Où en est la réforme du droit canon ?
Les Instituts de vie consacrée
Jean Beyer, s.j.
N°1971-5 • Septembre 1971
| P. 273-308 |
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
Plusieurs instituts de vie consacrée s’interrogent sur leur situation et leur avenir dans l’Église. Certains ont regretté, à l’occasion du renouveau que doivent promouvoir les Chapitres spéciaux, que le Code de 1917 n’ait que trop uniformisé leur droit, durci leur vie communautaire.
Qui dit « renouveau » dit retour à l’Évangile, liberté de l’Esprit, charisme et initiative, fidélité à la grâce de fondation, à sa physionomie particulière, à sa spiritualité propre ; action apostolique adaptée, chez les religieux, travail souvent spécialisé dans des œuvres communes, formation appropriée au genre de vie et d’action de l’institut. Plus on se préoccupe de renouveau, plus on désire de liberté dans la mise en place - ou la reprise - des éléments fondamentaux d’un institut et des aspects particuliers de sa vie.
Le souci qui travaille les Instituts de vie consacrée ne peut qu’être un signe de générosité et de fidélité à Dieu qui appelle et à l’Église qui doit reconnaître ses dons et ses grâces.
Les religieux surtout s’interrogent avec raison au sujet de la place que fera aux instituts de vie consacrée la nouvelle législation de l’Église. Pour répondre à ces questions, il faut d’abord étendre notre champ de recherche et notre investigation. Il ne s’agit plus d’une adaptation d’un De religiosis auquel on ajoute un appendice sur les « sociétés de vie commune sans vœux et imitant la vie religieuse ». Depuis 1947, l’Église a approuvé les instituts séculiers. En distinguant dans sa législation canonique trois états de vie consacrée : les « religions », les sociétés et les instituts, elle modifiait notablement les perspectives du Code. Le premier état, le plus complet - était l’état religieux auquel était assimilé celui des sociétés de vie commune, « sociétés religieuses », disaient certains ; une troisième forme de vie : les instituts séculiers, se rapprochait de ces sociétés.
Les instituts séculiers, qui ne sont pas religieux, ont affirmé leur charisme et souligné l’originalité de leur vocation pour définir leur place dans l’Église, pour maintenir et renforcer la sécularité de leur vie consacrée. Au fond, il s’agit pour eux de rester fidèles à un appel particulier, à une vocation nouvelle, à un don spécial de Dieu.
Cette réflexion et cet effort ne furent pas le souci des seuls instituts séculiers. Depuis le Code, et surtout à partir de 1947, une action coordinatrice et centralisatrice se fit de plus en plus sentir. Elle augmente l’emprise du droit en limitant souvent les initiatives de la vie religieuse. Ce mouvement a provoqué une réaction centrifuge et une réflexion qui, aujourd’hui, portent leurs fruits. Tout en profitant des documents récents du magistère pontifical, cette réflexion allait les dépasser dans une vision nouvelle, plus spirituelle, des instituts de vie consacrée pour les ramener à leur physionomie propre selon les formes diverses dont Vatican II esquissera la typologie.
C’est dans ce nouveau contexte qu’œuvre la Commission pour la révision du Code. Dans la revue Communicationes vient de paraître, comme pour les autres groupes d’études, un rapport sur les travaux du groupe qui s’occupe des Instituts de perfection [1].
À ce jour, ce titre remplace celui du Chapitre VI de la Constitution Lumen Gentium : de religiosis, et on espère bien lui trouver un substitut qui dise mieux encore ce dont on veut parler.
Il serait cependant dommageable de ne pas étendre encore cette recherche. Ce n’est pas seulement dans le groupe d’études de instituas perfectionis qu’on traite de ceux-ci. Il y a la loi fondamentale qui s’en occupe ; plusieurs autres groupes d’études s’y réfèrent : catégories de personnes, hiérarchie et apostolat, missions et paroisses, exemption et collaboration.
Le rapporteur s’est plusieurs fois exprimé sur le changement de titre du groupe d’études. Il convient de citer le texte où il explique le mieux sa portée :
Pour comprendre ce changement, il faut se rappeler ce qui a déjà été dit sur l’extension du terme de « religieux » dans la Constitution Lumen Gentium. De manière évidente, dans le chapitre VI de cette Constitution, les Pères du Concile entendent, sous le nom de « religieux », tous ceux qui ont reçu le don divin de vivre dans un certain état public, formellement constitué par l’Église, dans lequel ils professent les conseils évangéliques. Sinon les Pères n’auraient pas pu dire : « Par les vœux ou d’autres engagements sacrés, assimilés aux vœux selon leur mode propre, le chrétien s’engage à la pratique des trois conseils évangéliques susdits. Il se livre totalement à Dieu aimé pardessus tout pour être ordonné au service du Seigneur et à son honneur à un titre nouveau et particulier.
Tous ceux qui reçoivent le charisme de la vocation à suivre la voie des conseils évangéliques peuvent être appelés « religieux », pour autant qu’ils se livrent totalement à Dieu, d’une manière publique, dans un Institut reconnu par l’Église et indépendamment de la forme sous laquelle les conseils évangéliques sont observés, qu’ils soient garantis par un vœu ou par quelque autre engagement sacré.
Dans le Décret Christus Dominus, les Pères du Concile parlent dans le même sens. Ils y disent, en effet : « A tous les religieux auxquels, dans les dispositions suivantes, sont adjoints les membres des autres instituts faisant profession des conseils évangéliques, chacun selon sa propre vocation... »
Mais le Décret Perfectae Caritatis fait une distinction assez claire entre « religiones » ou « instituts religieux », « sociétés de vie commune sans vœux » et « instituts séculiers », et entre les membres respectifs de ces divers instituts.
Bien plus, il dit expressément que les instituts séculiers ne sont pas des instituts religieux quoiqu’ils « comportent une profession véritable et complète des conseils évangéliques dans le monde, reconnue comme telle par l’Église. »
C’est pourquoi, afin de supprimer toute possibilité d’équivoque, le titre général De religiosis, sous lequel notre groupe d’études était connu et qui introduisait toute cette partie du Code, a été, à bon droit, changé en celui de De Institutis perfectionis. Il incluait ainsi tous ces instituts qui, sous une forme ou une autre, approuvée par l’Église, font profession publique des conseils évangéliques, soit par des vœux, soit par d’autres engagements sacrés.
Ce texte est capital. Il situe un problème épineux. On peut dire qu’il nous fait dépasser l’équivoque qu’a maintenue la Constitution Lumen Gentium, et que le Décret Perfectae Caritatis devait lentement surmonter. Toutefois dans Lumen Gentium où on a évité le terme « état de perfection », on trouve déjà la terminologie, aujourd’hui accréditée, de Instituta perfectionis [2].
Nous lui préférons cependant les termes de « vie consacrée » et d’« Instituts de vie consacrée » qui, de plus en plus, sont en usage chez les auteurs, et que le Concile cherchait d’ailleurs à mettre en valeur [3].
Quant au titre même du chapitre VI de Lumen Gentium, il ne semble pas avoir de valeur doctrinale. Il a été choisi après une réflexion de l’Abbé de Beuron qui estimait, pour en finir, qu’il valait mieux intituler ce chapitre VI avec le terme qui convenait au plus grand nombre de personnes consacrées [4].
En ce qui concerne le Décret Christus Dominus, si ses rédacteurs n’étaient pas sensibilisés à ces questions comme ceux du Décret Perfectae Caritatis, on ne doit pas voir dans le texte cité ci-dessus une simple assimilation des membres de sociétés de vie commune ou d’instituts séculiers aux religieux. Le texte de Perfectae Caritatis supprime en effet - comme le dit le rapport - toute équivoque possible : les instituts séculiers ne sont pas des instituts religieux. Cette correction profitera d’ailleurs aux sociétés de vie commune, comme nous le dirons plus loin.
Le groupe d’étude « de institutis perfectionis »
Les deux premières sessions du groupe d’étude ont eu lieu du 21 au 26 novembre 1966 et du 8 au 12 mai 1967. Le rapporteur du groupe était alors le R.P. Tarcise Amaral, C.SS.R. Élu Supérieur général de son Institut, il fut remplacé, le 13 décembre 1967, par le R.P. Marc Said, O.P., professeur à la Faculté de droit canonique de l’Université S. Thomas à Rome. Le groupe s’est réuni du 22 au 26 janvier 1968 pour une troisième session et, du 12 au 26 avril 1968, pour une quatrième. C’est après cette session que le groupe De religiosis devint groupe d’étude De institutis perfectionis. Le plan du nouveau Code venait d’être établi par un groupe d’études spécial ; il fut approuvé par la Commission de révision le 28 mai 1968 [5].
Quatre sessions ont eu lieu depuis lors et sont parvenues à rédiger la partie générale du nouveau droit des instituts de vie consacrée. Ces sessions se sont tenues du 9 au 14 décembre 1968, du 24 au 29 mars 1969, du 29 septembre au 4 octobre 1969 et, la dernière en date, du 3 au 8 mai 1971.
Importants pour les travaux du groupe d’étude furent les principes que le rapporteur, le R.P. Said, soumit à l’approbation du groupe d’étude en sa quatrième session. Ils servent de principes directeurs au travail entrepris, tout comme ils postulent la reprise dans cette même optique du travail fourni précédemment, surtout pendant les deux premières sessions.
Le R.P. Said fait remarquer l’utilité de ces premières sessions :
Les Instituts et les personnes auxquels une législation de ce genre doit être adaptée, se trouvent dans une condition tout à fait spéciale. Quoique l’état religieux appartienne « inséparablement » à la vie et à la sainteté de l’Église, il n’appartient cependant pas à sa structure hiérarchique. Ce n’est pas un état intermédiaire entre l’état clérical et l’état laïc. Pourtant les religieux - en eux-mêmes - ne peuvent être définis ni comme clercs, ni comme laïcs. Les instituts religieux naissent d’une motion charismatique que le Saint-Esprit imprime aux saints fondateurs. Et cependant ils ne deviennent instituts religieux que lorsqu’ils sont érigés par l’autorité de l’Église. Les membres de ces Instituts ont besoin d’une vocation divine pour se dévouer totalement au service de Dieu par la pratique des conseils évangéliques et pour renoncer au monde tout en étant cependant intimement associés à la mission salvifique de l’Église.
On remarquera que le rapporteur parle encore de « religieux » : chrétiens qui se dévouent totalement à Dieu par la profession des conseils évangéliques et sont ainsi, à des titres nouveaux - appel du fondateur, vocation divine, physionomie propre de l’institut - associés à la mission salvifique de l’Église, c’est-à-dire à sa vie et à son apostolat.
La première difficulté rencontrée par la Commission concerne cette dénomination de « religieux » - dénomination qui dépend, évidemment, de son contenu. Voici ce qu’en dit le rapporteur :
Sous la dénomination de « religieux », on trouve tant de formes diverses de vie consacrée à Dieu « que l’Église non seulement est apte à toute bonne œuvre et prête à remplir toute activité de son ministère en vue de l’édification du Corps du Christ, mais encore apparaît embellie des dons variés de ses enfants comme une épouse parée pour son époux » (P.C. n° 1).
La notion de « religieux » et d’état religieux était un peu changée depuis le Concile. En effet :
Le fidèle se consacre totalement à Dieu non seulement par les vœux publics émis dans un institut où la vie en commun est en vigueur, comme il avait été prescrit antérieurement (c’est-à-dire au Canon 487), mais encore par d’autres engagements sacrés, assimilés aux vœux selon leur propre manière (L.G. Ch. VI, n° 44).
Le rapporteur note l’élargissement de la notion de « religieux » au Concile. Si l’état religieux ne dépendait que des vœux, sa remarque aurait déjà tout son poids et le motif qu’il donne suffirait à faire repenser le problème, même au point de vue canonique. Toutefois si les sociétés de vie commune, du fait de l’engagement de leurs membres, étaient appelées « religieuses », il fallait leur faire justice, tenir compte de leur mission et des formes concrètes de vie sur lesquelles portaient ces engagements. La Constitution Lumen Gentium n’eut pas l’occasion de le faire.
Mais une recherche approfondie de la nature de l’état religieux et de l’extension que peut avoir la dénomination de « religieux » était d’autant plus nécessaire que la discipline religieuse, telle qu’elle est formulée dans le Code de 1917, demandait une profonde révision pour être adaptée et permettre également les adaptations nécessaires aux nouvelles conditions de la vie de l’Église et aux besoins du temps.
À partir des textes conciliaires, le groupe d’études qui s’appelait encore « Coetus de religiosis » consacra les deux premières sessions à formuler une « définition descriptive » - comme dit le rapporteur -de l’état religieux, incluant les éléments, tant théologiques que juridiques de cet état. Ce fut l’occasion de discuter et d’approfondir la question des moines et celle des instituts séculiers, de la nature des vœux, solennels et simples, de l’exemption. Ces réunions furent importantes. Elles ont apporté de nombreux éléments qui permettront bientôt de reprendre la question de la vie monastique et celle, tout aussi délicate, des instituts séculiers. En effet, on a posé les jalons d’une nouvelle législation - très générale d’ailleurs - sur les moines, ermites ou anachorètes et cénobites. On a situé, peut-être encore trop rapidement, les instituts séculiers comme vie consacrée « dans le monde », en les distinguant du religieux. La séparation ou le retrait du monde de ces derniers ne les situe cependant pas « hors du monde », comme aurait tendance à le dire une doctrine trop juridique et formelle.
C’est d’ailleurs le souci de respecter toujours mieux la physionomie propre des instituts, leur autonomie et leur droit particulier, tout en soulignant leur caractère de « vie donnée au Seigneur », qui a porté la Commission du plan du Code à situer les instituts tant religieux que séculiers sous une dénomination commune reprise à la Constitution Lumen Gentium, celle d’instituts de perfection [6]. Changement important, comme nous le verrons, et qui fut le point de départ d’une nouvelle recherche : celle-ci aboutira au projet adopté par le groupe d’étude pour la structure de cette partie du Droit dans la nouvelle codification.
C’est à ce point que se situe la nomination d’un nouveau « relator », le R.P. Marc Said, O.P. Engagé dans la partie disciplinaire générale, le groupe d’études sentit le besoin d’examiner quels devaient être les principes directeurs de la révision en cours. Pour ce faire, il fallait tenir compte du Décret « Perfectae Caritatis [7] » du Motu Proprio « Ecclesiae Sanctae [8] » et des « principes directeurs de la révision du Droit Canonique » approuvés par le Synode des Évêques [9].
Les quatre principes directeurs de la révision du droit des instituts de vie consacrée
Ces quatre principes peuvent être énoncés de la manière suivante :
- Les normes juridiques, tout en ne contenant pas le don de grâces propre à la vie consacrée, doivent cependant favoriser l’épanouissement de cettevocation divine.
- Ces normes doivent permettre la connaissance et le maintien de l’esprit des fondateurs,la fidélité au patrimoine spirituel et au droit particulier de chaque institut.
- Tout en affirmant les principes constitutifs de cet état de vie, ces normes doivent assurer une « flexibilité » nécessaire afin de permettre les adaptations nécessaires aux conditions de vie et de travail de ces instituts dans l’Église.
- Enfin, elles doivent favoriser une plus grandeparticipation des membres à la vie et au gouvernement des instituts de vie consacrée, en assurant une meilleure représentation des membres et un meilleur choix des responsables.
Ces quatre principes ne seront cependant pas les seuls à diriger le travail de révision. A lire le rapport paru dans Communicationes, il convient de souligner d’autres normes de pensée et de rédaction [10]. Celles-ci sont, à notre sens, tout aussi importantes.
- N’imposer comme norme générale que ce qui convient à tous, laissant à chaque Institut le droit de rester ce qu’il est ou, mieux, de devenir ce qu’il était dans la pensée de son fondateur.
- Éviter toute discrimination entre instituts masculins et féminins. Ces derniers n’ont pas besoin d’une tutelle qui freine leur libre épanouissement.
- Prévoir dans le droit général une juste application du principe de subsidiarité, laissant aux Instituts mêmes les responsabilités qui leur sont propres.
- Assurer entre le droit commun des instituts et le droit particulier la plus grande harmonie possible, laissant à ceux-ci la juste liberté d’établir des normes adaptées à leur vie et à leur action dans les limites indiquées par les exigences du droit commun.
- Respecter le plus possible la dignité de l’homme, ses droits et ses responsabilités personnelles, son développement normal afin qu’il puisse atteindre à sa maturité physique et psychique.
Il nous faut maintenant voir plus en détail ce que comportent ces principes directeurs.
Droit et grâce
Le droit ne peut exprimer la richesse de la vocation divine à la vie consacrée ; il peut cependant favoriser ce don divin, seconder le travail de la grâce, protéger cette vie et aider les membres de ces Instituts à arriver à la perfection de la charité.
En vertu de ce principe, le groupe d’études s’applique « à éviter l’abondance des normes [11] ». Le droit particulier, tout en laissant aux membres une liberté toujours plus grande afin de susciter l’initiative et la spontanéité d’une vie spirituelle adulte et joyeuse, devra, lui aussi, s’inspirer de ce principe. Le groupe d’études veut également « éviter l’idée quelque peu répandue, même chez les personnes consacrées, selon laquelle l’observance formelle et externe des normes, tant du droit commun que du droit particulier, suffirait à assurer la perfection [12] ».
C’est dans ce double but que le groupe d’études « mêle aux éléments juridiques certains éléments théologiques ou empruntés à la Sainte Écriture, dans les cas où il peut le faire sans nuire à la clarté et à la précision de la loi [13] ». Enfin « aux normes strictement juridiques il ajoute certains canons de caractère pastoral. Ceux-ci sont plutôt exhortatifs [14] ».
Fidélité à l’Esprit
En pleine conformité avec les normes données par le Concile, le groupe d’études veut, tout en traitant de la discipline, favoriser la connaissance et le maintien, en chaque institut, de l’esprit du Fondateur, aider les instituts à conserver leur patrimoine propre, respecter leur caractère particulier, leur finalité et leurs saines traditions.
D’où deux attitudes pratiques de la Commission :
« Ne définir que des principes assez généraux qui puissent s’appliquer à tous les instituts et qui leur laissent la liberté voulue pour pouvoir tendre à leur fin [15] ».
Éviter ainsi le péril d’une législation commune descendant jusqu’à des précisions de détail, législation non seulement difficile à appliquer mais dangereuse, pouvant « produire entre les instituts... un nuisible nivellement (si l’on peut employer ce terme) au détriment de l’esprit propre et du patrimoine des Instituts [16] ». Sur ce point, dit le rapporteur, « les Pères du Concile ont beaucoup insisté dans le Décret Perfectae Caritatis [17] , et de même le Souverain Pontife dans le Motu Proprio Ecclesiae Sanctae, qui a permis aux instituts une ample liberté de faire des changements et des expériments par leur Chapitre général, dans la révision de leur droit particulier [18] ».
Cette position prise par le groupe d’études a pour but « de porter remède au défaut de la législation du Code en vigueur concernant les religieux. Cette législation semble trop particulière et descend fréquemment jusqu’à des précisions minutieuses qui ne devraient pas se trouver dans le droit commun [19] ».
On sera heureux, croyons-nous, de voir la législation de l’Église s’ouvrir toujours plus à la variété des dons de l’Esprit. Ce qui contribuera également à rendre l’Église plus apte à recevoir et à comprendre de nouvelles grâces de fondation, celles que le Seigneur fait aux chrétiens pour animer le renouveau et travailler au rajeunissement de l’Église.
Ceci pose évidemment aux instituts, dans un avenir proche, des obligations nouvelles dont nous parlerons plus loin [20].
Flexibilité du Droit
Vu les adaptations aujourd’hui nécessaires et les exigences du renouveau continu que supposent la vitalité de l’Église et des instituts et les besoins du monde où ils vivent et travaillent, le droit doit assurer, s’il veut être lui-même structure et expression de vie, d’une part l’affirmation des principes constitutifs de la vie consacrée et la souplesse de ses normes afin de faire face aux exigences de la vie.
Les principes constitutifs de la vie consacrée dans les instituts de perfection sont « les mêmes pour tous ceux qui veulent suivre le Christ dans la vie des conseils évangéliques [21] ». Il va sans dire que le groupe d’études pose comme base de vie et fondement des instituts de perfection la sequela Christi, l’imitation du Christ pauvre, vierge, obéissant. Sur ce point le Concile est net.
Quant aux normes disciplinaires « la très grande variété des instituts de perfection avec leur extrême diversité de buts, de caractères, de structures, le rapide changement des conditions sociales dans lesquelles leurs membres vivent et doivent exercer leur travail, tout cela exige une grande élasticité dans les normes du droit commun [22] ».
Ce qui revient, pour le législateur, à appliquer le principe de subsidiarité, application approuvée par le Synode des Évêques dans les « principes directeurs de la révision du droit canonique [23] », et dont on peut dire « qu’il doit être appliqué ici plus encore peut-être que dans les autres parties du droit canonique [24] ».
Ce que le droit commun ne fera plus deviendra donc la tâche du droit particulier et, comme nous le verrons plus loin, un effort tout spécial s’impose aux instituts pour exprimer dans un droit vivant la physionomie propre de leurs institutions et de leurs membres.
Communion et participation
Les Instituts de vie consacrée, surtout ceux qui vivent en communauté, doivent non seulement vivre en communion de cœur et d’esprit, mais agir par la force même de la grâce qui les unit. Ce principe est fondamental. Il faut le mettre en évidence, non seulement pour répondre aux vœux du Concile, mais pour provoquer un changement souhaitable dans la façon de concevoir et de vivre la vie consacrée, spécialement dans les instituts religieux. « Ce principe directeur - nous dit le rapporteur - se passe d’explication pour ceux qui sont tant soit peu en rapport avec des instituts religieux, surtout féminins [25]. »
Telle a été, certes, la pensée du Concile : « Le Chapitre et les conseils généraux rempliront fidèlement la fonction qui leur est dévolue dans le gouvernement. Que ces organes, chacun à sa manière, expriment la participation et l’intérêt de tous les membres au bien de toute la communauté [26]. »
Les supérieurs amèneront les membres « à la collaboration, par une obéissance responsable et active tant dans l’accomplissement de leur tâche que dans les initiatives à prendre, et susciteront un effort commun pour le bien de l’Institut et de l’Église [27] ».
Il va sans dire que, si les constitutions doivent être révisées de telle manière que tous les membres de l’Institut, sous l’un des modes reconnus par le droit, participent et à son gouvernement et à ses plus importantes décisions, le droit commun prendra des précautions spéciales pour prévenir et supprimer les abus ; il devra, comme les instituts eux-mêmes, « tenir compte, bien entendu, du caractère, de l’esprit et de la fin de chaque institut [28] ».
« Le caractère et l’esprit de chaque institut restant saufs, le gouvernement sera organisé de manière que le pouvoir ne reste pas longtemps dans les mêmes mains [29] - ce qui ne veut pas dire que des normes générales puissent être imposées sans la nécessaire discrétion [30] ». « Laissant aux instituts une ample liberté quant à la méthode et au mode de représentation et de participation, le groupe d’études s’est efforcé de formuler les normes du droit général de manière à favoriser ce mouvement vers une participation plus large dans le gouvernement et les décisions [31]. »
Autres principes directeurs de la révision du droit des instituts de vie consacrée
Il nous faut maintenant passer aux principes directeurs énoncés tout au long du rapport du R.P. Said. Ils sont trop importants, à notre sens, pour ne pas être ici mis en relief. Ainsi soulignés ils peuvent, dans un avenir prochain, nous éviter, comme nous le dirons plus loin, des interventions hâtives ou inopportunes [32].
Diversité et adaptation des Instituts
La nouvelle législation au sujet des instituts de vie consacrée, tout en appliquant très fortement le principe de subsidiarité, a, dans sa partie générale, considéré les trois types de vie consacrée ou, si l’on veut, les « religieux » - moines et apôtres - et les « séculiers », sociétés apostoliques et instituts séculiers. Au cours des débats, on a remarqué combien il était difficile de se libérer de l’image du religieux conventuel. Que de notions, comme celle d’exclaustration, de sécularisation, de fuite, de fugitif, sont liées au cloître ! Il a fallu faire un effort continuel pour énoncer ces normes générales sans jamais imposer aux instituts séculiers ce qui était habituel ou particulier aux religieux. La Commission, peu à peu, a été ainsi sensibilisée aux problèmes des types de vie consacrée qu’elle doit affronter dans la partie spéciale de cette nouvelle législation. Celle-ci n’est plus une « révision », ni même une « refonte » du droit précédent. On peut dire qu’elle constituera une loi nouvelle - si du moins on lui garde l’esprit dont elle s’inspire et la souplesse qu’elle introduit. Le R.P. Said note très justement :
La très grande variété des instituts de perfection avec leur extrême diversité de buts, de caractères, de structures, le rapide changement des conditions sociales dans lesquelles les membres vivent et doivent exercer leurs activités, tout cela exige une grande élasticité dans les normes du droit commun. Sinon, il sera impossible d’appliquer ces normes à tous les instituts et à tous leurs membres.
À entendre le rapporteur, il est clair qu’il se situe ici dans la perspective nouvelle qui a dirigé les travaux de la partie générale. Il faudra en faire autant lorsqu’on étudiera les types de vie consacrée : instituts voués à la contemplation, instituts ayant des œuvres apostoliques, instituts de présence au monde. Notons encore cette remarque du rapport publié dans Communicationes :
Le présent schéma... dans sa partie générale peut être appliqué à tous les instituts de perfection, non seulement à ceux qui existent actuellement dans l’Église, mais encore à ceux qui peuvent éventuellement apparaître dans l’Église au cours de l’avenir.
Projet audacieux ! Peut-être. Ce principe cependant libère la législation en formation de toute contrainte, il oblige à regarder d’une façon prospective le phénomène de la vie consacrée, il permet, grâce à l’expérience, de s’en tenir à l’essentiel, c’est-à-dire à ce que doit être tout institut de vie consacrée s’il veut être fidèle à son inspiration et remplir sa mission, tout en aidant et animant les membres qui, par lui, veulent se donner au Seigneur et vivre pour sa gloire.
Une telle visée pose évidemment des exigences nouvelles : elle oblige chaque institut à reprendre l’étude de ses origines, à formuler son but, son esprit, à renouveler ses structures - travail historique et canonique que l’on ne peut confier à des spécialistes du dehors. Il faudra que les instituts, même féminins, aient leurs historiens et leurs canonistes [33].
Il faudra revoir, à la lumière de ce même droit, certaines décisions trop hâtives des Chapitres de renouveau. Plusieurs ont été convoqués avant la fin du Concile ; d’autres l’ont été dans les plus brefs délais. On le regrette aujourd’hui. On n’était pas prêt ! Il faudra préparer ces révisions nécessaires. Peut-être eût-il été plus prudent de prévoir les Chapitres de renouveau après une période obligatoire de préparation, de réflexion et de prière. Il faudra, si possible, refaire le chemin. C’est l’œuvre qui attend les instituts soucieux de leur avenir [34].
Mais on pourrait objecter au rapport le caractère trop général de cette première partie du nouveau droit des instituts de vie consacrée. Ne serait-il pas plus simple de faire trois parties : une pour les religieux, une autre pour les sociétés dites de vie commune, une troisième pour les instituts séculiers ? L’objection est aussi plausible que dangereuse. On aboutirait à une reprise des structures précédentes : tous les religieux traités en une fois, sous un dénominateur commun, avec les mêmes effets nivellateurs. Du droit des sociétés apostoliques, pour être bref ou éviter des répétitions, on renverrait, comme dans le code actuel, au droit des religieux et on mettrait les instituts séculiers à la remorque de celles-ci. Or, chez les religieux, il faut déjà distinguer moines et apôtres, chanoines et mendiants, clercs et laïcs, comme le prévoit la première ébauche de la partie spéciale que nous donne le rapporteur.
Égalité entre Instituts masculins et féminins
Le deuxième principe énoncé par le R.P. Said libérera, nous en sommes sûrs, la grande majorité des instituts religieux, surtout féminins. Il suffit de reproduire ici son texte :
Outre les principes directeurs ci-dessus exposés - les quatre grands principes dont nous avons parlé d’abord - on peut ajouter une autre considération qui fut constamment présente à l’esprit des consulteurs : celle d’éviter, dans l’établissement des normes, toute discrimination entre instituts de perfection masculins et féminins.
Non sans raisons, de nombreuses congrégations féminines se sont plaintes des dispositions du Code en vigueur sur ce sujet. Dans le Code, les membres des instituts de femmes paraissent considérés comme ayant besoin de tuteur dans presque toutes les manifestations de leur vie et de leur activité. Au temps de la rédaction du Code, cette manière d’agir pouvait avoir quelque justification, mais à notre époque, il semble impossible de formuler, en ce domaine, des normes discriminatoires.
On ne peut qu’applaudir à ce jugement, mais cette norme oblige les religieuses à une spécialisation plus poussée : théologique, canonique, spirituelle. Sinon elles risquent de voir, peu de temps après la promulgation d’une telle législation, réapparaître des Décrets qui instaurent à nouveau une tutelle nécessaire, que certains religieux ne parviennent pas à abandonner lorsqu’il s’agit des instituts féminins. Ce principe pose évidemment celui de l’autogouvernement des moniales et un changement radical des habitudes jusqu’ici ancrées dans nos mentalités chrétiennes. Réussira-t-on jamais à changer une telle vision des choses ? Il faudra, en renouvelant les structures, changer aussi les personnes responsables des organismes directeurs de la vie consacrée. Ce sera peut-être difficile. Cela reste, cependant, l’une des premières exigences du renouveau.
On objectera, évidemment, que les instituts féminins ne sont pas partout également développés : pays d’ancienne chrétienté et églises nouvelles est une distinction que l’on fera certainement valoir. Il faudra donc veiller à favoriser partout une éducation de la liberté, si l’on veut faire les progrès que Vatican II souhaite. Et on ne le fera pas en imposant un nouveau système de tutelle. Même provisoire, il risquerait de devenir consuétudinaire !
Le principe de subsidiarité, appliqué par la législation générale à son niveau : voilà ce qui est fait. Tout ce qui précède le prouve. Cela répond à l’esprit du Concile comme au vœu du Synode des évêques en 1967.
Toutefois, si le droit applique ce principe, il doit favoriser son application dans le droit particulier. Toute la législation projetée ne veut rien faire d’autre. Le R.P. Said s’en explique ainsi :
Exception faite des dispositions qui tiennent à la nature même de l’état de perfection par la profession des conseils évangéliques - et qui doivent évidemment être les mêmes pour tous les instituts - et de quelques très importantes prescriptions disciplinaires, les canons rédigés jusqu’ici laissent aux instituts une ample liberté pour faire une meilleure adaptation de la discipline, en tenant compte des exigences et des nécessités tant internes, venant des instituts eux-mêmes, qu’externes, venant des circonstances de temps et de lieux.
Le principe a été souvent mal compris et est aujourd’hui - plusieurs Chapitres de renouveau en sont la meilleure preuve - mal appliqué ; on semble n’y voir qu’un principe de décentralisation. Le principe de subsidiarité bien appliqué permet aux instances inférieures les initiatives et les compétences dont elles sont capables de prendre la responsabilité. Il oblige les instances supérieures à respecter ce droit, tout en leur imposant le devoir d’aider, d’agir subsidiairement, chaque fois que l’instance inférieure n’est pas en état de le faire prudemment et efficacement, ou n’en a pas encore les moyens.
En droit, les instituts de perfection voient ce principe même appliqué par l’Église. L’autorité hiérarchique en matière de vie consacrée - une fois défini l’essentiel de ce qui est reconnu par elle comme instituts de vie consacrée - n’a d’autre rôle qu’un rôle subsidiaire, protection des institutions et de leurs membres ; elle n’est pas fondatrice des instituts, elle ne leur donne aucun charisme ; elle reconnaît et approuve l’authenticité des dons divins.
Ce même principe de subsidiarité, la hiérarchie l’appliquera chaque fois que son intervention est nécessaire, urgente et vitale pour le bien des Instituts. C’est l’Église tout entière qui est appelée à intervenir : souvent la hiérarchie ne peut rien sans le secours et la solidarité des instituts et des chrétiens réunis.
Mal appliqué, ce même principe de subsidiarité, en poussant à la décentralisation, peut défigurer une institution, rendre ses instances majeures toujours plus démunies et, de ce fait, plus irresponsables. Ce qui advient lorsqu’on les considère et les veut plus « animatrices » que « directives », plus « informatives » que « gubernatives ». Or, certains instituts de vie consacrée ne se conçoivent pas sans une responsabilité centrale et forte exigée par l’autonomie des parties, la mobilité de l’action, l’unité à sauvegarder, le maintien de l’esprit. Il faudra, croyons-nous, dans la partie spéciale, mettre cela en pleine lumière, sinon elle risque de détruire plutôt que de construire, de détériorer les structures au lieu de les faire parvenir à leur pleine maturité.
Harmonie entre droit commun et droit particulier
Troisième principe : l’harmonie entre droit commun et droit particulier. Le rapporteur est bref à ce sujet :
Dans le droit révisé, une grande harmonie doit régner entre le droit commun et le droit particulier. Le premier ne doit rien imposer de plus que le strict nécessaire afin de laisser aux instituts la juste liberté d’établir les déterminations adaptées à leur vie. Le droit particulier, d’autre part, ne doit pas franchir les limites posées par le droit commun et doit en conserver et en appliquer fidèlement les lignes générales.
Ce principe ne prendra son plein relief qu’au moment où le groupe d’études examinera le droit des divers types de vie consacrée. La législation générale jusqu’ici élaborée sera mise ainsi à l’épreuve et nécessairement retouchée : terminologie, ouverture et adaptation des textes deviendront de plus en plus nécessaires, si l’on veut respecter les instituts concrets, leur vie, leur mission, leur développement.
Deux questions se posent. La première : celle de la prévalence du droit particulier sur le droit commun ; l’autre, celle des abus à éviter et à corriger pour que le renouveau conciliaire soit réel, et donc possible.
Prévalence du droit particulier. À lire le rapport des Communicationes, on pourrait craindre la prévalence du droit commun. Il n’en est rien. Qui lit le texte attentivement verra que ce droit commun pose les éléments essentiels à tout institut de vie consacrée : profession des conseils en vue de la charité parfaite, vie et pratique des conseils institutionalisées - ce qu’elles ne sont pas dans l’existence chrétienne, chez les prêtres séculiers comme chez les simples fidèles du Christ, - fidélité au charisme et aux structures fondamentales de l’Institut, dépendances de la hiérarchie ecclésiale, une certaine participation à ses pouvoirs, normes d’admission, de cooptation, de formation, d’éventuelle séparation, d’administration des biens. Telles sont les normes générales que l’expérience amène l’Église à poser sans nuire aux divers instituts et laissant pleinement ouverte la possibilité de nouveaux charismes de vie consacrée. Il faudrait même prévoir qu’on puisse déroger à ce droit commun chaque fois qu’une fondation nouvelle et sérieuse l’exige pour son approbation, si on veut que sa physionomie propre et la recherche qu’impose la période de fondation et les premières réalisations de sa mission propre ne soient pas perturbées. Il faudrait reconnaître aux fondateurs, durant leur vie, ce droit d’initiative - ce que fit Pie XII [35]. Toutefois il faut ici protéger les droits acquis des membres et ne pas permettre qu’un fondateur, après l’approbation d’un institut de perfection, en vienne à supprimer la consécration de vie par les conseils évangéliques ou à diminuer l’importance qu’ils avaient dès les premiers engagements du groupe fondateur.
Un point plus délicat est celui des abus à éviter et à corriger dans le renouveau conciliaire. C’est ici que l’harmonie entre droit commun et droit particulier sera le plus difficile. La typologie des instituts pose dès maintenant ce problème. Il faudra la définir en vue d’une meilleure réalisation de chaque vocation. Il serait vraiment appauvrissant de voir les exigences du droit monastique réduites au point de permettre et de protéger les abus du joséphisme, un apostolat contraire au maintien des exigences de la vie contemplative. En écoutant les vœux des instituts voués à l’apostolat, on est frappé de voir combien leurs membres les plus fervents sont soucieux de rénover le charisme de leurs fondateurs, surtout en ce qui concerne la pauvreté, l’aide aux pauvres, la protection de l’enfance inadaptée et abandonnée. Que d’instituts se sont peu à peu dirigés vers d’autres catégories de malades, d’enfants, de personnes. Mêmes désirs chez les instituts sacerdotaux qui voudraient reprendre un apostolat plus pastoral et délaisser des travaux plus profanes, secondaires après tout et que peuvent prendre en charge les laïcs ou la société civile. Il est difficile, en ce cas, de suivre la pars sanior lorsque la pars maior a voix au Chapitre et forme sa majorité [36]. Ce sera bien souvent le problème que poseront les normes spéciales aux divers types de vie consacrée, comme ce fut parfois la difficulté majeure de certains chapitres de renouveau.
Dignité et droits des personnes
Le dernier principe a trait à la dignité et aux droits de la personne. Il est d’application spéciale pour tout ce qui regarde l’admission, la formation, la démission des membres. Il devrait être mis en relief quant à la participation de tous à la vie de l’institut et à son gouvernement, tant spirituel que matériel. Il sera encore plus délicat à appliquer chaque fois qu’il faudra traiter de la vie sacramentaire, de contacts humains, de relations familiales, de l’action apostolique et des responsabilités et des initiatives qu’elle comporte. À voir l’allure générale que prend le nouveau droit des instituts de vie consacrée, il reviendra aux instituts eux-mêmes d’être, ici plus que jamais, soucieux de ces applications. Les droits fondamentaux sont inaliénables. La loi fondamentale en a énoncé quelques-uns [37]. La vie consacrée peut cependant comporter un renoncement à leur exercice et limiter l’usage de certains droits de la personne, mais cette limitation ne peut s’étendre jusqu’à devenir l’extinction de droits fondamentaux constitutifs de la dignité de la personne.
Le rapporteur fait à ce sujet une remarque assez générale :
On a insisté sur le soin à apporter, dans le choix et la préparation des candidats, sur leur maturité physique et psychique, sur la formation du maître, qui doit être doué de toutes les qualités requises pour ses difficiles fonctions... On a fait mention explicite de la nécessité d’une vocation divine, que les candidats et les supérieurs doivent examiner avant la cooptation.
Mais il nous est agréable de souligner que la personnalité même du rapporteur est ici une forte garantie. Imprégné de la mentalité anglo-saxonne, il témoigne d’un souci constant de liberté et de dignité humaine hautement appréciables dans la rédaction des canons qu’il propose à la discussion du groupe d’études.
Le nouveau plan du droit des instituts de vie consacrée
Il nous faut maintenant présenter le projet qui a guidé jusqu’ici le travail du groupe d’études [38]. Ce plan pose les structures générales de la loi. Et toute structure légale manifeste de soi un esprit. Il est utile de le rappeler ici.
Des INSTITUTS de PERFECTION
Canons préliminaires
PARTIE GÉNÉRALE : Dispositions communes à tous les instituts
PARTIE SPÉCIALE : Dispositions particulières à certains instituts.
Canons préliminaires
Section première : Les Instituts monastiques
Titre 1 Les moines
Titre 2 Les moniales
Titre 3 La clôture des moniales
Seconde section : Les Instituts religieux voués aux œuvres apostoliques.
Titre 1 Les instituts religieux cléricaux
Titre 2 Les instituts religieux laïcs
Section troisième : Les sociétés de vie commune
Section quatrième : Les instituts séculiers
Section cinquième : Les instituts exempts
On remarquera tout d’abord que la partie générale, dont le groupe d’études vient de terminer une première rédaction, est la mieux élaborée. Si elle suit, dans ses grandes lignes, celles du Code, on notera cependant sa sobriété, quelques titres nouveaux [39], comme la disparition de certains autres [40].
Les canons préliminaires de cette partie sont à revoir complètement [41]. Plusieurs, rédigés avant ce projet de plan général, seront révisés et trouveront leur place normale dans la partie spéciale [42].
Vu le contenu même des articles qui suivent, il faudra parler :
- de la vie consacrée ;
- de l’état de vie consacrée par les conseils évangéliques ;
- du don divin qui est à l’origine de ces institutions ;
- de la nature même de cette vocation ;
- des types généraux de ces instituts et vocations ;
- des distinctions canoniques entre Ordre et Congrégation ; société de vie commune et Institut ou Association de vie consacrée séculière.
Le titre I de la partie générale traite de l’érection, de la fusion, de la suppression des instituts, provinces et centres.
Si ce titre suit à peu près le même ordre que le titre IX du livre II du Code de droit canonique, plusieurs innovations cependant ont été proposées, tant pour l’érection de l’institut que pour sa division en parties. Ces innovations ont été faites compte tenu des institutions nouvelles qui sont récemment apparues dans l’Église, comme les conférences épiscopales [43], et aussi compte tenu du principe de subsidiarité et d’une saine décentralisation. Les droits et les nécessités de l’Ordinaire du lieu et de l’Église locale ont été également reconnus, tant pour l’érection que pour la suppression de maisons ou de communautés.
Enfin, on a introduit une prescription concernant la fusion des Instituts en vue de réaliser des unions, si c’est nécessaire, et dans la mesure où cette nécessité s’impose. Ces unions, les Pères conciliaires en parlent dans le Décret Perfectae Caritatis, nos 21 et 22 [44].
Le titre II : « La dépendance des Instituts envers l’autorité ecclésiastique ».
Problème difficile et délicat. Selon le rapporteur, le fondement semble bien être celui-ci :
Le principe établi est que tout institut de perfection, indépendamment de sa condition juridique actuelle, a été constitué dans l’Église en vue du bien universel de celle-ci et, par conséquent, est soumis de manière particulière à l’Autorité suprême de l’Église.
Reste alors la question difficile de la soumission des membres de l’Institut à l’autorité suprême. Parlant des religieux, le Code dit qu’ils sont obligés d’obéir en vertu de leur vœu au Souverain Pontife. Cette obéissance serait matière du vœu et de tout engagement similaire [45] - vœu d’obéissance au Souverain Pontife, comme autorité suprême, il s’étendrait au Corps épiscopal en union avec le Souverain Pontife, si le Collège tout entier donnait un ordre vi voti à tous les membres d’instituts de perfection [46]. Ce qui semble bien difficile à concevoir, tout comme on ne voit pas le Collège épiscopal imposer un précepte à un membre d’un institut de perfection [47].
Quant aux relations des instituts et de leurs membres avec l’Ordinaire du lieu, le groupe d’études n’a pas voulu s’appuyer sur la distinction entre instituts exempts et non exempts. Le rapporteur s’en explique de la façon suivante :
Comme l’a déterminé le Concile Vatican II, l’exemption est un acte libre du suprême Pasteur de l’Église qui, en vue de l’utilité commune et particulière de quelque institut, exempte de la juridiction de l’Ordinaire des lieux, un, plusieurs ou tous les instituts de perfection, ou les membres de ces Instituts, et les soumet soit à lui seul, soit à un autre supérieur. L’exemption dépend donc d’un acte libre du Souverain Pontife, qui peut l’accorder ou non.
Telle quelle, cette description de l’exemption dépend de la réflexion théologique au sujet du pouvoir pontifical et de son exercice. L’histoire doit fournir toute l’information nécessaire pour situer l’exemption dans la réalité des faits. De plus, il faut noter que si l’on a parlé de « privilège » au sens de loi spéciale [48], le mot a suscité spontanément une classe privilégiée, ce qui ne correspond pas à la réalité spirituelle que l’exemption protège et exprime. De nos jours, l’exemption, déjà fortement limitée et réduite dans la vie apostolique des instituts, se voit augmentée par l’autonomie plus grande que postule la vie interne des instituts et le droit associatif comme droit de la personne humaine, reconnu par la loi fondamentale [49], et auquel le rapporteur a déjà fait allusion [50]. Au sujet de l’autonomie propre des instituts, le rapport dit ce qui suit :
Le groupe d’études a pensé plus utile d’insister sur la nécessité d’assurer à tout institut de perfection l’autonomie interne à laquelle il a droit, en tant qu’un institut est une personne morale ou un organisme ecclésial légitimement constitué en vertu de son érection par l’autorité ecclésiastique compétente. Sous cet aspect, tout institut de perfection a le droit de mener sa vie propre selon ses propres statuts, et sans ingérences extérieures indues, en vue d’exercer sa propre activité et de pourvoir à son propre accroissement. Cela n’empêche pas que l’institut et ses membres ne soient soumis, non seulement à l’autorité suprême ou centrale de l’Église, mais encore à l’Ordinaire du lieu, selon les normes du Droit.
Il fallait donc tenir compte pour tous les instituts de leur rapport avec les Ordinaires des lieux, dont le Concile a renforcé la position et augmenté les pouvoirs [51]. Cette tendance est nette également dans les documents extra-conciliaires [52]. Certains d’ailleurs travaillent, depuis avant le Concile, à diminuer au plus, comme ils disent, « les droits des religieux ». La chose est bien marquée au Décret Christus Dominus [53] et dans les normes de la première partie d’Ecclesiae Sanctae [54].
Le rapporteur nous informe à ce sujet de la façon suivante :
C’est pourquoi on a déterminé de manière précise les droits de l’Ordinaire du lieu à l’égard des instituts de perfection, principalement des instituts de droit diocésain. Le Droit du Code présentait en cette matière diverses lacunes d’une certaine importance. Les instituts de droit diocésain, qui sont encore dans la phase de leur enfance ou de leur adolescence, ont été, pour cette raison, confiés au soin particulier et à la vigilance de l’Ordinaire du lieu, afin que celui-ci puisse aider et stimuler leur progrès spirituel et matériel, leur accroissement et leur diffusion à travers le monde.
Il reste toutefois vrai que, même à l’égard de ces instituts, un droit à l’autonomie d’association libre est toujours à maintenir et à respecter.
Le titre III : Le gouvernement des Instituts. Cette partie de la législation projetée a, sous l’influence du Concile, une physionomie nouvelle. Tout en respectant la nature et la tradition des instituts les plus anciens, elle s’inspire des principes de subsidiarité et de participation accrue des membres à la direction et aux orientations à donner à l’Institut. D’où une nouvelle figure de « supérieur » ou « responsable ». Le rapport esquisse ce changement de la manière suivante :
Dans l’établissement des normes, il faut inculquer l’idée que les supérieurs acceptent et remplissent l’office qui leur est propre en esprit de service envers la communauté, et qu’ils gouvernent en stimulant et en promouvant une action commune des religieux plutôt qu’en imposant des préceptes.
En lisant ce passage, on voit une fois de plus combien il est difficile de se libérer de la vision « religieuse » du Code pour envisager les perspectives d’un droit commun à tous les instituts de perfection.
Quant à l’autorité même, elle sera affirmée pour le bien de tous :
Les supérieurs ont cependant l’autorité suffisante pour gouverner et doivent l’exercer de manière sage et prudente pour le bien commun et individuel.
Il valait la peine d’affirmer le principe d’une autorité nécessaire et compétente, surtout aujourd’hui où l’autorité a été diminuée en vertu du principe de subsidiarité et où l’exercice de l’autorité, à la suite d’une nette inhibition des supérieurs, est souvent devenue plus faible et moins certaine.
Dans le gouvernement des instituts de vie consacrée, il faut aussi inculquer et assurer la liberté de conscience. A cet effet, dit le rapport,
les consulteurs se sont efforcés d’introduire, pour le sacrement de pénitence, une discipline beaucoup plus simple que celle établie dans le Code, surtout en ce qui concerne les moniales et les religieuses.
Il faut en dire autant de l’ouverture de conscience, qu’une interprétation trop rigoureuse du Canon 530 avait fortement réduite, au risque de faire des supérieurs religieux des administrateurs de l’ordre externe, tandis que les instituts séculiers, plus souples, maintenaient parmi leurs membres et avec leurs responsables des contacts plus humains et plus fraternels. Spontanéité que réclame la vie religieuse actuelle.
Le titre IV relatif à l’administration des biens temporels. Cette matière est dépendante du droit patrimonial général de l’Église. Comme le dit le rapporteur, il fallut attendre la réponse de ce groupe d’études afin de savoir si la partie traitant des biens des instituts de perfection devait être incluse dans la partie du Code réservée à cette matière - tel que prévu par la Commission qui en fit le plan général, approuvé par la commission de codification.
Le groupe d’études « De iure patrimoniali » décida de laisser au groupe « des instituts de perfection » le soin de la rédaction d’un projet adapté à la situation des instituts de vie consacrée. Ce projet est rédigé. Il a été discuté lors de la dernière réunion du groupe d’études et approuvé par les membres. Comme les autres textes, ce projet se maintient, selon l’esprit qui guide les travaux du groupe, dans une sobriété d’expression et une simplicité de prescriptions qui respectent la physionomie des instituts tout en rappelant, dans la législation elle-même, un esprit plus évangélique selon les normes du Concile.
Le titre V au sujet de l’admission dans les Instituts.
Quatre sous-titres structurent cette matière importante pour la vie et l’avenir des instituts de vie consacrée. La terminologie est nouvelle : elle a été choisie pour éviter toute notion du droit religieux tel qu’il se présente dans le Code : on parle de candidats au lieu de novices ; de cooptation, au lieu de profession ; de liens sacrés (sacra vincula) au lieu de vœux... on cherche à ne plus parler de noviciat ; peu à peu on préférera le terme « probation », qui répond à la nature même des « noviciats » religieux actuels moins « conventuels » depuis Renovationis Causam [55]. Rien n’empêche que les instituts gardent leur terminologie propre en ces matières, comme ils sont d’ailleurs de plus en plus invités à adapter les « probations » au type de vie et d’action qui leur est particulier [56].
Le rapport nous donne cette vision, d’ailleurs sommaire, du travail accompli :
Dans le titre V... on établit des prescriptions qui sont très importantes, pour le bien de tout institut de perfection. Il s’agit, en effet, de l’acceptation des candidats, de leur formation et de leur incorporation dans l’Institut. Dans cette partie, il fallait donner des normes applicables à tous les instituts. On comprend donc facilement que le groupe d’études n’ait formulé que des prescriptions générales et qu’il ait laissé de nombreux points à déterminer par le droit particulier. Les consulteurs ont eu sous les yeux l’instruction Renovationis Causam, promulguée le 6 janvier 1969, et ont introduit dans les canons du présent Titre de nombreuses facultés concédées par cette instruction. On a insisté sur le soin à apporter dans le choix et la préparation des candidats, sur leur maturité physique et psychique, sur la formation du maître, qui doit être doué de toutes les qualités requises pour ses difficiles fonctions. La législation concernant l’incorporation ou la cooptation dans l’Institut a été rédigée de manière à pouvoir répondre aux conditions et nécessités d’aujourd’hui. On a tenu compte également des concessions faites et des expériments permis par l’autorité légitime. Dans ce Droit commun, il n’est plus question de « postulat ». On y a fait mention explicite de la nécessité d’une vocation divine, que les candidats et les supérieurs doivent examiner sérieusement avant la cooptation. Les conditions de validité du noviciat et de la cooptation apparaissent réduites en nombre ; celles qui concernent la licéité ont été abrogées comme inutiles ou presque inutiles. Les effets, non seulement juridiques, mais aussi théologiques, de la cooptation sont mieux indiqués et l’obligation est imposée aux membres des instituts de perfection, après leur cooptation, de compléter et de parfaire leur propre formation afin de mener plus pleinement la vie propre de l’Institut et de poursuivre sa mission de manière plus adaptée.
Quant au Titre VI au sujet des obligations des Instituts et de leurs membres, et au Titre VII traitant de la séparation d’avec l’Institut, ces textes, au moment où écrivait le rapporteur, n’avaient pas encore été approuvés de manière définitive par les consulteurs du groupe d’études. Le résultat des dernières semaines d’études sera, espérons-nous, publié dans Communicationes. Ces parties, conçues pour tous les instituts, sont d’une extrême sobriété. Le dernier titre a été plus élagué encore que les autres, d’une part pour supprimer ce qui y était claustral et, d’autre part, pour éviter toute discrimination entre instituts d’abord, entre hommes et femmes ensuite, tout cela selon les normes mêmes qui dirigent les travaux du groupe.
Ainsi la Commission se trouve à pied d’œuvre pour commencer la partie spéciale. Elle devra revoir les canons préliminaires qui firent l’objet des premières sessions. Plusieurs de ceux-ci trouvent leur place naturelle dans la deuxième partie : ermites, cénobites, congrégation monastique, institut clérical, institut laïcal, état religieux et vie consacrée séculière. Toutes ces notions se réfèrent à des titres différents de cette partie et y seront probablement insérées.
Tel est l’état des travaux de la Commission. Si la première partie est terminée comme projet, on peut s’attendre à ce que des corrections soient apportées au cours des discussions de la seconde partie. Le texte aura sa forme définitive au terme de la rédaction et de la discussion de toutes les parties du droit des instituts de vie consacrée [57].
Titre I | L’érection, la fusion, la suppression des instituts, provinces et maisons. |
Titre II | La dépendance des instituts envers l’autorité ecclésiastique |
Titre III | Le gouvernement des instituts |
Titre IV | Les biens temporels des instituts et leur administration |
Titre V | L’admission dans les instituts- art. 1 Les qualités requises des candidats- art. 2 La formation de ceux qui sont admis- art. 3 La cooptation dans l’Institut- art. 4 La formation de ceux qui sont cooptés. |
Titre VI | Les obligations des instituts et de leurs membres |
Titre VII | La séparation d’avec l’Institut- art. 1 Le passage à un autre institut- art. 2 La sortie de l’institut- art. 3 Le renvoi de l’institut- art. 4 La condition juridique de ceux qui se sont séparés de l’Institut. |
Comment juger le travail accompli ?
Que penser du travail accompli ? Il semble bon, si on tient compte de la vision nouvelle qui l’inspire : la partie commune aux instituts profite de leur diversité pour établir des normes générales plus souples, plus respectueuses du droit particulier, plus simples et moins nombreuses. En lisant ce projet, on respire un air plus sain et plus frais. On n’y compile pas un droit ancien : on s’efforce de faire un droit nouveau qui réponde aux besoins d’aujourd’hui et favorise le renouveau souhaité par le Concile.
Deux questions se posent :
- ce projet sera-t-il accepté ?
- ce projet est-il compromis ?
Ce projet sera-t-il accepté ?
Oui, si on informe à temps ceux qui doivent le juger, de façon à les mettre dans la même optique conciliaire et à leur faire accepter cette nouvelle manière de légiférer. Ce n’est pas facile. Il a fallu plusieurs sessions aux consulteurs aux pour se libérer du passé et la terminologie nouvelle n’a pas encore été pleinement assimilée. On parle encore trop souvent en termes du droit des religieux, tandis qu’on fait un effort sérieux pour se mettre sur un plan plus général, dans une perspective qui admette la diversité des vocations, des charismes et des institutions. Après le Code de 1917, c’est là un effort énorme à faire, une conversion à opérer au plus tôt. Il faudrait dès à présent sensibiliser les supérieurs, surtout religieux, à ces perspectives nouvelles et informer l’épiscopat de la portée de ces travaux.
Ces textes seront-ils compromis ?
Oui, si on lit certains projets préparés par des conférences de supérieures majeures d’instituts religieux. Trop souvent, celles-ci cherchent à mettre dans le droit général de l’Église des particularités qui viennent l’encombrer ou des préceptes qu’elles n’ont pas la force de maintenir. Le droit commun ne doit pas répondre aux déficiences des personnes. S’il le faisait, il se détruirait par le poids de ses prescriptions, par le détail de ses lois... A suivre cette voie, on risque d’avoir pis qu’avant ! Ces textes rédigés par des Commissions trop souvent préoccupées des problèmes de la vie religieuse, présentés aux Évêques, susciteront des amendements qui rompront l’élan et la ligne du projet présenté à leur approbation. Ce danger n’est pas irréel.
Un autre danger est celui des groupes de pression. Ils existent. Comment les neutraliser ? Pourront-ils se mettre au niveau des textes qu’ils voudraient amender ?
Positions et Propositions des divers Instituts
Que penser des positions et propositions de diverses catégories d’instituts de perfection ? Elles ne sont pas inutiles. Au contraire ! Les moines ont fait entendre leur voix. Voix discordantes d’ailleurs. Les moniales présenteront leurs desiderata, comme l’ont fait le Congrès des Abbés bénédictins [58], le chapitre des Cisterciens réformés [59]. Le Propositum monasticum est resté l’œuvre d’un seul auteur [60].
Les Chanoines réguliers voudraient se distancer des moines [61]. Selon les normes de Perfectae Caritatis, ils ne forment pas un ordre monastique mais une institution apostolique qui groupe des congrégations canoniales [62] aujourd’hui fédérées : leur fin spécifique est le culte divin. À ce titre, ils ont même fonction ecclésiale que les chapitres cathédraux et collégiaux d’autrefois [63]. À cet opus praecipuum s’ajoutent souvent des travaux pastoraux en paroisse qui, parfois, empêchent l’accomplissement de cette liturgie qui fait l’essentiel de leur vie et de leur témoignage.
Les Clercs réguliers, eux n’ont - ni au Concile, ni par après - exprimé des vœux particuliers. Ils s’insèrent aisément parmi les instituts de vie apostolique dont ils furent les devanciers [64]. Plusieurs ont tendance à disparaître par manque de vocations [65].
Quant aux Mendiants - eux aussi instituts voués à l’action apostolique- comment se situent-ils ? Ce n’est plus la quête et le régime de pauvreté qui, aujourd’hui, les distinguent et les définissent. C’est l’apostolat comme fruit de leur contemplation [66]. À voir le nouvel équilibre qu’ils cherchent, ces instituts ont une nette tendance à diminuer l’importance de l’office divin pour organiser plus librement leur vie apostolique, leurs études et les autres charges pastorales qu’ils ont assumées ces derniers temps, même en paroisse [67].
Toujours parmi les instituts voués aux œuvres d’apostolat se situent les sociétés dites « de vie commune », les unes missionnaires [68], les autres fortement pastorales [69] et, parmi elles, les très nombreuses Filles de la Charité, type féminin le plus original et le plus connu de ces sociétés [70].
Les sociétés missionnaires ont affirmé, ces derniers temps, leur caractère non-religieux ; certains ne veulent plus être considérés comme « instituts de perfection ». Cette terminologie leur déplaît. Mais il y a plus ! Telle société déclarait ne pas prendre en charge le progrès spirituel de ses membres. Chez toutes ces sociétés cléricales, on note un désir de voir leurs membres incardinés à leur diocèse d’origine ou à un diocèse de leur pays natal qui voudrait bien les prendre en charge [71]. Certains songent même à une double incardination - en pays natal et en pays de mission - tendances qui pourraient ébranler l’unité de leur institut et la cohésion de leur action. Elles mettent en cause leur esprit et leur fraternité. Certains chapitres de renouveau ont surmonté avec peine ce danger d’éclatement. Dans la législation sur les instituts de vie consacrée, on ne pourra prendre en considération que les sociétés missionnaires qui veulent explicitement faire profession des conseils évangéliques comme consécration à Dieu et aux hommes, et non celles qui délaissent les trois conseils ou voient avant tout dans leur engagement un contrat de travail missionnaire qui pourrait n’être que temporaire [72].
Les sociétés « ecclésiastiques », - Sociétés non-missionnaires - elles, veulent rester « Instituts de perfection » tout en soulignant mieux leur service de l’Église locale et leur collaboration avec le clergé des diocèses où plusieurs d’entre elles ont eu longtemps la charge des séminaires. Ces sociétés ne sont pas « religieuses ». Le titre XVII du Code n’a pas été inspiré par leur intention de vie, mais par une ressemblance plutôt externe avec les instituts religieux, du fait de leur vie communautaire : cohabitation, table commune, communauté de biens plus ou moins stricte. Cette vie communautaire, par la force des choses, s’est conventualisée et la référence même au droit des religieux a favorisé une assimilation toujours plus grande, contre laquelle elles se défendent aujourd’hui. Elles résistent à tout ce qui tend à les inclure parmi les religieux. Elles furent heureuses de voir que le projet du nouveau droit des instituts de vie consacrée leur réservait un titre spécial, nettement distinct des instituts de vie monastique et des instituts dévoués aux œuvres d’apostolat. Si elles ne sont pas « religieuses », ces sociétés devront être « séculières » et définir leur sécularité propre.
La question est d’importance. Les instituts séculiers, en effet, ne semblent pas épuiser toute la sécularité. Les instituts séculiers, tout en visant à être toujours plus séculiers et en admettant un juste pluralisme, celui qui correspond aux directives de Primo feliciter (qui complètent ou « corrigent » celles de Provida Mater), ne sont pas les seuls instituts à avoir une vocation séculière. Institut et vocation sont ici à distinguer. Une vocation séculière, mitigée bien sûr, peut être le fait de sociétés de vie commune - aujourd’hui appelées sociétés apostoliques - comme la « Mission ouvrière S.-Pierre et Paul » fondée par le Père Jacques Loew [73]. Bien des Instituts séculiers, qui ont voulu maintenir une certaine forme, même souple, de vie communautaire ou qui organisent des œuvres propres, trouveraient ainsi un statut canonique qui corresponde à leur charisme particulier et à leur rôle dans l’Église.
Vocation séculière encore, celle des branches ou sections séculières de certains instituts religieux, qui ont suscité des coopérateurs et des amitiés qui, groupés, se sont finalement agrégés à ces instituts [74].
Séculière enfin la vocation de certaines « associations de perfection » qui ont opté pour un statut plus souple que celui des instituts séculiers approuvés par Pie XII [75]. Souplesse qui ne correspond pas nécessairement à une sécularité plus forte. Certaines branches séculières d’instituts religieux ont obtenu ce statut canonique d’association et dépendent jusqu’ici, à un double titre, de la Congrégation des religieux et des instituts séculiers : au titre de leur dépendance, même uniquement spirituelle, d’un institut religieux, et au titre de leur vie consacrée.
Corrections souhaitées au projet publié
Ce rappel de vocations diverses dans une telle variété d’institutions fait voir l’importance et la délicatesse du travail que devra entreprendre le groupe d’études des instituts de perfection en se mettant à la rédaction de la partie spéciale prévue par son projet.
Ce projet est une première ébauche. Déjà des corrections utiles sont suggérées, telle la suppression du Titre II de la première section : la clôture des moniales [76]. Celle-ci pose, évidemment, de nombreux problèmes. Les moniales ne veulent plus se voir imposer la clôture carmélitaine. Bénédictines et Cisterciennes veulent reprendre leurs antiques traditions et s’adapter ainsi aux mentalités d’aujourd’hui. L’égalité prônée entre hommes et femmes devra ici aussi être respectée [77]. Aujourd’hui les moniales qui suivent la Règle de saint Benoît sont obligées à une clôture plus sévère que les moines bénédictins. Peut-être faudra-t-il souhaiter plus de retraite et de solitude pour les hommes, moins de barrières pour les femmes...
Une autre suggestion semble également valable. Pourquoi mettre si fort l’accent sur les instituts religieux voués aux œuvres d’apostolat ? Ne pourrait-on pas inclure sous un même titre toutes les institutions de vie consacrée vouées à l’apostolat direct : ordres, congrégations et sociétés apostoliques ? Dans Perfectae Caritatis, tous ces instituts étaient compris dans l’article 8 de ce Décret. Mais, comme nous venons de le voir, le caractère non-religieux de ces sociétés n’avait pas encore été aussi nettement proposé. Ces sociétés se mettront-elles d’accord pour dire ce qu’elles sont ?...
Un dernier point : Quel a été l’accueil fait au projet paru dans Communicationes ? Selon des informations sérieuses, cet accueil a été favorable. Peu d’articles ou d’études se sont exprimés nettement. Cela se comprend. Il faudrait lire les textes pour pouvoir les apprécier. Mais il semble préférable d’attendre qu’une rédaction plus unifiée puisse être présentée aux Évêques et aux supérieurs majeurs. Une voix cependant s’est fait entendre [78]. Un membre de la S. Congrégation des Religieux et des instituts séculiers qui a étudié les documents de la Commission écrivait récemment que ses travaux et le rapport publié par la Commission de Codification dans sa revue Communicationes prouvait bien qu’il ne s’agirait plus d’une simple réordination de canons anciens, mais d’une pensée nouvelle qui donnera un style nouveau et une nouvelle inspiration à la vie consacrée selon les perspectives ouvertes par le Concile comme par les Encycliques de Jean XXIII et de Paul VI. Ce qui est vrai pour le nouveau droit des instituts de vie consacrée, le sera aussi pour tout l’ordre canonique de l’Église [79].
Quant au projet - dit l’auteur-, il a très heureusement suivi une voie nouvelle en distinguant deux parties : une générale, pour tous les instituts, actuels et futurs ; une autre, spéciale, qui respecte mieux la variété des dons et des charismes. Tout cela, nous dit-il, est de bon augure.
L’auteur exprime cependant certaines appréhensions. Il est utile de les mentionner. Il aimerait voir mieux mise en relief la place des Instituts de vie consacrée dans l’Église. Ce qui se fera, croyons-nous, en rédigeant les canons préliminaires de la première partie du droit de ces instituts [80].
On souhaiterait une réflexion plus concrète et plus approfondie sur ce qu’est la vie consacrée, le sens et l’importance des conseils dans l’option de vie et sa réalisation dans ces Instituts [81]. Enfin il faudra, croyons-nous, se libérer d’une terminologie toujours moins apte à signifier cet état de vie [82].
On a très heureusement modifié le canon de la loi fondamentale sur les catégories de personnes [83]. Au lieu de parler de religieux, on y parle de ceux qui font profession de vivre les conseils évangéliques, quoique le terme revienne encore deux fois par la suite et mériterait d’être éliminé par une terminologie plus appropriée [84].
À lire ces réflexions, on ne peut que soupçonner le travail que suppose la codification qui, pour exprimer une vision nouvelle de l’Église, doit trouver une terminologie qui permette de l’insérer dans la vie. Rien de plus dangereux que d’exprimer une idée nouvelle dans une terminologie ancienne. Si l’on n’y prend garde celle-ci se maintiendrait par la force de l’usage et du temps, et, avec elle, les anciennes idées qu’elle exprimait. Le groupe d’étude des instituts de vie consacrée a commencé cet effort : il risque de ne pouvoir le poursuivre s’il ne se libère pas du contexte historique que peuvent à nouveau lui imposer moines et mendiants, chanoines réguliers et sociétés de vie commune en exigeant dans le nouveau Code une mention trop particulière.
Quoi qu’il en soit, l’effort ébauché par le rapport paru dans Communicationes permet aux Instituts de vie consacrée de prévoir une période de renouveau plus proche de leurs origines, période de plus grande liberté en vue d’organiser leur vie et leur action propres. Ce fut l’effort du Concile. Le droit ne peut qu’en favoriser la poursuite en pleine fidélité au travail de l’Esprit.
Université Grégorienne Piazza della Pilotta 4
I- 00187 ROMA, Italie
[1] Communicationes, 2 (1970), 173-181. Nous citons ce texte dans la traduction française de Sœur J. de Charry, Religieuse du Sacré-Cœur, étudiante de la Faculté de Droit Canonique à l’Université Grégorienne.
[2] Le terme « Instituta perfectionis » se trouve dans Lumen Gentium, n° 45 b. On est étonné de voir qu’il a été évité dans la rédaction de la Loi fondamentale, comme n’étant pas employé dans la Constitution dogmatique de l’Église...
[3] Le terme est d’ailleurs peu à peu employé dans l’usage courant : la Constitution « Lumen Gentium », qui a mis en valeur la notion de consécration dans les Instituts de vie parfaite ; le Décret « Perfectae Caritatis », parlent explicitement de la vie consacrée par la profession des conseils évangéliques, au n° 1, d.
[4] Cf. notre étude Vita per consilia evangelica consecrata, Rome, 1969, 18-27.
[5] Cf. Communicationes, 1 (1969), 101-113.
[6] L.G., n° 45.
[7] Dans ce Décret, plusieurs principes de renouveau ont été définis, surtout au n° 2.
[8] Texte important en ce qui concerne les Constitutions et statuts des Instituts de vie consacrée. Voir II, Pars I, II, nos 12-14.
[9] Communicationes, 1 (1969), 77-100.
[10] Nous faisons ressortir les principes impliqués dans le Commentaire du R. P. Said. Il y est fait souvent référence dans le travail du groupe d’études qui se poursuit sous la direction du R. P. Bidagor.
[11] Communicationes, 2 (1970), 171. Ce principe est à la base de toute la codification. Il suppose, comme ce fut le cas dans le groupe de travail de « Institutis Perfectionis », des lois plus générales qui, d’une certaine façon, ressemblent plus à des « lois-cadres » qu’à un droit général et uniforme.
[12] Communicationes, 2 (1970), 171.
[13] Communicationes, 2 (1970), 171. Les citations d’Écriture Sainte sont spécialement délicates dans les textes juridiques où, du fait du contexte, elles peuvent être sujettes à une interprétation abusive.
[14] Communicationes, 2 (1970), 171. Plus la loi est une loi-cadre, moins il convient d’augmenter ces canons « pastoraux ».
[15] Communicationes, 2 (1970), 171, Sub II.
[16] Communicationes, 2 (1970), 171, Sub II.
[17] P.C., nos 2 & 3.
[18] Cf. A.A.S., 58 (1966), 775-782.
[19] Communicationes, 2 (1970), 171, Sub II, in fine.
[20] Entre autres, la préparation des religieux et religieuses par des études sérieuses de théologie, de droit canonique et d’histoire. Ce fut un des points névralgiques des Chapitres de renouveau, souvent dépourvus de compétences : ces Chapitres ont fait appel à des « experts » qui ne connaissaient pas l’Institut et lui imposaient des normes surtout sociologiques qui ont eu, tout aussi fortement que les normes canoniques d’autrefois, leur influence uniformatrice. On peut suivre, d’un Chapitre à l’autre, la trace de tel sociologue ou psychologue qui a marqué le renouveau et imposé des normes dont la vie réelle, l’extension de l’Institut, son manque de préparation intellectuelle et psychologique, ont provoqué le « rejet ».
[21] Communicationes, 2 (1970), 172. Il faudra revenir sur ce principe qui peut être dangereux car, chez plusieurs, les conseils sont considérés comme des entités de la vie consacrée, alors qu’étant conseils, ils doivent, en chaque Institut de vie consacrée, trouver leur réalisation particulière.
[22] Communicationes, 2 (1970), 172.
[23] Communicationes, 2 (1969), 80-82. Il faut cependant noter que dans certains Chapitres le principe de subsidiarité a été conçu comme un simple principe de décentralisation et sans tenir compte de la nature particulière de l’Institut. Le principe décentre et concentre pour autant que l’instance inférieure peut agir par elle-même, ou a besoin d’une aide nécessaire pour remédier à ses insuffisances.
[24] Communicationes, 2 (1970), 172.
[25] Communicationes, 2 (1970), 172, IV.
[26] P.C., 14 d.
[27] Communicationes, 2 (1970), 172, IV. Cf. P.C. 14, c.
[28] Communicationes, 2 (1970), 172-173.
[29] Communicationes, 2 (1970), 172, IV. Ce principe devrait cependant être nuancé. On ne voit que trop souvent les responsables ne pouvoir faire en peu de temps l’expérience voulue ni coordonner une oeuvre qui demande une plus grande constance dans l’exécution. L’abbatiat dans un monastère vraiment contemplatif suppose une élection à vie ou à temps indéterminé. Ce point est essentiel à la Règle bénédictine. Il n’est d’ailleurs pas facile de trouver la personne compétente ; des élections successives ne feront pas trouver un meilleur candidat ni n’assureront la vie et la paix du monastère.
[30] Cette allusion du relateur prouve assez que la question est délicate et que le nouveau droit ne veut pas imposer une norme fixe et obligatoire pour tous en cette matière. Ce serait contre les principes énoncés ci-dessus.
[31] Notons cependant que des Instituts fort nombreux, qui dépassent les 10.000 membres, ne pourront facilement faire participer tous les membres au gouvernement de l’ensemble. Les sondages et les consultations, en ce cas, sont souvent peu fructueux, ou contestables du fait que le point sur lequel porte l’enquête n’a pas fait l’objet d’une information objective et sérieuse. On se livre ainsi aux groupes de pression.
[32] Communicationes, 2 (1970), 173-181.
[33] Voir supra, note 29.
[34] Nous espérons revenir bientôt sur ces faits dans une étude qui paraîtra sous le titre : « Bilan des Chapitres de renouveau ».
[35] A.A.S., 50 (1958), 38.
[36] Voir à ce sujet les études du Professeur Léo Moulin, Sanior et maior pars, Étude sur l’évolution des techniques électorales dans les ordres religieux du VIème au XIIIème siècles, in Revue historique de droit français et étranger, 1958, 368-529.
[37] Voir nos études « De statuto iuridico Christi fidelium iuxta vota Synodi Episcoporum in novo Codice iuris condendo », in Periodica, 57 (1968), 550-581 - et « De iuribus humants fundamentalibus in statuto iuridico Christi fidelium assumendis », in Periodica, 58 (1969), 29-58.
[38] Communicationes, 2 (1970), 175-176.
[39] Ainsi Titre V, art. 4 ; Titre VI, où il est question des obligations de l’Institut.
[40] Les confesseurs et chapelains, la ratio studiorum dans les religions cléricales, les privilèges ; ont été très réduites les parties qui traitent du renvoi.
[41] Se pose également la question de la terminologie. Faut-il des définitions ? N’est-il pas préférable de les laisser aux spécialistes du Droit ? Faut-il un « De verborum significatione » dans le nouveau Code ?
[42] C’est dans la partie spéciale que devrait prendre place ce que le Code actuel a réuni au Canon 488, 1°-8°.
[43] Communicationes, 2 (1970), 178, n° 10.
[44] Communicationes, 2 (1970), 178, n° 10. À remarquer, dans le premier Titre, l’insertion du terme fusion des Instituts. Ibidem, 175 - voir supra p. 292.
[45] L’« autorité suprême » signifie le Pape, le Concile oecuménique. L’expression est trop vague pour qu’elle puisse situer et définir un engagement. Un engagement par vœu ou lien similaire suppose un rapport personnel. C’est pourquoi nous pensons qu’il n’est pas utile de comprendre dans l’autorité suprême la Sacrée Congrégation compétente, organe administratif et de soi impersonnel. Il suffit de connaître les difficultés concrètes que comporte une telle obéissance à un supérieur « anonyme » pour ne pas s’y engager.
[46] Le Collège épiscopal - pour être vraiment autorité personnelle - ne peut, à ce que nous pensons, agir qu’avec le Souverain Pontife et donc par lui, comme chef de ce collège.
[47] Une conférence épiscopale n’est pas comprise dans le terme « supérieur ». Elle n’exerce jusqu’ici aucune juridiction collégiale définie par le droit commun. Problème délicat : on ne voit pas d’une part comment ne pas lui attribuer une telle juridiction et d’autre part se lier à obéir à un tel collège par vœu serait imprudent et à déconseiller.
[48] Le mot « privilège » a eu des effets psychologiques négatifs tant chez les évêques que chez les religieux eux-mêmes. Un droit particulier doit contenir des normes exceptionnelles pour être particulier ; plus le droit commun se perd dans les détails, plus le droit particulier devra éviter cette uniformité et contenir des dérogations nécessaires.
[49] La loi fondamentale au canon 16 (dernier texte) ne fait que reprendre les normes du Concile. Cf. Apostolicam Actuositatem, n° 19, et Presbyterorum ordinis, n° 8.
[50] Voir supra p. 281.
[51] C’est surtout par rapport à l’apostolat que le pouvoir des Ordinaires a été mieux défini. L’évêque est responsable de tout l’apostolat dans son diocèse.
[52] Dans certains documents les relations des Instituts religieux avec l’Ordinaire du lieu ont été fortement renforcées. Trop d’ailleurs. 11 a fallu déjà revoir ces normes et les assouplir, p. ex. pour la dispense des vœux (les Supérieurs laïcs, en donnant le décret de sécularisation, provoquent la dispense ipso iure des engagements) et la réduction des prêtres à l’état laïc avec dispense du célibat. (Ces questions réservées à l’Ordinaire du lieu sont maintenant confiées aux supérieurs des prêtres religieux).
[53] La distinction entre « clergé diocésain » et « clergé du diocèse » est typique de cet esprit. On la regrette aujourd’hui.
[54] Ces normes d’Ecclesiae Sanctae sont dictées par un esprit de défense qui ne favorise pas la collaboration telle que peut la supposer la « fraternité sacramentelle » du sacerdoce et la vocation de vie apostolique consacrée. Il est à espérer qu’au moins dans sa rédaction le Code témoigne d’un esprit plus souple et plus ouvert aux vocations particulières.
[55] Renovationis Causam a profondément changé la figure du noviciat autrefois local (maison de noviciat) ; aujourd’hui « groupe de vie fraternelle », qui peut avec le responsable de formation se mouvoir plus facilement.
[56] Les normes de l’Instruction Renovationis Causam sont tout d’abord dirigées vers une formation de type apostolique. Si on s’en tient au texte, elles ne concernent pas les moniales et ne sont pas applicables à la vie monastique ; voir cependant l’interprétation donnée par le Père Molinari qui en appelle aux intentions de la Commission. Cf. Vie consacrée, 43 (1971), 246-247.
[57] Il faudra nécessairement revoir cette première partie à la lumière de la deuxième. Cette dernière fera prendre mieux conscience de la diversité des Instituts et exigera encore plus de souplesse dans les normes générales qui font l’objet de la première partie.
[58] Ces études seront fort utiles pour préparer un texte qui de soi doit être fort concis, sans être, lui non plus, un instrument d’unification ou de nivellation.
[59] Le Chapitre des Cisterciens réformés a déclaré trouver l’expression de sa vocation au n° 7 de Perfectae Caritatis.
[60] Basil Pennington, o.c.s.o. Propositum iuris monastici. Ce texte est trop détaillé et reprend trop de prescriptions propres aux statuts particuliers des Congrégations monastiques.
[61] Les Chanoines réguliers marquent très nettement leurs traits propres : office canonial, chapitre collégial, apostolat de la liturgie solennelle. Ce dernier point semble essentiel et devrait être la norme première de leur vie régulière et dicter leurs diverses formes d’apostolat.
[62] La Congrégation canoniale serait à définir pour éviter qu’elle soit assimilée à une Congrégation monastique.
[63] Le principe peut être affirmé ; il serait, croyons-nous, moins indiqué de leur appliquer le droit des chapitres séculiers, si ceux-ci sont maintenus dans le droit général de l’Église.
[64] Le principe fondamental de ces instituts a été défini par Perfectae Caritatis au n° 8. Il vise à faire l’unité entre vie intérieure et action apostolique dans un Institut qui ne distingue plus vie religieuse et apostolat. L’apostolat est pour ces Instituts partie intégrante de l’Institut, non une activité supplémentaire ou une action externe à la vie de l’Institut.
[65] Ce sont les Instituts qui ont gardé pour une bonne part les observances monastiques.
[66] Le Contemplata aliis tradere est typiquement dominicain.
[67] Les « Mendiants » sont très différents entre eux. Le renouveau des Franciscains a fait mieux voir encore ces différences. La période post-conciliaire s’annonce très importante pour ces Instituts. D’autre part, les formes d’apostolat déjà envisagées par eux auront nécessairement comme effet de diminuer les observances monastiques dans les Communautés à la fois moins nombreuses et plus actives, au risque de voir les maisons de formation devenir les gardiens d’une tradition qui ne s’exprime plus dans toute la vie.
[68] Ces sociétés sont travaillées par plusieurs courants et restent malgré tout très différentes entre elles. Elles se sont pourtant réunies pour une étude et une action communes. Dépendantes de la Sacrée Congrégation pour l’évangélisation des peuples, elles soulignent cette relation qu’elles veulent unique et exclusive, pour se libérer de toute dépendance de la Sacrée Congrégation des Religieux.
[69] Les sociétés non-missionnaires sont fortement centrées sur l’action pastorale, la formation du clergé diocésain et l’action adaptée à certains milieux plus déchristianisés. Parmi elles on compte des fondations récentes comme celle du Père Loew et plusieurs Instituts séculiers semblent appelés à se réunir à elles comme sociétés séculières d’apostolat. Ce sera le cas d’instituts à vie commune et ayant des œuvres particulières.
[70] Dans son Chapitre de renouveau, la Compagnie des Filles de la Charité a très heureusement réaffirmé son caractère non-religieux en pleine fidélité à saint Vincent de Paul.
[71] La Conférence épiscopale française a accédé à ce désir des Missions Étrangères de Paris. Certaines sociétés soulignent de plus en plus leur caractère national ; ce qui fait problème, surtout si elles ont déjà accepté des membres d’autres nationalités et ont recruté sur place, en terre de mission.
[72] Telle société a changé la portée de ses engagements en se consacrant non à Dieu directement, mais à la mission comme œuvre du Christ. Cette distinction aura nécessairement son effet dans la vie de la société. Telle autre société refuse la prise en charge de ses membres quant à leur sanctification personnelle ; elle se limite à l’action missionnaire. Ces réactions sont compréhensibles quand on voit combien les Sociétés missionnaires furent opposées à la notion d’état de perfection et à la doctrine que la Constitution Apostolique Provida Mater Ecclesia prit pour base de ses structures canoniques.
[73] Lors de l’approbation de la Mission S.-Pierre et Paul, on ne put reconnaître à cette association le caractère propre aux Instituts séculiers. Le groupe fut dénommé alors « société apostolique », nom qui lui convenait fort bien, vu sa vie et ses activités communes et son caractère propre d’adaptation au milieu de travail.
[74] Ces branches séculières permettent, semble-t-il, une vie consacrée séculière authentique, si la dépendance de l’Institut religieux n’entrave pas leur sécularité et si les responsables sont eux aussi membres de la même catégorie de personnes.
[75] Ce fut le statut de la Société « Leunis » au Canada, qui préféra ne pas se faire approuver comme institut séculier pour ne pas se séparer des congrégations mariales qui furent son premier champ d’apostolat. D’autres groupes ont préféré ce statut plus souple et plus adapté à leur vie.
[76] Les moniales désirent avoir le même genre de clôture que les moines et se réfèrent volontiers aux anciennes coutumes de l’ordre monastique. L’implantation plus solitaire de ces monastères facilite la chose. Les Carmélites et autres moniales du second ordre franciscain ou dominicain se situent plus souvent dans les villes ; ce qui explique leur clôture plus sévère. Elle est d’ailleurs plus facilement organisée sur une superficie moins étendue.
[77] Voir l’article de Franco di Torino (L. Ravasi C.P.) dans Vita Consecrata 7 (1970), 10.
[78] Plusieurs schémas de la nouvelle Codification du droit ont, croyons-nous, pris un point de vue nouveau, en pleine fidélité aux prescriptions et aux vœux du Concile.
[79] Vita consecrata 7, (1970), 14.
[80] Ces canons doivent encore être rédigés, voir supra 21-22.
[81] Les conseils ont été considérés d’une manière trop abstraite par la théologie spéculative. Ils sont des aspects de la charité vécue dans un état de vie concret. C’est pourquoi leur réalisation est religieuse ou séculière, selon le caractère de l’Institut.
[82] Le terme « religieux » est à éviter, vu ses implications historiques. Il fut souvent mis en rapport avec le vœu comme moyen d’engagement ou avec les trois vœux comme objet de la profession. Il comporte implicitement des valeurs « monastiques » que même les Instituts de vie apostolique ne peuvent retenir.
[83] Ce canon ne s’est cependant pas libéré des anciens schèmes et n’est pas parvenu à dépasser le Concile du Vatican II. En suivant les lignes de recherches du Concile, il faudrait avoir comme base commune de ce droit des personnes le « Christifidelis » membre du Peuple de Dieu. Tout baptisé est « Christifidelis ». Parmi eux seraient appelés « clercs » ceux qui sont destinés au ministère sacré. Il ne faut pas les opposer aux « Christifideles », mais voir dans ce ministère un service spécial, hiérarchique, du Peuple de Dieu. De plus faudrait-il distinguer la vie consacrée par les conseils comme approfondissement du baptême, tout en évitant la distinction « religieux » - « séculier » : ce qui finit par les opposer. La vie consacrée par les conseils évangéliques peut se réaliser dans n’importe quel état de vie ; elle renforce la consécration baptismale comme don de soi ; mais, encore une fois, elle ne sépare pas, elle spécifie.
[84] Le dernier texte de la loi fondamentale a fait droit aux instituts de vie consacrée en évitant le terme religieux. C’est un progrès. Voir le canon 26. Au même canon on a remplacé le status religiosus par status eorum qui consilia profitentur evangelica. On aurait, semble-t-il, eu avantage à dire comme dans Perfectae Caritatis, status vitae per consilia evangelica consecratae, formule qui met l’accent sur l’effet des conseils plutôt que sur leur « professio » ; profession qui est nécessairement plus discrète et plus réservée dans la vocation séculière.