Vœux temporaires ou promesse temporaire ?
Alfred de Bonhome, s.j.
N°1969-4 • Juillet 1969
| P. 239-242 |
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L’Instruction Renovationis causam, du 6 janvier 1969 [1], permet aux Chapitres généraux de remplacer les vœux temporaires « par un engagement d’une autre nature, comme, par exemple, une promesse faite à l’Institut » (n. 34, I ; cf. aussi nn. 6-7). Quelle différence cela comporte-t-il ? Quelle est la signification et la portée de cet « engagement d’une autre nature » ?
L’Instruction motive ainsi cette possibilité de remplacement de la profession temporaire par un engagement moins marqué : les novices d’aujourd’hui manquent « plus fréquemment qu’autrefois de la maturité suffisante pour se lier immédiatement par les vœux religieux » (n. 7, 3). Le document ne donne guère d’explications sur ce manque de maturité. Il parle simplement d’une « hésitation à prononcer des vœux ».
« Elle s’accompagne souvent, dit-il, d’une conscience très grande... des exigences et de l’importance de la profession religieuse perpétuelle à laquelle on désire se préparer. C’est ainsi qu’il a paru souhaitable à certains Instituts... qu’on se lie par un engagement temporaire, pour réaliser le double désir de se lier à Dieu et à l’Institut et de se préparer plus complètement à la profession perpétuelle » (loc. cit.). On le voit, cet engagement est envisagé comme liant aussi à Dieu et non seulement à l’Ordre ou à la Congrégation. Ceci est-il fondé ? Ne faut-il pas dire que seuls des vœux lient à Dieu et, si un autre engagement le fait aussi, en quoi diffère-t-il ?
Nous voudrions essayer de répondre du point de vue théologique et spirituel et du point de vue juridique.
Il se peut qu’à la fin du noviciat, le candidat, tout en faisant preuve d’une authentique générosité personnelle, n’ait pas encore fait l’expérience spirituelle de l’emprise de Dieu sur sa vie. Il arrive que le Christ ne soit pas encore la consistance de son existence. En pareils cas, il paraît préférable qu’il ne s’engage pas par des vœux. Lorsqu’on lit ou entend ce mot « vœux », l’on pense assez spontanément aujourd’hui à leur contenu traditionnel : chasteté, pauvreté et obéissance. Mais le mot évoque-t-il encore assez ce qu’y voit la grande tradition théologique : un engagement de caractère religieux, pris envers Dieu pour reconnaître l’emprise unique qu’il exerce sur nous ?
Il est dès lors évident qu’il convient que la profession religieuse soit faite par des vœux. Elle « constitue une consécration par laquelle on se livre entièrement à Dieu, seul digne d’un don aussi absolu de la part d’une personne humaine... Elle constitue... un acte de religion » (n. 2, al. 1).
Si un novice n’est pas encore assez mûr spirituellement, « encore qu’on ne puisse mettre en doute sa générosité ni l’authenticité de sa vocation » (n. 7, 3), il n’est pas encore capable de se livrer à Dieu connu comme un Autre qui appelle et s’empare d’une personne et d’une existence, mieux vaut qu’il ne s’engage pas par vœu. Il n’en est pas moins opportun pour lui de s’engager envers Dieu et l’Institut à poursuivre son cheminement spirituel, dans une disponibilité à ce qui lui sera dévoilé, lorsqu’il aura atteint la maturité de celui qui, arrivé à un niveau supérieur à celui du don généreux de lui-même, se sait sous l’emprise de Dieu.
Ce n’est pas à dire que les jeunes religieux qui jusqu’ici ont fait ou feront encore désormais profession temporaire aient prononcé ou prononceront un engagement sans valeur. Ils ont voulu se lier religieusement à Dieu, à la mesure de l’expérience qu’ils en avaient. Mais tous n’en avaient pas l’expérience qu’il convient d’en avoir pour lui faire le don absolu de leur existence que comporte la profession religieuse.
Si cette expérience a été faite, alors le novice peut s’engager par des vœux. La volonté de l’Église est que ces premiers vœux soient temporaires. Ceux-ci sont certes un engagement à demeurer dans l’Institut et à faire profession perpétuelle. Mais le profès de vœux temporaires pourra de lui-même quitter son Institut à leur expiration et l’Institut, de son côté, pourra ne pas l’admettre à la profession perpétuelle (c. 637 ; Instr., n. 38, I). Est-ce légitime, alors que le candidat a reconnu par vœu l’action de Dieu sur lui ? Oui, parce que la faiblesse humaine rend opportune une période de « probation » (n. 7), au terme de laquelle l’expérience du religieux et de la communauté pourra confirmer s’il y avait bien appel de Dieu à une consécration totale à lui [2].
L’on voit tout le respect des personnes des candidats et de leur cheminement spirituel divers que les nouvelles dispositions rendent possible.
Essayons maintenant de préciser du point de vue juridique la portée respective des vœux et des engagements autres que les vœux, que, pour la facilité, nous désignerons par le mot de « promesses ».
« Les vœux font effectivement participer le candidat à la consécration propre à l’état religieux » (n. 7, 2). Même temporaires, ils font de celui qui les émet un religieux proprement dit, avec toutes les conséquences canoniques que cela comporte.
Quant à une promesse, elle ne met pas dans l’état religieux celui qui la fait. Geci, l’Instruction ne le dit nulle part explicitement. Mais cela nous paraît découler de ce qu’elle parle de la « profession unique et perpétuelle » (nn. 7, 4 ; 35, II). Or, seule une profession peut faire accéder à l’état religieux [3].
Il est sûr d’autre part que celui qui a fait la promesse dont nous parlons n’est plus dans la condition de novice. Il est dans un état intermédiaire, correspondant au cheminement dans lequel il est engagé.
Aux termes de l’Instruction, « il est conforme à la fidélité à une authentique vocation religieuse, que (la promesse) soit déjà tout orientée vers l’unique profession perpétuelle, dont il doit être déjà comme l’apprentissage et la préparation » (n. 7, 4 ; cf. 35, I). Aussi convient-il que la promesse « se réfère déjà à la pratique des trois conseils évangéliques » (loc. cit.).
L’Instruction dit ailleurs encore de façon plus large : « L’engagement temporaire... aura pour effet de lier à son Institut celui qui le prononce et d’entraîner l’obligation d’observer la Règle, les constitutions et les autres lois » (n. 36).
La promesse peut donc, là où il en est ainsi décidé, obliger à la pratique des conseils évangéliques et à la conformité aux lois de l’Institut. Mais cette obligation existe au titre d’une sérieuse préparation (cf. nn. 7, 4 ; 35, I) à la vie religieuse proprement dite, telle qu’elle doit être menée dans l’Ordre ou la Congrégation, préparation à laquelle le candidat s’est obligé par un engagement dans lequel il traduit son désir de déjà « se lier à Dieu et à son Institut » (n. 7, 3). Le novice, lui, est également obligé à cet essai, mais pas en vertu d’un tel acte de volonté.
Du point de vue de la pauvreté, une préparation à la profession perpétuelle comporte : l’acquisition par l’Institut de ce qui est gagné par le travail (cf. c. 580, § 2), l’obligation pour les sujets de céder à un autre la gestion de leurs biens propres (c. 569, § 1). L’on pourrait se demander s’ils doivent aussi disposer des revenus de ces mêmes biens en faveur d’une ou de personnes de leur choix (cf. loc. cit.). Nous pensons que oui. Cela paraît essentiel à l’apprentissage de la pauvreté.
Un certain lien public existe avec l’Institut (cf. nn. 36 et 7, 3).
En vertu de l’engagement temporaire, les supérieurs ont sur ceux qui l’ont émis, le « pouvoir dominatif » correspondant, non un pouvoir d’emprise sur toute la personne, mais selon la mesure, réglée par les lois de l’Institut, qui convient à l’obligation d’apprendre à vivre en lui.
Selon une norme importante de l’Instruction, « il appartient au Chapitre général de définir les autres aspects et les conséquences de l’engagement temporaire » (n. 36) [4].
Dans quelle mesure une sortie de l’Institut sera-t-elle possible pour ceux qui s’engagent par une promesse ?
Il ne semble pas que les supérieurs puissent les renvoyer pour n’importe quel juste motif comme ils le peuvent à l’égard des novices (c. 571, § 1), car leur promesse les lie à l’Institut pour un temps de probation (cf. nn. 7, 3 ; 10, I ; 34, II). Un renvoi peut évidemment avoir lieu pour un grave motif, comme dans le cas des profès de vœux temporaires (c. 647).
Le sujet peut-il partir de son plein gré ? Nous pensons que non, l’Instruction ne prévoyant pas cette possibilité là où elle envisage une séparation, temporaire ou définitive, d’avec l’Institut (cf. nn. 8 et 38). Au surplus, le sujet s’étant lié à l’Institut, comme nous venons de le dire, il faudrait l’assentiment des supérieurs pour qu’il puisse s’en aller. Si des raisons sérieuses le rendent opportun, une sécularisation pourra intervenir sans nécessité de recourir au Saint-Siège [5].
On le voit, une promesse faite à la place des vœux temporaires à l’issue du noviciat oriente déjà vraiment et publiquement vers la profession perpétuelle, dont elle marque à sa façon la pleine valeur de consécration.
St.-Jansbergsteenweg 95
Leuven (Belgique)
[1] Texte dans Vie consacrée, 1969, 113-130.
[2] Ce passage de l’Instruction est éclairant : « Il ne saurait être question de remettre en cause l’importance pour celui qui a entendu l’appel de Jésus à tout quitter pour le suivre, de répondre généreusement et de tout cœur à cet appel dès le début de sa vie religieuse : l’émission des vœux temporaires répond parfaitement à cette exigence. Tout en retenant le caractère d’une épreuve par le fait qu’elle est temporaire, l’émission des premiers vœux engage le candidat dans la consécration propre à l’état religieux » (n. 7, 2).
[3] Deux auteurs ont la même façon de voir. Cf. E. Heston, C. S. C., « Vœux temporaires et promesses », dans Vie des communautés religieuses, 1969, 90 ; L. Ravasi, « Professione religiosa e formazione », dans Vita Religiosa, 1969, 157 s.
[4] Selon le P. E. Heston, « le Chapitre général devra décider, entre autres choses, la question de la voix active et passive, celle des obligations mutuelles du candidat et de l’Institut » (art. cit., p. 90).
[5] Cf. fac. 14 des supérieurs généraux des Instituts de prêtres de droit pontifical (R. C. R., 1965, 55) ; fac. 5 des supérieurs généraux des Instituts laïques, masculins et féminins, de droit pontifical (Vie consacrée, 1967, 117). Pour les Instituts de droit diocésain, l’Ordinaire du lieu est compétent (c. 638).