Tribune libre : Vœux temporaires ou promesse temporaire ?
Jean-Marie Fisch, s.j.
N°1969-5 • Septembre 1969
| P. 305-307 |
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L’article que Vie consacrée vient de faire paraître sous ce titre [1], malgré son intérêt, me semble se placer au point de vue des situations et des certitudes acquises dans le domaine juridique comme dans celui de la théologie qui s’est élaborée à partir d’elles. Si son auteur nous permet l’expression, il nous semble s’être efforcé de faire entrer le « vin nouveau » du décret Renovationis causam dans les « vieilles outres » des formulations canoniques d’avant le Concile. En veut-on un exemple ? L’auteur écrit : « Quant à une promesse, elle ne met pas dans l’état religieux celui qui la fait » (p. 241) ; quelques lignes plus haut, il disait des vœux : « même temporaires, ils font de celui qui les émet un religieux proprement dit, avec toutes les conséquences canoniques que cela comporte ». Par contre, lorsqu’il s’agit de la sortie de l’Institut, les pauvres se voient assimilés à la catégorie des profès temporaires et leur « sécularisation [2] » relève des autorités compétentes pour ceux-ci.
N’eût-il pas fallu accorder plus d’attention au paragraphe où le document romain lui-même, après avoir reconnu les mérites passés des normes canoniques, ajoute : « Il n’échappe à personne que le renouveau et l’adaptation des différents Instituts, tel qu’il est imposé par les circonstances actuelles, ne saurait s’effectuer sans la révision des règles canoniques concernant l’organisation et les moyens de la vie religieuse [3] » ?
Vu dans cette optique qui est la sienne, le décret s’éclaire et prend toute sa portée : il apparaît, croyons-nous, comme un premier pas décisif vers cette refonte du Droit Canon demandée par le Concile. Ses orientations constituent l’essentiel de son message, essentiel que ne devraient pas masquer les hésitations de langage ou les imprécisions de vocabulaire s’il s’en rencontrait.
En ce qui concerne la faculté de remplacer les vœux temporaires par une promesse, deux lignes de pensée ressortent clairement du document :
- une revalorisation de la « profession unique et perpétuelle prenant ainsi toute sa signification » ; « la conscience très grande qu’ils (les candidats à la vie religieuse) ont des exigences et de l’importance de la profession religieuse perpétuelle à laquelle ils aspirent et désirent se préparer » est l’un des motifs principaux qui ont poussé à demander et à accorder le changement en cause ;
- le désir d’une meilleure préparation à un choix pleinement responsable pris par un religieux parvenu au degré de maturité humaine et spirituelle requis est un second thème dont le document développe les implications, notamment que l’on puisse être amené à envisager une probation préalable à l’entrée au noviciat. L’on constate en effet, aujourd’hui plus fréquemment qu’hier, que des novices ou des candidats à la vie religieuse ont besoin de plus de temps pour acquérir cette maturité que demandent des engagements définitifs, sans que, par ailleurs, on puisse mettre de doute leur générosité vraie ou une vocation qui offre tous les indices de l’authenticité.
Ne serait-ce pas à la lumière de ces deux orientations essentielles qu’il faudrait examiner le problème de la promesse temporaire, en s’efforçant de découvrir et d’inventer les manières de faire et de penser nouvelles qu’elles requièrent, plutôt que d’essayer de les ramener vaille que vaille aux normes anciennes [4] ?
Celui qui s’engagera par cette promesse sera-t-il un religieux ? La direction dans laquelle il faut chercher la réponse nous paraît indiquée par deux expressions du décret. Le n. 13 dit que « la vie religieuse débute par le noviciat », le n. 35 que « (la formation à la vie religieuse est) définitivement réalisée à la profession perpétuelle ». Ne conviendrait-il pas, en conséquence, que soient formulés de façon plus nuancée les divers degrés d’appartenance à la vie religieuse (et les obligations correspondantes) ? Nous dirions volontiers que, dans l’esprit de Renovationis causam, seul celui qui a fait les vœux perpétuels est religieux au sens propre et plénier du terme. Les autres, tous les autres, sont en marche vers ce but ; diverses étapes existent dans cette progression, chacune marquant un pas de plus dans la consécration à Dieu par les vœux perpétuels. A chacune des étapes devront correspondre des droits et des obligations à déterminer, qui prépareront progressivement le candidat à devenir un religieux au sens propre. Il serait, croyons-nous, dans la logique du décret, que l’assimilation des profès des vœux temporaires aux profès perpétuels, telle qu’elle existe actuellement dans les textes juridiques et chez les auteurs, soit au moins très fortement nuancée. Nous nous demandons même si ces profès des vœux temporaires ne sont pas plus proches de ceux qui feront la promesse permise par le décret que des profès perpétuels, terme vers lequel les uns comme les autres tendent.
En ce qui concerne le lien avec l’Institut (et la manière de le rompre), le point important, dans les normes à créer nous semble être de respecter l’intention du décret sur la maturation de la décision libre des intéressés. En conséquence, et bien que le décret prévoie la possibilité d’un engagement unique couvrant toute la période qui s’étend de la fin du noviciat aux vœux perpétuels [5], la suite du même numéro nous semble contenir une suggestion qui va mieux dans le sens du décret : il y est prévu la possibilité de plusieurs engagements renouvelables, chacun ne couvrant qu’un temps plus bref. L’obligation, plusieurs fois répétée pour le candidat, de se décider en toute liberté (juridique) est éminemment de nature à l’aider à mûrir sa délibération de répondre par un engagement total à Dieu qui l’appelle. Pour la même raison, les conditions de sortie durant le temps où le candidat est lié par sa promesse devront être très souples. Ce sera leur manière « négative », mais réelle de contribuer à la maturation de l’engagement libre au don total qu’est la vie religieuse.
12, rue Fauchille
Bruxelles 15 (Belgique)
[2] Que peut signifier une « sécularisation » pour des personnes que leur promesse, de l’avis de l’auteur, « ne met pas dans l’état religieux » ?
[3] Préambule, 5e alinéa ; cf. Vie consacrée 1969, 114.
[4] Il ne serait peut-être pas hors de propos de se rappeler les difficultés faites jadis par les canonistes aux Scolastiques de la Compagnie de Jésus et aux religieuses des vœux simples « qui ne pouvaient pas être des vrais religieux ou religieuses, puisqu’ils ou elles ne faisaient pas les vœux solennels ». Historia magistra vitae.
[5] N. 34, II ; cf. Vie consacrée 1969, 128.