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Tribune libre : À propos de la clôture des moniales

Vies Consacrées

N°1971-2 Mars 1971

| P. 120-122 |

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À en juger par le courrier que nous avons reçu, « Les conditions de vie en clôture » (Vie consacrée, 1970, p. 357-360) ont touché un problème réel et indiqué, pour sa solution, des orientations en avance sans doute sur la lettre, mais conformes à l’esprit qui meut aujourd’hui l’Église : nous n’en voulons pour preuve que les récentes directives de la Commission pour la réforme du Droit Canon pour la suppression de toute discrimination entre Instituts masculins et féminins (cf. ci-dessus, p. 117 note 22). Aussi est-ce bien volontiers que nous ouvrons nos pages au texte ci-dessus, dont on appréciera le réalisme. Celui-ci apparaît notamment dans la liberté qu’on y souhaite de pouvoir donner des solutions diverses à des situations différentes (ce qui inclut la possibilité d’un changement lorsque ces circonstances se seront modifiées). - N.D.L.R.

Lectrice assidue de Vie consacrée depuis de nombreuses années et appréciant vivement la solidité des articles qui paraissent dans votre revue, je me permets de venir vous remercier pour celui qui concerne Les conditions de vie en clôture paru dans le N° de Novembre-Décembre 1970.

Il est heureux qu’une revue comme la vôtre, caractérisée par son équilibre et sa prudence, présente avec tant d’audace un texte qui n’est encore que le « fruit d’une recherche communautaire ».

Lors d’une première lecture rapide, ce texte m’a d’abord paru remarquablement neuf, quelque peu extrémiste, voire idéaliste en bien des points. Il m’a fallu une réflexion approfondie pour y découvrir en chacune de ses lignes un souffle spirituel authentique qui, si audacieux qu’il puisse paraître, n’est autre en réalité que le souffle de l’Évangile que nous souhaitons tellement retrouver en notre législation.

Faire l’analyse détaillée d’un tel document demanderait une voix plus autorisée que la mienne ; je me bornerai, quant à moi, à exprimer la pensée pure et simple d’une moniale qui sent de l’intérieur les retournements et les conséquences pratiques d’une telle loi.

  • L’accent mis sur le caractère volontaire du retrait du monde ;
  • laliberté du choix de la vie contemplative par celles qui la professent ; la co-responsabilité de la communauté entière face au projet commun ;
  • le pouvoir réel des supérieures ;
  • la justification de la clôture comme moyen au « service » de la personne engagée dans la vie contemplative canonique ;
  • le respect des mentalités de chaque pays, dans la diversité des situations et des charismes particuliers à chaque Ordre et à chaque monastère ;
  • le souci des révisions périodiques, de l’auto-critique et de l’acceptation d’un droit de regard fraternel ;
  • l’insistance sur la formation profonde des sœurs.

Autant de traits spécifiés avec lucidité dans cette loi cadre !

Celle-ci permet d’assurer l’épanouissement de la vie contemplative canonique avec le minimum de prescriptions et le maximum de garanties. Pour nous qui, jusqu’à ce jour, avons vécu en régime de clôture papale assurée par des lois limitant considérablement l’exercice de la responsabilité personnelle et communautaire, nous nous trouvons devant un projet qui fait figure d’explosif évangélique.

Il est certain que pour appliquer efficacement une législation de ce type une profonde maturité humaine et spirituelle sera requise de la part des personnes qui choisiront de s’y rallier.

  • Maturité pour apprendre à réfléchir par soi-même ou en groupe au choix des moyens à prendre, pour oser affronter un risque, aller à contre-courant d’une opinion commune ; pour s’arrêter à temps, revoir une position prise, accepter une remise en question tant personnelle que collective.
  • Maturité aussi pour dépister les subtiles recherches de soi, les illusions possibles, pour ne pas perdre de vue la fin poursuivie et l’option de départ.
  • Maturité pour consentir à cheminer humblement dans le dépouillement de la recherche, loin des solutions toutes faites et uniformes.

Respectueuse du droit et de la croissance de chaque personne ainsi que du projet commun adopté par la communauté, une telle loi peut mener sûrement, me semble-t-il, à un développement en profondeur de la réalité vécue dans l’expérience contemplative de Dieu.

Le « hic » de la situation actuelle réside cependant dans ce fait que je me permets de signaler : la moyenne des sœurs de nos monastères a-t-elle été suffisamment préparée pour adopter une législation qui repose sur la confiance, non pas naïve mais fidèle, en la grâce de Dieu qui appelle et en la réponse libre d’un cœur qui accepte de se livrer ainsi ?

Les lois sur la clôture au contenu nettement juridique (comme Inter coetera, Venite seorsum) n’ont guère préparé les esprits à prendre un tel tournant. Faut-il pour cette raison demeurer perpétuellement figées dans cette situation sans envisager de progrès possible ?

Est-il sage de maintenir pour toutes les moniales une législation qui continue de les traiter en mineures non-responsables, une législation qui sera de plus en plus comprise par « ceux du dehors » (et nos futures novices en font partie !) comme destinée à maintenir de force dans leur couvent des « prisonnières » qui ne rêveraient que de s’en évader ?

Grâce à Dieu, ce n’est pas dans cet esprit que nous avons accueilli les lois « chargées de nous protéger contre les dangers du siècle ». Est-ce néanmoins une raison suffisante pour les maintenir à travers tout, sans tenir compte de l’évolution qui se produit et de la promotion de la femme ? Faut-il continuer à imposer uniformément aux monastères du monde entier des règles de sujétion qui ont perdu leur raison d’être là ou les moniales (et les femmes en général) ont acquis la maturité suffisante pour pouvoir prendre en mains la responsabilité de leur propre vie ?

La clôture dite « papale » ne peut-elle se concevoir sous un mode plus adapté qui ne soit pas seulement réservé à la vie contemplative féminine ?

J’espère vivement qu’en un jour très proche l’Église fera suffisamment confiance à ses moniales pour leur permettre d’appliquer une loi de ce style, là où telle communauté de contemplatives en est humainement et spirituellement capable, en s’appuyant toujours sur le dynamisme de l’Esprit de Dieu.

Je conçois également très bien que, selon un réalisme bien compris, telle autre communauté ne se juge pas actuellement suffisamment mûre pour une telle expérience ; dans ce cas et, de par son libre choix, elle continuerait d’adopter des normes du genre de celles de Venite seorsum.

Cependant que ces distinctions, pleinement justifiées de part et d’autre, ne prêtent pas à des interprétations plus ou moins pharisaïques et mesquines s’exprimant en des termes bien ambigus de « clôture stricte » ou « non stricte ». Vocabulaire aujourd’hui nettement révolu et réalité si peu congruente parfois ! Au sein d’un même Ordre comme au sein de tous les Ordres contemplatifs tant masculins que féminins, chaque monastère est appelé à vivre selon une authenticité réelle qui ne peut se payer de mots.

Qu’en toute humilité et sagesse, chacune fasse confiance à l’Esprit qui suscite et fait croître dans l’Église les germes de sainteté déposés au cœur de toute vie monastique.

Une moniale française.

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