Les fondements évangéliques de la pauvreté religieuse
Simon Légasse, o.f.m.cap.
N°1970-5 • Septembre 1970
| P. 257-283 |
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Si l’on en croit l’ancienne littérature monastique, il ne fait aucun doute que l’état religieux n’ait été fondé par Jésus en personne ou, au moins, que son institution ne remonte à la chrétienté apostolique, telle que nous la révèlent les écrits du Nouveau Testament. Pour ne citer que quelques exemples, rappelons que, selon saint Bernard, Pierre aurait fait profession au nom des apôtres lorsqu’il prononça ces paroles : « Voici que nous avons tout quitté et t’avons suivi » [1]. Pierre de Celles, de son côté, voyait dans le collège des Douze augmenté des soixante-douze disciples le premier noviciat, auquel « Jésus enseignait la discipline claustrale » [2]. Il en va de même si de l’Évangile on passe aux Actes des Apôtres : comme on peut le lire dans une chronique médiévale, « tout ce qu’on découvre dans les règles des Pères, tout ce qu’on pratique dans les coutumes des monastères, tout cet ensemble, dis-je, on le voit se manifester plus clairement que le jour dans les Actes apostoliques » [3]. Bien plus, l’on croyait que cette vie déjà monacale, menée d’abord par la communauté de Jérusalem, s’était étendue à toute l’Église. Ce n’est qu’ensuite, après que Paul n’eut requis des Gentils devenus chrétiens que les quatre préceptes mentionnées en Ac 15,5-29, qu’on aurait pensé que tous les fidèles pussent s’en tenir à ces pratiques, sans renoncer à leurs biens. Désormais, seuls les moines auraient maintenu la vie chrétienne des origines. Tel est le tableau que trace l’abbé Piammon dans la XVIIIe Conférence de Cassien [4] et qui s’ancra solidement dans toute la pensée monastique postérieure.
Il y a en cela, convenons-en, beaucoup de candeur. Mais il faut d’abord remarquer que cette façon de procéder n’est pas le propre de cette catégorie d’écrivains ni du milieu qu’ils reflètent. En fait, l’attitude était générale à l’époque. L’Écriture n’y était abordée que comme un livre de vie, où l’on cherchait lumière et direction, afin d’accomplir la volonté de Dieu dans une situation donnée. Dépourvus du sens historique qui caractérise – peut-être à l’excès – notre génération, les anciens partaient de leur existence concrète, non des textes scrutés pour eux-mêmes dans le but de déceler, à l’aide d’une méthode appropriée, le sens précis que leur conféraient leurs auteurs au temps de leur composition. Toutefois, cette prédominance de l’intérêt vital dans la lecture et l’intelligence des écrits inspirés, attitude louable en soi, n’est pas à l’abri de tout reproche. À vouloir trouver dans les livres saints l’origine ou le fondement directs de ce que l’Église, au cours des siècles, a dit ou fait dans la conscience d’être fidèle à Dieu, on risque de transformer profondément, voire même de méconnaître l’intention qui a présidé à la naissance de certains textes. Pour nous en tenir au cas qui nous occupe, nul théologien, nul exégète sérieux ne peut faire siennes aujourd’hui les naïvetés généreuses auxquelles on a fait allusion, sous peine de fausser plus d’un passage du Nouveau Testament. Aussi bien, pareille attitude, en ce qu’elle est trop unilatérale, ne répond qu’en partie aux exigences d’une véritable interprétation. Celle-ci s’opère par le jeu d’un échange sans cesse poursuivi entre le fruit d’une étude historique et critique des textes et les requêtes d’une foi pleinement consciente de son empreinte séculaire et contemporaine. Que nos anciens n’aient vu le plus souvent qu’un de ces deux aspects, rien n’est moins évident, encore qu’il ne faille point les incriminer d’une conduite qu’ils partageaient avec tous ceux de leur époque. Par contre, il n’est plus légitime, à nous qui vivons aujourd’hui, d’entretenir une méthode insuffisante et qui, finalement, s’avérerait désastreuse. Aussi avons-nous cru utile d’apporter notre contribution à une œuvre que d’autres, plus qualifiés, ont déjà entreprise : le renouvellement de la théologie de l’état religieux à la lumière des sources de la Révélation.
Mais il nous faut encore signaler les limites de notre recherche. Sans doute, le Nouveau Testament ne contient pas de texte qui permettrait d’attribuer à l’Église apostolique la fondation de l’état religieux comme tel. Néanmoins, celui-ci, avec ses multiples composantes et les formes variées qu’il a revêtues au cours de l’histoire n’a pas manqué d’être rattaché à l’Écriture par le soin des auteurs spirituels et des fondateurs d’ordres. Pour ne mentionner que quelques points importants et les plus exempts d’arbitraire, disons d’abord que la poursuite de la perfection dans la charité opérante, but commun de la vie chrétienne comme de l’état religieux, dérive directement de la Révélation. Quant aux moyens spécifiques que les religieux, par un choix particulier et selon leur vocation personnelle, mettent en œuvre dans ce sens, on peut en découvrir quelque ébauche dans le Nouveau Testament. Ainsi, la continence trouve un point d’appui dans les paroles de Paul concernant le célibat eschatologique (1 Co 7) et le logion du premier évangile sur les « eunuques » (Mt 19,11-12), un enseignement dans lequel l’aspect surérogatoire est assez clair. De même, quoique de façon plus contournée, l’on peut enraciner l’obéissance religieuse dans l’Écriture, par l’entremise de considérations plus générales sur la fidélité à l’Église et les devoirs envers ses chefs. Reste la pauvreté. Comme nous ne voulons pas trop entreprendre et qu’il est nécessaire de respecter les limites d’un simple article, c’est à elle, en tant qu’elle est la caractéristique des religieux, que nous restreindrons notre étude, en essayant de répondre à la question suivante : dans quelle mesure l’abandon des biens individuels et leur mise en commun, élément essentiel de l’état religieux, peuvent-ils être rattachés à la pensée de Jésus et des apôtres, telle qu’elle s’exprime dans les écrits du Nouveau Testament ?
Pour le savoir, il est indispensable de considérer en eux-mêmes les textes invoqués ou susceptibles de l’être dans cette perspective. Ainsi seulement l’on peut espérer établir un rapport dont la rigueur satisfasse les esprits exigeants, en évitant toute surenchère.
Le détachement eschatologique
Les premières générations chrétiennes vivaient dans l’attente de la « consommation du siècle », de la fin de l’ère présente et de l’acte qui devait déterminer ce terme : la Parousie du Seigneur [5]. Mais vivre dans l’attente n’est pas synonyme de vivre de l’attente. À l’inverse d’une conception purement futuriste du salut, les chrétiens sont alors persuadés que celui-ci est déjà réalisé en Jésus-Christ : « Les temps sont accomplis » (Mc 1,15 par.) et le règne de la grâce est instauré (Rm 5,1-2). Cette certitude est lourde de conséquences. Car la nouvelle alliance, que promulgue le kérygme apostolique, n’est pas moins exigeante que l’ancienne. Libre et gratuit, l’acte par lequel Dieu se réconcilie l’univers dans le Christ requiert, pour être effectif, la fidélité des hommes à l’ordre qui vient d’être établi. S’y conformer est, de leur part, l’unique condition d’accès au Royaume définitif qu’ils entrevoient à l’horizon. En d’autres termes, si l’on veut accueillir Jésus comme Sauveur lors de sa venue, il faut être prêt, c’est-à-dire avoir déjà inauguré dans sa vie terrestre les rapports que viendra couronner l’existence céleste, lorsque les croyants seront « toujours avec le Seigneur » (1 Th 4,17).
Pour exprimer ces dispositions, images et paraboles ne font pas défaut à la parénèse apostolique. Un mot toutefois résume le tout : « Veillez ! » [6]. Cet appel retentit dans la plus ancienne prédication de l’Église. Il s’enracine, toutefois, dans une conception biblique et juive qui voit dans le temps présent une ère de ténèbres, au sein de laquelle les croyants tendent vers l’aurore du salut futur, soutenus par le flambeau de la Loi mosaïque ou de la divine Sagesse [7]. À cet aspect chronologique s’ajoutera plus tard un second thème, où le couple lumière-ténèbres exprime une opposition d’ordre religieux et moral, voire cosmologique, sans pourtant jamais quitter le cadre de l’histoire et de l’économie tracées par le Dieu unique et bon : liées au péché et au châtiment, les ténèbres, domaine du diable, finiront par disparaître pour les justes : alors, « l’impiété s’évanouira devant la justice, comme s’évanouissent les ténèbres devant la lumière. Comme la fumée disparaît et n’existe plus, ainsi l’impiété disparaîtra pour toujours. La justice s’épanouira comme le soleil qui règle le monde [8] ».
Les mêmes motifs se maintiennent dans le Nouveau Testament. Car, en dépit de la certitude du salut acquis, l’existence présente des chrétiens est souvent, en fait, tout autre que paradisiaque. D’après l’expérience concrète de l’Église, elle se déroule dans la nuit, affronte le « règne des ténèbres » (Lc 22,53). Les dangers sont multiples, car aux persécutions qui exposent le chrétien à renier son Maître (Mt 10,2-33 ; 26,69-75 par.) s’ajoutent les périls du temps de paix. D’où, à propos de ces derniers, l’image du sommeil, pour désigner l’immersion dans l’actualité, lorsqu’on vient à oublier le but de la vie, à accepter le joug du mal en pactisant avec les vices des païens (Rm 13,13). D’où aussi, corollairement, le thème de la vigilance, ou mieux de l’état de veille, qui réunit tout un programme moral s’offrant à la pratique des disciples.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent les exhortations au détachement qui parsèment les écrits néotestamentaires. Elles visent, entre autres mais avec insistance, le péril que constitue pour les chrétiens le souci des biens terrestres. Déjà Paul, convaincu que « la figure de ce monde est en train de passer », invite « ceux qui achètent » à vivre « comme s’ils ne possédaient pas, ceux qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas véritablement » (1 Co 7,30-31). C’est la même doctrine, prodiguée dans une perspective identique, qu’on reçoit dans le commentaire ecclésial de la parabole du semeur, à propos du grain tombé dans les épines : « Ceux-ci ont entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les autres convoitises les envahissent et étouffent la Parole, qui ne peut porter du fruit » (Mc 4,18-19). Telle est sur ce point la pensée de Marc, mais l’exégèse n’a pas de peine à montrer, par une étude des thèmes et du vocabulaire, que ce n’est là, au fond, que le message commun que l’Église adressait alors à ses fidèles.
Héritiers partiels du second évangile, les deux autres synoptiques reprennent à leur compte ce genre d’avertissement, non sans le développer de façon notable. Pour plus de commodité, nous grouperons plus bas la doctrine de Luc sur l’usage des richesses. Sans être aussi envahissante, celle que Matthieu offre sur le même sujet n’en est pas moins remarquable. Elle occupe une bonne partie du Sermon sur la montagne (6,19-34), où se trouvent rassemblées d’anciennes traditions que Luc répartit en divers points de son évangile. On y joindra la parabole du semeur (13,3b-9a, 18-23), déjà citée, avec celles du trésor et de la perle (13,44-46). De ces textes se dégage un enseignement cohérent, que Matthieu, en moraliste, s’est empressé de recueillir pour le faire sien. Centrée sur le « vrai trésor » qu’est le Royaume céleste (6,19-21), la vie des chrétiens ne saurait s’accommoder de compromis entre Dieu et l’argent, source de péché (6, 24). Désireux de préserver l’unité de leur cœur, les croyants se garderont d’accumuler des richesses périssables en s’inquiétant du lendemain : ce serait là, du reste, un manque de confiance envers leur Père des cieux qui pourvoit à tout (6,25-34). Mais il y a plus, et la valeur des biens désirés est si grande qu’on n’hésitera pas à lui sacrifier même la totalité des possessions terrestres, lorsqu’il s’agit d’acquérir les premiers. Tel est le double enseignement contenu dans les paraboles du trésor et de la perle (13,44-46). La vente des biens, loin d’y être un pur symbole, doit être entendue au sens propre, comme il ressort d’une comparaison avec l’ordre donné au jeune homme riche (19,21) : des deux côtés c’est une invitation, formulée en termes très voisins, au détachement matériel, chaque fois que le Royaume est en jeu.
Les vocations de disciples
L’on vient de rencontrer une seconde catégorie de textes qui, malgré les apparences, se rattachent aux précédents sous l’angle de la signification morale. Il s’agit de notices, brèves pour la plupart et extrêmement stylisées, qui racontent comment Jésus appela certains hommes à le suivre en abandonnant derrière eux leur famille et leurs biens. On peut les répartir en quatre textes ou groupes de textes : le récit de la vocation des premiers disciples, au début de la vie publique (Mc 1,18-30 par.) ; l’appel de Lévi (Mc 2,13-14 par.) ; une série, double dans Mt (8,18-22), triple dans Lc (9,57-62), de vocations anonymes ; enfin l’épisode quelque peu développé de l’appel du riche (Mc 10,17-22 par.). Il serait trop long d’étudier ici dans le détail ces divers passages. Aussi bien, après quelques remarques générales, nous nous attacherons plus spécialement au dernier d’entre eux, du fait qu’il est souvent allégué, dans sa forme matthéenne en particulier, comme le principal fondement évangélique de l’état religieux.
Au sujet de l’ensemble, l’on peut admettre qu’à l’origine de ces récits se trouve un certain nombre de faits historiques : Jésus aura appelé des hommes à tout quitter pour partager sa vie itinérante et les consacrer à l’œuvre qu’il poursuit. Distincts de la foule, ils peuvent bien être appelés « disciples », selon la parenté qui les assimile aux élèves des docteurs juifs. Ils ne s’en différencient pas moins. Car, d’une part, si Jésus les instruit d’une doctrine, celle-ci ne les fait pas gravir les échelons de la carrière rabbinique, en vue de les constituer maîtres à leur tour : il doit leur suffire d’entendre et d’accomplir ce que le Maître unique leur enseigne (Mt 23,8). D’autre part, Jésus requiert d’eux ce que jamais rabbin n’a songé à exiger de ses disciples. C’est que le mouvement créé par lui avait besoin d’hommes entièrement disponibles, livrés tout entiers et en tout temps à la cause sacrée qu’il incarne, décidés même à donner leur vie pour elle (Lc 14,26-27, 83 par.). Rien en cela de facultatif, car les conditions que Jésus impose en la circonstance sont indissociables de l’injonction par laquelle il prescrit de le « suivre ». Refuser ou accepter le tout compromet ou garantit la vie éternelle de l’appelé. Quant à la composition du groupe ainsi formé, on ne saurait restreindre celui-ci au collège des Douze : en effet, hormis les cas où les mêmes noms se retrouvent des deux côtés, il en est au moins un où l’assimilation ne paraît guère sérieuse : Lévi n’aura été inscrit parmi les Douze qu’en un stade postérieur, lorsque le premier évangéliste schématisera les choses en remplaçant son nom par celui de Matthieu. Quant au reste, nous sommes fort mal renseignés sur l’issue des appels mentionnés en Lc 9,57-62 par., pour autant qu’il s’agit là de cas réels et non de circonstances d’origine purement littéraire, nées de la nécessité de fournir un cadre narratif aux paroles reçues de la tradition. L’on sait, enfin, que le riche propriétaire mentionné en Mc 10,17-22 par. n’obéit pas à l’ordre qui lui était intimé et s’éloigna de Jésus. Les cas de ce genre durent être multiples, sans que les évangiles nous permettent de préciser davantage.
C’est en effet d’eux que nous tenons notre unique information. Or, les anciens souvenirs de l’activité de Jésus en Palestine, s’ils ont été recueillis avec empressement par leurs auteurs, n’en ont pas moins été, sous leur plume et déjà auparavant, l’objet d’une adaptation à un nouveau cadre et à de nouvelles nécessités. Car les circonstances ont changé et pour conserver aux actes comme aux paroles du Sauveur leur force vitale, il était indispensable d’y percevoir une portée qui satisfît les convictions et les besoins actuels des communautés chrétiennes. C’est ainsi qu’une signification nouvelle et passablement différente vient se superposer à celle qu’exprimait naguère le terme de « disciple ». Loin de restreindre celui-ci au phénomène révolu des adhérents de Jésus de Nazareth, les chrétiens l’actualisèrent en s’identifiant eux-mêmes à ces disciples. Désormais, ce sont les membres de l’Église, non seulement pour Matthieu, chez qui l’usage du terme correspond à une conception particulière du christianisme, mais encore dans les autres évangiles et les Actes. Leurs auteurs en effet n’ont pas pour but de reproduire un passé vénérable, par souci d’information et avec l’exactitude que leurs moyens leur permettaient. Écrits et paroles s’adressent à l’Église et, par là même, le cercle relativement restreint de jadis est devenu désormais la vaste communauté des fidèles du Christ glorifié [9].
Il en va de même des actes qui caractérisent les disciples d’après les traditions évangéliques. La démarche qui consiste à « suivre » Jésus, tout en conservant son aspect personnel d’union à la vie et à la mort avec le Sauveur, se dépouille désormais des conditions topographiques qui l’affectent à l’origine. L’expression en vient à condenser, à l’intention de tous les hommes, l’engagement de celui qui remet son existence à la disposition du Christ, s’agrège à la communauté qui l’unit à sa personne, s’efforce de pratiquer ses volontés, en lui demeurant fidèle même jusqu’au martyre (Lc 14,27 par.). Dans ces conditions, l’on admettra que les exigences de dépouillement imposées jadis par Jésus à certains s’adressent, dans la pensée des évangélistes, à tous ceux qui, de par le vaste monde, décident d’accueillir la prédication apostolique. Mais alors, comment les comprendre ? Car, d’une part, ces exigences, qu’elles concernent la famille ou les biens, auraient dû rendre très vite le christianisme impraticable et même l’obliger à s’éteindre ; d’autre part, au témoignage du Nouveau Testament, jamais les apôtres n’ont imposé de pareilles obligations à ceux qui se convertissaient à la nouvelle foi. Il est donc nécessaire de les interpréter.
Mais encore faut-il se garder des échappatoires, ce que n’ont pas toujours fait théologiens et commentateurs. La première consisterait à ne voir en l’occurrence qu’une exigence proprement ascétique, un « conseil » offert à quelques-uns, les plus zélés ou les plus courageux parmi les chrétiens. Or, à cela s’oppose le caractère général de la notion de disciple comme de l’acte qui consiste à « suivre » Jésus, en notant par ailleurs que les renoncements en question s’y adjoignent sans la moindre réserve. Pour la même raison, on ne saurait ramener la portée de ces notices aux limites du cas individuel : toutes concernent les chrétiens, ceux auxquels les évangélistes adressent leur message par l’entremise de ces anciens récits. De la sorte, les faits acquièrent une valeur contemporaine et les croyants sont censés les réaliser dans leur vie, de même que les personnages en scène incarnent une expérience toujours actuelle. Si l’on méconnaît cela, en considérant les évangiles comme de simples souvenirs historiques, l’on ne risque guère d’atteindre l’intention véritable de ceux qui les ont rédigés.
Ces voies paraissant sans issue, une autre explication nous est suggérée, qui a le mérite de s’inspirer des données du Nouveau Testament. Si Ton se souvient en effet du zèle de ses auteurs à prémunir les croyants contre les dangers de la richesse, on pourra comprendre le sens et les limites d’un ordre que le Christ adresse à tous, leur enjoignant de liquider leurs biens pour le suivre. Si la formule qu’il emploie est radicale, c’est d’abord que les évangélistes étaient soucieux de rattacher leur propre message aux origines. Mais, en reprenant à leur compte paroles et épisodes, ils n’en souhaitaient pas moins être lus avec les nuances requises, comme on peut le déduire de leur contexte ainsi que de l’ensemble du Nouveau Testament. En particulier, nul n’osera affirmer qu’ils songeaient à faire de l’abandon des biens une condition universelle du salut. Julien l’Apostat était mauvais exégète lorsqu’il s’appuyait sur l’Évangile pour confisquer les biens de l’Église d’Édesse [10]. En réalité, le commentaire que Marc, en combinant diverses traditions, a joint à l’épisode de l’appel du riche et qu’il transmet à ses successeurs le montre suffisamment : Jésus y déclare en effet (Mc 10,27) qu’un riche peut être sauvé par la grâce divine. Ce n’est pas là, bien sûr, une théologie morale rédigée sous forme de thèses lapidaires, mais, en considérant l’ensemble, on en vient à percevoir dans ces écrits une doctrine assez limpide et finalement équilibrée.
Toutefois, l’on peut se demander si ces considérations épuisent vraiment le sens du dépouillement que Jésus prescrit à ses disciples et si le radicalisme qui l’affecte ne mérite pas plus d’attention. Il gagne en effet à être comparé à un autre enseignement, rapporté par les deux premiers évangiles et qui figure deux fois chez Matthieu : on veut parler des prescriptions concernant le scandale [11]. De l’avis commun, ce sont là des formules qui, dans leur réalisme brutal, ne sauraient être considérées autrement que comme une image : tous les moyens, même les plus onéreux, doivent être pris pour éviter le « scandale », la chute dans l’infidélité et la damnation qui s’ensuit. Certes, ce n’est pas exactement la portée des textes qui nous occupent, dans lesquels les biens de la fortune, à la différence des membres cause de scandale, échappent à tout symbolisme. Cependant, cet aspect mis à part, il semble possible d’exploiter une similitude que les anciens avaient déjà remarquée : si les possessions, par leur attrait, compromettent le salut de leur propriétaire, que celui-ci n’hésite pas à s’en débarrasser dans leur totalité, à tout perdre pour tout gagner. Tel paraît être le sens de l’abandon des biens requis par Jésus de ceux qui acceptent de devenir ses disciples, dans la forme absolue et sans limite que cet ordre revêt dans l’Évangile. Gare au péril de la richesse ! Il est si grand qu’« il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Mc 10,25 par.). On ne saurait donc prendre de risque à ce sujet : Si tu veux entrer dans la vie éternelle et que tes biens t’en détournent, alors ne tergiverse pas : va, vends tes biens et tu auras un trésor dans les cieux.
Le jeune homme riche
Un objection pourrait être soulevée à partir de l’épisode que l’on vient de paraphraser. Ne faut-il pas en effet, avec une foule d’auteurs, voir dans le récit de Mc 10,17-22 par. l’expression même d’une morale à deux degrés, d’une double forme de vie chrétienne ? À l’observation des commandements, voie commune et indispensable pour le salut, le Christ n’ajoute-t-il pas une autre voie, plus exigeante et plus sûre ? Nous ne craignons pas de répondre négativement.
Voyons d’abord l’épisode de Marc, que Luc rejoint pour l’essentiel, malgré des particularités que nous signalerons en leur temps. D’une vocation de type fonctionnel Marc a fait l’expression d’un appel à la vie chrétienne en général. Lu dans le cadre du Nouveau Testament, plus spécialement dans celui que forme le contexte immédiat, ce récit s’avère incapable de fonder une distinction entre deux catégories de chrétiens, les uns s’attachant aux préceptes, les autres optant pour la voie supérieure des « conseils ». En effet, comme on l’a montré plus haut, l’acte qui consiste à « suivre » Jésus et vers lequel converge l’épisode n’exprime, au niveau de nos auteurs, rien d’autre que la vocation commune à la vie messianique. En reproduisant fidèlement l’ancien récit, Marc l’aura donc lui-même interprété et, de fait, il fournit au lecteur les éléments qui lui permettent d’en saisir les nuances.
Il est plus difficile, par contre, de réduire le texte parallèle de Matthieu (19,16-22) au même point de vue. Aussi ne faut-il pas s’étonner si l’on recourt surtout à lui comme au fondement direct de la distinction classique entre préceptes et conseils, voie commune et voie « parfaite ». Pourtant, un examen attentif du texte, à la lumière de la catéchèse de Matthieu, nous interdit tout autant que pour Marc de nous livrer à une pareille déduction.
En premier lieu, on notera que Matthieu a soumis à une refonte quasi totale le passage que Marc lui a communiqué. Loin de transmettre un écho de la scène primitive, l’épisode apparaît chez lui sous la forme élaborée et purement conventionnelle du dialogue didactique. Du reste, Matthieu trahit son intervention dès le début. La phrase « Maître, que dois-je faire de bon pour posséder la vie éternelle ? », suivie de la réponse de Jésus (« Pourquoi m’interroger sur ce qui est bon ? ») vise manifestement à corriger le texte parallèle de Marc, où Jésus refuse le titre de « bon » : un tel refus ne pouvait guère convenir au Christ, dont Matthieu souligne à mainte reprise la transcendance. Mais cette retouche relève encore d’un second propos. Par-là, en effet, Matthieu situe le dialogue qui va suivre sous l’angle moral de l’accomplissement de la volonté de Dieu, norme de tout bien. C’est d’ailleurs cela, et rien d’autre, que va développer ce même dialogue, en trois étapes complémentaires.
La première consiste dans la réponse de Jésus à la question initiale du personnage : la condition pour entrer dans la vie éternelle est d’observer les commandements imposés par le Dieu « bon », en d’autres termes, par Dieu intervenant auprès de ses créatures pour leur bien, par l’édiction des préceptes de la Loi.
On a ici l’écho de la foi juive, telle qu’elle s’exprime, par exemple, dans cette bénédiction de la Mishna : « Tu es béni, Toi qui es bon et qui fais le bien ! » Mais Matthieu tient à apporter une précision, qu’introduit une nouvelle demande, purement formelle et destinée à éveiller l’attention du lecteur : « Lesquels ? » Ces commandements sont, bien sûr, les mêmes qu’Israël lisait depuis toujours dans le Décalogue. Aussi bien Matthieu se contente-t-il, comme Marc, d’un extrait partiel de ce dernier. Mais l’on doit également remarquer qu’il complète sa source en y ajoutant le précepte de la charité envers le prochain, manifestement en surplus dans sa rédaction : « et : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est qu’il entend faire savoir qu’il ne suffit pas, pour être sauvé, de pratiquer l’ancienne Loi dans son ensemble et sans distinction. La Loi a été renouvelée par Jésus, comme le même évangéliste nous l’apprend ailleurs (22,37-39). Elle est Tora de charité, dans laquelle le commandement d’amour inspire et dirige tous les autres actes de la rectitude humaine devant Dieu.
L’on parvient ainsi à la troisième étape du dialogue. Elle commence au v. 20 par une profession de fidélité : « Tout cela, je l’ai gardé ». Puisque le « jeune » homme [12] affirme ainsi avoir observé la Loi rétablie par Jésus en son principe, il ne pouvait être question d’écrire, comme le fait Marc qui attribue ces paroles à Jésus : « Il te manque encore quelque chose. » C’est pourquoi la phrase passe, chez Matthieu, des lèvres de Jésus à celles de son interlocuteur, sous la forme d’une nouvelle question : « Que me manque-t-il encore ? » De fait, il ne lui manque rien d’essentiel. Pourtant, l’entretien n’est pas terminé et Jésus ne se contente pas de rassurer le riche au sujet de sa fidélité lorsqu’il déclare : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. »
Cette parole a été constamment exploitée dans le sens que nous avons dit plus haut. Elle a même fourni au vocabulaire religieux ses formules les plus courantes, celles de « perfection », d’« état de perfection », de « vie parfaite ». Il faut avouer que les apparences favorisent ce transfert : le riche s’étant montré fidèle à accomplir la volonté messianique de Dieu – ce que Jésus, d’après Matthieu, confirme implicitement – que lui enjoindre d’autre, sinon une démarche surérogatoire, laquelle ne peut concerner que quelques-uns ? C’est du reste ce que semble appuyer l’emploi de l’adjectif « parfait », où l’on inclut spontanément l’idée d’une vie chrétienne supérieure, distincte de la forme commune qui s’impose à tous.
Or, en dépit de ces apparences et malgré le poids d’une interprétation séculaire, rien n’est moins fondé. On en est convaincu si l’on prend soin d’examiner le mot-clé de ce verset à la lumière du contexte de l’évangile, auquel on joindra l’environnement contemporain.
Tout d’abord, à considérer à la fois la Bible et les écrits du judaïsme de l’époque, on ne peut douter que, dans leur acception morale, les deux mots « bon » et « parfait » ne soient synonymes, en signifiant tous deux la fidélité à la volonté de Dieu. C’est ainsi, par exemple, qu’en 1 Ch 29,19, le « cœur parfait » du texte hébreu est rendu dans le grec des Septante par « cœur bon » [13]. Paul n’agit pas autrement, qui, en Rm 12,2, énumère sans la moindre distinction « la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui Lui plaît, ce qui est parfait ». Cela suffit déjà à indiquer que dans le passage qui nous occupe « faire ce qui est bon » (v. 16) et « être parfait » (v. 21), loin de se référer à des niveaux différents, ont toutes les chances de se situer sur le même plan et d’être synonymes.
C’est ce que vient confirmer Matthieu en personne, ceci de façon d’autant plus frappante qu’il est le seul parmi les évangélistes à user du mot « parfait » et qu’il l’emploie en des passages qu’il a lui-même remaniés. Car, en dehors de notre texte, ce mot apparaît encore à la fin des antithèses du Sermon sur la montagne : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (5,48). Ici également l’évangéliste a modifié sa source : en écrivant « soyez miséricordieux », Luc (6,36) est en effet bien plus conforme à ce qui précède (un enseignement sur l’amour des ennemis) ; d’autre part, il rejoint la tradition biblique et juive qui applique couramment à Dieu la notion de miséricorde, alors que celle de perfection, dans cette littérature, ne concerne directement que la conduite humaine.
Matthieu est ainsi responsable de la présence du terme dans son évangile. De la sorte, il ne peut guère lui avoir conféré un sens différent d’un passage à l’autre et les deux doivent s’éclairer mutuellement. « Être parfait », d’après 5,48, c’est accomplir fidèlement la Loi renouvelée, telle que Jésus vient de la définir et de l’illustrer dans les antithèses qui précèdent. Ce verset clôt en effet tout l’enseignement antérieur par une formule qui le résume à merveille, puisque l’attitude même de Dieu vient s’offrir à l’homme comme la règle d’une justice jamais atteinte et toujours en progrès : « Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (5,20). Mais, par ailleurs, qui oserait soutenir que cette perfection ou cette justice ne s’impose pas à tous ceux qui s’engagent à la suite de Jésus pour être sauvés ? Ainsi en va-t-il encore dans l’épisode du jeune homme riche. Comparée à son propre contexte comme à la doctrine du Sermon sur la montagne, la perfection requise en Mt 19,21 ne peut être autre que la norme de toute existence chrétienne entendue selon le Christ matthéen.
Ce caractère universel et nullement réservé de l’idée de perfection est du reste celui que connaît l’ensemble du Nouveau Testament. Celui-ci, sans préjudice des optiques propres à chaque auteur, rejoint pour l’essentiel le point de vue de Matthieu. S’il lui arrive d’exprimer par là quelque supériorité, c’est seulement dans la perspective finale et céleste du salut, par comparaison avec son état actuel et terrestre (2 Co 13,10 ; Ph 3,12), ou encore lorsque la perfection désigne la vie chrétienne normale, contrastant avec une immaturité appelée à être dépassée (1 Co 14,20 ; Col 1,28).
On doit donc conclure que la parole de Jésus au jeune homme riche se situe dans cette acception commune et que les deux niveaux qu’on y a longtemps perçus ne possèdent aucune garantie. D’un bout à l’autre de l’épisode, c’est le même thème qui est développé, par approfondissement progressif, soit que l’on considère le but poursuivi (la « vie éternelle » ou le « trésor dans les cieux »), soit que l’on s’attache aux conditions pour y parvenir : car « faire ce qui est bon », « observer les commandements », « être parfait », tout cela recouvre une seule et même chose et s’impose à tous.
Il reste à prévenir une objection, qui vient spontanément à l’esprit. Jésus ne dit-il pas là : « Si tu veux... » et, ainsi, ne souligne-t-il pas la nature facultative de son invitation ? Pour constater la faiblesse du raisonnement, il suffit de remarquer que « si tu veux » concerne ici, non l’abandon des biens, mais la perfection. Jésus ne dit pas : « Pour être parfait, tu peux et tu fais mieux, si tu veux, de te dépouiller de tout ce que tu possèdes », mais : « Si tu veux être parfait, va, vends tes biens. » Or, comme nous l’avons vu, la perfection ne peut être remisée parmi les moyens surérogatoires, mais elle exprime l’unique voie du salut. En disant « si tu veux être parfait », Jésus fait seulement appel à la libre décision de l’homme, pour qu’il s’engage sur cette voie, sans inclure la moindre nuance facultative [14].
Venons-en, pour terminer, à l’abandon des biens, dont Matthieu, fidèle à sa source, semble faire une condition absolue de la perfection. Faut-il donc croire que, pour lui, la fidélité à la volonté du Christ oblige ceux qui le « suivent » [15] à se défaire matériellement de tout ce qu’ils possèdent ? Ce que l’on a dit plus haut de ce genre de requête suffit pour peser celle-ci à son juste poids. Selon le contexte général, que vient confirmer le contexte immédiat reçu de Marc (Mt 19,23-26) [16], on peut résumer ainsi la pensée de Matthieu en ce passage : quiconque veut atteindre le salut doit soumettre sa volonté et ses actes aux commandements que Jésus renouvelle de son autorité messianique. Telle est la « perfection », qui fait d’un homme le disciple du Christ et l’achemine, à sa suite, vers le Royaume céleste. Or, la route est dure (cf. 7,13-14), semée d’obstacles et de tentations. Il arrive que le « scandale » devienne menaçant, si bien que, parfois, la poursuite de la perfection nécessite des actes courageux : jusqu’à rejeter toute possession personnelle, si tel est l’attrait qu’elle exerce qu’on en vienne, à cause d’elle, à négliger Dieu pour choisir le mamon. En écrivant « si tu veux être parfait, va, vends tes biens », Matthieu parachève sa doctrine, en avertissant les chrétiens de toute l’ampleur de leur engagement.
L’Église des pauvres et l’idéal de Luc
Mieux encore que dans son évangile, Luc a brossé dans les « sommaires » du début des Actes le tableau de l’Église chrétienne idéale, telle qu’il la conçoit. Un mot recueille ses caractéristiques : c’est la « communion », s’il est permis de rendre ainsi le grec koinônia (Ac 2,42). Cette communion s’exprime concrètement par le partage des biens : les premiers disciples avaient « tout en commun » (2,44 ; 4, 32b), de sorte qu’« il n’y avait point de pauvre parmi eux » (4,34). Toutefois, cette démarche ne peut être dissociée d’une unité plus profonde : « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme » (4,32a) : « l’unité des âmes est à la fois cause et effet d’une attitude où chacun regarde ses biens comme appartenant à tous [17] ».
Dans cette évocation des origines de l’Église on retrouve les eaux mêlées des sources d’inspiration lucaniennes. La Bible d’abord, c’est-à-dire la Bible grecque, où, en Dt 15,4, il est annoncé qu’un temps viendra où Israël ne comptera plus d’indigent en son sein, ce que la nouvelle communauté réalise à la lettre d’après Ac 4,34. Mais on n’a pas de peine à déceler dans le rapport de Luc une part beaucoup plus conséquente de thèmes littéraires grecs profanes concernant l’amitié, avec la pratique annexe du partage des biens chère aux disciples de Pythagore. Sans doute, ces emprunts n’obligent pas à voir dans les Actes une description purement fictive : Paul en effet témoigne, dans ses propos sur la collecte [18], que de sérieux problèmes économiques se posaient aux chrétiens de Jérusalem. Mais il faut remarquer qu’à vrai dire ces difficultés s’expliquent mieux si l’on suppose que l’abandon des biens était seulement le fait de quelques-uns, parmi les plus fortunés, non celui de tous, comme si la communauté avait vécu à la manière d’une abbaye organisée. Luc, du reste, ne le cache pas et, par là-même, nous avertit du schématisme édifiant qui règne en ces sommaires. Si en 2,44-45 il écrit que « tous les croyants ensemble mettaient tout en commun, vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous, selon les besoins de chacun », il est moins catégorique en 4,34, où une notice analogue ne concerne que « tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons ». De plus, en 4,36-37, l’on apprend que Barnabé, « qui possédait un champ, le vendit, apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres ». Or, si ce geste a été conservé comme tel par la tradition, c’est qu’il représentait quelque chose d’assez remarquable, non un fait universel dans la communauté. Par ailleurs, l’épisode d’Ananie et de Saphire indique clairement que ces pratiques n’étaient pas obligatoires, ainsi que Pierre le déclare au coupable (5,4).
Luc généralise donc, au service d’un idéal de charité, ce qui ne fut sans doute, historiquement, qu’une série de cas exceptionnels. Par-là, il obéit à un intérêt qui gouverne toute son œuvre et dont on trouve de multiples attestations dans son évangile [19]. L’aumône y occupe en effet une place de choix et c’est là une précieuse indication qui permet de confirmer le sens de l’abandon des biens, tel que le définit le livre des Actes : « l’idéal poursuivi n’est pas précisément celui du dépouillement et de la pauvreté volontaire, mais celui d’une charité qui ne peut admettre que des frères soient dans le besoin [20] ». Mais il faut encore souligner que, si, dans l’évangile, Luc prêche le désintéressement dans l’aumône (6,30-35), il est loin d’oublier la contrepartie céleste qui doit échoir à celui qui se dépouille de ses biens à l’avantage des pauvres, devenant par le fait même « riche en vue de Dieu » (12,31). Ce point de vue revient chez Luc avec insistance (6,38 ; 12,33-34 ; 14,14 ; 16,9) et doit être inscrit parmi ses thèmes les plus chers. Son but n’est assurément pas d’entretenir ses lecteurs dans une attitude mercenaire, mais, par cette perspective de la récompense, il vise à stimuler leur charité efficace et jamais lassée.
Toutefois ces considérations n’épuisent pas la pensée de Luc sur les richesses. Il y voit non seulement une source d’aumône, mais encore négativement, une cause de péché. Comme Matthieu et avec au moins autant de force que lui, il souligne le caractère nocif des biens de ce monde en regard du salut individuel des chrétiens. Rien en cela du jugement d’un stoïcien désabusé sur les réalités éphémères, mais c’est face à l’échéance eschatologique que Luc entend mettre ses lecteurs en garde contre le « mamon d’iniquité » (16,9, 11). C’est le « vrai bien » qui est en jeu, le « trésor » céleste (12,33-34 ; 18,2). Tout au plus peut-on faire ressortir qu’ici les fins dernières individuelles, la mort et ses suites immédiates, commencent à jouer un rôle qui ne tardera pas à devenir prédominant dans la vie chrétienne. À cela s’adapte facilement la réflexion que Luc propose, en empruntant le vocabulaire des auteurs sapientiaux, à tous ceux qui nourriraient quelque illusion sur la valeur des biens terrestres. Ce sont des « insensés », comme le riche qui fait des plans d’avenir et à qui Dieu déclare : « Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme ! » (12,20), comme le puissant guerrier vaincu par un plus fort et dépouillé de l’armure dans laquelle il mettait sereinement sa confiance (11,21).
C’est en fonction de cette morale aux multiples facettes que l’on devra comprendre la formule absolue que Luc, de sa propre initiative, utilise pour en faire l’application à la double parabole de la tour et du roi partant en guerre : « Quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple » (14,33). De même en ce qui concerne les obligations imposées par Jésus à ceux qu’il appelle à le suivre dans les récits de vocation. En tout cela Luc ne manque pas d’imprimer sa marque personnelle. Et d’abord, il est le seul à insister sur la totalité de l’abandon ou de l’exigence correspondante (5,11, 28 ; 18,22). En outre, il souligne le caractère universel et constant du devoir de l’aumône : « À quiconque te demande, donne », le dernier verbe étant au présent et signifiant « donne toujours » (6,30).
L’on doit signaler en particulier, à propos de l’épisode de l’appel du riche suivi de ses compléments (18,18-30), comment Luc, soit en maintenant les données de Marc soit en y opérant des retouches discrètes, a su exprimer dans ce passage pour ainsi dire toute sa doctrine sur l’usage des biens. Outre le détail que l’on vient de mentionner (18,22 : « vends tout ce que tu as »), l’on trouve ici le motif du danger des richesses, mais avec une insistance plus grande que chez Marc : alors que celui-ci. en se référant à la promesse de Gn 18,14, assure ses lecteurs que « tout est possible à Dieu » et qu’en conséquence il peut sauver le riche demeuré en possession de sa fortune, Luc supprime cette finale. De la sorte, la déclaration, privée de cette clause réconfortante, rend un son beaucoup plus dur : seule subsiste l’idée de possibilité. Mais à cet aspect individuel de la morale lucanienne s’ajoutent encore des incidences communautaires. En prescrivant de donner aux pauvres les biens abandonnés, Jésus ne faisait que leur conférer une destination naturelle, selon les usages de la bienfaisance juive, mais aussi purement accessoire en regard de la portée essentielle de l’acte qu’il requiert. Il en va de même chez Marc et chez Matthieu, où le devoir de l’aumône n’occupe aucune place de choix [21]. On ne peut en dire autant de Luc, et l’on comprend dès lors qu’il ait voulu rappeler cette urgence à l’occasion de l’ordre intimé au riche : ici, « donner » (didonai) devient « distribuer » (diadidonai), ce qu’on ne peut que rapprocher de l’usage du même verbe en Ac 4,34-35, où l’on recueille l’écho presque littéral de Lc 18,22 : « Tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient... On distribuait alors à chacun suivant ses besoins [22] ». C’est encore le même point de vue communautaire qui aura incité Luc à préciser la déclaration de Pierre en 18,28. Marc, suivi par Matthieu, écrit : « Voici que nous avons tout quitté ». Chez Luc, la phrase devient : « Voici que nous avons quitté notre bien (ta idia) ». Ici également Luc paraît anticiper sur l’évocation des chrétiens de Jérusalem, dont « aucun ne disait sien (idion) ce qui lui appartenait » et qui mettaient tout en commun (Ac 4,32). Ainsi, le dépouillement imposé par Jésus reçoit de Luc une dimension ecclésiale, il est mis au service de la charité qui doit unir les disciples entre eux, selon l’exemple de la première communauté.
C’est ce point de vue qui aura fait conserver pour l’essentiel, en Lc 18,30, la promesse de la rétribution terrestre, où la présence de la famille rejoint le même idéal communautaire. L’évangéliste n’avait pas davantage à retoucher sa source à propos de la rétribution céleste, dont la perspective encadre et soutient tout l’ensemble (Lc 18,18, 22.30), mais on ne peut douter qu’il n’ait reçu ce motif avec empressement, puisque, comme on l’a vu, il s’agit là d’un élément capital de sa parénèse sur l’usage des richesses.
Précisons enfin que, pour Luc comme pour les deux autres synoptiques, le message de cette péricope s’adresse à tous les chrétiens. À ce propos, il est remarquable que Luc omet de mentionner le départ du riche : par cette opération, il écarte toute possibilité de réduire le sens du récit à celui d’une vocation exceptionnelle. Au contraire, le personnage, qui s’efface et finit par être oublié, n’est plus que l’occasion d’un enseignement moral visant l’Église dans son ensemble.
Conclusions
Au sujet du problème posé au début de cette étude, nous noterons d’abord, en général, qu’il n’existe pas, dans l’Évangile ou dans le reste du Nouveau Testament, de texte qu’on puisse tenir pour le fondement proprement dit de l’institution religieuse, telle qu’elle est apparue par la suite dans l’Église.
D’après ces écrits, ni Jésus ni les apôtres n’ont songé à établir au sein de la communauté messianique un ordre à part, qui se caractériserait par la pratique des trois « conseils » de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Aussi bien n’est-ce point au seul Nouveau Testament que l’Église entend se référer lorsqu’elle prône la valeur de l’état religieux, mais elle s’appuie encore sur l’existence traditionnelle de ce dernier dans une société qui se sait animée de l’Esprit de Dieu. Néanmoins, un retour à l’Écriture, en tant que source privilégiée des communications divines, s’avère être d’une grande utilité. Sans vouloir retrouver dans le Nouveau Testament l’inauguration proprement dite de leur forme de vie, les religieux y saisissent à leur source les traits du programme qui s’est élaboré pour eux au cours des siècles. Par-là, une confrontation s’opère dont l’effet ne peut être que bienfaisant : sûrs de ne pas trahir la Parole de Dieu, les religieux pourront encore, à la lumière de ses principes, vérifier, voire redresser leur propre institution. Voilà pourquoi nous croyons profitable d’offrir en terminant quelques éléments de synthèse sur les rapports de la pauvreté religieuse avec les données du Nouveau Testament.
L’annonce prophétique de la fin d’un monde
Parce qu’il choisit une forme de vie qui lui fait user avec parcimonie des réalités terrestres, le religieux, s’il est fidèle, rappelle à l’Église qu’elle ne saurait épuiser ici-bas sa destinée, qu’un Royaume l’attend qui, tout en prolongeant celui que le Christ a établi sur terre, « n’est pas de ce monde ». En vivant et en proclamant la valeur suprême du séjour futur et bienheureux, le religieux fait sien le message de l’Évangile sur le détachement, préparation du Royaume à venir. Par son propre « vigilance », il exerce et stimule celle de l’Église, au sein d’un monde qui passe et dans lequel les meilleurs sont eux-mêmes tentés de s’enliser. Sans doute faut-il désormais faire abstraction de l’imminence qui caractérise l’attente eschatologique des premiers chrétiens. Mais, en laissant cet aspect de côté, en tenant compte aussi de la perspective des fins dernières individuelles qui apparaît dans le Nouveau Testament, on reconnaîtra sans peine la continuité des deux conceptions : sans entrevoir, à l’instar de leurs premiers frères, la Parousie du Sauveur dans l’immédiat, les religieux n’en sont pas moins, comme eux, tendus vers la Patrie céleste et annoncent au monde sa primauté.
La fuite du scandale
Sur un plan individuel, l’homme qui s’engage dans la vie religieuse entend recourir aux moyens qu’en raison d’une vocation spéciale, il juge les meilleurs pour être fidèle au Christ. Ces moyens sont radicaux, en ce que, par eux, l’on vise à éviter le maximum de risques en regard des tentations de l’immédiat. Notamment, en s’interdisant l’usage libre des biens de la fortune, le religieux n’adopte point une attitude de mépris, mais de sagesse : conscient de la nature transitoire des réalités de ce monde, il veut sauver l’unité de son « cœur », tendu vers l’unique « trésor », en se gardant des occasions d’inquiétude et de cupidité. Rien n’est plus conforme à la parénèse évangélique. À cette différence près, toutefois, que l’état religieux étend et officialise ce qui, à l’origine, n’était requis qu’en des cas limites vécus par des individus. À ceux qui s’y sentent appelés et qui soumettent leur choix au contrôle de l’Église, celle-ci offre une voie étroite et sûre, élevée par elle au rang d’institution.
Perfection et abandon des biens
On peut assurément parler d’« état de perfection » pour désigner l’état religieux, si l’on entend par là définir une forme de vie ayant pour but spécifique celui que poursuivent tous les chrétiens sans distinction. En embrassant cette forme de vie, l’on obéit à l’ordre de Jésus : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48), l’on s’engage en même temps à prendre le chemin qui, en raison des dispositions du sujet et de la grâce particulière dont il dispose, s’avère être pour lui le plus direct vers l’infinie charité de Dieu. Pourtant, ce choix ne constitue pas dans l’Église une double catégorie de chrétiens. À ce point de vue et pour se garder de tout pharisaïsme, les religieux devront se rappeler l’enseignement du premier évangéliste. Selon Matthieu, « être parfait » s’offre et s’impose à tous. Il en va de même des moyens ordonnés à la perfection : si, chaque fois que le but est en jeu, tous les sacrifices nécessaires deviennent obligatoires, jusqu’à se dépouiller de tous ses biens, cela ne saurait constituer l’apanage et le devoir d’une catégorie de chrétiens exceptionnels. Au contraire, ce programme s’impose à tous et la grâce de Dieu donne à tous le pouvoir de le réaliser. On ne saurait davantage parler de « conseil » à ce propos, pour autant que le terme contienne une nuance facultative, si ce n’est au prix d’une exégèse inadmissible des textes de l’Évangile.
Un cœur et une âme
Si l’entrée dans l’état religieux n’implique pas nécessairement que l’abandon des biens individuels s’opère en faveur de la communauté, il reste que la « vie commune » requiert du religieux qu’il ne conserve pas pour lui-même ce qu’il obtient, notamment par son travail, mais en fasse le bien de tous. Cet acte de dépossession matérielle exprime et favorise une dépossession de soi, sans laquelle tout amour n’est qu’un vain mot. En agissant ainsi, les religieux ne font, en réalité, que tendre au but que l’Église impose à tous ses membres, non sans toutefois concrétiser un partage que l’ensemble ne saurait pratiquer sous cette forme. Il est donc légitime de voir en eux les émules des premiers chrétiens de Jérusalem, selon le tableau que présentent les Actes des Apôtres. À condition cependant de remarquer que Luc n’a jamais songé à susciter dans l’Église un corps distinct volontairement soumis à ces abandons, mais qu’il insiste au contraire sur le caractère général de leur accomplissement. Par ailleurs, il laisse suffisamment entrevoir qu’il ne s’agit là, pour lui, que d’un idéal stimulant, non d’une règle absolue. Sous cet aspect, son intention diffère de celle qui a présidé à la naissance et à la constitution de l’état religieux, où la « vie commune », étendue à toute acquisition individuelle, s’inscrit comme un élément essentiel et juridiquement obligatoire.
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[1] Sermo 27 de diversis, 3 (P. L., 183, 613) ; In Cant., 85, 12 (P. L., 183, 1193).
[2] De disciplina claustrali, 2 (P. L., 202, 1101-1102).
[3] Chronique du monastère de Petershausen, citée d’après M.-H. Vicaire, L’imitation des apôtres, Paris, Ed. du Cerf, 1963, p. 37.
[4] P. L., 19, 1094-1100.
[5] Mt 13,39.40.49 ; 24,3 ; 28,20.
[6] Mc 13,34-35.37 ; 14,34-38 ; Mt 24,42-43 ; 25,13 ; 26,38, 40-41 ; Lc 12,37 ; Ac 20,31 ; 1 Th 5,6 ; 1 Co 16,13 ; Col 4,2 ; 1 P 5,8.10 ; Ap 3,2-3 ; 16,15.
[7] Ps 119,105 ; Pr 6,23 ; Qo 2,13 ; Sg 7,10, 26 ; Rm 2,19 ; les apocryphes : Testament de Lévi 11,4 ; 19,1 ; 2 Baruch 17,4 ; 18,2 ; 59,2 ; 4 Esdras 14,20-21, etc.
[8] Livre des Mystères de Qumrân (1Q 27), 5-8 (trad. de J. Carmignac, Les textes de Qumrân, II, Paris, Ed. Letouzey et Ané, 1963, p. 258).
[9] Ac 6,1.2.7 ; 9,1.10.19.25.38 ; 11,26-29 ; 13,52 ; 14,20.22.28 ; 15,10 ; 16,1 ; 18,23.27 ; 19,1.9.30 ; 20,1.30 ; 21,4.16.
[10] Cf. L’empereur Julien, « Lettre aux Edesséniens », dans Œuvres complètes, trad. J. Bidez, Paris, 1924, p. 196.
[11] Mc 9,43-48 ; Mt 5,29-30 ; 18,8-9.
[12] Cette particularité du récit de Matthieu s’explique, au plus probable, par la volonté d’attribuer au personnage les traits des élèves des rabbins, dans un passage où se retrouvent les caractéristiques de leur méthode d’enseignement. Quant à la formule elle-même, elle aura été suggérée à Matthieu par Mc 10,20 : « J’ai observé tout cela dès ma jeunesse. »
[13] Plus clairement encore, la Règle de la Communauté de Qumrân (1, 1-15) identifie les deux notions : « faire ce qui est bon » n’y est autre que « se comporter devant Sa face dans la perfection » et « régler (ses) forces selon la perfection de Ses voies ». Le tout consiste en l’observation intégrale des prescriptions divines contenues dans la Loi, d’après la ligne déjà tracée par la Bible (Gn 6,9 ; 17,1 ; Dt 15,13 ; Jos 11,14 ; 2 S 22,21-28 ; 1 R 9,4 : Ps 15,2 ; 119,1).
[14] D’ailleurs, cette formule possède un parallèle strict au v. 17 qui précède, où « si tu veux entrer dans la vie » ne peut, de toute évidence, signifier la légitimité d’un refus. Le « si tu veux être parfait » est calqué sur cette première clause et toutes deux, œuvre de Matthieu, n’expriment rien d’autre que les deux aspects successifs du Royaume.
[15] « Viens, suis-moi » doit être interprété, dans le contexte de Matthieu, non comme un impératif proprement dit, ce qui laisserait entendre qu’il s’agit d’un acte distinct de l’engagement à la perfection, mais dans le sens d’une succession purement logique : « alors, tu me suivras », c’est-à-dire : « à cette condition, tu seras mon disciple ».
[16] Dans Mt, le reste de la section (vv. 27-30) doit se rattacher à ce qui suit, à l’inverse de Mc et de Lc, où l’ensemble Mc 10,17-31 par. forme un tout.
[17] J. Dupont, « La communauté des biens aux premiers jours de l’Église (Ac 2,42.43-45 ; 4,32.34-35) », dans J. Dupont, Études sur les Actes des Apôtres, Paris, Ed. du Cerf, 1967, p. 518. Pour plus de détail sur le sujet, on lira avec profit l’ensemble de cet article (pp. 503-519).
[18] 1 Co 16,1-3 ; 2 Co 8-9 ; 12,16-18 ; Rm 15,25-28.
[19] 6,30.38 ; 11,41 ; 12,33-34 ; 14,12-14.28-33 ; 16,1-12.
[20] J. Dupont, art. cit., p. 512.
[21] Absent pratiquement de Mc (malgré 10,21 et 14,7), ce devoir n’apparaît pas davantage chez Matthieu : en 6, 1-4, son enseignement ne vise qu’à détourner ses lecteurs de l’ostentation en faisant l’aumône ; quant à la parabole du jugement dernier, son message est sans doute beaucoup plus particulier, puisqu’il ne paraît pas possible d’identifier sans plus les « petits » avec des indigents : cf. notre ouvrage Jésus et l’enfant. « Enfants », « petits » et « simples » dans la tradition synoptique, pp. 85-100 (Paris, Gabalda, 1969).
[22] Voir encore Lc 11,22, où l’on apprend que les dépouilles du riche seigneur sont « distribuées » par l’homme plus fort que lui, alors que Matthieu et Marc n’ont rien de semblable.