Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La vie religieuse dans l’Église selon Vatican II

Yves Congar

N°1971-2 Mars 1971

| P. 65-88 |

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Aux Moniales de l’Abbaye de Pradines

Le sujet a été traité déjà plus d’une fois [1]. Nous ne prétendons pas apporter des considérations inédites, mais nous tenterons de proposer une vision de synthèse.

A) Où se situe la vie religieuse dans l’Église ?

Elle se situe, de soi, dans une autre ligne que celle des ministères institués auxquels incombe le service des moyens de grâce remis au peuple de la Nouvelle Alliance, selon l’ordre de mission du Seigneur : prédication, célébration des sacrements, présidence et direction des communautés (cf. Mt 28,18-20 ; Ac 2,42). On pourrait dire que ces ministères représentent la part de Dieu, si la réponse des hommes ne venait pas aussi d’un don de Dieu. Tout est de lui. Mais on peut distinguer le moment d’institution des médiations qui structurent l’Église et le moment de réponse des hommes par la foi et l’amour [2]. La vie religieuse est la recherche, organisée en une institution ecclésiastique, d’une réponse aussi totale, absolue et même exclusive que possible. Elle n’est donc pas exigée par la nature de l’Église en tant que celle-ci est structurée comme une société ordonnée et hiérarchique, mais elle rentre dans la réalisation, par le peuple de Dieu, de sa fin de sainteté [3]. A vrai dire, les deux choses relèvent de la sainteté, mais la première appartient à ce qu’on peut appeler la sainteté institutionnelle de l’Église, la seconde à la vie sainte de ses membres.

La réponse aussi totale, absolue et exclusive que possible, qui suscite la vie religieuse, a d’abord été celle des apôtres et de la première communauté de Jérusalem, dont le modèle idéal a sans cesse, au cours des siècles, inspiré les fondations ou les réformes religieuses [4]. Ce fut bientôt la réponse des martyrs, si souvent motivée par la volonté de ne reconnaître aucun Seigneur en dehors de Jésus-Christ. Vers la fin de l’ère des persécutions, dans un climat tout à la fois d’eschatologie prochaine et d’opposition au monde ou aux accommodements avec lui, le monachisme prit le relais du martyre [5] : un monachisme d’abord presque sauvage, éloigné des formes communes de la vie, même ecclésiale, animé par un idéal érémitique de « solus ad solum », seul avec Dieu seul. Mais S. Pachôme et S. Basile inaugurèrent en Orient un monachisme cénobitique. En Occident, S. Martin et S. Augustin déclenchèrent, sur la fin du IVe siècle, une tendance à sacraliser la vie religieuse et à « monasticiser », si l’on peut parler ainsi, la vie des clercs du ministère pastoral. Ministère hiérarchique et vie de type monastique se rejoignirent : une union que devait porter à l’extrême la théorie mystico-hiérarchique de Denys, le Pseudo-Aréopagite [6].

Le thème de la fuite et du mépris du monde a incontestablement joué un grand rôle dans la spiritualité monastique. Son histoire est complexe et nous ne prétendons pas la résumer ici. Il nous semble pourtant utile pour notre sujet de dénoncer, dans cette direction, une limite possible de la vie religieuse en tant qu’elle veut offrir une issue à une réponse totale, absolue, exclusive. Une telle réponse, en effet, ne peut être que celle de la foi, de l’espérance et de l’amour. Dans une perspective de « mépris du monde », la foi et la charité pourraient trouver à se déployer, cette dernière, cependant, sans toutes les possibilités qu’offre la participation active à la vie historique et commune des hommes. Mais l’espérance ? Le moine vit personnellement le terme sublime de l’espérance chrétienne, nous retrouverons plus loin cette valeur eschatologique ; mais qu’en est-il de ses anticipations temporelles dans un « salut » « charnel » ? Certes, au cours des siècles, les moines ont apporté, comme par surcroît, une large contribution à l’œuvre humaine de civilisation, par l’enseignement, les arts, le soin des malades, des voyageurs, etc. et, plus profondément encore, par l’humanisme théologal qu’ils réalisaient. Mais quand l’évolution du monde moderne a développé de nouvelles exigences, quand l’espérance humaine s’est objectivée à un plan social, et même politique, les Ordres religieux ont eu tendance, d’un côté, à se montrer intéressés, âpres possesseurs et revendicateurs de biens terrestres pour eux-mêmes et, d’un autre côté, à se retirer de l’action concrète ou, s’ils l’avaient abordée, à n’en guère reconnaître les formes modernes, étrangères à une tradition quelque peu ritualisée [7].

La question que nous posons est très sérieuse. Il a existé, dans la vie religieuse, disons même, dans le meilleur de celle-ci, un désir de vivre, sur terre, la vie du ciel et, dans le corps, une « vie angélique » [8]. Mais est-ce possible ? Est-ce même entièrement chrétien ? Loin de nous de ne pas reconnaître, voire de ne pas proclamer avec une immense reconnaissance la qualité chrétienne de la vie monastique. Il y a pourtant un problème : l’angélique est-il évangélique ? L’Évangile, certes, est distancement par rapport à ce que le « monde » a de « charnel ». Mais il est bien différent du monachisme contemporain des Esséniens de Qûmran. Héroïquement, celui-ci cherchait une sainteté de séparation participant à celle des anges. L’Évangile est une incarnation de l’amour [9]. D’autre part, la chose est connue et prouvée, bien qu’elle n’ait pas encore été étudiée d’ensemble : le monachisme chrétien, tant d’Occident que d’Orient, a assimilé une certaine quantité d’idées platoniciennes et pythagoriciennes, qui ont favorisé une anthropologie dualiste et un infléchissement de la contemplation en « théorie », tout cela, du reste, perpétuellement rectifié par la charité et par un contact constant avec les Écritures. La démarche faite par Vatican II d’animer la recherche religieuse de perfection par la sequela Christi, la marche dans la voie et sur les traces de Jésus-Christ (cf. infra, n. 43), n’oriente-t-elle pas vers une idée de service des hommes ? Bonhoeffer reprochait à la fuite religieuse du monde de situer le combat contre le monde hors du monde, alors que, disait-il, c’est seulement en vivant les conditions du monde qu’on peut prendre totalement au sérieux le non de Dieu au monde et l’amour par lequel il se le réconcilie [10] !

Ce que dit Bonhoeffer vaut pour l’Église globalement considérée. Cela ne préjuge pas de vocations particulières. Il est impossible que tous et chacun réalisent la totalité de la mission et de la vie de l’Église. La légitimité d’une fonction et d’une vocation contemplatives doit demeurer hors de cause. Il reste que l’Église ne peut réduire sa vie à une activité ad intra (s’occupant de soi-même), ni à sa relation, évidemment essentielle, à Dieu, par la contemplation, la louange, la prière et le culte. Elle existe pour le monde, elle doit assumer une activité ad extra dans la ligne d’un « salut » total et en vue d’une eschatologie où elle fusionnera avec le monde sauvé dans le Royaume. Qui ne sentira le caractère intolérable de la formule, pleine d’un humour sombre, d’un auteur protestant : « Dieu a tellement craint le monde qu’il a donné l’Église pour que quelques-uns puissent être sauvés hors du monde [11] ».

Si la réponse chrétienne au Dieu de l’alliance implique diaconie et mission au bénéfice du monde et si, d’autre part, la vie religieuse est la recherche, organisée en institution ecclésiastique, d’une réponse aussi totale, absolue et même exclusive que possible à l’offre divine d’alliance, on comprend que l’histoire nous présente, à mesure que le monde, prenant son autonomie de monde, se distinguait et s’éloignait de l’Église, un mouvement d’entrée de la vie religieuse dans les activités de la diaconie et de la mission chrétiennes, voire dans les structures du monde et même, si l’on évite les pièges que recouvre ce terme, dans la sécularité. Car tel a été le mouvement de l’histoire [12]. Longtemps il y a eu opposition à l’activité pastorale des moines – eux-mêmes cherchaient à l’assumer –, bien qu’on admît, au titre de la peregrinatio, leurs entreprises lointaines en pays païen. Les Mendiants, au XIIIe siècle, rencontraient encore la même opposition. Mais de plus en plus l’apostolat est entré dans le statut même de la vie religieuse. Avec lui, les activités enseignantes, caritatives, hospitalières. Il y a eu des Ordres militaires, des Ordres voués au rachat des captifs, des religieux constructeurs de ponts... Aujourd’hui, bien au-delà de la diaconie de l’enseignement, de la santé, de la main du Samaritain tendue à toutes les misères, il existe des « instituts séculiers » dont le nom même désigne le point actuellement atteint par un mouvement continu de l’histoire. On pourrait considérer de la même façon une certaine évolution de l’ascèse, si ce n’est même des critères de perfection : dès l’immédiate après-guerre, les enquêtes manifestaient clairement un glissement d’une primauté de l’ascèse de séparation et d’auto-affliction à une ascèse, non moins exigeante, de service et d’engagement pour autrui [13].

Bien sûr, ces distinctions ne doivent être prises ni au sens d’une opposition, ni au sens d’une exclusion. Le service a toujours existé et la mortification a toujours sa place. Combien juste, belle et de grande portée est la remarque de Newman, dans sa Mission de S. Benoît : « Jamais l’Église catholique ne perd ce qu’elle a une fois possédé... Dominique ne lui a pas fait perdre Benoît, et elle les possède encore tous les deux en devenant la mère d’Ignace... [14] ». Dans la perspective de notre exposé, cela signifie que seul le Christ incorpore la plénitude du christianisme : il est l’Alpha et l’Oméga. Les chrétiens sont un peu comme le spectre réfracté de cet absolu de lumière blanche : ils en détaillent, élément par élément, les composantes. La réponse chrétienne, même dans sa recherche de totalité et d’absolu, n’est que partielle en chaque chrétien et en chaque institution religieuse. L’Église est Antoine et Jean Bosco, Benoît et Dominique, Ignace et Charles de Foucauld, Basile et Vincent de Paul. Elle est, disait le Père Clérissac, à la fois Thébaïde et Cité.

B) Comment la vie religieuse se situe dans l’Église ?

1. Nos lecteurs pensent probablement : on ne nous a parlé que de la vie chrétienne. La vie religieuse ne serait-elle qu’une manière plus radicale d’être chrétien ? En ce cas, elle n’aurait pas de spécificité propre. Et, d’un autre côté, elle risquerait de ne pas tout accomplir du programme de la vie chrétienne et de la mission de l’Église : on a expressément signalé cette possibilité...

Penser ainsi montrerait qu’on n’a pas remarqué l’importance des mots que nous avons écrits et répétés : « recherche, organisée en une institution ecclésiastique, d’une réponse... ». Ce sont ces mots qu’il nous faut expliquer.

Il n’existe qu’une perfection, celle de la charité. Tout chrétien y est appelé : la Constitution dogmatique conciliaire Lumen Gentium l’enseigne avec une force incomparable en son chapitre Vme. Elle enseigne même que les conseils évangéliques, qui ne se réduisent pas aux trois classiques de chasteté, pauvreté, obéissance (car il y a : porter sa croix, pardonner à ses ennemis, etc.) sont, dans leur généralité, proposés à tous comme un idéal, pour être pratiqués par chacun selon son état et selon sa prudence animée par la foi, l’espérance et la charité (voir aussi Presbyterorum Ordinis, n° 5, par. 3). Mais les Supérieurs religieux membres du Concile ont insisté pour que les paragraphes traitant de la vie religieuse, si intimement soudés qu’ils soient à ceux de ce chapitre Vme, forment un chapitre spécial, le VIe, De Religiosis, « Les Religieux ». Ceci afin de bien marquer la spécificité de la vie religieuse à l’intérieur de la poursuite de la perfection de la charité.

Cette spécificité est assurée par une profession publique des conseils évangéliques comme des moyens de liberté spirituelle au service de la charité. Ce fut d’abord le conseil de chasteté pour le Royaume de Dieu, puis celui de pauvreté. À partir du XIIe siècle en Occident, on privilégia celui d’obéissance [15] qui était, depuis le début, vécu comme mystère d’assimilation au Christ en sa « kénose » (cf. Ph 2,5 sv. – cf. LG n° 42, par. 4) et de sa parfaite soumission à son Père (cf. He 10,9 et tout l’Évangile !). Ces conseils sont publiquement « professés » dans une institution née de la grâce et de la vocation données à un fondateur (une fondatrice) qui a organisé une vie consacrée et vouée en vue d’un service éminent de la charité du Christ et, ainsi, d’une quête généreuse de la perfection. En ce sens, on peut dire que les Ordres religieux représentent le charisme institutionnalisé d’un fondateur. Cela fut, dans le monachisme, la pure et simple recherche de Dieu (« Si vraiment il cherche Dieu... » dit S. Benoît dans sa Règle, chap. LVIII). Puis cela fut, dans une Église devenue plus consciente de sa militance, la suite merveilleuse des vocations et des charismes orientés vers un service évangélique de l’enseignement de la foi, de la présence du Christ pauvre, du soin des malades et des malheureux, etc., etc.

Cette organisation d’une profession publique des conseils évangéliques dans l’exercice de la charité et de ses œuvres saisit toute la vie, jusque dans ses activités les plus communes, selon les déterminations d’une « Règle ». Même des ermites suivent une certaine Règle : le P. de Foucauld a poussé cela jusqu’à la méticulosité, en préservant cependant la liberté de l’Esprit. Il faut avouer cependant que plus d’une Règle, et surtout la manière dont on les a conçues et appliquées, ont étouffé cette liberté de l’Esprit et subordonné l’homme à l’observance du Sabbat. Mais l’abus ne doit pas faire mépriser l’usage. Nous pensons fermement qu’il ne peut exister de vie religieuse sans qu’on renonce volontairement à diverses facilités de l’existence, sans qu’on mortifie sa curiosité (images, nouvelles), son appétit, son goût du changement, de la distraction, etc. Tout ce que nous avons dit montre qu’une note de juridicité est essentielle à la vie religieuse proprement dite, puisque la publicité des vœux, constitutive d’un certain « état », lui est essentielle et qu’elle comporte une Règle [16]. Une fois encore, l’usage peut prêter à l’abus : on a poussé si loin et si matériellement ces valeurs incontestables de juridicité et de Règle qu’on est arrivé à exclure l’érémitisme de la vie religieuse [17] ! Mais l’érémitisme a retrouvé sa place de nos jours et le Concile a reconnu cette place [18].

C’est sans doute parce que la vie religieuse traduit de la façon la plus formelle et la plus tangible la prétention de l’Église à être, pour ses finalités propres, une société originale, publique, autonome, que les pouvoirs laïcistes et totalitaires ont régulièrement tenté de l’éliminer et l’ont éventuellement persécutée : on le voit, à l’époque moderne, chez Napoléon (son concordat ne faisait aucune place aux religieux), dans le laïcisme militant de Combes ou de certains gouvernements des régions hispaniques au XIXe siècle, dans le totalitarisme hitlérien ou stalinien.

2. Puisque, pour la première fois de son histoire, l’Église catholique s’est, sinon définie elle-même, du moins décrite dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium (LG), parcourons les grandes valeurs de cette ecclésiologie pour voir comment la vie religieuse se situe à leur égard.

Sous le thème global de « Peuple de Dieu », LG parle du sacerdoce royal des baptisés (n° 10 et n° 34 du chap. IV). C’est un sacerdoce personnel d’offrande par chacun de sa propre vie : cf. Rm 12,1. Il explicite la consécration fondamentale par laquelle, au baptême, le Christ met sa marque sur le fidèle, l’introduit dans son alliance, en fait pleinement un membre de son peuple messianique. Or la vie religieuse pure et simple, c’est-à-dire indépendamment d’une éventuelle ordination presbytérale ou même d’une participation particulière à la mission de l’Église, est un exercice plus total et plus conscient que dans la vie chrétienne commune, de cette offrande de la vie en culte spirituel. Cela est vrai de la vie religieuse féminine aussi bien que de la masculine. Cela englobe les activités extérieures aussi bien que la prière dans le secret ou publique, la mortification aussi bien que les réjouissances communes, le travail le plus temporel aussi bien que l’apostolat formel. Toute la vie peut s’unifier sous le signe du sacerdoce spirituel. D’autant plus que son offrande se consomme dans l’union à celle de Jésus, en la célébration eucharistique. Dans l’Écriture, le sacerdoce spirituel est royal (cf. Ex 19,6 ; comp. Ap 1,6 ; 5,9-10) ou la royauté du chrétien est sacerdotale (1 P 2,9). Parlant de ce caractère royal à propos des fidèles laïcs, LG insiste surtout sur l’action dans le temporel, pour l’ordonner selon Dieu et vers Dieu. Mais on peut également voir là cette indépendance à l’égard du monde, de ses séductions et ambiguïtés, qui relève de la condition chrétienne. C’est l’indépendance de la conscience, la résistance aux entraînements qui esclavagisent et aliènent l’homme. C’est le droit sacré de dire Non au monde, dans le sens où Jésus-Christ lui a dit Non. La virginité vouée et la profession monastique ou contemplative sont ainsi un exercice de la royauté spirituelle du chrétien, qui domine ce qu’il offre et sacrifie pour Dieu.

Le chapitre de LG sur le peuple de Dieu parle (n° 12) du caractère prophétique de la vie dans la foi, et des charismes. Il s’agit de ces dons de nature et de grâce que le Saint-Esprit nous fait prendre et exercer pour le service des autres et en vue de la constitution du Corps du Christ. Il ne suffit pas de se reposer sur l’idée que chaque organisme religieux est comme l’institutionnalisation du charisme de sa fondation : il faut que la vie religieuse soit un cadre de reconnaissance et d’épanouissement des dons personnels, trop souvent étouffés sous l’impératif de « la Règle » ou de l’œuvre dont la communauté est chargée.

LG ne parle qu’en passant (n° 4 par. 1 ; 6 ; 9 par. 2) de l’Église comme « temple », c’est-à-dire comme le lieu où Dieu habite, qui lui est consacré, dans lequel lui est rendu un culte qui lui soit agréable. Mais, tant dans LG que dans d’autres documents du concile, l’aspect doxologique de la vie chrétienne et des œuvres de l’apostolat est fréquemment évoqué. Thomas d’Aquin, de son côté, commente le terme « sainte Église » du Credo en valeurs de consécration, de temple, d’habitation, de culte [19]. C’est un thème cher à la Tradition, sous les vocables de Jérusalem, Cité de Dieu, etc. C’est toute la spiritualité de consécration qui trouve ici sa place, en liaison avec le sacerdoce spirituel. L’homme ou la femme consacré dans la chasteté, la non-possession des biens terrestres et l’Esprit de soumission, est, au milieu d’un monde qui connaît si peu Dieu, un point d’adoration consciente, de reconnaissance constante de Dieu dans la prière, la louange, l’attention à faire Sa sainte et sanctifiante volonté. Dans leur célébration, surtout communautaire, de la louange divine, les religieux et religieuses actualisent le dialogue d’amour de l’Époux et de l’Épouse dont parle la Constitution conciliaire sur la liturgie (nos 84 et 98-99).

Une des valeurs les plus intéressantes de l’ecclésiologie conciliaire est celle de l’Église-sacrement du salut [20]. L’Église se comprend et se présente ainsi comme le signe et l’instrument de l’ensemble des initiatives historiques, positives et publiques par lesquelles Dieu est gracieusement intervenu dans sa création pour la faire réussir définitivement selon Son projet sur elle : ensemble d’initiatives qui culmine en Jésus-Christ. Une qualité de messianisme, c’est-à-dire d’espérance totale pour les hommes, s’attache à l’idée de sacrement du salut en Jésus-Christ. Nous retrouverons plus loin la valeur de signe que présente incontestablement la vie religieuse : signe d’autre chose, signe que « ailleurs existe ». Mais cela même semble entraîner un manque d’engagement dans le monde qui limite la valeur de signe et instrument de salut pour ce monde. Sauf que la vie religieuse, comme communauté réussie où l’égoïsme charnel cède à l’amour fraternel, au service et au consentement mutuels, peut être un signe de cette communauté ou de cette unanimité dont le christianisme porte à la fois l’exigence et la grâce.

La mission anime, depuis son titre même, tout le texte de LG. Nous avons vu que l’apostolat est de plus en plus entré dans la vie religieuse. La mission est très largement assurée par des Congrégations religieuses, dont beaucoup proviennent de ce que le XIXe siècle a été comme siècle de grâce [21]. Insistons ici sur deux aspects moins souvent explicités, mais que le Concile a relevés : d’une part, celui de maternité spirituelle que toute l’Église exerce en tant qu’elle réalise de vraies communautés de foi et de charité [22]. Les forts portent les faibles, les fervents entraînent les tièdes. Dans les groupes sociologiques, quelques-uns font office de prémices et de « pars pro toto », de partie dynamiquement représentative du tout. Il serait anormal que les religieux ne soient pas cela. D’autre part, la mission comporte un aspect intérieur et mystérieux de lutte contre le démon [23]. Il s’agit des formes spirituelles personnelles ou personnalisées qui s’opposent au Règne de Dieu et sont aliénantes pour l’homme appelé à la qualité de fils de Dieu. Chaque religieux, et surtout chaque groupe fraternel de religieux, doit être, par la prière (et le jeûne : mais on ose à peine en parler !) comme une unité de combat contre l’ennemi de Dieu, homicide dès le commencement [24].

Nous ne commenterons pas ici les chapitres V de LG sur l’appel universel à la sainteté, VI sur la vie religieuse, VII sur la référence de l’Église à l’eschatologie, VIII sur la Vierge Marie vue dans le mystère du Christ et de l’Église. Il est clair que la vie religieuse se situe dans leur droit fil et que tout ce qui est dit là est parlant pour elle.

3. À l’égard de toutes les grandes valeurs de l’ecclésiologie de LG, la vie religieuse nous apparaît comme :

  1. l’organisation de ce quelque chose de total et d’absolu que Dieu désire trouver dans la libre réponse de l’homme à son offre d’alliance, d’amitié, de coopération à son œuvre. Est-ce trop prosaïque ? Il suffit que ce soit vrai. Il nous paraît qu’un trait essentiel de la vie religieuse et de sa situation dans l’Église est d’être une organisation totale de la vie pour le service de Dieu et l’union à Dieu : rien n’est perdu, rien n’est temps mort, même le sommeil, les repas, les délassements sont pris dans un ordre de service du Seigneur ! Au-delà de leur valeur de consécration et d’imitation du Christ et des Apôtres, c’est là un effet des vœux et aussi de la Règle, qui détermine une certaine forme et un certain ordre de la vie.
  2. le dégagement maximum de forces spirituelles et de générosité efficace, qui peuvent entrer en jeu dans les différents domaines de la consécration, de la prière et du culte, de l’apostolat, de la diaconie, de la lutte contre le démon, du signe annonçant la réconciliation et la vie du monde à venir. C’est un fait : la vie religieuse a toujours été, pour l’Église, un réservoir de forces. C’est là une valeur qu’on pourrait appeler fonctionnelle. Mais elle prend racine, comme la ramure pondéreuse d’un arbre, dans l’ontologie – c’est-à-dire la valeur d’être et d’existence – de consécration totale qui se traduit par la profession publique et vouée des conseils évangéliques et par l’organisation réglée de toute la vie selon un absolu de « pour Dieu », qui est une valeur essentiellement pascale (cf. Rm 6,10). Il y a bien là une manifestation du Royaume et de sa puissance, et de ce qu’il représente d’« excès » par rapport au monde.

La vie religieuse nous apparaît donc comme étant l’Église elle-même en acte, non par la voie des ministères, mais par celle des énergies de la vie chrétienne : réserve faite de ce que les Instituts cléricaux et apostoliques comportent de valeurs relevant du ministère ordonné, dans la contexture même de la vie religieuse. Et de plus, sans méconnaître ce qu’une forme évangélique de vie s’assimilant plus ou moins à la vie religieuse peut apporter de très convenable aux ministres ordonnés (diaconat, presbytérat, épiscopat) dans la ligne même de leur ordination [25]. De soi, la vie religieuse se situe dans la suite, non d’un ministère, mais du baptême, lequel engage à prendre place dans la diaconie de l’Église, qui prolonge celle du saint Serviteur de Dieu. La tradition patristique et médiévale parle fréquemment de la profession monastique comme d’un « second baptême [26] ». L’expression est ambiguë. De fait, son sens a oscillé entre deux interprétations. La première faisait de la profession monastique l’équivalent du martyre, baptême de sang pour la rémission des péchés : il n’y avait donc là aucune référence sacramentelle. La seconde y voyait un second degré du baptême. Cette interprétation peut s’harmoniser avec la façon dont on présente aujourd’hui les rapports entre profession religieuse et baptême. Le Concile précise au sujet du religieux :

Le baptême déjà l’avait fait mourir au péché et consacré à Dieu, mais pour pouvoir recueillir en plus grande abondance le fruit de la grâce baptismale, il veut, par la profession des conseils évangéliques faite dans l’Église, se libérer des surcharges qui pourraient le retenir dans sa recherche d’une charité fervente et d’un culte parfait à rendre à Dieu, et il se consacre plus intimement au culte divin.

Paul VI présente de même la profession des conseils évangéliques comme un complément de la consécration baptismale [27]. Il ne peut s’agir d’un complément ou d’un supplément dans l’ordre de l’ontologie chrétienne, c’est-à-dire des dons de grâce qui nous constituent chrétiens : il s’agit d’un plus grand radicalisme, d’une plus grande intensité dans l’exercice de la vie chrétienne. De fait, chez les âmes ferventes vraiment saisies par Dieu, même au milieu du monde, on constate une sorte de passage à l’absolu, à l’oraison absolue, à la pauvreté ou à la désappropriation absolue, au renoncement absolu aux facilités et aux jouissances terrestres, bref au don total et absolu. C’est ce que veut réaliser la vie religieuse, au moins idéalement – car les hommes sont partout charnels et ils savent trop bien se reprendre ! –. C’est pourquoi l’on parle à ce sujet d’un holocauste : le sacrifice où tout était consumé [28].

Dans l’Église se réalise une remarquable synthèse entre un aspect si personnel que chaque saint porte un nom unique et peut être fêté de façon singulière, et un aspect si communautaire que tous forment un seul corps, qui n’est même pas leur, mais du Christ. C’est aussi pourquoi l’on peut dire de la vie religieuse qu’elle vise la sanctification personnelle de ses membres, mais plus véritablement encore qu’elle relève de la sainteté de l’Église. Tout véritable disciple, candidat au Royaume des Cieux, doit prendre une voie étroite.

Là où il y a bien appel à une voie plus particulière, il ne s’agit pas d’offre d’une perfection privilégiée, mais d’invitation à collaborer plus étroitement à l’établissement du Royaume. Or ce n’est pas la même chose. Si quelques-uns sont appelés à tout quitter, parents, domicile, possessions, mariage même (Mt 8,19-22 ; 10,9-10 ; 19,12), ce n’est pas premièrement pour atteindre une sainteté et une récompense particulières, c’est tout simplement pour être plus libres de vivre sur les routes et de travailler avec Jésus, sans autre souci que la construction du Royaume... Ce qu’on appelle « l’état de perfection » doit être compris de façon très active. On ne s’y engage pas pour être égoïstement parfait, mais pour perfectionner l’Église, fût-ce par la croissance de sa propre charité.

Oui, vraiment, la vie religieuse est à voir dans l’Église, comme une réalisation particulièrement qualifiée de sa finalité et de sa vie. Comme Dieu donne à son Église sa catholicité (LG n° 13), il lui donne sa sainteté et, pour cela, lui assure fidèlement le don de l’observation des conseils évangéliques (LG n° 43) qui, du reste, déborde les cadres de la vie religieuse proprement dite.

Au fond, la vie religieuse ne procède pas d’une addition extrinsèque de quelques éléments plus ou moins artificiels à la vie chrétienne commune. Elle procède d’exigences ou de souhaits des réalités les plus profondes de cette vie. C’est pourquoi S. Thomas situe les conseils dans une pratique parfaite des préceptes [29]. Comment pourrait-il en être autrement si le premier commandement est d’aimer Dieu et le prochain de tout son cœur, de toutes ses forces et de tout son esprit ? C’est pourquoi encore les Règles religieuses anciennes (S. Basile, S. Augustin, S. Benoît...) ne sont que des insistances et des applications faites à l’intérieur de la Règle de l’Évangile. Mais il faut avouer qu’on a souvent rajouté des précisions et des obligations, voire un poids de réglementations qu’il serait difficile de justifier par l’Évangile !

C) revue et appréciation sommaires des notions proposées pour définir le rôle propre de la vie religieuse dans l’église et devant le monde

Il faudrait parcourir toutes les nombreuses publications parues depuis une quinzaine d’années. Nous ne le pouvons évidemment pas et n’y prétendons nullement. Il existe du reste assez de bons ouvrages et de bilans dans les Revues [30].

La notion de beaucoup la plus fréquemment mise en œuvre est celle de signe : on la trouve dans les textes du Concile [31] ; elle était déjà familière aux exposés venant des milieux monastiques ou simplement religieux [32]. Son usage, lié au renouveau liturgique et sacramentel, recouvre une récupération extrêmement intéressante par rapport à une situation où dominait une idée platonisante d’image. La vie religieuse et surtout le monachisme étaient vus plutôt selon une logique allant du haut vers l’ici-bas, comme un reflet, une imitation d’une situation céleste, angélique (cf. supra, note 8). Le signe incorpore bien quelque chose de l’image, mais il porte l’esprit au-delà de lui-même et, dans le cas, de l’ici-bas vers autre chose : un « autre chose » qui n’est plus tellement un monde idéal au-dessus, mais un ordre de vie promis et déjà vécu comme en arrhes dans la foi : d’où une valeur d’attente [33] et aussi une valeur de prémices, dans la mesure où la réconciliation, la paix, la communion fraternelle du Royaume sont déjà vécues et manifestes, en même temps que sa réalité doxologique de louange [34].

La façon dont la vie religieuse est particulièrement signe, alors que toute l’Église l’est aussi, se trouve en rapports étroits avec la façon dont elle est particulièrement consacrée, alors que tout baptisé l’est déjà. La consécration baptismale reprend en effet ce qu’il y a de foncièrement « sacré » en tout homme du fait de sa dimension transcendante, ouverte à Dieu et ordonnée à lui, pour son bonheur [35]. Elle le reprend en un « signe » spirituel par lequel est fondée l’appartenance au Peuple de Dieu – Corps du Christ, qui est l’Église. Celle-ci est le signe et l’instrument de la venue de Dieu pour le salut (la réussite) du monde en Jésus-Christ. C’est pourquoi l’Église, tout à la fois, est autre chose que le monde et, comme le disait S. Augustin, « le monde réconcilié [36] ». Le P. E. Mersch disait aussi que le Corps mystique est simplement l’état surnaturel, par et dans le Christ, de l’unité naturelle de l’humanité. Ainsi tout chrétien est-il « signe », comme membre du Peuple de Dieu et Corps du Christ qui est, dans le Christ, le sacrement universel du salut. La consécration religieuse est, à partir du baptême, une expression nouvelle de cette relation au transcendant en vertu de laquelle tout homme porte un caractère « sacré », car il est « pour Dieu ». Le « pour Dieu » est vécu ici, sur la base de vœux qui distancent du créé mondain sans le mépriser. Il est vécu plus intégralement, publiquement, communautairement (sauf érémitisme) : d’où une valeur plus accentuée, en même temps que plus totale et plus évidente, de « signe » : signe d’un « pour Dieu » de l’humanité et de l’Église, expression plus intégrale de la réalité même de cette Église qui est d’être l’humanité « pour Dieu » par le Christ, dans l’Esprit. « Par leur état », dit LG n° 31, « les religieux témoignent de façon éclatante que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu que par l’esprit des Béatitudes ».

Mais dans la mesure où la vie religieuse est plus intensément « signe », dans la mesure où elle a valeur de prémices et où elle présente une sorte de parabole du Royaume, elle prend aussi valeur de témoignage, de miroir et d’exemple. Au point de vue d’une approche du mystère de l’Église, la vie religieuse prend place, une place éminente, dans la propriété et la note de sainteté : elle est une certaine « hagiophanie » [37]. Son caractère public n’est pas ici indifférent. Vatican II insiste sur sa valeur d’exemple entraînant pour tout le peuple chrétien [38]. La vie religieuse, dit le décret Ad Gentes sur les missions (n°18, par. 1), fait comprendre la nature profonde de la vocation religieuse. C’est tellement réel ! Déjà dans la vie de la société humaine, on aime avoir un foyer où se retremper et retrouver ses certitudes et ses énergies. Une communauté religieuse s’offre comme un milieu simple, où les problèmes sophistiqués sont comme ramenés à l’évidence irrésistible de l’essentiel, où une calme assurance et un service aimant enveloppent les révoltes et les résistances de l’homme blessé, dans la douce philanthropie de Dieu : Auberge du Bon Samaritain. Ou bien l’homme « distrait », si ce n’est l’homme incrédule, reçoit, au contact de la prière monastique, le choc d’un appel de Dieu. « Obsecro vos, ego vinctus in Domino, ut digne ambuletis : je vous interpelle et vous adjure, moi qui me suis fait lier dans le Seigneur... [39] ». Un sculpteur anglais incroyant, Eric Gill, entrant dans l’église abbatiale du Mont-César au moment où les moines, après être entrés processionnellement, commençaient une Heure de l’Office, « Deus, in adjutorium meum intende ! » était saisi d’un coup et déclarait : « Je sus alors, de façon absolument certaine, que Dieu existait et qu’il était un Dieu vivant [40] ».

On peut rattacher à cette valeur de manifestation de l’Église comme ordre de vie avec Dieu et en vue de son Royaume, l’idée souvent exprimée dans les milieux monastiques, présentant le monastère comme l’Église en réduction : une sorte d’abrégé ou d’épitomé du mystère de l’Église [41]. Cette idée se situe évidemment avec aisance dans la réalité, nouvellement redécouverte, des églises particulières comme vivant et représentant le mystère total de l’Église, surtout en raison de la célébration eucharistique. Sans se disjoindre pharisaïquement du monde, au contraire, dans un intense sentiment d’être cela représentativement et vicarialement pour le monde, les religieux (religieuses) doivent penser avec amour qu’ils sont, au milieu de la nuit ou de la tempête, une maison où Dieu habite, où la flamme de la foi et de la prière demeure allumée pour le Seigneur, où règne la paix que procure l’amour répandu par Son Esprit. En ce lieu, le Père a ses adorateurs en esprit et en vérité.

On n’a pas redécouvert seulement la réalité de l’église particulière ; on a redécouvert celle des charismes, ces dons variés distribués par le Seigneur pour l’utilité de tous et la construction de son Corps. Aussi plusieurs ont-ils proposé de voir la vie religieuse comme charisme institutionnalisé ou, comme dit le P. Schillebeeckx, « cristallisé » [42]. Il est clair que les charismes sont donnés aux personnes et qu’on ne peut les socialiser [43]. Certes la vie religieuse met en œuvre des dons spirituels, mais il ne suffit pas de faire profession et de porter un habit pour que toute l’existence soit menée dans l’Esprit Saint. À cet égard, il n’existe pas de charisme institutionnalisé. On peut, par contre, en parler si l’on envisage la vocation et la grâce propre d’un fondateur en tant qu’elles ont pris corps dans une institution qui dure en perpétuant sa mission et son esprit. Benoît, Dominique, Ignace, ont ainsi corporéifié leur grâce et leur service propres dans une institution qui les exprime, les sert et les perpétue. C’est par un appel qui est un don de l’Esprit, par des fidélités qui sont des dons de l’Esprit que, fils de Benoît, de Dominique ou d’Ignace, nous devenons personnellement les bénéficiaires et les porteurs de leur charisme. La chasteté pour le Royaume (cf. Mt 19,13), le renoncement aux possessions et à l’autonomie de son vouloir, l’absolu dans le « pour Dieu », gratuit, sont des dons personnels de l’Esprit, mais qui ne sont faits ni dans un vacuum d’histoire, ni sans référence aux besoins de l’Église et des hommes. En ce sens, la vie religieuse est comme le corps de charismes donnés en vue du Royaume, un lieu privilégié de la vie charismatique de l’Église.

Tout cela est très beau, très sublime. C’est la vérité idéale. Mais qui vit (encore) ces choses ? C’est la doctrine du concile, mais l’après-concile est tellement différent de ce qu’a préparé le concile ! Dieu ait pitié de nous !

Couvent d’Études des Frères Prêcheurs
Le Saulchoir, Étiolles
F-91 SOISY-SUR-SEINE, France

[1Outre diverses études qui seront citées par la suite, rappelons : F. Vandenbroucke, Le moine dans l’Église du Christ, Louvain, 1947 (plutôt théologie de la vie monastique qu’une étude de la place du monachisme dans l’ecclésiologie) ; Moines (Témoignages, Cahiers de la Pierre-qui-vire, Paris, 1953) ; Y. Congar, « Théologie du rôle de la Religieuse dans l’Église », in Suppl. Vie Spirit., 12 (1959), 315-342 (repr. in Le rôle de la Religieuse dans l’Église, Paris, Cerf, 1960, pp. 29-57) ; Théologie de la vie monastique, Études sur la Tradition patristique (Théologie, 49) Paris, 1961 ; J. M. R. Tillard, « La vie religieuse dans le mystère de l’Église », in Sciences ecclésiastiques, 14 (1962), 89-108 (repr. dans Les Religieux au cœur de l’Église, Montréal, 1967, p. 9-27 ; nouv. éd., Paris, 1969) ; A. Bandera, « Presencia de la vida religiosa en un tratado de Ecclesia », in Angelicum 43 (1966), 377-392 ; Vatican II : L’Adaptation et la Rénovation de la Vie religieuse, éd. sous dir. J. M. R. Tillard (Unam Sanctam 62) Paris 1967 ; P. Jacquemont, « Bulletin de Théologie : La vie religieuse à l’heure de Vatican II », in « Rev. Sciences philos, théol. 52 (1968), 552-581.

[2C’est le principe de distinction proposé dans notre article « Laie, Laienstand du Lex. f. Theol. u. Kirche », 2e éd., t. 6 (1961), col. 735 ; dans G. Martelet, Sainteté de l’Église et Vie religieuse, Toulouse, 1964. Pour les ministères, cf. « Ministères et structuration de l’Église », in La Maison-Dieu n° 102, 1970, p. 7-20.

[3Tel est bien l’enseignement de Pie XII, Constitution Provida Mater du 2 Fév. 1947 (AAS 39 1947, 116). Déjà Léon XIII, lettres Testera Benevolentiae du 22 janv. 1899 et au cardinal Richard, 23 déc. 1900 (Actes, éd. B. Presse, t. V, p. 322-325 et t. VI, p. 188-189) et Pie XI, discours radiophonique aux religieux, 12 fév. 1931 (AAS 23, 1931, 67). Vatican II, Lumen Gentium n° 44, par. 4 : « L’état de vie constitué par la profession des conseils évangéliques, s’il ne concerne pas la structure hiérarchique de l’Église, appartient cependant inséparablement à sa vie et à sa sainteté ».

[4S. Théodore du Stoudion dit que la vie religieuse est de tradition apostolique : Epist. 185 (PG 99, 1524). Sur monachisme = vita apostolica, références in H. de Lubac, L’exégèse médiévale 1-2, p. 579, et surtout J. Leclercq, op. cit. ch. III, p. 82-108 ; O. Rousseau, Monachisme et Vie religieuse, Chevetogne, 1957, p. 21-26 ; H. M. vicaire, L’imitation des Apôtres, Moines, Chanoines et Mendiants IVe-XIIIe siècles, Paris, 1963. Les références sont infinies. S. Thomas d’Aquin, parlant des douze apôtres et des sept diacres des origines, dit « quorum exemplo omnes religiones derivatae sunt » (De Perfectione vitae spiritualis, c. 17).

[5Cf. L. Bouyer, Le sens de la vie monastique. Turnhout-Paris, 1951, p. 89 sv. ; Ed. E. Malone, The Monk and the Martyr. The Monk as successor of the Martyr. Washington, 1950, avec les compléments de bibliographie donnés in Vigiliae christianae, 6 (1952), 126-128 ; J. Winandy, Ambroise Autpert, moine et théologien, Paris 1953, p. 56. Et voir M. Viller, « Martyre et perfection », in Rev. Asc. et Myst. 6 (1925), 4-25.

[6Sur toute cette histoire, G. B. Ladner, The Idea of Reform, its impact on Christian Thought and Practice in the Age of the Fathers, Cambridge (Mass.) 1959, p. 341-400, et le vol. 49 de la collection « Théologie » cité supra, n. 1.

[7Fr. Heer, « L’héritage Europe », in Dieu vivant n° 27, 1954, p. 23-54) voit dans le caractère intéressé et séculier des moines une des causes de la sécularisation de la société, à partir du XIIe siècle. Pour la ritualisation d’un service d’abord assuré de façon réelle, empruntons un exemple à J. Paillard, Pour quoi je vis, Quand Dieu est inutile. Paris 1970, p. 110-111 ; « Il m’arrive de temps à autre d’aider tel ou tel groupe stockholmois de Amnesty International. Comme on sait, cet organisme aujourd’hui mondial fut créé il y a quelques années par un avocat anglais ayant assisté à l’arrestation de deux ouvriers portugais. Leur crime ? Avoir critiqué le régime à la terrasse d’un café. Amnesty international est divisé en petites cellules d’une dizaine de membres. Chaque cellule « adopte » trois prisonniers politiques appartenant à au moins deux camps idéologiques différents ; par exemple l’un de l’Est et l’autre de l’Ouest. La plupart des pays reconnaissent cet organisme qui tente d’améliorer le sort de ces gens qui ne se sont pas livrés à la violence mais ont été emprisonnés pour avoir suivi leur conscience, ou même recherche à les faire libérer ; la plupart des pays, sauf la Russie, la Chine et l’Espagne-Portugal. Nous avons donc là un organisme non confessionnel, non politique, seulement humanitaire. Si mes souvenirs sont exacts, l’Église catholique compte au moins deux ordres monastiques ayant exactement la même fonction : l’ordre de la Merci et les Trinitaires. À quoi s’occupent aujourd’hui ces bons religieux ? Ce n’est pourtant pas le travail qui manque : on estime à un million le nombre de gens qui sont emprisonnés pour délit d’opinion ! »

[8Voir le chap. I de J. Leclercq, La vie parfaite, Points de vue sur l’essence de l’état religieux, Turnhout-Paris, 1948 ; A. Lamy, « Bios angelicos », in Dieu vivant n° 7, 1948, p. 59-77 ; E. Peterson, Le livre des Anges, trad. C. Champollion, Paris 1954 ; J. C. Didier, « Angélisme ou perspectives eschatologiques ? » in Mél. de Science relig. (Lille) 11 (1954), 31-48 ; G. B. Ladner, op. cit. p. 326 sv. ; U. Ranke-Heinemann, « Zum Ideal der vita angelica im fruheren Monchtum », in Geist und Leben 29 (1956), 347-357 ; Emmanuel von Severus, « Bios angelikos », in Die Engel in der Welt von Heute (Liturgie und Monchtum, 21) 1957, p. 56-70 ; Garcia M. Colombàs, Paradis et vie angélique. Le sens eschatologique de la vocation chrétienne, Paris 1962 (l’original espagnol : Montserrat, 1958).

[9Cf. J. D. Barthélémy, « Essenische und christliche Heiligkeit im Lichte der Handschriften vom Toten Meer », in Freiburger Zeitsch. f. Philos, u. Theol., 6 (1959) 249-263.

[10D. Bonhoeffer, Éthique, tr. fr. Genève, 1965, p. 209-210.

[11Cité par Masao Takenake, in The Ecumenical Review, janvier 1962, p. 169.

[12Voir dans le vol. I De Institutis saecularibus (Rome 1951) les indications de A. Larraona, p. 44 et les références données n. 22, et de A. Gambari, Institutum saecularium et Congregationum religiosarum evolutio comparata, p. 311 sv. ; J. Canes, Les ordres religieux masculins (Je sais, je crois) Paris, 1959, p. 11. Comparez le dossier des Inform. Cathol. Intern. n° 140, 15 mars 1961.

[13Voir par exemple La Vie Spirituelle, n° de Fév. 1946 ; nos Jalons pour une théologie du Laïcat (« Unam Sanctam », 23) Paris 1953, p. 576 sv. (également remarques sur ce qu’on pourrait appeler une « politique des canonisations »).

[14Article paru dans l’Atlantis, janv. 1858 ; trad. fr. dans Saints d’autrefois, Paris 1908 : cf. p. 223-227.

[15Sur ceci cf. C. Capelle, Le vœu d’obéissance des origines au XIIe siècle, Étude juridique, Paris, 1959.

[16Sur la juridicité, cf. l’ouvrage cité n. 12. Sur la vie religieuse comme « état », S. Thomas, Sum. theol. IIa IIae q. 184, a. 4. L’expression « état de perfection » a été évitée cependant par le Concile, comme prêtant à l’ambiguïté : elle ne se trouve qu’en LG n° 45, par. 2.

[17Cf. ouvrage cité n. 12, p. 59 n. 7. L’histoire montre, au moins à partir du XIIIe siècle, une certaine méfiance des autorités romaines à l’égard de l’érémitisme.

[18Cf. Perfectae caritatis n° 1, par. 2.

[19Voir son commentaire sur l’art. IX du Symbole. Sur l’Église-Temple, voir notre Mystère du Temple, ou l’économie de la Présence de Dieu à sa créature, de la Genèse à l’Apocalypse (« Lectio divina » 22) Paris 1958.

[20L’étude la plus riche est celle de P. Smulders, in L’Église de Vatican II, publ. sous dir. G. Baraùna, Paris, Cerf, 1965, p. 313-338. Voir aussi notre : Cette Église que j’aime (coll. « Foi Vivante », 70), Paris, 1968, p. 41-63.

[21Voir notre : « La Catholicité en marche » – ch. XVIII de l’Histoire illustrée de l’Église, publ. sous dir. G. de Plinval. Genève, 1948, t. II, p. 327-392.

[22Cf. décret Presbyterorum Ordinis, n° 6, par. 6. Voir K. Delahaye, Ecclesia Mater chez les Pères des trois premiers siècles (« Unam Sanctam », 46), Paris 1964, avec notre préface p. 7-32.

[23Cf. LG n° 17 (« ad confusionem daemonis ») ; Ad Gentes nos 3 et 9, sur quoi voir notre commentaire, coll. « Unam Sanctam » 67, Paris, 1967, p. 219 ; M. Spindler (prot.), La Mission, combat pour le salut du monde. Neuchâtel - Paris, 1967.

[24Cf. Mc 9,28 ; diable-homicide : Jn 8,44. Pour une intéressante présentation de la trilogie biblique « jeûne, prière, aumône », voir V. Soloviev, Les Fondements spirituels de la vie. Trad. fr. G. Tzebricow. Paris-Bruxelles, 1932.

[25Certes, autre chose est le ministère ordonné, service structurant d’une communauté, autre chose la profession religieuse des conseils évangéliques. L’existence de religieux non ordonnés d’un côté, la possibilité d’ordonner des hommes mariés de l’autre, montrent bien la distinction qu’il faut garder entre ministère (fonction) et état religieux. A. Manaranche (Prêtres à la façon des apôtres, Paris, 1969) a quelque peu durci certaines indications des textes conciliaires. Mais si les conseils sont adressés à tous, si tous doivent en pratiquer l’esprit, n’est-il pas normal que ceux qui font un don de soi total, absolu, exclusif, au ministère, se rapprochent de la vie religieuse, vita apostolica ?

[26Déjà le martyre était considéré comme un second baptême : Marc Lods, Confesseurs et Martyrs. Neuchâtel-Paris, 1958, p. 35. Sur le thème évoqué ici, cf. F. Vandenbroucke, op. cit. (n. 1) p. 60 sv. ; Ed. E. Malone, « Martyrdom and Monastic Profession as a Second Baptism », in Vom christlichen Mysterium, Arbeiten z. Gedächtnis von O. Casel, Düsseldorf, 1951, p. 115-134 ; E. Dekkers, « Profession, Second baptême. Qu’a voulu dire S. Jérôme ? » in Histor. Jahrbuch 77 (1958) 91-97 ; G. Penco, « Sulla professione monastica corne secondo battesimo », in Rivista Liturgica 37 (1960) 34-39. – On sait l’opposition de Luther à cette idée mais, comme presque toutes ses réactions, sa critique visait surtout les abus médiévaux par lesquels la qualité d’hommes spirituels avait été réservée aux moines et aux clercs, au détriment des simples baptisés.

[27Discours cité supra (n. 26) : AAS, p. 567.

[28Cf. S. Grégoire, In Ezech. libr. II, hom. 8 (PL 76, 1907) ; Thomas d’Aquin, Sum. theol. IIa Ilae q. 186 a. 1 ad 7 ; De perfectione vitae spiritualis, ed. Spiezzi nn. 604-605. Le titre de l’opuscule de S. Thomas sur la vie religieuse est significatif : elle est, à ses yeux, un lieu où se réalise la perfection de la vie spirituelle.

[29Sum. theol. IIa IIae q. 189 a. 1 ad 5.

[30À titre d’exemple et entre autres, citons, outre P. Jacquemont cité supra n. 1, les revues spécialisées : Vie spirituelle et son Supplément ; Vie consacrée, etc.

[31LG n° 44, par. 3 ; Perfectae Caritatis n° 1, par. 1.

[32Insistent sur la valeur eschatologique : D. Thalhammer, Jenseitige Menschen. Eine Deutung des Ordenstandes. Freiburg, 2e éd. 1952 ; K. Rahner, « Zur Theologie der Entsagung », in Orientierung 17 (1953), 252-255 (= Éléments de théologie spirituelle, Paris, 1964, p. 51 sv.) ; W. Hillmann, « Perfectio evangelica. Neutestamentliche Grundlagen des Ordenslebens », in Wissenschaft u. Weisheit 19 (1956), 161-172 ; O. Rousseau, « Communauté ecclésiale et communauté monastique », in La Maison-Dieu, n° 51, 1957, p. 10-30 ; J. G. Ranquet, Consécration baptismale et consécration religieuse, Paris 1965, p. 93-106 ; P. R. Régamey, « La consécration religieuse », in Vie consacrée, 1966, p. 281 sv. ; J. M. R. Tillard, op. cit. supra n. 1 (Les Religieux...).

[33Cf. la p. 61 de l’article du P. Emmanuel von Severus cité supra, n. 8.

[34Cf. Emmanuel von Severus, « Das kontemplative Monchtum und unsere Gegenwart », in Liturgie und Monchtum 11 (1952), 11-20 ; ID., « Zu den biblischen Grundlagen des Monchtums », in Geist und Leben 26 (1953), 113-122 et ibid. 27 (1954), 414 sv. ; Abt Emmanuel Heufelder, Die Evangelische Rate. Die biblisch-theologische Grundlage des Ordenslebens im Blick auf seine Erneuerung in unserer Zeit, Wien, 1953. On peut comparer, en Orient, Grégoire Palamas (cf. J. Meyendorff, Introd. à l’étude de Grégoire Palamas, Paris, 1959, p. 273).

[35D’où le mot fameux de S. Irénée « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ; mais la vie de l’homme est de voir Dieu » (Adv. Haer. IV, 20, 7 : PG 7, 1037). Cette dimension transcendante de l’homme est souvent appelée « sacré originel » (Cl. Geffré). Voir, sur la consécration religieuse, P. R. Régamey, L’Exigence de Dieu, Paris 1969, chap. VII.

[36Sermo 96, 8 (PL 38, 588).

[37Exposé déjà ancien, parmi beaucoup d’autres : Cardinal Dechamps, Œuvres, t. I, p. 467 sv. – Sur la valeur épiphanique de la vie religieuse, cf. W. Hillmann, « Gestaltwerdung, Epiphanie des Heiles », in Wissenschaft u. Weisheit 19 (1956), 161-172.

[38LG n° 44, par. 3 et cf. n° 39 ; Perfectae caritatis n° 7, par. 1. – Sur la valeur de manifestation ou de « phanie » du Christ, LG n° 46. L’aspect christologique de la vie religieuse est très accentué dans tout le chap. V de LG. La vie religieuse signifie un propos spécial de suivre et imiter le Christ : LG n° 44, par. 3 ; 46, par. 2 ; Perfectae caritatis n° 1, par. 1 et 3 ; n° 2, a et e ; n° 14, par. 1 ; n° 25.

[39Ep 4, 1 : texte inscrit sur le cancel du chœur de l’abbaye de Maria Laach.

[40Eric Gill, Autobiography, Londres, 1940, p. 186-187.

[41Voir en ce sens Basilius Steidle, Die Regel St. Benedikts eingeleitet, Beuron 1952 ; Emmanuel von Severus, « Das Monasterium als Kirche », in Enkainia, Gesammelte Arbeiten z. 800 jcihr. Weihegedachtnis der Abbeikirche Maria Laach. Düsseldorf 1956, p. 230-248 ; A. de Vogüé, « Le Monastère, Église du Christ », in Commentationes in Regulam S. Benedicti (« Studia Anselmiana » 42) Rome 1957, p. 25-56 ; Em. Heufelder, St. Benedikt von Nursia und die Kirche, in Credo Ecclesiam. Festg. H. Rahner, Freiburg 1961, p. 176-184 ; A. Kassing, Die Mönchgemeinde in der Kirche, in Geist und Leben 34 (1961), p. 190-196.

[42E. Schillebeeckx, in Vie consacrée, mars 1966, p. 80. Voir déjà K. Rahner cité supra n. 37. P. Jacquemont dans son Bulletin (supra n. 1) p. 565, ne donne pas de référence bien topique pour cette idée.

[43Cf. P. R. Régamey, L’exigence de Dieu, p. 97-107.

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