler ainsi. Cf. par exemple le P. Séjourné : « C’est à dessein que nous parlons du vœu au singulier, (...). En effet, avant d’apparaître dans leur distinction de vœu de continence, etc., et même longtemps après, le « vœu de religion » embrassait cumulativement ces trois promesses comme essentielles au dit état religieux. Allons plus loin : le vœu primitif de virginité, le renoncement au monde attachaient pareillement les continents et les anachorètes à tout l’essentiel de nos trois vœux » (art. « Vœux de religion » du D.T.C., col. 3266). De même Dom O. Lottin écrit, plus nettement encore : « Les trois vœux de religion ne sont en somme que l’explicitation d’un seul et même engagement fondamental, d’un dévouement total au service de Dieu. Le vocable même de vœu, votum, ne dit-il pas explicitement que le vœu est le fruit de la devotio ? » (Considérations sur l’état religieux et la vie bénédictine, Paris, Desclée De Brouwer, 3e éd., 1946, 33).

[22Commentant les textes de Perfectae Caritatis et leur histoire, le Père J. M. R. Tillard écrit : « Au cœur de la notion de consécration se trouve le don de soi. En celui-ci – comme le montre bien saint Thomas – les formalités propres aux trois vœux classiques s’unifient. Aussi certains Pères du Concile auraient-ils souhaité que l’on revienne à la pratique, encore vivante en certains Ordres anciens, de la seule profession d’obéissance, en entendant celle-ci en son vrai sens d’entrée dans la volonté du Père (cf. IIa IIae, 186, 8, où saint Thomas montre que le vœu d’obéissance est religioni essentialius). La commission n’a pas accepté cette suggestion. On peut le regretter, car il y avait là un solide appui pour une ouverture de l’actuelle théologie des vœux. Chasteté, pauvreté, obéissance ne sont de fait que trois modalités d’un unique mouvement : celui du « sacrifice spirituel » par lequel tout l’homme se livre au Père (...). À la fine pointe de la communion de charité se trouve (...) cet accord parfait des volontés que réalise l’obéissance : la pauvreté et la chasteté ne représentent au fond que l’épanouissement de celle-ci dans la totalité du mystère de l’homme. Le Décret (...) ne montre peut-être pas assez nettement l’unification des trois vœux dans l’unique impulsion de l’Esprit » (L’adaptation et la rénovation de la vie religieuse, ouvrage collectif sur « Perfectae Caritatis », sous la direction de J. M. R. Tillard et Y. Congar, coll. « Unam Sanctam », 62, éd. du Cerf, Paris, 1967, 99-100).Sauf erreur de notre part, saint Thomas, s’il remarque bien que la « matière » de la pauvreté et de la chasteté tombe aussi sous le vœu d’obéissance, ne ramène cependant jamais les trois vœux à la seule obéissance ; il dit seulement que celle-ci est plus essentielle à la vie religieuse, touche davantage à son essence. En fait, le don de soi du vœu ne transcende-t-il pas ces « catégories » que sont nécessairement pauvreté, chasteté et obéissance ? « Une disponibilité illimitée à la volonté du Père, comme celle du Fils, est fondamentalement inestimable et non mesurable » ; de même « la disponibilité de Marie est si indivisible et globale qu’il est inutile et sans signification d’y distinguer les aspects de virginité, de pauvreté et d’obéissance. Dans cet acte fondamental, ils sont unis jusqu’à compénétration réciproque ; à proprement parler, on ne les distingue comme isolés que lorsqu’un aspect est détaché du reste et fait l’objet d’une restriction » (H. U. von Balthasar, « Une vie livrée à Dieu », Vie consacrée, 1971, 11 et 14). C’est finalement dans l’Acte « non mesurable » et transcendant toute catégorie anthropologique (tout en s’y exprimant) de Jésus – cet Acte dont nous parlions plus haut, § III – que s’enracinent et s’unifient les trois vœux. Dans le même sens, le P. Carpentier écrivait : « On pourrait dire qu’il n’y a qu’un seul conseil, l’amour et l’imitation intégrale du Fils de Dieu » (op. cit., 56).

[23P. Y. Emery, « La réciprocité des vocations », dans Confrontations, octobre 1969, 339. Tout l’article est à lire : « Il est bien vrai que l’évangile, l’appel du Christ, la promesse du Royaume sont trop riches pour résonner pleinement en chacune de nos existences. Ils n’ont pas trop de toutes nos vies ensemble pour déployer leur sens. Mais en même temps, l’évangile du Royaume est un et le même pour tous. Aussi nos vocations particulières ne se complètent pas dans une sorte de juxtaposition (...). Une complémentarité vécue dans une réciprocité inter-personnelle, où les couleurs et les saveurs dont l’évangile marque nos vies non seulement se conjoignent et s’équilibrent, mais se justifient réciproquement et sa valorisent mutuellement (...) C’est dans la mesure où je ne considère pas ma vocation, mon état (ou ma forme) de vie, l’accent de mon engagement comme exclusifs que je suis justifié – par les autres – dans la spécificité de ma vie chrétienne. Mais ceci n’est vrai que si la complémentarité des autres, bien loin de demeurer pour moi extérieure, s’intègre à ma vocation : je n’ai pas à vivre leur accent propre, leur état de vie ou leur ministère ; mais j’ai à essayer, dans ma vocation particulière, de faire mienne la raison qui motive les autres vocations, les autres accents, les autres états de vie » (338-340).

[24Nous touchons ici au fondement théologique de la nécessité, pour les Instituts religieux, d’être « reconnus » par l’Église. Elle n’est pas d’abord d’ordre juridique. Elle jaillit de la communion dans l’amour, de la reconnaissance mutuelle et de la réciprocité des vocations, qui fondent la communauté ecclésiale. Le Droit vient alors pour exprimer, aider et susciter cette vie – infiniment riche – de relations dans l’Église. Si celle-ci s’occupe ainsi, jusque dans son Droit, de la vie religieuse, ce ne peut être par souci latin de juridisme, d’ordre ou de bonne organisation ; ce doit être à cause de ce mystère de reconnaissance et de réciprocité. Cf. aussi le n. 7 de l’exhortation apostolique Evangelica testificatio.

[25Le Père S. Decloux exprime de manière heureuse comment la vocation du mariage appelle celle de la vie religieuse et comment ces deux vocations se reconnaissent comme corrélatives : « Le chrétien reçoit la grâce d’assumer sa mort dans le Christ, et d’être ainsi en lui réconcilié avec Dieu et avec tous ses frères. Une telle réalisation de la communion des enfants de Dieu se fait toutefois à travers le devenir de l’amour. C’est précisément dans cette ligne d’anticipation et de préparation que le christianisme consacre le mariage ; en lui l’amour de Dieu se manifeste aux époux qui s’aiment, et il est le principe de l’histoire créatrice de leur amour. Mais cet amour et cette histoire ne sont pas seulement œuvre de l’homme, ils ne sont pas engagés dans le progrès indéfini d’un devenir toujours en projet ; ils sont déjà le lieu où Dieu révèle et donne sa présence de grâce. En d’autres termes, l’histoire n’est pas seulement devenir, mais manifestation et réalisation de la plénitude. Dès lors, en elle doit être signifiée la fraternité définitive, celle que voue le religieux. Il ne s’agit pas là d’une disqualification du mariage, mais de la révélation de ce qui lui est le plus intérieur et de ce qu’en fait il accomplit : l’unité de l’amour, l’établissement en Dieu de la famille humaine. Dans l’Église, ces deux vocations, loin de s’exclure et de se rejeter mutuellement, se présentent comme corrélatives : l’amour humain est dès à présent ouverture fraternelle au Dieu qui est amour » (« La présence et l’action du Médiateur », dans Nouvelle Revue Théologique, 1969, 872-873).

[26Plus haut, nous avons dit que le vœu se situait plus au niveau ontologique de la personne qu’au niveau de l’agir. Le P. J. Isaac, O.P., caractérise le niveau du vœu comme un niveau « mystique », par opposition au niveau « ascétique » (dans Forma Gregis, 1er trimestre 1969, 76).

[27D’après le Droit canon (c. 572, § 1, 6° et 1308, § 1), les vœux sont d’ailleurs reçus nécessairement « au nom de l’Église » par le supérieur ecclésiastique.

[28Commentaire de l’Instruction « Renovationis causam », par le Comité canonique des religieux de France, édité par l’U.S.M.F., 10, rue Jean-Bart, Paris VI, p. 14.

[29Juridiquement, la « profession » temporaire est considérée comme une vraie profession et donne à peu près les mêmes droits et avantages qu’elle.

[30Comité canonique des Religieux de France, op. cit., p. 15.

[31« Ce qui est premier, c’est le don total de sa vie, assurément après mûres réflexions et expérimentation. Mais des « vœux pour un temps limité » incluent une restriction qui contredit l’acte fondamental décrit et est donc inadmissible. Celui qui dit qu’il ne pourrait garantir aujourd’hui son engagement pour les années à venir, remplace la reddition de soi à Dieu par une décision active, limitée, à réaliser par le sujet au moyen de ses propres forces. On devrait alors, pour les mêmes raisons, parler d’un « baptême temporaire », d’une « foi temporaire », et à la décision eschatologique de Dieu sur lui, l’homme ne donnerait qu’une réponse totalement inadéquate, qui n’en serait à la vérité pas une. Toutes les objections de la psychologie ont ici à céder devant cette claire exigence de la théologie » (H. U. von Balthasar, art. cit., 17). On trouvera une intéressante critique des vœux temporaires dans J. Galot, « De “Promissione” in vita religiosa », Periodica, 1970, 167-176. Cf. aussi C. Gallagher, « Adaptation progressive à la vie religieuse, “Renovationis causam” et la “promesse”, dans Vie consacrée, 1970, 89-103, spécialement 94-96.

[32De même, abandonnons ces expressions de « consécration temporaire » et de « profession temporaire », qui souffrent de contradictions identiques.

[33La « promesse » est un thème biblique sans cesse repris par la méditation chrétienne.

[34Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on réfléchit sur les relations entre vœu et promesse. Un simple coup d’œil sur les articles « Vœu » et « Vœux de religion » du D.T.C. le montre bien. Et la définition théologique du vœu lui-même comporte le mot « promesse ».

[35Le Père A. Duval écrit dans Quelques données et réflexions historiques sur l’engagement religieux : « Une certaine tendance se manifeste aujourd’hui pour réserver le nom de vœux aux engagements se voulant perpétuels et ne plus parler que de promesses pour tous les autres cas » (dans J. Colette, A. Dumas, etc., « Engagement et fidélité ». Problèmes de vie religieuse 31, éd. du Cerf, Paris, 1970, p. 98).

[36R.C. 7 : « Il ne saurait être question de remettre en cause l’importance, pour celui qui a entendu l’appel de Jésus à tout quitter pour le suivre, de répondre généreusement et de tout cœur à cet appel dès le début de sa vie religieuse : l’émission des vœux temporaires répond parfaitement à cette exigence. Tout en retenant le caractère d’une probation par le fait qu’elle est temporaire, l’émission des premiers vœux engage le candidat dans la consécration propre à l’état religieux. Cependant la préparation aux vœux perpétuels peut aussi se faire sans l’émission de vœux temporaires ». Cependant R.C. traduit aussi le sentiment spontané que les jeunes religieux ont de l’importance d’un engagement par des « vœux » (simpliciter dicta, sans adjectif) et le fait qu’ils ressentent instinctivement ceux-ci comme perpétuels : « Cette hésitation (chez les novices) à prononcer des vœux s’accompagne souvent de la conscience très grande qu’ils ont des exigences et de l’importance de la profession religieuse perpétuelle à laquelle ils aspirent et désirent se préparer. C’est ainsi qu’il a paru souhaitable à certains Instituts que les novices terminant leur noviciat puissent se lier par un engagement temporaire (= la promesse) correspondant davantage... » (R.C. 7). Ainsi l’invention des vœux temporaires ne réussit pas et ne suffit pas à briser l’hésitation des jeunes religieux à s’engager par « des vœux ». C’est que, dans l’expression « vœu temporaire », il reste le mot « vœu » et que celui-ci est ressenti spontanément comme étant un engagement total, donc perpétuel. Cela montre que les jeunes réalisent bien le poids d’un engagement par « des vœux », et que l’adjonction du qualificatif « temporaire » n’a pas réussi à « disqualifier » ceux-ci au point d’en obnubiler complètement le sens. C’est consolant !

[37« La bonne littérature sur les vœux est peu abondante » remarque le P. Jacquemont dans son très riche « Bulletin » concernant les « Recherches actuelles sur la théologie de la vie religieuse » (Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1971, 283-326), p. 308, note 108. Il mentionne cependant quelques contributions de valeur (Ranquet, Pousset, Isaac).

[38La reconnaissance mutuelle entre l’Église et le religieux prend également du temps : c’est une histoire comme toute amitié. Comme toute amitié aussi, elle doit « s’éprouver » : l’Église ne peut reconnaître son visage d’éternité dans la vie du religieux, que si le temps a suffisamment éprouvé déjà son entrée dans la mort de l’Époux, s’il apparaît clairement que le religieux s’est fixé d’une manière stable dans l’Acte qui le consacre.

[39Nous rejoignons par là le P. J. Isaac, O.P., op. cit., p. 76 : « Au lieu d’un acte essentiellement « mystique » (= le vœu), un bond en plein mystère, on aurait affaire (dans la promesse) à un acte à portée « ascétique », une entrée dans un milieu éducatif ». Mais nous différons de cet auteur en cela que, pour lui, la promesse n’est pas faite à Dieu, mais seulement à l’Institut. Précédemment déjà, le P. Isaac avait décrit d’une manière suggestive l’itinéraire qui conduit aux vœux perpétuels : cf. « Forma », Gregis 15, 1962-3, surtout les chapitres VI (De l’offrande au sacrifice), VII (Sanctification et consécration), VIII (La profession religieuse). Nos considérations rejoignent souvent les siennes.

[40Cf. plus haut la note 11.

[41Il est intéressant de noter ici que « les Juifs ont toujours fait une grande distinction entre le vœu et le serment », et cela « parce que le serment ne change rien à la nature des choses », tandis que le vœu la change et la transforme en la consacrant ; « c’est l’idée de consécration à Dieu qui domine la notion de vœu dans la Bible » (P. Séjourné, dans D.T.C., t. XV, art. « Vœu », col. 3178-3188 ; cf. aussi l’article Vœu du Dictionnaire de la Bible). Le vœu connote une transformation réelle de la personne, tandis que la promesse, sans être un simple serment, n’implique pas encore cette transformation. Que l’on songe aussi à la différence entre les fiançailles (cf. « mon promis, ma promise ») et le mariage. Cela ne doit pas nous empêcher d’apprécier de manière très positive la promesse-parole : en elle, « sont mis en relief le sérieux, la puissance et l’efficacité que la parole humaine reçoit de Dieu » ; elle « lie la personne en déterminant son avenir. Se parjurer n’est pas seulement une infidélité, c’est un acte insensé en contradiction avec l’avenir créé par la parole de l’homme, un péché contre-la-nature de cet avenir » (A. Lelièvre, art. « Serment » du Vocabulaire biblique publié sous la direction de J. J. von Allmen).La dialectique acte-parole joue différemment dans le vœu et dans la promesse. C. Gallagher (art. cit., 99) l’a senti, qui essaye de fonder là-dessus la différence entre vœu et promesse : « N’y aurait-il pas moyen de réconcilier le Code (selon lequel « le vœu est une promesse faite à Dieu au nom de la vertu de religion ») et Renovationis causam en portant notre attention sur la vertu engagée dans le vœu ou la promesse ? Comme le dit le canon cité, le vœu entraîne une obligation qui relève de la vertu de religion : c’est ce qui explique qu’on ne peut faire vœu qu’à Dieu seul ; de là découle aussi que cet engagement est plus solennel et de nature plus grave que la simple promesse. Celle-ci, en effet, relève de la fidélité à la parole donnée : on peut, semble-t-il, s’engager de la sorte aussi bien envers Dieu qu’envers les hommes ». Cette distinction ne nous semble pas pourtant entièrement satisfaisante, car la promesse à Dieu se fait aussi sous l’emprise de la vertu de religion, même si celle-ci ne trouve pas encore son plein accomplissement.

[42« Promettre, pour lui (Dieu), c’est déjà donner, mais c’est d’abord donner la foi capable d’attendre que vienne le don » (art. « Promesses » du Vocabulaire de Théologie Biblique ; nous soulignons).

[43« La fidélité à une authentique vocation religieuse semble exiger que (la promesse) porte d’une certaine manière sur les exigences mêmes des trois conseils évangéliques, et soit ainsi déjà tout orientée vers l’unique profession perpétuelle dont elle doit être comme l’apprentissage et la préparation » (R.C. 7). Le n. 35, I répète cela, en ajoutant : « il importe, en effet, de maintenir l’unité de la formation à la vie religieuse. »

[44Cf. R.C. 7, 34, 1 et 36, et, plus haut, notre note 5. Se refuser à dire que la promesse dont parle R.C. peut être faite à Dieu parce que, dans ces conditions, elle ne se distinguerait plus du vœu, défini « promesse faite à Dieu » (ainsi J. Galot, op. cit. et J. Beyer, « De instructione “Renovationis causam” », Periodica, 1970, 21-64), c’est oublier la différence qu’il y a entre « vœu ordinaire » et « vœu de religion », dont nous parlions en commençant (§ II). Il ne s’agit pas de distinguer la promesse des « vœux en général », mais du « vœu de religion ». Or, celui-ci est de soi perpétuel et inconditionné. Par son caractère conditionné et temporaire, – que nous allons préciser dans un instant – la promesse s’en distingue donc parfaitement, même faite à Dieu.Pour saint Thomas, le « vœu de religion » proprement dit est le vœu perpétuel reconnu comme tel par l’Église (– le « vœu solennel »), et il n’a aucune peine à admettre à côté de lui l’existence d’une « promesse faite à Dieu, portant sur les conseils évangéliques » (le « vœu simple » en l’occurrence) qui en soit cependant bien distincte (cf. IIa IIae, 88, 7, avec les notes explicatives du P. Menessier dans l’édition de la Revue des Jeunes, ou bien A. Duval, op. cit., p. 92). Même si la distinction vœu solennel - vœu simple ne recouvre pas exactement la distinction vœu-promesse dont nous parlons, même si la problématique thomiste des vœux simples et solennels n’est plus la nôtre, et même si cette distinction, ainsi que certains le disent, est à la veille d’être abolie, la position de saint Thomas reste cependant instructive pour qui cherche à discerner la différence entre le vœu de religion et la promesse.Dans sa thèse sur Les éléments et la nature de la profession religieuse, le Père É. Bergh s’est interrogé sur les rapports entre « don de soi à Dieu » et « tradition à l’Institut » ; cherchant à unifier au maximum ces deux éléments, il fait de la « tradition à l’Institut » une modalité de la donation à Dieu lui-même (cf. Ephemerides Theologicae Lovanienses, 1937, 5-32). Si l’on veut sauvegarder un lien organique entre cette profession des vœux et la promesse, la même logique doit conduire, nous semble-t-il, à admettre que la promesse doit également se faire à Dieu.Le P. Beyer le sent bien d’ailleurs qui dit que, si la promesse ne peut se faire « à Dieu », elle doit pourtant être faite « pour Dieu » (art. cit., 45) ; de même le P. Galot disant que « Dieu est présent dans la dynamique elle-même de la promesse, puisque la promesse tend vers la profession perpétuelle, par laquelle est scellée définitivement la consécration au Seigneur » (art. cit., 173). Cela revient, pratiquement, à notre position.

[45Nous sommes certains que ceux-ci, par leur promesse, désirent bien s’engager vis-à-vis de Dieu, et non seulement vis-à-vis de leur Institut.

[46Cf. R.C. 13, I.

[47Nous ne parlons évidemment pas de la « rénovation de ferveur », pratiquée dans certaines congrégations, et qui consiste, pour renouveler la conscience de son offrande, à redire, au cours d’une messe, la formule de son engagement (promesse ou vœu).

[48Il nous semblerait très regrettable que la liberté donnée par Renovationis causam engendre la prolifération d’une multitude d’engagements jalonnant l’entrée progressive dans l’état religieux. Nous apporterions sur ce point des nuances à C. Gallagher, art. cit., p. 97-98 et à J. M. Fisch, art. cit., 307. L’Instruction l’a remarqué d’ailleurs : « Si, en certains cas, la prolongation de la probation temporaire peut favoriser cette maturation, en d’autres cas, elle peut comporter des inconvénients qu’il convient de signaler. Car le fait de demeurer trop longtemps dans un état d’incertitude n’est pas toujours un facteur de maturation, et cette situation peut même favoriser chez certains une tendance à l’instabilité » (R.C. 6).

[49Nous donnons à la distinction vœu privé - vœu public un sens spirituel, mais aussi la signification juridique habituelle. Est public un vœu reconnu tel par l’Église. Rien n’empêcherait que le vœu privé dont nous parlons soit prononcé au cours d’une messe, en présence des quelques compagnons du noviciat qui ont aidé à s’y acheminer et qui aideront à y être fidèle.

[50Ces suggestions, que nous ne faisons que proposer à ce titre, s’éloignent de R.C., puisque l’Instruction voit la « promesse » comme remplaçant normalement les engagements temporaires marquant la fin du noviciat. Certains, dans une fidélité plus stricte à l’Instruction, disposeront les étapes autrement. Ils se contenteront, pour l’entrée au noviciat, d’une disposition à offrir la promesse et celui-ci se terminera normalement alors par cette promesse. En tout cas, il nous semble important de ne pas commencer le noviciat sans la perspective d’un engagement perpétuel. Celui-ci constituant l’essence même de la vie religieuse, on ne peut « initier » à celle-ci sans que soient présents chez le candidat cette perspective claire, ce désir, et même un commencement de décision (R.C. a bien mis en lumière les exigences spirituelles requises pour l’entrée au noviciat : 4 ; 13, I ; 14). Plus haut, nous avons rapproché la consécration religieuse de la consécration eucharistique (cf. § III). On pourra remarquer que les trois moments de l’itinéraire spirituel que nous avons distingués correspondent aux trois moments de l’eucharistie ; les étapes de la consécration religieuse sont aussi des étapes d’initiation existentielle au mystère eucharistique : on vit d’abord surtout sous le signe de l’offertoire (promesse), puis on se consacre (vœu privé), enfin a lieu la reconnaissance publique de la vocation particulière dans la communion ecclésiale (vœu public).

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