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Venite seorsum

Le sens et la portée d’un texte

M. Basil Pennington, o.c.s.o.

N°1971-4 Juillet 1971

| P. 213-228 |

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Venite seorsum – « Venez à l’écart » - ces mots ont dû faire tressaillir de joie le cœur des apôtres du Christ, fatigués de leur labeur. Depuis le jour où ces paroles sont tombées des lèvres du Seigneur [1], elles ont été répétées un nombre incalculable de fois, intérieurement, spirituellement, mystiquement, et ont rempli d’allégresse les cœurs chrétiens. Qu’on les entende comme un appel à la solitude pour un jour ou pour une heure, pour une brève élévation spirituelle ou pour une paisible méditation, ou bien pour une vie entière de service personnel et de communion silencieuse, dans un don sans intermédiaire, ces paroles ne peuvent que susciter un jaillissement de joie profonde dans un cœur attentif et rempli de l’amour du Christ.

Ce verbum Christi, si plein de sens, nous parvient aujourd’hui chargé d’une signification nouvelle, par l’usage qu’en fait une Instruction émanant de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers, en date du 15 août 1969 [2]. Dans la nouvelle orientation de la législation de la vie religieuse, un pas a été fait au Concile même, lorsque le décret qui règle son renouveau pratique, Perfectae caritatis [3], fut basé sur l’exposé doctrinal du 6e chapitre de la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium [4]. L’Instruction Renovationis causam, du 6 janvier 1969, sur la formation des religieux [5], marque une nouvelle avancée, en appuyant ses normes spéciales [6] sur une introduction doctrinale [7], et une section préliminaire comportant des directives et des principes [8].

Venite seorsum fait un pas encore, car ici nous trouvons 5 chapitres de théologie, pour introduire 17 normes brièvement exprimées. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la structure et les proportions de cette Instruction font preuve d’excellentes intentions. Mais le contenu des normes, et le son qu’elles rendent risquent, en fait, de porter à se demander si elles répondent aux chapitres théologiques qui les précèdent. Ou peut-être encore, si c’est la même Commission qui a préparé les deux parties. La collaboration interdisciplinaire est toujours difficile. Pour ce qui regarde la théologie et le droit, leur rencontre, malheureusement, est toute récente. Nous pouvons éprouver une immense gratitude de voir poindre cette aurore ; néanmoins, il faut reconnaître que la deuxième partie de Venite seorsum fait preuve d’une faille dans cet essai de collaboration.

Parcourons rapidement la section doctrinale. À vrai dire, le sens et le propos de la vie contemplative ne peuvent que difficilement être compris, car il est vraiment grand « le mystère de la vie contemplative [9] ».

La théologie de la vie contemplative

Le chapitre I donne un bref, mais excellent exposé de l’histoire du salut, exposé rendu très dense par la richesse des textes scripturaires cités textuellement ou par allusion [10].

Le chapitre II expose la théologie spirituelle et la psychologie humaine qui sous-tendent les exercices de la vie contemplative : recueillement et silence, étude de l’Écriture et méditation, toutes choses conduisant à l’union intime, priante et amoureuse avec Dieu. On trouve ici une belle citation de Guillaume de St. Thierry :

L’amour est intelligence de Dieu : qui n’est connu que s’il est aimé, qui n’est aimé que s’il est connu ; et n’est connu en vérité que dans la mesure où il est aimé, n’est aimé que pour autant qu’il est connu.

Le chapitre III proclame la convenance profonde de la vie contemplative avec la vie de l’Église et de l’humanité tout entière. Ceci est étroitement lié au rôle apostolique de cette vie, dont il sera parlé encore au chapitre V qui évoquera un autre de ses aspects, spécialement significatif pour notre temps. La vie contemplative est un signe : un signe de l’existence et de la présence de Dieu, un signe de l’efficacité de la rédemption opérée par le Christ, et de la fin ultime de l’Église. Ici, prenant parti dans une controverse vieille de plusieurs siècles, le document affirme, au moins dans ce contexte, la supériorité de la vie cénobitique sur la vie érémitique :

Les esprits de nos jours, en vérité, sont bien moins sensibles à une manifestation individuelle, qu’à l’exemple d’une communauté ; ils le sont davantage encore s’il s’agit d’une société constituée, qui prouve par sa continuité et sa vigueur la valeur des principes qui la fondent.

Le chapitre IV est particulièrement significatif. Tout en soulignant la différence [11] qui existe entre l’homme et la femme, il attribue à celle-ci un rôle vital dans la vie mystique de l’Église [12], et semble pratiquement ignorer l’existence des hommes voués à la même vie contemplative. Tout en prônant cette excellence de la femme que nous ne nions nullement (ses dons de réceptivité, ses facultés d’accueil et son sens du service caché en font foi), nous nous demandons si l’attitude pratique de l’Église va de pair avec cette affirmation, ou s’il ne s’agit pas là d’un magnifique coup d’encensoir, pour, après coup, mieux argumenter sur la protection que l’Église se doit à leur égard. En effet, c’est à partir de là qu’on voit apparaître les fondements théologiques de la clôture ecclésiastique vis-à-vis des moniales seules.

Continuons notre analyse : on pourrait résumer ces cinq chapitres par l’énumération des richesses que l’Instruction reconnaît à la vie contemplative. Aussi, ce texte a-t-il été élaboré avant tout pour exalter cette vie de prière intense dans la solitude et y entraîner les âmes [13]. Comme toute vie chrétienne, la vie contemplative est une imitation du Christ [14]. Cependant, le contemplatif a sa manière propre de la réaliser, s’associant plus intimement à la passion du Christ, et participant à sa mission rédemptrice. Car « se retirer dans le désert, n’est autre pour le chrétien, que s’unir plus profondément à la passion du Christ [15] ». Et « quand un chrétien est ainsi immergé dans ce mystère pascal de l’amour suprême de Dieu pour les hommes [16], il participe nécessairement à l’œuvre rédemptrice de la passion du Christ [17] ».

De plus, la vie contemplative doit être présente dans l’Église afin de révéler la totalité de son mystère [18]. Par un retrait du monde plus absolu, cette vie rend exemplaire une dimension essentielle de toute vie chrétienne [19]. Enfin, les religieux voués à la seule contemplation, aident par leur prière l’activité missionnaire de l’Église [20]. La vie contemplative est une manière particulière de vivre et d’exprimer le Mystère pascal qui est une mort pour une résurrection [21], ce nouvel Exode impliquant une grande solitude [22]. Les contemplatifs sont séparés, mais non coupés du monde. Sans référence explicite à leur contribution dans le domaine culturel et social, le document reconnaît à l’évidence que les contemplatifs sont des chrétiens engagés, et cite à ce propos le nom de plusieurs grands contemplatifs ; les notes, ici, sont très riches et fructueuses [23]. La solitude du vrai contemplatif est motivée, en partie, par le désir de partager, d’une façon universelle, la misère et les espoirs de tous les hommes.

Mais le document va plus loin encore. Il situe les contemplatifs à ce centre le plus profond où l’humanité, et spéciale ment l’Église, trouve son cœur, où une profonde communion se réalise : alors l’homme entre dans le Cœur du Christ pour répondre pleinement au Père, et pour recevoir de la vie de ce Cœur l’élan nécessaire à sa vie.

Les normes

Le chapitre VI est un chapitre de transition, qui amène la partie doctrinale à sa conclusion, tout en s’orientant vers les normes qui vont suivre. Il reflète visiblement la pensée du Concile : son insistance sur la personne, sur la liberté et la maturité de la décision, sur le développement humain et surnaturel, sur le principe de subsidiarité, avec référence aux divers fondateurs, son ouverture vers de nouvelles formes et un large pluralisme quant aux éléments et aux structures de la vie monastique et contemplative [24].

Avec le chapitre VII, le ton change. Nous sommes maintenant dans un document strictement juridique. Ce changement, en lui-même, ne suscite aucune objection. Lorsque le texte en vient aux normes pratiques, on doit en apprécier la concision et la clarté. Mais on pourrait aussi s’attendre, d’après le caractère de ce document, et en harmonie avec tout le développement de la pensée canonique, à ce que la section normative soit solidement fondée sur les précédents doctrinaux, et en donne une image fidèle. Est-ce le cas dans Venite seorsum ? Je crains bien que non.

Le chapitre VII s’ouvre en déclarant que les normes ont été approuvées par le Saint-Père lui-même, alors que, strictement parlant, elles émanent de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers [25].

Les normes elles-mêmes débutent par une citation du Motu proprio Ecclesiae Sanctae :

La clôture papale des monastères doit être considérée comme une institution ascétique, qui convient spécialement à la vocation propre des moniales, en tant que signe, protection et modalité particulière de leur séparation du monde.

Dans les sections précédentes, les bases de cette ascèse de séparation et la signification théologique du signe qu’elle renferme ont été mises en lumière ; de même les bases théologiques sur lesquelles l’Église cherche à établir des sauvegardes pour cette vocation de choix, comme pour celles qui y répondent. La Constitution apostolique Sponsa Christi, dans sa partie historique, a clairement expliqué comment la clôture papale a été, des siècles durant, pour les moniales, la forme caractéristique de leur retrait du monde [26]. Cependant on peut assurer qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et la clôture papale n’a pas été, non plus, l’unique manière de pratiquer cette ascèse, et d’exprimer le soin jaloux de l’Église [27].

Précisément, la norme 1 nous dit quelle est l’essence de la clôture papale, ce qui la distingue des autres formes de clôture : ses normes, générales et particulières, ont été sanctionnées par l’autorité apostolique [28]. Même quand la forme de clôture d’une communauté de moniales s’écarte radicalement des normes générales exprimées ici, comme cela peut arriver en vertu du n° 9, malgré cela, elle peut rester clôture papale au sens strict du mot, du moment qu’elle a été sanctionnée et approuvée par le Saint-Siège. Selon la décision de Vatican II [29], cette forme de clôture est maintenant réservée aux moniales de vie purement contemplative [30]. Puisque ces dernières normes, aussi bien que le paragraphe cité de Perfectae caritatis, regardent seulement les moniales, il est à présumer que la clôture papale des moines reste encore régie par le texte du Codex Juris Canonici [31], qui n’a pas été modifié jusqu’ici.

La norme 2 délimite tous les lieux du monastère qui doivent être inclus dans la clôture papale [32]. Comment doit-on interpréter la phrase « quam moniales inhabitant » – habitée par les moniales – ? La pratique traditionnelle et la clause de la phrase suivante indiquent probablement la même solution : il s’agit des lieux réservés aux moniales elles-mêmes – « monialium reservatis » – Et donc l’église, la sacristie, les parloirs et les jardins mis à la disposition des hôtes et des visiteurs, ne sauraient être compris dans la clôture.

La norme 3 est un pas en avant, mais un pas seulement... Les hauts murs de clôture cessent à présent d’être de règle. La dépense qu’ils entraînent est d’ailleurs aujourd’hui, dans la plupart des pays, absolument prohibitive. On peut ajouter que leur seule existence est capable de susciter l’incompréhension, voire même le ressentiment et l’hostilité ouverte. Toutefois, le fait d’exiger, dans tous les cas, une barrière qu’il soit matériellement impossible de franchir [33], ne respecte pas assez les progrès de la civilisation. Pour régler la situation, le sens de la propriété privée devrait rendre suffisant un signe simple et clair. D’ailleurs, si quelqu’un voulait violer une telle clôture, et entrer en fraude sur le domaine privé des moniales, ni murs, ni haies, ni barrières n’y pourraient jamais faire obstacle. Cette norme, à l’instar d’Ecclesiae Sanctae [34], aurait mieux fait de laisser aux Constitutions particulières, eu égard aux situations concrètes, le soin de déterminer comment doit se marquer effectivement la clôture.

Sous cet aspect, la norme 4 est meilleure. Toutefois dans un curieux mélange, elle accepte et refuse à la fois le principe de subsidiarité. Les modalités de séparation doivent, certes, être définies dans les Constitutions et les livres qui les complètent (il n’est pas nécessaire que ce choix soit inscrit dans les Constitutions ; bien plus, selon Ecclesiae Sanctae, un détail de cette sorte ne devrait pas même y figurer ; il est beaucoup trop conditionné par des exigences de lieu et de temps [35].) Mais tandis qu’Ecclesiae Sanctae remet ce genre de législation secondaire à la décision des Chapitres, Venite Seorsum, dans ces mêmes cas, exige l’approbation de la Sacrée Congrégation et même, semble-t-il, avant toute expérimentation. La raison qui appuie cette exigence est donnée « en conformité avec l’article 1 [36] », mais il est difficile de voir comment le principe invoqué à l’article 1 requiert actuellement que le Saint-Siège entre dans de tels détails. Le principe de subsidiarité est ici, je crois, réellement en défaut.

Les normes 5 et 6 sont des normes générales qui ne demandent pas de commentaire [37]. Elles ne causent en elles-mêmes aucune difficulté. Cependant, le fait de les détailler en 7 & 8 articles peut provoquer quelques réserves. Ici encore, le principe de subsidiarité paraît en défaut. Est-il vraiment nécessaire, pour le plus haut corps législatif de l’Église, de descendre dans de tels détails : à savoir par exemple, dans quelles occasions et en faveur de qui l’abbesse d’un monastère peut permettre l’entrée ou la sortie de la clôture ? Lorsque l’Église a confié à une femme un office pastoral d’une si grande importance – je pense que c’est en effet un office pastoral, bien qu’on puisse hésiter à employer un tel terme dans ce contexte [38] – lorsque l’Église a soigneusement veillé à ce que ce choix s’effectue en « toute prudence, en faveur d’une personne digne d’estime, et capable d’assumer cette responsabilité, il est bien difficile de voir pourquoi on ne peut remettre à sa discrétion les pouvoirs dont jouit, par exemple, un abbé en matière de clôture. Pourquoi énumérer en détail tous les cas possibles [39] ? Et pourquoi les jugements de la supérieure doivent-ils être soumis à des supérieurs masculins [40], forcément étrangers aux problèmes des personnes, comme à ceux de la communauté ?

Ici certainement, les normes marquent un pas en avant, et qui révèle peut-être de la part de la Sacrée Congrégation un désir d’éducation graduelle et de progrès. Mais si ces normes tendent à promouvoir l’autonomie responsable, elles laissent cependant deviner, sous-jacente, la persistance du paternalisme et de l’ancienne domination masculine.

La norme 9 [41] ouvre des possibilités que les instituts, espérons-le, exploiteront judicieusement pour faire saisir à la Sacrée Congrégation la nécessité de respecter davantage la compétence, l’autonomie et la responsabilité personnelle des supérieures. Et cependant, ici aussi, le texte requiert de la part des moniales, qu’elles soumettent au Saint-Siège des questions qu’Ecclesiae Sanctae avait laissées aux Coutumiers locaux [42].

La norme 10 est, sans contredit, une norme ambiguë [43]. Les contemplatives qui, pour répondre avec plus de liberté à l’appel du Seigneur et demeurer devant sa face, ont choisi la solitude, ne sentent-elles pas l’impérieuse nécessité de se défendre contre les intrusions de la radio et de la télévision [44] ? C’est se moquer de la vie monastique que de laisser y pénétrer tout ce qu’elles apportent. Les moniales ne comprennent-elles pas d’emblée qu’elles risqueraient ainsi d’échanger, contre celui de spectateurs passifs, leur rôle réel de participation profonde à l’effort universel de rédemption et de récapitulation de toutes choses dans le Christ ? Mais que la norme restreigne l’usage de ces moyens à des « occasions particulières de caractère religieux », cela n’a pas de sens. Que peut signifier « un caractère religieux » – indolem religiosam, habentibus – ? Toutes choses nous parlent de Dieu [45] et peuvent nous mener à lui, et sous cet aspect, tout peut revêtir un caractère religieux. Je pense que la norme élaborée à ce sujet par le Chapitre Général des Cisterciens O.C.S.O., a au moins l’avantage d’une plus grande clarté quant à sa signification : « l’usage de la radio et de la télévision sera exceptionnel [46] ».

Le ton entièrement négatif de la norme 11 est affligeant. S’il avait été contrebalancé par une explication positive sur la valeur de l’utilisation judicieuse des journaux, revues, etc., ou au moins d’un regard et d’une ouverture sur les événements de l’histoire du salut, tels qu’ils se déroulent actuellement parmi nos frères et nos sœurs, en dehors de la clôture, cette norme aurait été plus suggestive, et plus réellement une norme adaptée à la vie.

La traduction anglaise de la norme 12, telle qu’elle fut publiée d’abord, provoqua une très réelle et légitime consternation parmi les moniales contemplatives américaines. « Les congrès et les réunions, de quelque nature qu’ils soient, peuvent être difficilement conciliables avec la vie cloîtrée et doivent prudemment être évités [47] ». Par bonheur, le P. Heston se trouvait en Amérique à ce moment-là, et eut la possibilité de corriger, de sa propre autorité, le sens ambigu que donnait cette traduction, en rédigeant lui-même une version plus claire : « les congrès et les réunions de toute espèce qui sont difficilement conciliables avec la vie cloîtrée, doivent être prudemment évités ». Même avec cet éclaircissement, le ton de cette norme demeure fondamentalement négatif et paternaliste [48]. Un texte positif et plus suggestif, qui aurait indiqué les valeurs aussi bien que les dangers possibles, aurait fourni une norme plus réaliste.

La norme 13 – à rapprocher de la norme 16 – permet d’entrevoir une orientation nouvelle, vraiment chrétienne et vraiment responsable, pour réviser la loi de l’Église en matière de sanctions. Si la norme 13 insiste pour que ne soient pas minimisées les graves obligations de la clôture [49], rappelant qu’elles engagent sérieusement la conscience de chacun, la norme 16 respecte à la fois le droit à une procédure régulière, et la responsabilité chrétienne. En effet, elle suspend toutes les peines encourues ipso facto, qui depuis si longtemps ont donné, à la réclusion librement embrassée par la moniale, le caractère d’une prison juridique, soigneusement verrouillée à coups d’excommunications [50].

L’estime pour la vie contemplative cloîtrée qu’exprime la norme 15 est, j’en suis sûr, appréciée par les moniales. Cependant la persistance de la domination masculine et d’un manque apparent de confiance [51], que montrent à l’évidence la 2e partie de la norme (faisant appel aux Ordinaires et aux Supérieurs masculins pour veiller à la garde de la clôture, et aider la supérieure « à qui cette garde incombe tout d’abord [52] »), comme la norme précédente (avec sa demande d’inspection, et d’examen des registres d’entrées et de sorties [53]), ne peut être qu’une cause de désappointement.

Enfin la norme 17 rappelle d’une façon plus explicite [54], et avec effet rétroactif [55], le contrôle total que la Sacrée Congrégation entend maintenir, même à l’égard des expériences concernant la clôture. Encore une fois, on peut se demander ce qu’est devenu le principe de subsidiarité.

Conclusion

On est obligé – bien à regret d’ailleurs – d’élever ces quelques critiques, d’une part sur certaines normes de l’Instruction, de l’autre, sur le ton qui prévaut dans leur rédaction. Certes Venite seorsum a voulu faire un pas en avant dans l’évolution du droit de l’Église. C’est particulièrement sensible, malgré certaines formules qui conservent un relent de paternalisme, dans la partie doctrinale du document : celle-ci s’efforce de présenter les bases théologiques d’un droit adapté à la vie. Malheureusement, la partie dispositive n’est guère que juxtaposée à ce qui aurait dû être son âme. Malgré certains progrès, notamment dans l’abolition des peines latae sententiae, il faut bien reconnaître que ces normes font trop souvent intervenir la plus haute autorité de l’Église pour des questions de détail, ce qui est un pas en arrière sur le principe de subsidiarité professé par le Concile. Leur caractère paternaliste est directement hérité de la législation pré-conciliaire (qu’elles atténuent à peine) : cette réglementation ne tient pas encore compte de la promotion de la femme reconnue par Jean XXIII comme un signe des temps [56] et saluée par le Concile [57]. Il suffit de lire ces normes en pensant à la grande moniale que fut Thérèse d’Avila, aujourd’hui reconnue Docteur de l’Église, pour sentir leur manque d’adaptation. Si dans l’ensemble, les relations avec les supérieurs masculins et les évêques ne sont plus aussi tendues, qui oserait affirmer que nulle part les curies épiscopales ou le Premier Ordre ne freinent le renouveau des moniales ? Et même si ces hommes sont bienveillants et compréhensifs, pourquoi les moniales devraient-elles rester sous leur juridiction spéciale ? La Commission pour la refonte du Code de Droit Canon estime, pour sa part, que pareille discrimination n’a plus de raison d’être [58]. N’est-ce point ce que l’Apôtre, avec l’autorité divine dont il était revêtu, proclamait lorsqu’il nous disait : « il n’y a ni homme ni femme, car vous êtes tous un dans le Christ [59], tous nés à nouveau dans la liberté des enfants de Dieu [60] » ?

St Joseph’s Abbey
SPENCER, Massachusetts, USA 11562

Traduit de l’américain par Madame l’Abbesse de Saint-Vincent de Chantelle.

[1Mc 6,31.

[2Instructio de vita contemplativa et de monialium clausura, AAS 61 (1969), 674-690. Cette Instruction a été publiée à part, par l’Édition Polyglotte Vaticane, sous forme de brochure (1969). En même temps, était publiée une traduction française officielle, de la même façon. Le document sera cité par le sigle VS, suivi, entre parenthèses, de la référence à la page de Vie consacrée, 1969, où a paru la traduction et un bref commentaire de cette Instruction.

[3Decretum de accommodata renovatione vitae religiosae (« Perfectae caritatis »), 28 octobre 1966, AAS 58 (1966), 702-712 (traduction dans Vie consacrée, 1966, 16-31).

[4Constitutio dogmatica de Ecclesia (« Lumen gentium »), 21 novembre 1964, A AS 57 (1965), 49-53.

[5Instructio de accommodata renovatione institutionis ad vitam religiosam ducendam (« Renovationis causam »), 6 janvier 1969, AAS 61 (1969), 103-120. Cette Instruction a été publiée à part, par l’Édition Polyglotte Vaticane, sous forme de brochure (1969). En même temps, était publiée, de la même façon, une traduction française officielle. Une traduction a aussi paru dans Vie consacrée, 1969, 113-130.

[6De peculiaribus normis (Renovationis causam – cf. Vie consacrée 1969, 122-129).

[7Proemium (ibid., 113-115).

[8De nonnullis rationibus et principiis (ibid., 115-122).

[9VS, ch. IV (350).

[10La lecture ou l’étude de ce texte sera plus profitable si l’on suit ses notes Bible à la main.

[11Différence, mais non infériorité.

[12« ... En tant que femmes, en effet, elles figurent plus efficacement le mystère de l’Église... Il appartient à la femme, en vérité, d’écouter la parole plutôt que de la porter aux extrémités du monde – encore qu’elle puisse y être appelée et le faire avec succès –, il lui sied plutôt de l’accueillir en elle-même et de la faire fructifier, de façon vivante, lumineuse et personnelle. Parvenue à la maturité, elle a mieux conscience des besoins du prochain et de l’aide qu’il attend ; elle se trouve plus apte à exprimer le fidèle amour de l’Église envers son Époux. Elle ressent plus profondément aussi la fécondité de la vie contemplative ». VS, ch. V (351).

[13VS, ch. I (344-345).

[14Cf. VS, note 21 (344), pour un survol de l’enseignement traditionnel sur la vie contemplative comme imitation de la prière du Christ dans la solitude ou sur la montagne, prière qui, à son tour, a préfiguré la vie contemplative.

[15VS, ch. I (343).

[16Cf. Jn 13,1 et 15,13.

[17VS, ch. III (349).

[18VS, ch. I (344).

[19Ibid.

[20VS, ch. III (349).

[21VS, ch. I (343).

[22Ibid.

[23Voir spécialement les notes 27-29 (347-348).

[24En pratique cependant, une exigence extrême et une restriction presque incroyable accompagne cette ouverture : « la procédure particulière qui doit être suivie par les moniales qui désirent expérimenter des formes nouvelles de vie contemplative non conformes à l’Instruction Venite seorsum et à ses normes, doit être accompagnée d’une demande de dispense de leurs vœux adressée à la S.C. des Religieux. Et par la suite, d’une demande à l’Ordinaire du diocèse dans lequel elles voudraient commencer leur expérience, afin d’obtenir de s’établir dans son diocèse et sous sa juridiction, commençant leur nouvelle fondation à titre de pieuse union ». Lettre du P. E. Heston, secrétaire de la S.C. des Religieux, au Cardinal Joseph Carberry, archevêque de St Louis, président de la Commission pontificale des religieuses contemplatives, Prot. N.S.R. 4821/68, 13 juin 1970, lettre que le Cardinal était autorisé à transmettre à toutes les moniales. Pour ma part, il me semble presque incompréhensible que des moniales, cherchant des moyens de vivre plus profondément leur engagement au Seigneur, puissent être obligées de demander la dispense de leurs vœux. On a l’impression que la Sacrée Congrégation considère les vœux uniquement comme une sorte de cadre juridique extérieur, et non comme un engagement profond et personnel entre deux personnes : la moniale, et son Dieu. (C’est moi qui ai souligné dans le texte).

[25« ... la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers a tenu à formuler les normes suivantes, approuvées par le Pontife Paul VI le 12 juillet 1969... » VS, ch. VII (354).

[26Constitutio Apostolica De sacra monialium instituto promovendo, 21 Nov. 1950, AAS 43 (1951) : 5-10.

[27Cf. mon étude « Monastic and Contemplative Life and the Code of Canon Law », Revue de l’Université d’Ottawa 36 (1966), 529-550, 757-770, spécialement 761, 763-764 – traduction espagnole I. M. Gomez, « La vida monastica y contemplativa y el Codigo de Derecho », Yermo 4, 1966, 257-296 – traduction française J. B. de Salvert, « La vie monastique et contemplative et le Code de Droit Canonique », Revue de Droit Canonique 17 (1967), 121-163.

[28« La clôture... est appelée papale parce que les normes qui la régissent doivent être sanctionnées par le Saint-Siège, même s’il s’agit de règles établies ou à établir par un droit particulier... » VS, ch. VII, n° 1 (355).

[29Perfectae caritatis, n° 16, AAS 58 (1966), 710 (Vie consacrée 1966, 27).

[30Cf. ibid. n° 7, 705 (ibid. 21).

[31Canons 597-599.

[32« La loi de la clôture papale affecte toute la maison habitée par les moniales, avec les jardins et les vergers dont l’accès leur est réservé ». VS, ch. VII, n° 2 (355).

[33« L’enceinte du monastère... doit être ainsi faite qu’elle constitue une séparation matérielle (Ecclesiae Sanctae, II, 31), c’est-à-dire qu’elle doit interdire l’entrée et la sortie... » VS, ch. VII, n° 3 (355).

[34Litterae Apostolicae Motu Proprio Datae Ecclesiae Sanctae, 6 Août 1966, AAS 58 (1966), 780 : « Cette clôture sera adaptée de telle sorte que soit toujours maintenue une séparation matérielle avec l’extérieur. Chaque famille religieuse, selon son propre esprit, pourra dans ses constitutions établir et préciser les règles particulières de cette séparation matérielle » (N° 31 - Vie consacrée, 1966, 263).

[35« Du code fondamental des Instituts l’on exclura ce qui est désuet, ce qui varie avec les usages de chaque époque ou répond à des habitudes purement locales. Les règles qui dépendent de la situation actuelle, des conditions physiques ou psychiques des religieux, ainsi que des circonstances particulières, sont à reporter dans des codes complémentaires tels que « directoires » coutumiers, ou autres recueils semblables. » Ecclesiae Sanctae, II, n° 14 - loc. cit. 777 - (c’est moi qui souligne) - (Vie consacrée, 1966, 260).

[36VS, ch. VII, n° 4 (356).

[37VS, ch. VII, n° 5 (356) : « En raison de la loi de la clôture, les moniales, novices et postulantes doivent vivre dans l’enceinte du monastère que la clôture comprend, et elles ne peuvent licitement en sortir sauf dans les cas prévus par le droit (cf. art. 7) » – Ibid. n° 6 (356) : « La loi de la clôture défend pareillement que personne, sans distinction de condition de sexe ou d’âge, n’entre dans les lieux circonscrits par elle, excepté dans les cas prévus par le droit (cf. art. 8 & 9) ».

[38Les textes utilisés pour l’installation d’une abbesse doivent certainement être entendus dans ce sens : « Recevez cette Règle qui a été donnée par les Saints Pères, pour gouverner et guider le troupeau que Dieu vous confie autant que le permettront la force qui vous viendra de Dieu, et la fragilité humaine. Recevez le soin maternel du troupeau du Seigneur et le soin des âmes ; puissiez-vous, en suivant les préceptes de la divine loi, le conduire aux pâturages de l’héritage céleste, avec l’aide du Christ Jésus... Recevez le plein et entier pouvoir de gouverner ce monastère et toutes celles qui l’habitent ; de régler tout ce qui s’y rapporte, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et aux choses spirituelles et temporelles » (Rituel cistercien).

[39VS, ch. VII, n° 7, a), b) 1-5 ; n° 8 (357-359).

[40VS, ibid., n° 7, b) 5, c) (357-358). La persistance de la domination masculine et la législation qui la sous-tend dans le Droit de l’Église, a été fort bien caractérisée par le P. Bernard Häring C.SS.R. comme « la célébration du péché originel » – la femme doit être soumise à l’homme.Nous pouvons noter ici un autre exemple de cette inégalité : l’abbesse, même avec le consentement de l’évêque, ne peut permettre à un membre de sa communauté qu’une absence de 3 mois, tandis que le Supérieur masculin peut permettre une absence de 6 mois, et dans le cas d’études ou de maladie, pour tout le temps nécessaire, sans avoir recours au Saint-Siège (VS, ch. VII, n° 7, d) - 358).

[41« Le droit particulier, approuvé selon l’art. 1 par le Saint-Siège, peut, en accord avec l’esprit et le caractère des Instituts, formuler des règles plus sévères pour la clôture, comme aussi fixer d’autres dispositions concernant les cas où l’entrée et la sortie sont permises en vue des nécessités du monastère ou le bien des moniales. » VS, ch. VII, n° 9 (360).

[42Cf. ci-dessus, note 38.

[43« L’usage de la radio et de la télévision ne peut être permis dans les monastères de moniales de vie purement contemplative, qu’en des occasions particulières de caractère religieux ». VS, ch. VII, n° 10 (360).

[44Cf. par exemple le bref article d’un Abbé cistercien, T. Keating, « Contemplative Life and T.V. », dans Encounter 4 (1969), n° 2, 68-69.

[45Rm 1,20.

[46Unity and Pluralism : « A Statute of the General Chapter of 1969 », n° 7, dans Rule and Life : An Interdisciplinary Symposium, ed. M. Basil Pennington, Cistercian Studies Seriés 12 (Spencer, Massachusetts : Cistercian Publications, 1971), Appendix Two.

[47VS, ch. VII, n° 12 (361).

[48« Si cependant les circonstances du moment paraissent l’exiger, on pourra après s’être muni des permissions nécessaires, autoriser quelquefois les moniales à assister aux réunions qui seraient d’un vrai profit pour la vie claustrale, pourvu que les sorties de ce genre ne soient pas trop fréquentes. Les Supérieures ne doivent jamais oublier que la pureté et la ferveur de la vie claustrale... » (Ibid. c’est moi qui souligne).

[49« La loi de la clôture comporte une obligation de conscience grave, soit pour les moniales, soit pour les personnes du dehors ». VS, ch. VII, n° 13 (361).

[50« Les peines frappant les personnes qui violeraient la clôture des moniales cessent d’être en vigueur jusqu’à la promulgation du nouveau Code de Droit canonique ». VS, ch. VII, n° 16 (362).

[51« L’Église, en raison de la haute estime où elle tient la vie contemplative claustrale, loue grandement les moniales qui, en adaptant leur clôture de la manière la plus conforme à cette vie contemplative, gardent religieusement leur séparation du monde... » VS, ch. VII, n » 15 (362).

[52« Elle exhorte d’autre part ceux qui ont le droit et le devoir de veiller à la garde de la clôture – c’est-à-dire l’Ordinaire du lieu et le Supérieur régulier s’il en est un – à la défendre avec le plus grand soin et à aider efficacement, selon leur fonction, la Supérieure... » Ibid.

[53« ... Le Visiteur doit inspecter la clôture matérielle ; la Supérieure doit lui rendre compte de l’observance des lois de la clôture et soumettre à son examen les registres où les sorties et les entrées sont fidèlement notées ». VS, ch. VII, n° 14 (361). Cette exigence d’inscrire dans un registre toutes les sorties ou les entrées, semble vraiment excessive, puisqu’on peut être certain que la Supérieure a grâce pour juger de la situation humano modo.

[54« ... selon l’esprit du n. 6 du même Document, il n’est pas licite de faire des expériences contraires aux normes ci-dessus, qui constituent désormais le droit commun, sans une permission préalable du Saint-Siège ». VS, ch. VII, n° 17 (362).

[55« ... Les monastères qui ont déjà réalisé certaines innovations... sont tenus de les proposer au jugement de la Sacrée Congrégation... dans les six mois... » Ibid.

[56Encyclique Pacem in terris.

[57Constitution pastorale Gaudium et spes, n° 29.

[58Communicationes, II, 1970, p. 176-177 ; cf. Vie consacrée, 1971, p. 117-118, note 22.

[59Ga 3,28.

[60Rm 8,21.

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